Texte intégral
PROPOS A LA PRESSE (Paris, 15 avril 1998)
Je suis heureux de vous dire que nous saluons la politique du président du Monténégro. C’est une politique de sagesse et d’ouverture qui doit être encouragée. Nous avons par ailleurs parlé de la situation au Kosovo qui suscite la préoccupation persistante et croissante de la communauté internationale.
Q - Quel soutien la France peut-elle apporter au Monténégro ?
R - La réception à Paris du président du Monténégro manifeste le soutien de la France. Au-delà de ce soutien, nous aurons des contacts avec nos partenaires de l’Union européenne afin de voir ce que l’Union pourrait faire en faveur du Monténégro.
Q - Qu’avez-vous à nous dire au sujet du Kosovo ?
R -Les autorités yougoslaves font fausse route. Le référendum annoncé est une manoeuvre inutile. Il n’y a pas de complot international contre la Serbie. En revanche, il y a un vrai problème au Kosovo où le statu quo est devenu intolérable. Les propositions répétées du Groupe de contact (ni statu quo, ni indépendance, mais autonomie substantielle) forment une base raisonnable pour une solution pacifique à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de la Yougoslavie, dans l’intérêt de tous. Quelle forme exacte d’autonomie ? Ce sera à la négociation d’en décider. La France appelle les dirigeants yougoslaves à accepter une présence internationale dans les négociations et les Albanais du Kosovo à s’engager sans autre préalable dans cette négociation.
ENTRETIEN AVEC L’HEBDOMADAIRE DU MONTENEGRO "MONITOR" (Belgrade, 17 avril 1998)
Q - Dans la perspective d’une intégration et d’une coopération de la France et de l’Union européenne avec la République du Monténégro, quels moyens concrets, et sous quelle forme, la France propose-t-elle pour aider ce pays, et à quelles conditions cette aide pourrait-elle intervenir aujourd’hui ?
R - L’Union européenne n’aide pas aujourd’hui la République fédérale de Yougoslavie. Cette dernière n’est pas éligible au programme Phare. La seule assistance est d’ordre humanitaire et le Monténégro en bénéficie naturellement. Je vais réfléchir aux moyens d’apporter une aide économique spécifiquement au Monténégro, et je vais en parler avec mes collègues de l’Union européenne. Nous souhaitons, et c’est normal, vous encourager dans la voie des réformes.
Q - Une politique d’aide de la France et de l’Union européenne, et le développement éventuel de programmes européens régionaux concernant le Monténégro, seraient-ils envisagés comme une solution visant à créer une stabilisation des conflits intérieurs potentiels - de type guerre civile - ou bien est-ce le moyen d’y consolider les bases de l’Europe, de façon stratégique, face à l’alternative américaine croissante dans la région ?
R - L’aide de l’Union européenne s’adresse notamment aux pays qui ont une “vocation européenne” et qui, pour se rapprocher de l’Europe, sont prêts à faire des efforts pour faire leurs ses principes politiques et économiques. La vocation européenne de la République fédérale de Yougoslavie, c’est-à-dire de la Serbie et du Monténégro, est une perspective d’avenir. Il leur faut d’ici la traduire leur intérêt pour l’Europe en avançant sur le chemin de la démocratisation, des réformes économiques et de la résolution des conflits ethniques, et je pense ici au conflit du Kosovo. La France agira au sein de l’Union européenne pour que celle-ci vous aide dans cette voie.
Q - Quels conseils la France peut-elle apporter au Monténégro dans la voie de la défense de la démocratie ? De quelle façon la France peut-elle aider concrètement les forces démocratiques de cette république dans leur combat face aux forces totalitaristes récurrentes à l’intérieur, comme à l’extérieur de cette république ?
R - La liberté d’expression, le pluralisme des médias, l’Etat de droit, le respect du suffrage exprimé sont aujourd’hui les fondements reconnus de la démocratie. Dans l’Europe anciennement communiste, la démocratie est récente, encore fragile. Un apprentissage est nécessaire. Les élections présidentielles au Monténégro, à l’automne dernier, ont abouti à une alternance. A présent, votre république va vivre des élections législatives. Il faut que ces élections se déroulent librement et sereinement, et que leur résultat ne soit pas contesté. La présence de l’OSCE devrait contribuer au bon déroulement de ce scrutin.
Q - La personnalité et l’évolution de la position politique de Milo Djukanovic ont conduit ce dernier à tenir une attitude d’opposition et de refus de plus en plus nets à Slobodan Milosevic, prenant la forme d’un conflit ouvert entre les deux républiques de la République fédérale de Yougoslavie, ce qui a pour conséquence l’aggravation des tensions dans le paysage politique monténégrin. Sur quoi repose, selon vous, ce décalage politique croissant entre ces deux hommes ? Comment, selon vous, en est-on arrivé à cette opposition à l’intérieur même de la Fédération, et celle-ci possède-t-elle encore un avenir ?
R - Je ne peux pas me prononcer sur l’avenir de la Fédération yougoslave, qui dépend de la volonté et du souhait des peuples qui la composent. Mais j’observe comme vous l’accentuation des tensions politiques au sein de la Fédération. Mon souhait est que le climat s’apaise, que le dialogue prévale, que la République fédérale de Yougoslavie se démocratise, qu’une dynamique de négociation s’enclenche sur la question du Kosovo, que la République fédérale de Yougoslavie puisse retrouver sa place économique et politique dans la communauté des nations. Je pense qu’alors vos questions ne se poseront plus.
Q - Que vous inspire comme réflexion et constat la position dans laquelle se trouve Milo Djukanovic au sein de la République du Monténégro, puis de la République fédérale de Yougoslavie ? Comment la France l’aidera-t-elle à sortir de cette crise politique alimentée par l’enjeu décisif des prochaines élections législatives monténégrines du mois de mai ?
R - La France n’entend pas s’ingérer dans les affaires intérieures de la République fédérale de Yougoslavie. Comme je l’ai dit, la démocratisation de votre pays et l’ouverture d’un dialogue sans conditions préalables sur la question du Kosovo sont les deux objectifs que nous poursuivons, tant au sein de l’Union européenne qu’en collaboration avec les pays membres du groupe de contact. Nous sommes prêts à faire beaucoup pour la République fédérale de Yougoslavie (notamment par la restauration des mesures commerciales autonomes qui dépendent de l’Union européenne et par la réintégration de la Yougoslavie dans la communauté internationale) si celle-ci fait la preuve de sa bonne volonté. C’est la meilleure solution pour résoudre la crise politique dont vous parlez.
Q - Le Monténégro peut-il voir dans le soutien officiel de la France (et de l’Union européenne) un désir de renforcer l’action personnelle de Milo Djukanovic sur cette voie, parce que répondant par son programme aux principes de démocratisation et de réformes nécessaires à une fédération victime d’un pouvoir central fort, autoritaire et devenu compromettant ?
R - L’alternance qui a eu lieu dans votre république démontre que la démocratie s’y affirme. La France et l’Union européenne encourageront constamment la démocratisation. Mais dans une vraie démocratie, ce n’est pas telle ou telle personne qui incarne les principes démocratiques. C’est tout un système qui repose sur la liberté de la presse, la liberté d’expression, la compétition loyale des hommes et des programmes à travers les urnes. J’espère qu’un jour viendra, pas trop éloigné, où toute la République fédérale de Yougoslavie pourra être reconnue comme une vraie démocratie.
Q - Le démarquage du Monténégro face à la politique appliquée au Kosovo par la République de Serbie est-il à l’origine d’une limitation des sanctions internationales récemment envisagées au seul espace serbe ? Cette absence de sanctions sera-t-il suivi d’une reconnaissance internationale d’une spécificité monténégrine au vu de son combat pour la démocratisation, le pluralisme politique, l’ouverture économique à l’Occident : quel est le meilleur des processus que l’Union européenne pourra adopter alors pour aider ce pays à se sentir enfin “européen” dans la détresse qu’il traverse ?
R-Les sanctions qui ont été décidées récemment ont été soigneusement calibrées. Certes, l’embargo sur les armes et sur les équipements utilisables à des fins de répression interne ou de terrorisme est imposé indistinctement à toute la Yougoslavie. En revanche, le moratoire sur les crédits gouvernementaux d’aide à l’exportation et aux investissements a été appliqué à la Serbie seulement. Il a paru juste aux pays membres du Groupe de contact et à l’Union européenne que le Monténégro ne subisse pas les conséquences du comportement serbe. La France fera son possible pour que le Monténégro soit épargné au cas où des sanctions nouvelles devraient être décidées. Néanmoins, il n’est pas dans l’intérêt du Monténégro que des sanctions s’abattent sur la Serbie, car vous savez mieux que moi combien la prospérité du Monténégro dépend de celle de la Serbie. Ce que je souhaite, c’est que l’orientation libérale et démocratique du Monténégro rejaillisse sur l’ensemble de la Yougoslavie et favorise le règlement de la difficile question du Kosovo. La France et l’Union européenne vous aideront dans ce but.