Interviews de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à RTL le 17 février 1998 et TF1 le 22, sur l'enjeu des élections régionales, la politique gouvernementale et sur la signature d'un accord entre MM. Kofi Annan et Tarek Aziz sur l'accès des sites présidentiels irakiens par la Commission de contrôle de l'ONU.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

RTL : 17 février 1998

RTL : Hier soir, lors du débat télévisé, les principaux responsables politiques ont insisté sur l’enjeu national des élections régionales. N’est-ce pas dénaturer ces élections que de voter sur l’action du Gouvernement ?

Philippe de Villiers : Non, je crois que c’est à la fois un enjeu régional pour les régionales, un enjeu cantonal pour les cantonales, mais aussi national. Toute consultation a une dimension nationale. Il s’agit tout simplement de savoir si on accepte – et moi je ne l’accepte pas – que se reproduisent au niveau de nos régions et de nos départements, les grandes erreurs qui sont aujourd’hui faites au niveau national par les socialistes et les communistes.

RTL : Le premier sondage Sofres publié hier par « Le Monde » indique une victoire de la majorité. A priori, la droite n’est pas en position favorable. Pourquoi ?

Philippe de Villiers : Je crois que le RPR et l’UDF sont très largement plombés par leur bilan, et aussi parce que beaucoup de leaders – on l’a bien vu d’ailleurs hier soir – sont un peu tétanisés par la peur d’affirmer nos idées, nos convictions, par exemple, la nation.

RTL : Les idées du RPR et de l’UDF, ou les vôtres ?

Philippe de Villiers : Les idées qui sont celles de la droite classique. Par exemple, on n’ose plus parler de la liberté, au sens de la liberté de l’école ; on n’ose plus parler de la sécurité ; on n’ose plus parler de la nation, de la souveraineté nationale.

RTL : Jean-Pierre Chevènement en a parlé lui.

Philippe de Villiers : Vous me parlez de la gauche, je vous parle de la droite classique. Les Français sentent un manque, un manque d’enthousiasme, un manque de force de conviction, de fermeté dans les convictions. C’est la raison pour laquelle le Mouvement pour la France, que j’ai l’honneur de représenter, va se battre au cœur de l’opposition, aux avant-postes pour, précisément expliquer aux Français, pendant toute cette période, que le Gouvernement socialo-communiste fait exactement tout le contraire de ce qu’il faudrait faire. II faudrait baisser les impôts, on est en train de les augmenter de 60 milliards ; il faudrait faire une politique de la famille, on fait une politique anti-familiale ; il faudrait multiplier les emplois privés, on multiplie les emplois publics ; il faudrait dire aux Français de travailler plus, on leur explique qu’il faut travailler moins ; il faudrait retrouver l’idée de la souveraineté nationale pour avoir une politique de la sécurité, de l’immigration, une politique de lutte contre le chômage plutôt que de se convertir à l’euro, selon l’expression qu’on vient d’entendre, et on fait exactement le contraire. Alors un pays, aujourd’hui, qui se défait, qui se démet de tous ses pouvoirs – le pouvoir de faire la loi, le pouvoir de contrôler nos frontières, le pouvoir d’ajuster sa monnaie, d’ajuster son budget –, qu’est-ce qui lui reste ?

RTL : Il y en a un qui parle volontiers de souveraineté avec toute la conviction, d’immigration, de sécurité, de la nation, c’est Jean-Marie Le Pen. Lui, il en parle avec cette force de conviction qui, d’après vous, fait défaut aux autres ?

Philippe de Villiers : C’est curieux que dans les médias, à chaque fois qu’on parle de la France ou qu’on parle des valeurs, ou de la lutte contre la corruption, immédiatement on subit la pulvérisation, sous le nez de tout homme de droite, du gaz incapacitant Front national.

RTL : Je parle de ce que dit Jean-Marie Le Pen.

Philippe de Villiers : On parlait tout à l’heure de Jean-Pierre Chevènement. Heureusement, il y a en France, aujourd’hui, des gens très différents, de tous horizons. Vous citez Le Pen. J’ai pensé, quand vous avez commencé, que vous alliez citer Hue.

RTL : Ça aurait pu être le cas aussi.

Philippe de Villiers : Regardez les dernières productions littéraires, regardez le livre de Jean-Jacques Rosa, « L’erreur européenne ». Ce n’est pas un homme d’extrême-droite. Regardez le livre d’Emmanuel Todd, « L’illusion économique », c’est un livre qui est à un tournant historique de la pensée intellectuelle en France, et qui parle même – ce que je n’userais pas faire – du nécessaire protectionnisme. Le dernier mot de son livre de 300 pages dit qu’il faut redécouvrir la nation. De grâce, ne laissons pas en jachère un patrimoine qui appartient à tous les Français ! Et heureusement d’ailleurs, aujourd’hui, les Français sont de plus en plus nombreux à constater que cette mécanique infernale de l’euro et du libre-échangisme mondial sont en train de nous entraîner dans une impasse.

RTL : On retiendra que, pour Philippe de Villiers, Jean-Pierre Chevènement et Robert Hue sont des hommes de valeur sur lesquels vous vous retrouvez par certains côtés ?

Philippe de Villiers : Ce n’est pas la question, je ne suis pas en train, comme un politicien de bas étage, de distribuer les bons points et les mauvais points. Quand vous avez dix Français à midi, en plein soleil, qui vous disent : « Je crois que le soleil brille », eh bien, il faut constater que le soleil brille. Et s’ils vous disent : « On est en pleine lune », un soir de pleine lune, ou que « la lune est rousse », parce que la lune est rousse, il faut dire : « la lune est rousse. » C’est quand même réconfortant pour les Français de voir qu’aujourd’hui, les clivages sur la question européenne et sur la question de la souveraineté ne recoupent pas les partis politiques au sens classique. C’est qu’il se passe quelque chose : il y a une déstructuration de la vie politique en France ; un grand malaise que l’on constate : mouvement des chasseurs, mouvement des chômeurs, et pas de réponse en haut. Pourquoi pas de réponse en haut ? Parce que personne ne répond plus, parce qu’il n’y a plus de manettes, parce que les manettes sont à Bruxelles, à Francfort, à Schengen, à Amsterdam. Alors où est-ce que l’on va comme ça ?

RTL : Moi, je ne vous parlerai pas de Monsieur Le Pen, mais le sondage d’hier, pour en revenir aux régionales, donne 16 % au Front national. Et Bruno Mégret a une nouvelle fois fait des appels du pied à la droite parlementaire. Alors doit-elle, cette droite, rejeter toute idée d’accord, comme l’a déclaré Édouard Balladur ?

Philippe de Villiers : Si nous sommes convaincus, au début d’une bataille électorale, que nous allons perdre et que nous avons besoin de supplétistes, alors les carottes sont cuites. Moi, je considère qu’aujourd’hui – c’est vrai, les premiers sondages ne sont pas bons pour la droite classique – tout est possible. Il suffit de faire œuvre de pédagogie pour montrer aux Français que les grandes décisions, les premières décisions de Monsieur Jospin sont des illusions d’optique et des grandes erreurs que nous allons payer cher. 60 milliards d’impôts supplémentaires, de prélèvements supplémentaires, on va le payer cher. Deuxième décision : les 35 heures, c’est une erreur fondamentale, on va le payer cher. On ne change pas la société par décret. Les emplois publics, 45 000 emplois-jeunes, on va le payer cher parce que c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire. Mais alors, on va le payer dans le temps, hélas, et on va le payer cher. Donc il faut que les Français sachent qu’il faut faire un renversement de perspective : là où les socialistes veulent développer la sphère publique, il faut développer la sphère privée qui, elle seule, crée la richesse.

RTL : Dans votre région, certains se demandent à quel jeu vous jouez. Vous auriez passé un accord, dit-on, avec François Fillon pour qu’il devienne président de la région, à condition que l’ancien juge Thierry Jean-Pierre ne soit pas sur la liste RPR de Michel Hunault ?

Philippe de Villiers : Non, mais ça, ce sont des bruits de couloir…

RTL : Non, non, mais je vous dis ce qui se dit dans votre région.

Philippe de Villiers : Non, non, Thierry Jean-Pierre qui est originaire du département de La Réunion, a souhaité d’abord, je crois, être dans la Sarthe, puis dans la Loire-Atlantique. Vous savez, le mode de scrutin des régionales, c’est un scrutin départemental. Alors je remercie d’ailleurs Monsieur Defrain de m’attribuer autant d’influence. Moi, je me contente, pour ce qui concerne la région des Pays de la Loire, de contribuer avec mon ami Bruno Retailleau à faire en sorte qu’il y ait une vraie liste d’union en Vendée, de tous, de l’opposition, pour faire gagner François Fillon au niveau de la région. Alors les querelles de personne et d’ambition personnelle ne m’intéressent pas.

RTL : À propos de la crise qui oppose l’Irak à l’ONU, approuvez-vous la position française qui tente d’éviter une intervention militaire ?

Philippe de Villiers : Je crois que la France s’honorera si elle refuse la logique de guerre imposée par les Américains. La seule solution est diplomatique. Elle repose sur un équilibre de concessions fortes : avec l’Irak d’un côté, qui accepte les vérifications sur son territoire, et de l’autre côté les Nations unies qui proposent à l’Irak un calendrier de levée des sanctions, et notamment de l’embargo. La solution des bombardements est inutile et dangereuse, parce qu’elle n’atteint pas le but qui consiste à détecter des armes dont on ne sait pas où elles sont ; elle ne fera que conforter Saddam Hussein en le fortifiant dans son lien avec le peuple irakien. Et surtout, elle soulèvera l’indignation du monde arabe.


TF1 : dimanche 22 février 1998

TF1 : Si l’Europe était forte, ce serait un poids ?

Philippe de Villiers : Oui, l’Europe des nations. Si on applique le traité de Maastricht ou le traité d’Amsterdam à la situation présente, où on voit bien que la France a joué un rôle propre, autonome, on a la diplomatie de sa géographie…

TF1 : Premier ministre et président de la République confondus d’ailleurs dans cette action !

Philippe de Villiers : Oui, c’est heureux. Encore heureux. Mais si on regarde la position des Anglais, la position des Allemands, et qu’on applique le traité d’Amsterdam, vous avez une décision à la majorité qualifiée et à ce moment-là, la France aurait été obligé de s’aligner sur une position qui n’était pas la sienne. Ce qui veut dire que les nations sans les nations ! Et qu’il y n’a qu’une seule manière de faire l’Europe, c’est en tenant compte des nations, de leurs amitiés, de l’histoire et aussi de la morale. Parce qu’on voit bien que la position de la France, c’est la position de la morale. On ne peut pas accepter la solution américaine des bombardements, qui est une solution inutile et dangereuse.

TF1 : Donc en réalité vous êtes sur la même ligne que Jean-Pierre Chevènement. Il y a donc consensus national là-dessus ?

Philippe de Villiers : Je crois qu’il y a un consensus national aujourd’hui pour dire aux Américains : vous n’avez pas à dicter votre loi aux Nations unies. Il n’y a pas d’autres solutions qu’une solution diplomatique. D’un côté, l’acceptation par Saddam Hussein d’accepter des vérifications, et puis de l’autre une vraie solution diplomatique, c’est-à-dire la levée de l’embargo. S’il n’y a pas la levée de l’embargo, je crois qu’il n’y aura pas de solution diplomatique.

TF1 : Sur les élections régionales : il y a beaucoup de listes dissidentes à droite, dont certaines que vous soutenez. Est-ce-que vous n’avez pas l’impression que vous allez passer pour un diviseur dans cette affaire ?

Philippe de Villiers : Non, je crois que des dissidences, il y en a partout. Partout où on peut faire l’union, il faut la faire, à condition de ne pas se tromper d’adversaire.

TF1 : Qui est-ce l’adversaire ? C’est la gauche ? C’est le Front national ?

Philippe de Villiers : La question qui est posée aujourd’hui avec les élections régionales et cantonales, c’est de savoir si on va laisser se reproduire au niveau de nos départements et de nos régions les grandes erreurs qui sont faites au niveau national. Les deux régions les plus endettées, les plus imposées de France, c’est le Nord–Pas-de-Calais, dirigé par la gauche, et c’est le Limousin, dirigé par la gauche. Donc, ce n’est pas une élection neutre. C’est à la fois un enjeu national et un enjeu…

TF1 : Mais si vous y allez dispersés, vous allez encore perdre des régions ?

Philippe de Villiers : Non. La position du Mouvement pour la France, c’est partout où c’est possible, de se battre pied-à-pied pour éviter que les régions ne basculent. Et il y a un véritable danger. Aujourd’hui, il y a une espèce d’euphorie médiatique autour de Monsieur Jospin, du gouvernement socialo-communiste, mais il faut bien voir, quitte à prendre un peu d’avance, que la situation de la France est dramatique. Et qu’on fait très exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire aujourd’hui en France. Il faudrait baisser les impôts, on les augmente. Il faudrait faire une politique de la famille, on fait une politique anti-familiale. Il faudrait multiplier les emplois privés, on multiplie les emplois publics. Il faudrait retrouver le sens de la souveraineté nationale pour résoudre les problèmes du chômage, de l’immigration, de la sécurité. Il faudrait dire aux Français de travailler plus, on nous dit de travailler moins. Il faut exactement faire le contraire de ce que font les socialistes pour remettre la France sur la voie du redressement.