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Le Figaro économie : Pourquoi assurez-vous que la parité actuelle franc-mark est bonne du point de vue du commerce extérieur ?
Yves Galland : Il n'y a pas de sujet tabou. Mais la proposition de décrochage du franc par rapport au mark est une fausse bonne idée, terriblement contre-productive. Nous nous sommes toujours battus contre les dévaluations compétitives, en particulier dans le cas de la lire. Et l'histoire prouve que nous avions raison puisque la lire s'est réappréciée de 23 %. Sur la parité franc-mark, s'il devait y avoir un problème, nos échanges avec l'Allemagne devraient s'en ressentir ! Or la réalité est tout autre.
Le rapport entre les deux monnaies est resté relativement stable depuis 1989. Or, en 1989, le déficit de nos échanges était de 58 milliards de francs. Depuis il est passé successivement à 20,4 milliards en 1992, à 3 milliards l'an dernier, et aujourd'hui, sur les neufs premiers mois de l'année, nous enregistrons un excédent de 4,8 milliards. La part de marché de la France en Allemagne de l'Ouest était en 1980 de 10,8 %. Aujourd'hui, elle est de 11 % sur l'ensemble de l'Allemagne réunifiée. Sur le long terme, nous avons légèrement progressé. Le niveau de parité ne handicape donc pas la France.
Le Figaro : Pourquoi ce débat serait-il contre-productif ?
Yves Galland : L'Union monétaire a le mérite, en France, de faire la quasi-unanimité dans les milieux professionnels, chacun se rendant compte des inconvénients qu'entraînent les dévaluations compétitives chez certains de nos partenaires. Ce n'est pas le cas en Allemagne. Celle-ci considère qu'elle bénéficie d'une monnaie de référence en Europe. Il y a, certes, une très forte volonté du chancelier Kohl d'imposer l'Union monétaire, mais la tentation existe, dans un certain nombre de milieux industriels, de conserver le mark. Si nous posons un problème à contre-courant – compte tenu des chiffres que j'évoquais –, nous risquons de réveiller en Allemagne la tendance anti-Union monétaire. Et, par un phénomène de boomerang, nous en serions les premières victimes, car nous avons beaucoup à attendre de l'union.
Le Figaro : Inversement, le faible niveau du dollar constitue un véritable danger pour les exportations françaises. Quels sont les secteurs qui en souffrent le plus, et quel serait le bon niveau pour le billet vert ?
Yves Galland : Le dollar a connu des mouvements erratiques de 10,38 francs en 1984 jusqu'à la chute spectaculaire de l'an dernier, où la moyenne du cours sur l'année a été inférieure à 5 francs. Toutes nos industries en souffrent : l'aéronautique, l'industrie d'armement, les contrats civils de toute nature. Le dollar est effectivement sous-évalué par rapport aux données fondamentales de l'économie américaine. Que faire ? Imposer le niveau proposé de 5,50 ? Le président Giscard d'Estaing a proposé une réévaluation du mark par rapport au franc de 8 % pour atteindre l'objectif d'un dollar à 5,50 francs. Or, depuis qu'il a fait cette proposition, le dollar, en dix jours, est passé, de 5,07 francs à 5,29 (soit + 4,3 %). À l'heure où nous parlons, il a donc fait plus de la moitié du chemin souhaité sans que nous ayons eu besoin de toucher aux parités entre le franc et le mark.
Le Figaro : En concluez-vous qu'il faut laisser faire les marchés ?
Yves Galland : J'en titre deux conclusions : oui, il y a un vrai problème posé par le niveau du dollar ; non, il n'est pas possible de fixer par décret la valeur d'une monnaie, comme l'a d'ailleurs rappelé Alain Juppé. Il y a toujours une logique, comme on l'a vu avec la lire et comme on le voit aujourd'hui avec le dollar : les monnaies ne peuvent pas rester durablement sous-appréciées. La seule réponse à la question, c'est de faire l'euro une monnaie qui pourra rivaliser d'égal à égal avec le dollar. Je suis certain que l'euro deviendra très rapidement, disons dans quinze ou vingt ans, la première monnaie du monde.
Le Figaro : Ne craignez-vous pas, lors du passage du franc à l'euro, d'importants soubresauts pour la balance commerciale française ? Là aussi quel est le bon niveau d'entrée du franc dans la monnaie unique ?
Yves Galland : Le bon niveau est une question sur laquelle il faut laisser travailler les experts et surtout ne pas créer d'agitation. Mais, pour notre commerce extérieur, il faut regarder quels sont nos échanges. Actuellement, 63 % du commerce extérieur français s'effectuent avec l'Europe des Quinze. Créer l'Union monétaire – dans des conditions sur lesquelles le gouvernement sera inflexible sur la défense des intérêts français –, c'est mettre à l'abri du dumping monétaire deux tiers de notre commerce extérieur. Et cela sera particulièrement bénéfique pour les PME françaises, pour lesquelles l'Europe est le premier marché potentiel.
Le Figaro : Même si les Quinze n'entrent pas tous immédiatement dans l'euro ?
Yves Galland : Oui, car les mécanismes que l'on met au point aujourd'hui interdiront les dévaluations compétitives des pays qui ne seront pas encore dans l'euro par rapport aux pays qui y seront.