Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, à France 2 le 10 décembre 1996, sur l'Union économique et monétaire et notamment sa proposition d'un référendum sur l'Euro.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

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G. Leclerc : Le couple franco-allemand, ça marche puisqu'il y a une nouvelle initiative qualifiée d'historique pour relancer la construction européenne à quatre jours du sommet de Dublin, sous forme d'une lettre qui propose le renforcement de la coopération en matière de justice, de sécurité, de lutte contre le terrorisme. C'est une bonne initiative ?

J.-P. Chevènement : J'observe quand même que la seule question dont on n'aura pas parlé, c'est celle qui fâche encore un peu, c'est le problème de la monnaie unique qui, évidemment, domine toutes les autres. Parce que le passage à l'euro va nous enfermer dans un carcan qui va faire exploser plus encore le chômage et qui privera la France définitivement, de manière irréversible, de sa liberté. Car un pays qui perd sa monnaie au profit d'un pays plus puissant perd aussi sa liberté. Tout le reste en découle.

Par exemple, la liberté budgétaire. C'est le fameux pacte de stabilité sur lequel il y a encore quelques différends. Mais on peut penser qu'à Dublin, tout cela devrait s'arranger. Sur le reste, ce sont des initiatives modestes. Un monsieur sécurité-politique étrangère ne changera rien. Quant à créer une sorte de FBI européen, personnellement je suis assez réservé car je ne sais pas à qui cette police va obéir ; à une commission sans doute, mais il y a déjà beaucoup de polices et le ministère de l'Intérieur a fort à faire pour éviter les guerres de police. Autant je suis favorable à un renforcement de la coopération entre les polices, autant la création d'une nouvelle police ne me paraît pas forcément une bonne idée. Et puis je dirais qu'en matière militaire, on voit que les projets sont confirmés mais les financements sont différés. Alors, on ne peut pas quand même pousser des cris de triomphe, n'exagérons rien. Disons que l'essentiel est que tout cela s'est terminé par une bonne palette fumée. C'est la tradition des sommets franco-allemands.

G. Leclerc : On compte bien sur un accord sur l'euro à Dublin. Mais vous relancez une campagne pour un référendum contre l'euro. Est-ce que ce débat n'a pas été tranché par le fameux référendum sur Maastricht ?

J.-P. Chevènement : Ce débat n'a pas été tranché parce que nous allons maintenant vers une fusion franc-mark. L'euro ne sera pas la monnaie commune, la monnaie de tous les pays d'Europe. C'est ce qui est annoncé mais on ne dit pas que les Allemands ne veulent en aucun cas de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce bien entendu, et que les Britanniques se tiennent donc à l'écart. Ce qui veut dire que l'Europe va être fracturée. Ce qui veut dire que cet euro sera une monnaie surévaluée, comme l'est déjà le mark, de 30 % par rapport au dollar. Cela veut dire que nous allons nous enfermer à la remorque de l'Allemagne, derrière une politique de restriction à perpétuité, une politique qui fera grimper le chômage, une politique qui correspond peut-être au souhait des États-Unis, à une stratégie allemande qui consiste à délocaliser certaines industries en Europe centrale mais ce n'est pas l'intérêt de la France, qui est la croissance. Et je vous fais observer qu'on parle de pacte de stabilité toujours et les Allemands mettent des amendes, renforcent leurs exigences, veulent limiter les circonstances exceptionnelles. On pourrait dire qu'il y a une récession qui permettrait de sortir de ce carcan mais on ne parle jamais de la croissance, de l'initiative européenne de croissance qui permettrait de combattre efficacement le chômage.

G. Leclerc : Avec vous, il y a les communistes, il y a des gaullistes historiques, un sociologue, un économiste de droite : n'est-ce pas un curieux attelage qui, finalement, n'est réuni que par un anti-Europe forcené ?

J.-P. Chevènement : Non, pas un anti-Europe. Nous ne sommes pas des anti-Européens, nous sommes des républicains. Nous sommes des citoyens et le meeting qui aura lieu, demain mercredi à la Mutualité, réunira des citoyens. Je pourrais citer Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Régis Debray…

G. Leclerc : Ce qui les réunit, c'est qu'ils sont contre l'Europe ?

J.-P. Chevènement : Ils sont contre l'Europe de Maastricht. Il faut que les Français comprennent que Maastricht est un traité anti-européen car il est gros de tensions sociales. On le voit. Jacques Delors promettait cinq millions d'emplois supplémentaires. Qui avait raison ? Ceux qui ont combattu le traité de Maastricht ou ceux qui l'ont vanté avec tous les arguments possibles et imaginables ? Où sont ces cinq millions d'emplois ? On nous a dit que, sans Maastricht, ce serait une troisième guerre mondiale, M. Rocard. Non, je crois qu'aujourd'hui, Maastricht est gros de tensions sociales et de tensions entre les nations qui composent l'Europe puisque certaines vont être mises à l'écart comme l'Italie, l'Espagne et d'autres et que les dévaluations compétitives vont recommencer. Voilà ce à quoi on nous prépare et les Français ont peu de temps pour éviter l'irréparable. Un référendum est nécessaire. Le Président Chirac l'avait promis. Plusieurs forces politiques le demandent, j'entends même des voix dans la majorité, les communistes, le Mouvement des citoyens. Mais demain soir, des citoyens, libres d'esprit, le réclameront.

G. Leclerc : Jacques Chirac s'adressera aux Français jeudi, en l'absence remarquée des journalistes du service public, que faut-il attendre de cette intervention ?

J.-P. Chevènement : À mon avis, rien. J'ai toujours dit que, n'ayant rien à dire, le président de la République ferait mieux de ne pas parler car il n'annoncera de toute évidence rien sur le sujet essentiel qui est la politique économique et sociale, rien par conséquent sur la monnaie unique et sur cette parité franc-mark – malgré des réserves qui s'élèvent de tous côtés, dont Valéry Giscard d'Estaing qui était le père du système monétaire européen, qui avait conçu l'arrimage du franc-mark. Tout le monde souligne le mauvais réglage que cela comporte. Donc, le Président Chirac est enfermé dans un étroit sifflet et je crois qu'il a tort de faire porter aux journalistes du service public la responsabilité d'une mauvaise politique. Quand la politique est mauvaise, on s'en prend toujours à la communication et aux communicateurs mais en réalité, c'est à soi-même qu'on devrait s'en prendre. Il faudrait changer de politique. Il nous reste peu de temps pour le faire.