Texte intégral
RTL : Qu'incarnait pour vous Alain Poher ?
R. Monory : D'abord un grand Européen. Quand on était jeune, quand je suis rentré au Sénat en 68, c'est l'année où il a été élu président, c'était un peu notre référence européenne car il a toujours été dans ce bain. Il a été résistant aussi, et je crois que c'était vraiment la référence européenne pour tous les jeunes sénateurs et tous les jeunes députés que nous étions à l'époque. Et puis, d'autre part, j'ai un grand souvenir d'Alain Poher car il a été élu en 68 le jour de mon arrivée au Sénat. Il n'était pas tellement préparé à cela puisqu'aux premier et deuxième tours, il ne s'était pas présenté. Il a fait la synthèse au troisième tour. Il a été élu presque, pas par surprise, mais presque. Alors, ça a été pour moi une première, dans ma vie politique, qui m'a beaucoup marqué.
RTL : À l'époque, le centrisme était plutôt en opposition avec le gaullisme. Ça a un peu changé ?
R. Monory : Oui, mais aujourd'hui ça a beaucoup changé parce que tout le monde est Européen. Le président Jacques Chirac aujourd'hui est un Européen très convaincu. Mais Alain Poher était aussi un homme de conviction, un homme de dialogue, de convivialité. N'oublions pas que lorsqu'il est arrivé président, le Sénat était un peu au ban du gouvernement puisqu'il y avait eu des problèmes entre M. Monnerville et le Président Charles de Gaulle, et qu'il y avait eu à l'époque un peu un refus du gouvernement de venir au Sénat. On avait un secrétaire d'État qui venait en permanence, c'est Poher qui a vraiment renoué les liens avec le gouvernement et qui a redonné tout son lustre au Sénat. Il ne faut pas l'oublier non plus.
RTL : Et puis le rôle peut-être aussi dans la bataille de 69, le référendum qui a vu la victoire du non.
R. Monory : Bien sûr, c'était très important car, à l'époque, le Sénat pouvait devenir une assemblée presque consultative et Poher a entraîné derrière lui tous les sénateurs dans ce combat, et d'ailleurs les RPR également avec nous ; et je dois dire que ça a été un très grand combat dont il a été un peu le chef d'orchestre. Et il a mené ça avec beaucoup de souplesse mais beaucoup de pugnacité. C'était un homme de conviction.
RTL : Pendant les périodes de cohabitation, en 1984 dans le combat pour l'école libre, il avait pris parti ?
R. Monory : Il avait tout à fait pris parti. Et finalement, le Sénat à l'époque avait joué un rôle important et avait – tout au moins avec d'autres, mais en grande partie – fait reculer le gouvernement. Vous savez, pour être président du Sénat dans une période de cohabitation, c'est toujours un peu difficile, comme c'était le cas de 81 à 95, avec deux cohabitations de deux ans. Le Sénat avait un rôle à la fois de modérateur et d'opposant. Ce n'était pas toujours facile à mener, Poher l'a très bien fait.
RTL : « Une page se tourne », disait Jean-Claude Gaudin.
R. Monory : C'est vrai, c'était encore un des derniers témoins qui avait été à la fois résistant, grand Européen de la première heure. C'est une époque qui se tourne mais qui a été très riche en événements, en culture, en exemple. Et je crois que Poher restera dans l'esprit des gens un grand homme.