Texte intégral
Le Figaro - 18 février 1998
LE FIGARO. — 45 listes dissidentes font tâche dans le tableau de l’opposition unie. Dans 27 d’entre elles sont impliqués des membres du RPR. Ces dissidences sont-elles la rançon du renouvellement exigé par Philippe Séguin ?
François FILLON. — On peut dauber sur notre capacité à atteindre les objectifs ambitieux que nous avais fixés Philippe Séguin : la féminisation, le rajeunissement, le renouvellement. Mais aujourd’hui, ils sont atteints ! Nous aurons 34 % de femmes, dont 30 % en position éligible. Nous aurons plus de 46 % de nouveaux candidats. Nous aurons enfin une moyenne d’âge de nos listes rabaissée d’une bonne dizaine d’années. Ces objectifs atteints sont, évidemment, la cause de la plupart des dissidences. On peut imaginer que faut de féminisation, de renouvellement et de rajeunissement, les dissidents auraient été des jeunes, des nouveaux candidats et de femmes… Mais il faut constater que les dissidents sont d’abord des sortants, fâchés de n’avoir pas été réinvestis…
Je rappelle enfin qu'à une ou deux près, il n’y a pas plus de dissidences aujourd’hui qu’il n’y en avait en 1992.
LE FIGARO. — Le sort des dissidents est définitivement scellé…
François FILLON. — La commission des investitures s’est réunie hier matin et a décidé d’exclure sans appel les dissidents dont la responsabilité est clairement engagée.
LE FIGARO. — Il y aurait donc des dissidents responsables et des dissidents victimes ?
François FILLON. — Parfois. Et c’est pourquoi nous regarderons avec un peu plus de bienveillance la situation politique des nôtres qui ont présenté une liste parce que nos partenaires n’ont pas tenu leurs engagements.
LE FIGARO. — Par exemple ?
François FILLON. — Je pense à Jean-Louis Masson, en Moselle et à quelques autres…
LE FIGARO. — Si un dissident retire sa liste avant le scrutin du 15 mars prochain…
François FILLON. — Il sera accueilli avec le veau gras !
RTL - jeudi 19 février 1998
R. Arzt : La diplomatie française se démarque actuellement des Américains, en prônant une solution pacifique à l’égard de l’Irak. Au RPR on approuve ?
F. Fillon : Oui, complètement. Vous savez, les résolutions des Nations unies doivent être appliquées ; S. Hussein est un dictateur qui a menacé, et qui menace la paix au Moyen-Orient, mais c’est le Conseil de sécurité qui doit décider des mesures qui doivent être prises. Nous, nous pensons que nous n’en sommes pas encore arrivés à l’usage de la force, que la diplomatie peut encore réussir et surtout, nous sommes très sceptiques sur l’efficacité d’une opération militaire, aérienne — « propre », « chirurgicale » comme on a l’habitude de dire —, qui ne réglerait rien au plan politique, et qui aggraverait, sans doute, la situation et la tension dans la région.
R. Arzt : Donc, s’il y avait finalement une intervention militaire américaine, la France, à votre avis, devrait la condamner ?
F. Fillon : En tout cas, si cette intervention n’est pas déclenchée par le Conseil de sécurité des Nations unies et si elle n’a pas été précédée de tous les efforts pour réussir à trouver une solution pacifique, la France devrait alors la condamner.
R. Arzt : J.-P. Chevènement résumait hier l’enjeu, selon lui, de cette crise, en disant « qu’une guerre signifierait une confrontation avec le monde arabe ou musulman. Nous n’en avons pas besoin ». Vous êtes d’accord avec cette analyse ?
F. Fillon : Ce qui est vrai, aujourd’hui, c’est que les pays de la région ne la souhaitent pas ; que cette utilisation de la force risque de renforcer le terrorisme, et risque de rendre encore plus difficile la solution du problème palestinien, pour ne pas régler le problème politique irakien qui est lié à S. Hussein et au régime politique qu’il a mis en place.
R. Arzt : Autre question d’actualité : le projet d’Accord multilatéral, l’AMI. Il s’agit, dans tous les Etats du monde, de mettre à égalité entreprises nationales et internationales, d’interdire toute préférence nationale en matière d’investissement. Que dit le RPR ?
F. Fillon : Nous disons que la France doit refuser cet accord comme elle a refusé par le passé d’autres propositions de ceux que j’appellerais « les ayatollahs du libre-échange », qui ne veulent pas reconnaître qu’il y a des limites aux bienfaits du libéralisme et de l’ouverture des frontières. Moi-même, je me souviens avoir combattu — d’abord seul contre tous les pays européens et puis, finalement, avec une majorité — l’ouverture à la concurrence du secteur postal.
R. Arzt : A l’époque où vous étiez ministre des Télécommunications.
F. Fillon : Oui, parce que — alors que tout le monde me disait que c’était un combat perdu d’avance — nous avons une spécificité, une géographie qui font que nous avons besoin de protéger notre système de distribution du courrier. Eh bien, là, nous avons besoin de protéger notre création artistique et un certain nombre d’autres domaines.
R. Arzt : Donc le Gouvernement agit dans la bonne direction ?
F. Fillon : Oui, je crois qu’il y a un consensus national très fort sur ce sujet. Mais simplement, cette affaire montre à quel point nous devons être vigilants et à quel point, avant de nous engager à travers des traités dans des mécanismes dont on ne peut plus revenir, il faut réfléchir à deux fois.
R. Arzt : Venons-en aux régionales : le RPR fait une campagne active, P. Séguin devrait visiter pratiquement tous les départements. Ça veut dire que le RPR va accentuer le côté test national de ces régionales ?
F. Fillon : De toute façon, ce sera un test national, vous le dites sur les antennes.
R. Arzt : On a entendu les partis politiques le dire aussi.
F. Fillon : Les observateurs le disent : c’est une élection à la proportionnelle. Sur une circonscription qui est assez vaste, qui est la circonscription départementale, l’enjeu est évidemment d’abord celui de la gestion des régions, mais il est très politique. Il est, neuf mois après l’arrivée du Gouvernement, une première occasion pour les Français de donner, de porter, un jugement sur l’action du Gouvernement.
R. Arzt : C’est favorable pour le RPR que ce soit si politique ?
F. Fillon : On ne peut pas le dire, parce que ces élections, d’abord, arrivent très tôt par rapport aux élections législatives de juin 1997. Et ensuite, comme vous le savez, l’opposition détient 20 des 22 régions métropolitaines. Elles partent donc avec un handicap, d’une certaine manière.
R. Arzt : Mais est-ce un galop d’essai pour le RPR — tel qu’il a été réorganisé lors de ses assises il y a trois semaines —, ces élections ?
F. Fillon : C’est, en tout cas pour nous, la première occasion, depuis nos assises, d’aller au contact des gens, de faire campagne sur nos idées, sur nos valeurs. Et puis aussi d’aller les écouter ; parce que les campagnes électorales, ça ne sert pas qu’à affirmer des projets et des idées, ça sert aussi à écouter. E. Balladur le fait — avec beaucoup de bonheur, depuis des semaines, en Ile-de-France —, il écoute les Français et leurs préoccupations.
R. Arzt : « Beaucoup de bonheur » pour lui vous voulez dire ?
F. Fillon : « Beaucoup de bonheur » en tout cas quant à la qualité de la campagne qu’il fait et quant à la qualité de l’écoute, qui est, je crois, reconnue par toutes et par tous, et qui donne des résultats puisque les sondages qui le donnaient derrière la gauche, il y a quelques semaines, le donnent ce matin légèrement devant.
R. Arzt : Souhaitez-vous que J. Chirac qui, comme on le sait, a été vivement applaudi pendant les assises du RPR, intervienne en soutien à l’opposition, d’ici au 15 mars ?
F. Fillon : Non. Je crois qu’il faut que le Président de la République garde le rôle qui est le sien. Il est au-dessus de cette mêlée-là. Même si nous savons qu’il regarde avec sympathie toutes nos listes dans tous les départements.
R. Arzt : A propos de listes dans les départements, comme il y avait des dissidents, 34 membres du RPR ont été exclus. Les intéressés n’ont pas l’air d’apprécier. On entend dire que ça s’est fait un peu vite, sans qu’ils puissent s’expliquer. Il y a même eu des démissions collectives, en soutien, dans le Nord, aux cinq qui avaient été exclus ?
F. Fillon : Je crois qu’il faut bien comprendre que nous avons, cette année, pour ces élections régionales, fait un énorme effort de renouvellement de nos candidats, de rajeunissement et de féminisation. P. Séguin nous avait dit qu’il voulait 30 % de femmes en position éligible, un renouvellement de quasiment la moitié des candidats : c’étaient une gageure et nous l’avons fait. Et en le faisant, évidemment nous avons provoqué des dissidences, notamment de la part des candidats sortants qui n’ont pas été retenus. Et donc, il n’est pas anormal dans ces conditions qu’il y ait des dissidences. Ce qui aurait été anormal c’est que nous les laissions se dérouler sans réagir. Un parti qui vient de se doter de nouveaux Statuts — qui se veut plus démocratique, où le débat interne a été très vif —, doit faire respecter les décisions qu’il prend. Et ceux qui disent qu’ils n’ont pas été avertis ou qu’il n’y a pas eu de débat savent bien que ça n’est pas exact. Car cela fait des mois et des mois que nous essayons d’arriver à des solutions qui n’aboutissent pas à l’exclusion.
R. Arzt : Vous attendez de vos alliés UDF qu’ils excluent leurs propres dissidents comme vous l’avez fait ?
F. Fillon : Absolument. Je crois que c’est une question de morale politique et c’est une question de crédibilité pour les partis.