Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, dans "Le Figaro magazine" le 14 décembre 1996, sur son parcours politique et son bilan, sur ses relations avec Alain Juppé et l'éventualité d'un remaniement ministériel et sur la situation économique.

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Média : Le Figaro Magazine

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Le Figaro Magazine : L’état des lieux, Monsieur le ministre, est incertain…

Jean Arthuis : Il faut comprendre que la France sort d’une époque dévastatrice. La pratique de l’État a inhibé toute responsabilité. Le second septennat socialiste, en réhabilitant la dépense publique et en s’enivrant de la spéculation immobilière, a conduit à perdre le sens de la réalité. Il faut maintenant dissiper les illusions. Ce n’est pas une tâche facile.

Le Figaro Magazine : Apparemment, la communication ne passe très bien ?

Jean Arthuis : Cela semble clair. Nous n’avons peut-être pas assez pris le temps d’expliquer, ni de dessiner un projet politique cohérent. On ne peut pas offrir comme seule perspective au pays d’avoir à rembourser ses propres dettes. Mais, il n’y a pas d’autres alternative. L’assainissement des finances publiques est indispensable. Il faut faire disparaître les fausses fenêtres – emprunt, déficit – qui entretiennent l’illusion.

Le Figaro Magazine : Qu’est-ce qui ne va pas avec les privatisations ?

Jean Arthuis : Celles auxquelles nous devons procéder sont plus difficiles que les précédentes, qui se sont faites dans une sorte d’allégresse. Elles concernent des sociétés sensibles ou déficitaires. Pourtant, elles sont essentielles. Il faut rompre avec l’économie mixte. L’État ne peut pas continuer à entretenir des déficits. Dans le domaine de la réduction des déficits, nous avons trop insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une contrainte européenne, aussi, et avant tout, un objectif national.  Il n’y a pas de véritable souveraineté dans le surendettement.

Le Figaro Magazine : Vous ne voyez pas de faute majeure dans votre action ?

Jean Arthuis : Il y a des enseignements à tirer des revers que nous connaissons. Il faut aller vers plus de transparence et d’explications. Mais il ne faut pas s’arrêter en route. Il faut conduire jusqu’au bout de ce que nous avons entrepris. Que tu sois de droite ou de gauche, disait Rueff, tu ne dois pas être un menteur. Je suis convaincu que si nous poursuivons, sur la distance, nous ferons la différence.

Le Figaro Magazine : Vos relations avec le Premier ministre sont-elles aussi tendues qu’on le dit ?

Jean Arthuis : De tous temps, il y a eu une présomption de tensions entre Matignon et Bercy. Très franchement, je n’ai aucune arrière-pensée dans mes relations avec Alain Juppé. Ce n’est pas un expansif, moi non plus. Je fais l’hypothèse que nous nous comprenons. J’apprécie son courage, sa lucidité, sa détermination.

Le Figaro Magazine : Vous avez eu vent des rumeurs qui vous donnaient partant en cas de remaniement. Ça ne doit pas être très agréable ?

Jean Arthuis : Je n’ignore pas que j’occupe un poste très envié par les poids lourds de la politique. Et que je n’en suis pas un.

Le Figaro Magazine : Que ferez-vous si vous devez quitter le Gouvernement ?

Jean Arthuis : Pas une maladie. J’essaierais d’analyser ce que j’ai vécu, d’en tirer des leçons. Et je continuerais à militer intensément dans un mouvement politique. Je n’ai pas envie de rentrer sous ma tente. Nous vivons une période cruciale de changements fondamentaux, dans laquelle j’ai envie d’agir. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’action.

Le Figaro Magazine : Vous ne craignez pas que votre image de technicien ne vous soit défavorable ?

Jean Arthuis : J’ai une forme d’amour-propre qui me conduit à rester moi-même. Mais je crois que la société a besoin de plus de simplicité et d’authenticité. Le monde change, une certaine forme d’artifices va avoir tendance à se marginaliser. J’ai envie de participer à cette popularisation de la politique.

Le Figaro Magazine : Une dernière question : vous avez un œil au beurre noir. C’est un patron mécontent ?

Jean Arthuis : Non, une chute de cheval. Il pleuvait, j’ai pris un obstacle.

Le Figaro Magazine : Soyez prudent, il risque d’y en avoir d’autres.