Texte intégral
Nous avons demandé à Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, de commencer les trois livres dont nous citons de larges extraits dans ce dossier : « Le scandale de l’éducation nationale », « L’horreur pédagogique » et « Sale Prof »
Ces trois ouvrages, si différents soient-ils, posent une même question, fondamentale : comment faire pour que l'accueil massif de tout une génération dans l'enseignement secondaire soit aussi un accès réussi aux savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires ? Comment donner à chacun l'instruction qui lui permettra de penser par lui-même, de vivre avec les autres et de réussir sa vie ?
Le scandale de l'éducation nationale opte pour le catastrophisme imprécateur : et La France dégringole, une administration ubuesque saborde la transmission des savoirs, l'argent public est jeté par les fenêtres. Chômage, racisme et autres maux : c'est la faute à l'école. Droite et gauche, tous coupables ! Documenté ce pamphlet talentueux cède à l’usage intempestif de chiffres racoleurs comme ces « 40 % d’illettrés », que démentent les évaluations nationales et les tests de l'armée qui viennent d'être rendus publics. Certaines flèches font mouche, mais que de mépris pour les élèves, forcément ignares, pour les enseignants, forcément incapable, et pour les parents, forcément démissionnaires… Ce tir au bazooka laissent un champ de ruines spectaculaires et vendeurs : l’hydre scolaire ou la saga diabolique des générations sacrifiées, le genre a ses adeptes. Inutile d'y chercher la réalité ordinaire de l'école, avec ses réussites tangibles et ses difficultés vraies, ses équipes engagées sur le terrain et sa capacité d'évolution raisonnée.
L'horreur pédagogique exhibe un florilège de copies dont les jeunes auteurs maîtrisent très mal des savoirs de base. La chose, c'est sûr, fait davantage recette qu'une sélection des productions bachelières des plus stylées. Chemin faisant, MM Morel et Tual Loizeau en viennent cependant à l'essentiel, qui recoupe mon action et les convictions fortes sur lesquelles elle s'appuie : l'importance déterminante de la maîtrise de la langue et des langages, la priorité aux apprentissages fondamentaux plutôt qu'à l'inflation désordonnée des préoccupations périphériques, la nécessité d'une école assurée de ses missions et donc de ses règles du jeu, l'éloge du temps long de l'effort scolaire malgré le zapping environnant, la complémentarité entre culture technique et générale. Ni angélisme pédagogique, ni formalisme incompréhensible, c'est bien de cela qu'il s'agit : d'une école capable de faire sens pour tout ceux qu'elle accueille et de tenir le cap d'une juste exigence. Cette forme élémentaire de respect dû à chaque élève.
M. Revol, lui, nous confie l'angoisse d’un « prof de banlieue » au moment de faire cours à des jeunes qui ne vivent, ne pensent et ne réagissent pas comme lui. Frôlant la visite au zoo, donnant à voir une inquiétante étrangeté de « ces élèves là », son livre témoigne que le métier n'est pas de tout repos. Dans sa classe d'un lycée professionnel des Yvelines, il a été agressé. Ce n'est pas admissible. L’élève fautif a été exclu et condamné à une peine de prison. Pour m’être portée partie civile aux côtés d'enseignants victimes de violences, ce qui était une première, je sais combien traumatisante est pareille expérience. Pour l'auteur de « Sale prof ! », le vrai coupable est la direction du lycée, qui aurait rechigné à appliquer quotidiennement le règlement intérieur et l’aurait laissé, dans l’adversité, solitaire et désarmé. Injuste. D'autres points de vue font valoir que le règlement intérieur ne dispense pas de garder son sang froid, que l'humour avec les élèves est un exercice risqué supposant une connivence rarement assurée et que le recours fréquent à l'exclusion de la classe, signe d'insuccès pédagogique, n'est pas le mode idéal de règlement des conflits ou d'exercice de l'autorité nécessaire. Je ne doute pas que M. Révol ait mis de la bonne volonté dans son travail. Une chose est sûre : la solitude pédagogique handicape et fragilise face à des situations difficiles. Dans nombre d'établissements, j'ai constaté ce que la pacification du climat scolaire doit à une communauté pédagogique soudée, capable de mettre en commun ses pratiques professionnelles, de comprendre ses élèves, de susciter l'adhésion à la règle commune, bref de travailler en équipe.
En matière de violence scolaire, il n'y a pas de fatalité et tout se tient : l'intérêt des apprentissages, leur signification effective pour les élèves, et la réciprocité du respect, le bien-fondé des règles et la fermeté dans leur application. J'ai personnellement tenu à ce que les chefs d’établissements disposent d'un guide récapitulant clairement, pour chaque infraction, les mesures éducatives et les sanctions scolaires et pénales qui s’appliquent. L'éducation civique désormais au programme tout au long de la scolarité, l'heure de vie de classe, la participation de l'éducation nationale aux comités locaux de sécurité avec le ministère de l'intérieur, le renfort des aides-éducateurs et bien d'autres points d'appui sont aujourd'hui en place pour prévenir et, si nécessaire, traiter les cas de violence à l’école. On aurait tort de n'y voir que de très mauvaises manières importées de l’extérieur : l'anticipation d'un avenir difficile et l'intériorisation précoce de l'échec sont grandes pourvoyeuses de violence. Efficacité des apprentissages et sécurité scolaire vont de pair.
Retour, donc, à l’essentiel : encourager ceux qui s'accrochent et raccrocher ce qui décrochent. Mutations quantitatives accomplies, le collège et le lycée doivent gagner la deuxième manche : qualitative. Cela veut dire faire émerger dans les quartiers populaires de véritables pôle excellence scolaire. Cela veut dire apporter à ceux qui en ont besoin le soutien individualisé qui les aidera à surmonter leurs difficultés, comme le font les actions mises en place à cette rentrée dans les collèges et en particulier les heures de soutien en français et en mathématiques. Cela veut dire aussi prendre les choses à la racine, Dès l'école maternelle, école de tous les possibles, en y mettant l'accent sur la maîtrise des langages et l'importance d'une bonne préparation au CP. Cela veut dire, en somme, une démarche exigeante, pragmatique et solidaire qui ne transige ni sur les contenus ni sur le droit de tous à y accéder. Cette ambition est, pour la France, le choix raisonnable.