Texte intégral
Le débat public, en France, fait la part belle à ceux qui profitent de l’inquiétude légitime des Français pour tenter de susciter chez eux des réflexes populistes. Ainsi en est-il du discours anti-européen, que ne partagent pas nos concitoyens. Il comporte de très nombreuses contradictions. Parfois anti-américain jusqu’à la caricature, il n’en met pas moins en cause l’orientation européenne de la politique française. L’idée que la France peut affronter le monde entier toute seule me semble pourtant relever davantage de la logique d’Astérix que d’un intérêt national bien compris !
Heureusement, fidèle à sa mission constitutionnelle, le chef de l’État a confirmé le serment de la France, au côté de l’Allemagne, dans une Europe intégrée, seule garante de la paix et de notre avenir. On peut toujours ergoter sur les conditions de mise en œuvre de l’unification de l’Europe, mais six présidents de la République, dix législatures, deux référendums et nombre de gouvernements en ont confirmé les termes. L’enjeu exceptionnel en est la construction, dans la paix, d’un ensemble économique et politique qui sera le premier du monde par sa puissance, et l’on comprend que cela suscite de nombreuses interrogations.
Il faut rendre hommage à Jacques Chirac pour son engagement européen et la détermination avec laquelle il nous conduit vers la monnaie unique. Parce qu’il est en charge de l’essentiel, il a su privilégier les intérêts fondamentaux de la France, maintenir le cap franco-allemand et rappeler l’ambition européenne de la France. Malgré des circonstances économiques difficiles et les conditions dans lesquelles s’est déroulée la dernière élection présidentielle, il a choisi le long terme. Il a raison, et l’avenir lui rendra justice.
La monnaie unique est plus qu’une simple affaire de financiers. Elle est l’aboutissement logique et nécessaire d’un véritable projet politique, culturel et économique pour notre pays, car elle confirme notre alliance franco-allemande et, au-delà, renforce notre objectif européen. Aujourd’hui, il est clair que la France et l’Allemagne ont eu raison de tourner le dos aux heures sombres de leur passé pour choisir un avenir commun.
Le chômage est la principale préoccupation de nos concitoyens respectifs. Il trouve sa source dans les nouvelles conditions de production, mais aussi dans des droits acquis en période de prospérité, qui n’ont pas su s’adapter à une concurrence mondiale plus vive et ont pesé sur nos dépenses. L’état de nos finances publiques, en France et en Allemagne, est comparable : déficits des comptes publics et des comptes sociaux, endettement. Nous avions pris l’habitude de vivre à crédit et nous aimerions bien continuer, tout en sachant que c’est impossible !
L’évasion de nos industries délocalise la production parce que nous ne sommes plus assez compétitifs et que nous refusons de faire les efforts nécessaires. Les Allemands auront, par exemple, investi, l’année dernière, plus de 600 milliards de francs à l’étranger pendant que l’étranger n’investissait chez eux que 100 milliards.
Nos systèmes mixtes ou publics pèsent aujourd’hui par leurs déficits et doivent être réformés. C’est le cas, chez nous, du secteur des transports, pour lequel nous devons désormais réapprendre au service public la rentabilité et l’efficacité. Nous nous sommes un peu endormis alors que le monde nouveau exige de nous des efforts renouvelés pour mobiliser notre savoir-faire, nos chercheurs, nos ouvriers, nos ingénieurs et nos cadres vers la société, plus immatérielle, du troisième millénaire.
Les destins de la France et de l’Allemagne sont liés. Les trente années qui viennent de s’écouler montrent le bénéfice que nous en avons tiré. Jamais, dans notre Histoire, la hausse du niveau de vie n’a été aussi fulgurante que depuis la signature du traité de Rome. Jamais nous n’aurions pu croire, cinquante ans après le second conflit mondial, que la France et l’Allemagne figureraient, côte à côte, parmi les pays les plus riches du monde, leurs économies imbriquées et dépendantes, leur relation fortifiée et essentielle à l’Europe comme au monde !
En Allemagne, 80 000 personnes sont salariées par des entreprises françaises. Le marché allemand représente pour nous plus de 250 milliards de francs : dix fois celui du Japon et trois fois celui des États-Unis. Les entreprises allemandes font vivre plus de 120 000 salariés en France. Ces liens sont sans précédent. Ils prouvent le dynamisme d’une relation franco-allemande qui ne se dément pas et qu’on n’a pas le droit d’affaiblir avant les importantes échéances qui nous attendent. Elle est fondée, avant tout, sur le sérieux d’une politique monétaire et budgétaire qui s’inscrit dans la durée, et que d’aucuns contestent encore.
Certains voudraient citer en exemple l’Angleterre, qui a dévalué sa monnaie. Les hésitations de ce pays envers l’Europe lui ont coûté cher, et ses résultats ne sont pas si probants : la population active y a diminué depuis 1992 ; deux tiers des emplois créés sont des emplois à temps partiel ; les écarts de revenus s’y sont aggravés ; la balance commerciale y est déficitaire ; la dette publique s’y accroît. Est-ce un si bon exemple ?
Ceux qui voudraient remettre en cause la politique monétaire de la France portent atteinte à ses intérêts vitaux. Les suivre coûterait cher en emplois et en désillusions. Les désordres monétaires de 1993 auront fait perdre à l’Europe un demi-point de produit intérieur. Avec l’euro, le coût des transactions en Europe sera diminué de près de 150 milliards de francs. Depuis que la monnaie unique est devenue crédible, les taux d’intérêt moyens à long terme en Europe ont chuté de 2,5 points. Avec la monnaie unique, c’est près d’un point de croissance supplémentaire automatique que les économies européennes pourront espérer. Lorsque nous disposerons d’une monnaie commune, nos taux d’intérêt et nos taux de change s’apprécieront en fonction de l’économie réelle, et nous découvrirons alors les vertus insoupçonnées de l’espace monétaire unique.
J’en appelle à l’ensemble de la classe politique. Nous n’avons pas le droit de nous tromper de combat. Remettre en cause, par des insinuations ou des déclarations, auxquelles d’ailleurs nos concitoyens n’adhèrent pas, nos engagements les plus fondamentaux, c’est-à-dire d’abord la solidité du couple franco-allemand et ses implications économiques et monétaires, c’est nuire aux intérêts de notre pays. La monnaie unique est à notre portée, et toutes les dispositions sont prises pour y parvenir. La remettre en cause, au moment de l’ultime effort, c’est porter un mauvais coup à la France.
L’Histoire jugera la monnaie unique comme l’accomplissement du plus formidable pari de ce siècle : l’unification du continent européen.
Nous allons y parvenir parce que nous le voulons et que notre volonté est sans faille. Chacun doit d’ores et déjà s’en convaincre. Nous serons à la hauteur de ce qu’on attend de nous. Alors la France aura été fidèle à ses heures les plus glorieuses, et sa voix en sortira renforcée.