Article de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, dans "La Tribune franco-allemande" de mai 1997, sur l'UEM et la volonté de créer l'Euro, intitulé "Un destin monétaire commun".

Prononcé le 1er mai 1997

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Média : La Tribune franco allemande

Texte intégral

Un destin monétaire commun

L’UEM constitue un formidable progrès pour l’intégration économique et financière de notre « vieux continent ». Le marché unique a déjà profondément transformé nos économies. Il bénéficiera, dans cet accomplissement monétaire d’un effet d’amplification considérable. Le partage du bon sens monétaire et la certitude commune que l’Union a toujours fait la force sont finalement les deux meilleurs garants de ‘euro. Voilà pourquoi l’Allemagne et la France partageront avec nombre et leurs partenaires européens, même monnaie dès le 1er janvier 1999.

Dans un peu plus de 600 jours, l’euro sera devenu la monnaie commune à l’Allemagne et à la France ainsi qu’à nombre de leurs partenaires européens.

Cet événement, aujourd’hui complètement intégré par les marchés, les banques et les entreprises, devient pour certains presque banal. Il s’agit pourtant d’un formidable progrès pour l’intégration économique et financière de notre « vieux continent ». Le marché unique a déjà profondément transformé nos économies. Il bénéficiera, dans cet accomplissement monétaire, d’un effet d’amplification considérable. En facilitant le développement des échanges intra-communautaires, en donnant à notre continent une monnaie stable, crédible, à l’assiette économique ample, l’avènement de l’euro est un facteur puissant au service de la croissance et de l’emploi.

Plus encore, la création de la monnaie unique constitue un événement politique de première importance pour l’Europe et pour chacun des pays qui la composent. Mesure-t-on à quel point le partage d’une même monnaie va transformer notre continent ? Apprécie-t-on à sa juste valeur ce resserrement des liens entre les peuples européens ? Partager la même monnaie, c’est partager un des attributs essentiels de la souveraineté. Comment ne pas voir qu’il s’agit là d’une étape fondamentale dans la construction d’une véritable identité européenne, qui est notre meilleure garantie de peser, dans le monde du XXème siècle, du poids que notre histoire appelle et que notre avenir exige ?

La France et l’Allemagne sont, depuis 1958, les chevilles ouvrières de la dynamique européenne. Il aura fallu tout le génie de nos grands hommes d’État, de part et d’autre du Rhin, pour que d’affrontements déchirants, meurtriers et répétés, naisse, dans un monde qui changeait à vivre allure, une conscience partagée d’un destin devenu commun, gage de paix et de prospérité pour le continent. Le Chancelier Kohl rappelle souvent à quel point ce projet européen qu’il soutient fermement trouve son origine et une part importante de sa justification dans ce passé douloureux. Les générations se succèdent et le souvenir s’estompe. Mais l’histoire ne s’efface pas et la mémoire est tenace. A la vérité, je crois comme lui que c’est en confortant les uns après les autres les éléments fondateurs de l’unité européenne que nous garantissons une paix durable sur notre continent et que nous assurons les conditions de sa prospérité future.

Cette mutation historique se déroulerait-elle sans difficulté aucune ? La France et l’Allemagne, qui prennent grand soin à préserver leur unité de vues sur toutes les questions relatives à l’union économique et monétaire, seraient-elles toujours d’accord immédiatement et sur tout sujet relatif à cette grande entreprise ?

Est-on crédible lorsque l’on répond par l’affirmative à ces deux questions ? Gardons-nous de certitudes hâtives et mesurons le poids des efforts de chacun. Mais n’en doutons pas pour autant. Bien sûr, l’avènement de la monnaie unique demande à chacun un devoir de compréhension et de rapprochement l’égard des idées et des contraintes de son partenaire. Il ne saurait être autrement. Comment expliquer alors que rien ne semble pouvoir arrêter le mouvement ?

Ce qui apparaît tout d’abord le plus clairement, c’est que lorsque surgit une difficulté, grande ou petite, la détermination commune à surmonter l’obstacle est toujours la plus forte. Toutes les discussion, anciennes et récentes – elles ont été nombreuses – en ont fourni le témoigne le plus évident. Français comme Allemands mettent toujours en tête de leurs priorités la recherche d’une solution commune.

Ce qui constitue ensuite le meilleur ciment de notre future union monétaire, c’est que, contrairement à ce que se plaisent parfois à faire croire certains, les Allemands et les Français partagent une même conception de la monnaie. Quand on interroge les Français – de nombreux sondages en apportent le témoignage évident – ceux-ci se prononcent sans ambiguïté en faveur d’une monnaie solide, crédible, stable. Est-ce extraordinaire ? A l’évidence non : chacun préfère détenir, dans son portefeuille, une monnaie qui dispose de ces qualités indispensables, plutôt qu’une monnaie dans laquelle il ne pourrait avoir pleine confiance.

Pour disposer de cette bonne monnaie, Français et Allemands font confiance aux mêmes règles : une banque centrale indépendante et crédible, une étroite coordination économique, financière et budgétaire entre les gouvernements des pays membres de l’union monétaire, une action résolue pour réduire les déficits publics, la mise en place d’un mécanisme de change liant l’euro aux monnaies des pays qui n’auront pas adhéré à l’Union monétaire. Sur tous ces points l’accord est complet entre nos deux pays.

Ce partage du bon sens monétaire et la certitude commune que l’union a toujours fait la force sont finalement les deux meilleurs garants de l’euro. Voilà pourquoi l’Allemagne et la France partageront, avec nombre de leurs partenaires européens, la même monnaie dès le 1er janvier 1999.