Texte intégral
RTL : Lionel Jospin exprimera ses regrets à l’opposition pour l’incident survenu hier. C’est quand même la première fois. C’est une situation assez exceptionnelle, non ?
François Hollande : Je suis député maintenant depuis 1988, près de dix ans. Chaque fois qu’il y a eu des incidents – il y en a eu de nombreux à l’Assemblée –, ça a toujours été sur des interprétations de l’histoire. Je trouve que, quelquefois, l’Assemblée s’honorerait à faire de vraies confrontations sur le présent ou sur le futur, et pas simplement des éclats de voix – des uns comme les autres, reconnaissons-le – sur les leçons que l’on peut tirer de l’histoire, et en plus quelquefois avec beaucoup d’approximation. Je pense que le Premier ministre a eu raison de dire que c’était la première et la dernière fois, parce que je ne crois pas qu’on ait à tirer des grands enseignements de ce type de polémiques.
RTL : C’est rare quand même qu’un Premier ministre s’excuse ?
François Hollande : Oui, et dans ces conditions, je crois qu’il a eu raison. En même temps, je pense que beaucoup de députés de l’opposition devraient également s’excuser, car je les ai vus se comporter hier comme des gens agressifs, vulgaires, grossiers. Il y a eu des échanges de quolibets tout à fait déplorables. Alors, oublions tout ça. C’est bien que le Premier ministre ait montré la voie, et faisons en sorte qu’on parle à l’Assemblée des questions qui intéressent d’abord les Français, et pas simplement ceux du 19e siècle, voire du 18e.
RTL : Pour certains dans l’opposition, Lionel Jospin a montré son vrai visage, celui d’un homme sectaire.
François Hollande : Je connais Lionel Jospin, les Français aussi ont appris à le regarder. Il est tout, sauf un homme sectaire. La preuve, c’est que s’il avait été sectaire, il serait resté sur une interprétation qui, dans l’histoire, peut se justifier, et il n’aurait pas présenté, comme il l’a fait, ses regrets. Moi, je crois que c’est plutôt le signe, précisément, d’un homme d’ouverture qui n’a pas envie de rentrer dans la polémique qui n’intéresse pas les Français, et qui a envie de s’intéresser, au contraire, à leurs vrais problèmes. Je crois que c’est bien qu’il l’ait fait, et ça prouve tout à fait le contraire de ce qu’affirme l’opposition.
RTL : Un faux-pas en politique n’est jamais innocent. Certains membres de la majorité déclarent que l’on aurait pu s’épargner ce genre de spectacles.
François Hollande : Sans doute, c’est pour ça qu’il ne faut pas le reproduire. Des faux-pas, nous ne commettons tous. Ça peut nous arriver ; moi je crois qu’il y a eu un faux-pas collectif hier, parce qu’il y a eu, de la part de l’opposition, une réaction qui était exagérée et que s’il y avait eu un écart de langage il pouvait être éventuellement identifié, relevé, sans pour autant vociférer, sans pour autant quitter l’hémicycle, sans pour autant insulter. Je n’ai pas envie de commenter un événement qu’on veut regretter tous.
RTL : Certains de vos alliés y voient quand même une tactique permettant au Premier ministre de ressouder la coalition gouvernementale. C’est ce que disait, par exemple ce matin, Noël Mamère.
François Hollande : Ce n’était pas utile parce que la majorité gouvernementale est unie sur l’essentiel, et elle va se présenter en listes communes dans la plupart des départements à l’occasion des élections régionales. Donc moi, je n’ai pas de doute là-dessus, et je n’ai pas de tactique à proposer. Ce n’est pas en faisant telle ou telle déclaration un peu dure à l’égard de la droite qu’on retrouvera l’unité de la gauche. L’unité de la gauche se fait sur les problèmes essentiels des Français, c’est-à-dire l’emploi, l’insécurité et, bien sûr, la solidarité qu’on doit avoir à l’égard des plus démunis.
RTL : Ce qui veut dire que l’état de grâce n’est pas terminé pour le Gouvernement ?
François Hollande : Je crois qu’il n’y a pas eu d’état de grâce.
RTL : Vous avez eu de bons sondages !
François Hollande : Il faut mériter l’état de l’opinion. Une popularité, ça se mérite.
RTL : L’unité de la majorité est quand même mise à mal par certains dossiers. L’affaire des chômeurs provoque quand même de sérieux tiraillements ?
François Hollande : Oui, mais sur les mesures du Gouvernement tout le monde s’est retrouvé : tous les ministres du Gouvernement et toute la majorité, parce que c’est bien qu’un gouvernement, face à une détresse, ait mis un milliard de francs. Vous avez commenté un certain nombre de reportages qui ont été faits dans la plupart des préfectures, où on voit des personnes qui viennent retirer des formulaires pour espérer une aide – qui n’aurait pas été possible s’il n’y avait eu le mouvement des chômeurs, peut-être, sans doute, mais aussi l’attitude du Gouvernement. Et c’est bien qu’il en fût ainsi.
RTL : On le reçoit le jeudi à Matignon pour la première fois, et on leur envoie les CRS et les gendarmes mobiles deux jours après.
François Hollande : On reçoit les associations de chômeurs le jeudi, ou le vendredi, on les reçoit encore le lundi, et on évacue ceux qui occupent des lieux publics. Et en même temps, on écoute ceux qui portent des revendications, ceux qui manifestent dans la rue. Et j’espère que tout ce mouvement se portera aussi sur la revendication des 35 heures pour créer des emplois.
RTL : Comment la majorité va se sortir de ce problème des chômeurs qui ne baissent pas les bras, puisqu’il va y avoir encore une manifestation samedi ?
François Hollande : On ne s’en sortira qu’en ayant des propositions sur l’emploi et sur la solidarité.
RTL : Ça n’a pas l’air de les satisfaire ?
François Hollande : C’est normal. Ceux qui sont dans le mouvement voudraient avoir tout de suite des aides et tout de suite un emploi. Or, un gouvernement doit agir dans la durée, c’est pourquoi il va y avoir non seulement ce fonds d’urgence d’un milliard de francs, débloqué dès aujourd’hui, la loi sur l’exclusion au mois de mars, et avec sans doute une réflexion, un réajustement de façon à ce qu’on ait une politique de solidarité. Et puis, enfin, il y aura les mesures pour l’emploi. J’ai parlé de la réduction du temps de travail, je voudrais également évoquer les emplois jeunes. Parce qu’on nous dit : il faudrait donner des allocations pour les jeunes de moins de 25 ans. Non, je préfère qu’on donne un emploi aux jeunes de moins de 25 ans plutôt qu’une allocation. L’idée, c’est quand même de sortir la population, qui est touchée par le chômage, de cette inactivité et de les mettre dans l’emploi ou dans l’insertion. Consacrons toutes les sommes nécessaires pour remettre ceux qui sont exclus dans la voie de l’insertion et du travail.
RTL : Autre sujet évoqué tout à l’heure par Philippe Séguin, le silence de Lionel Jospin sur l’initiative de la réforme constitutionnelle.
François Hollande : Philippe Séguin est d’un naturel grincheux. C’est-à-dire qu’il n’est jamais content. Si Lionel Jospin avait dit : voilà ma position, référendum ou congrès, et voilà ce que je demande au président de la République, je suis convaincu que Philippe Séguin se serait levé et aurait tonné en disant : « Comment ! un Premier ministre veut empiéter sur les prérogatives du président de la République, c’est, comme disait l’autre, un scandale ! » Ce n’est pas ce qu’a fait Lionel Jospin. Il a dit : c’est une prérogative du président de la République, je la respecte ; que le président fasse connaître son avis et c’est lui qui aura l’initiative, et moi je m’adapterai, je proposerai. Mais vous voyez, il y a un moment dans l’opposition, à force d’être contre tout, on finit même par être contre le président de la République. Vous vous rendez compte !
RTL : Une question sur les régionales. Apparemment Lionel Jospin souhaite que ce soit vous qui preniez une décision concernant la tête de liste en Île-de-France, concernant Dominique Strauss-Kahn. Est-ce que Monsieur Strauss-Kahn peut conduire la liste en Île-de-France, être candidat à la présidence et conserver son poste de ministre alors que vous êtes contre le cumul des mandats ?
François Hollande : Oui, et je veillerai d’ailleurs à ce que, dans toutes les régions françaises, ce dispositif soit bien respecté. Alors pour l’Île-de-France, je demanderai à Dominique Strauss-Kahn de préparer un dispositif. Et puis s’il ne peut pas être lui-même président puisqu’il pourrait vouloir rester à Bercy, le jour où il me fera connaître sa décision, il y aura un dispositif particulier pour y pallier.
RTL : Il va conduire quand même les régionales ?
François Hollande : La décision qui a été prise, c’est qu’il est le porte-parole, le chef de file des socialistes pour les élections régionales en Île-de-France. S’il n’est pas en position de pouvoir à la fois être président et ministre, il me le fera savoir très rapidement, et à ce moment-là, nous aurons un dispositif pour cela.