Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RMC le 15 janvier 1998, sur les propos de M. Jospin à l'Assemblée nationale concernant l'affaire Dreyfus, la politique de l'emploi et la réduction du temps de travail.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

RMC : Vous connaissez les raisons pour lesquelles le Premier ministre a fait cette petite…

Jean-Pierre Raffarin : Cette grosse bourde.

RMC : C’est de la provocation vis-à-vis de l’opposition ?

Jean-Pierre Raffarin : Franchement, je suis surpris. Je ne fais pas partie de ceux qui s’attendaient à ce type de comportement de la part de Lionel Jospin. Au fond, au moment où les Français ont quand même besoin d’être rassurés, le Premier ministre se révèle inquiétant. En manipulant leur histoire, Lionel Jospin montre qu’il n’aime pas les Français. Je crois que c’est cela qui est très important. Il n’aime pas les Français. Il faut aimer les Français et la France. Et la méthode Jospin, c’est au fond toujours la technique de l’affrontement : on l’a vu sur l’immigration ; on l’a vu sur les 35 heures ; on l’a vu sur la politique familiale.

RMC : Il n’aime pas l’opposition, mais…

Jean-Pierre Raffarin : La méthode, c’est l’affrontement. En général, une méthode de gouvernement est fondée sur l’idée de rassemblement. Lionel Jospin, lui, dans cette affaire cherche deux objectifs : la diversion et la division. La diversion parce que mieux vaut parler de Dreyfus que des chômeurs ; mieux vaut parler de l’esclavage que de la gauche plurielle divisée. Et puis la division car, au fond, en permanence, il gouverne en opposant. Il dénigre toujours l’adversaire. Un premier ministre pour sauver ce pays de ses difficultés devrait rassembler. Lui, il s’oppose en permanence. Après la gauche caviar, voilà la gauche fouettard.

RMC : Tout n’était pas faux dans ce qu’a dit le Premier ministre hier. Est-ce que la riposte de l’opposition était proportionnée à la leçon de l’histoire ?

Jean-Pierre Raffarin : On ne joue pas avec l’Histoire. Moi, je crois vraiment que notre Histoire a construit la France. Notre Histoire, il faut l’aimer. Notre Histoire ne commence pas à la Révolution française. C’est vrai qu’il y a des zones d’ombre, c’est vrai qu’il nous faut avoir des regards de lucidité les uns et les autres ; mais se jeter l’Histoire au visage, s’accuser des clivages anciens, aller chercher dans les poubelles de l’Histoire les querelles et les divisions pour faire en sorte que ce pays s’oppose, que ce pays se divise, je crois que c’est une grave erreur politique.

RMC : Il y aura des suites politiques à votre avis ?

Jean-Pierre Raffarin : Je pense qu’il y aura des conséquences parce qu’au fond, Lionel Jospin montre ainsi que, non seulement il manquait jusqu’ici de sincérité sur le fond des dossiers – on va y revenir –, mais, en plus, il manque de maturité politique. Je pense que, quand on gouverne la France, il faut aimer les Français, il ne faut pas jouer avec leur Histoire. Aujourd’hui, on joue beaucoup trop avec l’Histoire des Français. Cela n’est pas innocent et cela aura, à mon avis, des conséquences.

RMC : Les sept premiers mois du gouvernement Jospin – franchement — n’étaient pas mauvais ? Le bilan était plutôt conforme aux promesses ?

Jean-Pierre Raffarin : Disons que c’était du bon marketing. Il y avait un certain nombre d’idées qui pouvaient séduire. C’est vrai que les emplois jeunes, au départ, cela séduit et puis on s’aperçoit, quand on réfléchit un petit peu, qu’on met de la dépense publique pour faire en sorte qu’un jeune – bac plus trois – ait de l’argent de l’État pour aller travailler au rectorat, on se dit : c’est bien, cela aide un peu à résoudre la crise, mais, au fond, cela révèle que la société ne marche pas du tout ; cela révèle qu’il faut mettre de l’argent public pour un jeune qui a de la qualification et qui devrait normalement être embauché par les entreprises. Et, à côté de cela, on voit que les chômeurs de longue durée, eux, sont dans une situation vraiment qui les conduit à être très démunis.

RMC : C’était le résultat de votre gestion, par parenthèse.

Jean-Pierre Raffarin : Non, écoutez, je veux bien que l’on parle des bilans. Le chômage de longue durée, cela a été l’objectif numéro un de la campagne de Jacques Chirac.

RMC : Ils ne l’ont pas vu.

Jean-Pierre Raffarin : Quand on dit que Lionel Jospin a tenu sa promesse : il a fait les 35 heures. Il ne les a pas encore faits et il aura du mal à les faire. Mais souvenez-vous que la première mesure d’Alain Juppé était le contrat initiative emploi. Ce contrat initiative emploi, qu’est-ce que c’est ? C’est l’allègement des charges pour que les entreprises puissent engager les chômeurs de longue durée, c’est-à-dire le chômage, l’exclusion. Faisons la différence entre le chômage accident – certes grave – et le chômage qui conduit à l’exclusion qui, dans ce pays, est en train encore d’augmenter. Je crois qu’il y a, là, une priorité nationale à dégager contre le chômage de longue durée. Moi, je dirais au fond que ce gouvernement, après cette période marketing, nous montre ce que j’avais déjà noté à bien des égards – et cela pour tous les gouvernements – que la France n’est plus aujourd’hui gouvernable de Paris. Il faut régionaliser. Quand on parle de l’emploi et du chômage, c’est 150 milliards d’aides aujourd’hui embourbés dans l’administration parisienne. Quand vous voyez les difficultés de la ville et la réunion des maires à l’Élysée – je dis bravo à Jacques Chirac d’être à l’écoute –, quelle est la conclusion de ce débat ? Au fond, c’est que c’est au local, sur le terrain, dans la proximité, avec convivialité, qu’il faut agir. Il faut régionaliser la politique de la ville. Qu’est-ce qu’on nous propose ? Créer un ministre, créer un ministère. Toujours renforcer le sommet, toujours travailler par le haut, ne pas s’occuper de la base et du terrain. Cette solution du ministre de la ville pour créer une politique de la ville, pour répondre à des problèmes locaux, c’est absurde et c’est raisonner à l’envers. Régionalisons !

RMC : Vous aviez bien un ministre de la ville quand vous étiez au cabinet ?

Jean-Pierre Raffarin : Si vous voulez que je vous dise qu’on a fait des erreurs, je vous le dis tout de suite. Je ne crois pas qu’on a trouvé toutes les solutions. Moi, je me rends compte que, dans ce pays, on flotte plus qu’on gouverne. Et donc je crois que pour gouverner, il faut régionaliser. On a des élections régionales, semble-t-il, prochainement. Je pense qu’il faut aujourd’hui régionaliser la politique de l’emploi, régionaliser la politique de la ville, faire en sorte que la politique de la ville soit gérée à Marseille, à Montpellier, à Poitiers, vraiment au plus près du terrain.

RMC : Vous étiez ministre des PME, il y a sept mois. Je voulais vous poser une question sur les 35 heures : est-ce que sérieusement on peut dire ce que dit l’opposition, c’est-à-dire qu’avant qu’elles ne commencent, que les 35 heures ne créeront pas d’emploi ? Est-ce que c’est aussi simple que cela ?

Jean-Pierre Raffarin : Je crois que l’on peut le dire honnêtement. Je pense que les 35 heures, c’est une agression contre les PME, contre le commerce, contre l’artisanat. Je pense que les artisans, les bouchers-charcutiers, les coiffeurs, les boulangers, tous ceux qui font quand même vivre l’emploi sur notre terrain aujourd’hui, les 35 heures, pour eux, c’est contre leur culture, c’est contre leur vie quotidienne parce qu’ils se battent à longueur de journée, à longueur de semaine avec beaucoup plus de 35 heures de travail. Donc il y a une vraie agression contre les petits. Et je pense que les grandes entreprises ont naturellement le moyen d’aménager le temps de travail. Elles ont des directeurs des ressources humaines ; elles ont la capacité d’investir de la matière grise pour organiser le travail autrement. Oui à l’aménagement du temps de travail, oui pour les grandes entreprises ; mais en-dessous de cinquante salariés, c’est une monstruosité économique. Et s’il y a quelques emplois gagnés dans les grandes, il va y en avoir des centaines de milliers de détruits dans les petites.

RMC : Vous parliez des régionales tout à l’heure, avec passion.

Jean-Pierre Raffarin : Oui, parce que je crois que la région est la bonne réponse à nos problèmes.

RMC : En deux mots : les régions sont ingouvernables dans l’état actuel des choses. Elles sont souvent paralysées. Deuxièmement quand on voit que l’opposition se bat comme des chiens en ce moment pour les têtes de listes : est-ce que c’est un bon point de départ ?

Jean-Pierre Raffarin : La « politicaillerie » n’est jamais un point de départ. La proportionnelle, ce n’est pas idéal pour les régions. On n’a pas été capable de la changer. On a les conséquences de nos « non-choix ». Mais les régions ont répondu à beaucoup des problèmes de notre société. Regardez aujourd’hui les lycées et l’éducation. En Poitou-Charentes : un milliard de francs par an sur un budget ; 1,7 milliard pour les jeunes. Donc, là il y a des actions possibles aujourd’hui. Il faut régionaliser. Paris est complètement paralysé par sa bureaucratie. Faisons aujourd’hui de la régionalisation la bonne réponse aux problèmes de la société française.

RMC : On voit que vous n’êtes plus au gouvernement.

Jean-Pierre Raffarin : Je ne dis pas que tout était bien de notre temps et qu’aujourd’hui tout est faux. Je dis qu’on gouverne ce pays avec difficulté de Paris et qu’il faut la région comme solution.