Texte intégral
Q. : Huit mois après les législatives, l’opposition a-t-elle tiré les enseignements de la défaite ?
R. : Une période nouvelle doit s’ouvrir au lendemain des élections régionales. Si, depuis les législatives, certains à droite ont pensé d’abord à la succession de Jacques Chirac, les assises du RPR viennent de montrer que cette succession n’est pas ouverte. Depuis huit mois, le Président de la République a développé deux atouts : sa position institutionnelle d’une part, son contact populaire de l’autre. En revanche, la succession de Jospin, elle, est ouverte, ce qui change la logique de l’opposition. Il ne s’agit plus de dégager un homme, une image, une perspective, mais un projet, une méthode, une équipe. Or, depuis les élections législatives, nous n’avons progressé sur aucun de ces sujets.
Q. : Cela ne semble pas être la priorité de la droite…
R. : Il nous faut pourtant sortir des ambiguïtés. Si nous retournons au Gouvernement dans les mêmes conditions, nous connaîtrons les mêmes échecs.
Q. : Quelles sont ces ambiguïtés ?
R. : Par exemple, l’incapacité que nous avons, sur des projets concrets, de concilier la nécessaire aspiration libérale avec les exigences sociales. Nous n’avons toujours pas arbitré entre ces deux pôles. Nous devons définir plus clairement notre projet social - quelle priorité pour les chômeurs de longue durée ? Quel rôle pour la fonction publique ?… Tant qu’on n’a pas répondu à cette question, on reste dans l’univers du discours, et le discours dissimule des ambiguïtés politiques.
Si les trois derniers gouvernements de droite - Chirac de 1986 à 1988, Balladur de 1993 à 1995 et Juppé de 1995 à 1997 – n’ont pas fait plus de deux ans chacun, c’est qu’ils n’ont pas surmonté cette difficulté. Depuis Giscard, il n’y a plus de gouvernement en « contrat CDI ».
Même réflexion sur l’Europe. Il faut qu’on ose clairement dire nos choix et ne pas essayer en permanence de concilier une forme de frilosité - qui décourage les Français de la perspective européenne - et une politique entièrement orientée vers la construction européenne. On fait un grand écart que l’opinion ne comprend pas.
A force de concilier les contraires, on gagne par rejet des adversaires, on s’installe au gouvernement avec des ambiguïtés, et on met le Premier ministre en situation d’arbitrage idéologique au quotidien, alors que le Gouvernement doit exécuter des orientations. Et on reste un ou deux ans, ce qui est le temps de l’usure. Le livre d’Alain Juppé (« Entre nous ») est venu trop tard.
Q. : Vous évoquiez aussi la méthode, ce qui est une façon de reconnaître que celle d’Alain Juppé n’a pas été la bonne.
R. : Il ne suffit pas de dire que nous avons des problèmes avec la technocratie et Bercy, sans réfléchir à une réorganisation des structures ministérielles et des lieux de décision. Dans le gouvernement d’Alain Juppé, l’organisation du travail gouvernemental était trop fragmentée, ce qui sert la haute administration.
Il faut enfin une équipe et donc que les Madelin, Séguin, Léotard, Bayrou, Sarkozy, travaillent ensemble à la constitution d’un projet.
Q. : Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui…
R. : Le talent, c’est aussi ne pas s’engager sur les fausses pistes. Or pour un talent de l’opposition, la route présidentielle est sans issue à court terme. Quelqu’un qui voudrait combattre Jacques Chirac dans des primaires n’aurait aucune chance aujourd’hui. Ceux qui n’adhèrent pas à Chirac par l’affectif devraient y adhérer par le raisonnable.
Q. : Qu’est-ce que l’opposition a appris en huit mois ?
R. : Le choc de la défaite a provoqué des réflexions importantes. Les partis ont modifié leurs attitudes : Démocratie libérale s’est affirmée avec Alain Madelin, le RPR s’est engagé dans une meilleure écoute de sa base.
La politique a trop souffert de catégoriel, de l’émiettement de l’opinion, ce qui a conduit à la dispersion des projets. Il faut rechercher une cohérence. Il faut mettre en place une équipe de shadow cabinet à la britannique pour ce travail de clarification et de conviction.
Une majorité est forcément contradictoire. En France, on ne rassemble jamais 50 % des gens qui pensent la même chose. Le seul moyen de rassembler des citoyens qui ont des opinions opposées, c’est le projet, le mouvement.
Dans l’opposition, nous sommes tous d’accord pour nous ressourcer dans le libéralisme, c’est pour cela que je rejoins Alain Madelin. Mais quel est notre degré d’intervention sociale pour que l’inspiration libérale soit compatible aux structures de la France ? C’est à cela que nous devons répondre. Un gouvernement a besoin d’une vitesse initiale ; elle naît de son projet.
Q. : L’élection présidentielle était censée impulser ce mouvement…
R. : Mais l’élection présidentielle dans ce pays dévore les ambitions et se joue plus sur la capacité d’un homme que sur un projet de gouvernement. La personnalisation de l’élection présidentielle est un handicap pour la construction d’une politique gouvernementale.