Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à des questions sur la lutte contre le chômage et l'exclusion, la cohésion de la majorité, et sur la réorientation de l'Europe vers la priorité à l'emploi, à l'Assemblée nationale le 20 janvier 1998.

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Texte intégral

* CHOMAGE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-Marc Ayrault. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Monsieur le Premier ministre, depuis son installation, le Gouvernement a axé sa politique autour de la lutte contre le chômage. (Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Louis de Broissia. C’est la méthode Coué !

M. Jean-Marc Ayrault. Les mouvements de chômeurs ont rappelé un nombre de situations de détresse, matérielle et morale, dont la cause principale est le chômage de longue durée.

Vous avez, Monsieur le Premier ministre, annoncé la semaine dernière un certain nombre de mesures significatives. En particulier, le fonds d’urgence, doté de un milliard de francs, a été mis en place. Dans tous les départements, les services de l’État, en liaison avec les collectivités locales et leurs services les plus qualifiés, tels les centres communaux d’action sociale, se sont immédiatement mis en travail dès le début de cette semaine et traitent d’ores et déjà de très nombreux dossiers.

Par ailleurs, concernant la lutte contre toutes les exclusions, vous avez confié une mission à Mme Join-Lambert qui a commencé ses consultations.

Nos concitoyens ressentent, pour eux et pour leurs proches, l’angoisse du chômage. Ils sont sensibles à ce qu’expriment de douleur et de colère les mouvements de chômeurs. En même temps, ils savent que tout n’est pas possible tout de suite et à n’importe quelles conditions. Ils attendent donc un message de confiance et d’espoir.

Aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre, comment le Gouvernement entend-t-il prolonger son action contre le chômage et ses conséquences ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert).

M. le président. La parole est à M. Le Premier le ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président du groupe socialiste,…

M. Francis Delattre. Un bon groupe !

M. Le premier ministre. … les événements récents, les mouvements d’occupation, la mobilisation de chômeurs et de militants, quelles qu’en soient l’importance et la forme, ont rappelé à nouveau à l’ensemble des Français que le chômage était la question centrale de notre société.

M. Francis Delattre. Y compris au Gouvernement !

M. le Premier ministre. C’est précisément au cœur de sa politique que le Gouvernement a placé la lutte contre le chômage et son action pour l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Je souhaite que, au-delà de l’État, l’ensemble des acteurs de la société, les entreprises, les partenaires sociaux et nos concitoyens se sentent aussi interpellés et mis en mouvement par les événements récents.

Quelle est l’attitude du Gouvernement, (« Mauvaise » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Michel Ferrand. La matraque !

M. le Premier ministre. Il fallait d’abord répondre de manière urgente aux situations qui étaient révélées. Nous l’avons fait. Je rappelle que, à partir d’un mouvement qui posait la question non pas des minimas sociaux en général mais d’une prime de Noël pour faire face aux situations de détresse, nous avons débloqué un milliard de francs pour les missions d’urgence dans les départements, milliard de francs qui se trouvera relayé par l’action des collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.

Nous avons dialogué, malgré les obstacles et les hésitations de certaines forces sociales, avec des associations de chômeurs.

M. Jean Bardet. Avec Robert !

M. le Premier ministre. Nous allons veiller à ce que les coupures d’eau, d’électricité, de gaz ne puissent plus se produire. Les décisions, pour ce qui nous concerne, ou les contacts, quand d’autres entreprises sont concernées, ont été établis à cet égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Les expulsions ne sont pas possibles dans cette période de l’année, mais nous travaillons pour que, à la fin de l’hiver, soit substituée à une démarche fondée essentiellement – on le comprend – sur des préoccupations d’ordre public une démarche sociale et de prévention. Déjà, au mois d’octobre 1997, une circulaire de Jean-Pierre Chevènement et de Louis Besson a prévu que les préfets pouvaient, lorsqu’ils étaient saisis, prendre en compte les situations sociales pour intervenir. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Lucien Degauchy. Baratin !

M. le Premier ministre. Dans la loi sur l’exclusion, qui sera discutée au Parlement, il est envisagé que, si une procédure de justice est déclenchée, le préfet doit être saisi afin qu’il puisse examiner l’aspect social…

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le Premier ministre. … et répondre aux préoccupations des bailleurs en utilisant le fonds de solidarité logement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il faut aussi répondre à ce que révèle cette situation d’urgence.

Peut-on le faire en relevant tous les minima sociaux de 1 500 francs par mois ?

M. Guy Teissier. Peut-il le faire ?

M. le Premier ministre. Les Français savent que tout n’est pas possible tout de suite. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Relever de 1 500 francs par mois les minima sociaux pour 3,3 millions de familles représenterait un coût immédiat de 60 milliards de francs (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. François d’Aubert et M. Pierre Lellouche. Et alors ?

M. Jean-Michel Ferrand. Il est encore plus mauvais que la semaine dernière !

M. le Premier ministre. Accorder un revenu minimum aux jeunes de moins de vingt-cinq ans signifierait un coût immédiat de 10 milliards de francs. Nous ne pouvons pas alourdir le déficit budgétaire de 70 milliards de francs ! Nous ne pouvons pas demander aux Français de supporter des impôts supplémentaires de 70 milliards de francs ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Michel Ferrand. Ça sent la fin de règne !

M. le Premier ministre. En outre, Mesdames, Messieurs les députés, le problème n’est pas que budgétaire (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Il faut savoir que si nous augmentions de 70 % les minima sociaux, c’est tout le problème des relations entre ceux qui vivent, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, des allocations allouées…

M. Jean-Michel Ferrand. Alors, Robert, qu’est-ce que tu fais ?

M. le Premier ministre. … et ceux qui sont payés au SMIC, qui se trouverait posé au point de dérégler l’ensemble des relations sociales et des rapports au travail. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Si nous augmentions le RMI de 70 % pour des couples sans ou avec enfants, ce serait un revenu supérieur au SMIC, c’est-à-dire supérieur à ce que gagne un homme ou une femme qui va au travail chaque matin. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Or le travail est, pour nous, au cœur du lien social. Nous ne voulons pas une société d’assistance, mais une société fondée sur le travail et l’activité productrice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Nous avons déjà engagé l’action pour que, au-delà des minima sociaux, il soit répondu à la question du logement par l’augmentation de l’allocation logement (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste), qu’il soit répondu à la question de l’école en permettant aux enfants de revenir à la cantine…

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Jean-Michel Ferrand. Et d’apprendre l’histoire !

M. le Premier ministre. … en travaillant pour les zones difficiles.

Nous travaillons également sur les problèmes de santé pour aller vers une couverture universelle permettant l’accès aux soins des plus démunis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

En outre, nous allons – c’est la mission qui a été confiée à Mme Join-Lambert – analyser l’ensemble du dispositif qui lie l’assurance chômage et les minima sociaux.

M. Jean-Michel Ferrand. C’est la fin !

M. le Premier ministre. À l’issue de cette mise à plat de l’ensemble des processus, nous examinerons les réformes qui seront utiles pour chercher, comme une circulaire de Mme le ministre de l’emploi et de la solidarités l’a déjà prévu, à concentrer les dispositifs des contrats emploi-solidarité sur les chômeurs de longue durée, en particulier, sur ceux qui sont au chômage depuis plus de deux ans. Nous ferons cela dans la concertation. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Enfin et surtout, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, nous allons mener et gagner la bataille pour l’emploi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Michel Ferrand. Robert, qu’est-ce que tu fais ?

M. le Premier ministre. Nous avons rompu avec le fatalisme de l’ancienne majorité. Nous avons engagé une politique volontariste pour l’emploi : croissance plus forte, inflexion de la politique européenne vers la croissance et l’emploi, emplois-jeunes. Aujourd’hui, 40 000 jeunes ont déjà un emploi-jeune ; ils ont été concrètement arrachés à la menace du chômage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Au cours de l’année 1998, 150 000 emplois-jeunes seront créés : 150 000 jeunes seront ainsi arrachés à l’assistance mais aussi au chômage. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Diminution du temps de travail : un grand débat va s’ouvrir sur les trente-cinq heures, prenant en compte les réalités économiques, mais exerçant un effet de levier sur l’emploi. Nous verrons comment chacun se situera par rapport à ce débat fondamental. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Enfin, aides systématiques à l’esprit d’initiatives, à l’esprit d’innovation, en particulier sur les nouvelles technologies en direction des petites et moyennes entreprises.

M. Arnaud Lepercq. Et les chefs d’entreprises ?

M. le Premier ministre. C’est le succès de cette politique conduite dans la durée, dont le cap doit être rappelé, qui fera reculer le chômage et l’exclusion. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Ce cap doit être maintenu, il ne faut pas compromettre son succès.

M. Philippe Martin. Des discours !

M. le Premier ministre. Nous avons été élus voilà sept mois par les Français pour engager et pour gagner la bataille contre le chômage. Nous avons été élus pour davantage de justice sociale. Nous avons commencé à rééquilibrer l’impôt sur le capital et l’impôt sur le travail. Nous allons gagner la bataille pour l’emploi. C’est la raison d’être de cette majorité. C’est le devoir et la responsabilité de ce gouvernement ! (Mmes et MM. Les députés du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme !

S’il nous reste un peu de temps, le groupe socialiste pourra poser tout à l’heure une autre question.

Nous en venons au groupe du Rassemblement pour la République.

 

* ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

M. le président. La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez annoncé la régularisation de 15 000 immigrés clandestins (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et 15 000 refus. En d’autres termes, si nous comprenons bien, vous reconnaissez officiellement à ce jour 15 000 étrangers en situation illégale sur le territoire français.

M. Gérard Bapt. Dont une médaille d’or en natation !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Roxana, Roxana !

M. Charles Cova. Pour une fois, Monsieur le ministre je vous demande d’être clair et précis, comme le sera ma question.

M. Didier Boulaud. Sans papier ?

M. Charles Cova. Sur un sujet aussi grave, ne nous répondez pas comme à votre habitude que vous leur enverrez une lettre, qu’ils ont vocation à …, que, peut-être, on verra ultérieurement, éventuellement, un jour ! Dites-nous clairement : quand vont-ils partir, comment vont-ils partir ? (Applaudissement sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française. Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et Roxana ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, les 150 000 étrangers en situation irrégulière qui se sont fait connaître depuis le 24 juin étaient présents sur le territoire national avant les élections législatives de mai-juin 1997. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Qu’en avez-vous fait ?

M. Jean-Michel Ferrand. Ceux-là, vous les connaissez !

M. le président. Monsieur Ferrand, vous vous distinguez essentiellement pour vos vociférations.

M. Jean-Michel Ferrand. J’ai été élu, pas nommé !

M. le président. Alors, s’il vous plaît, un peu de calme ! (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)

Poursuivez, Monsieur le ministre.

M. le ministre de l’intérieur. M. Cova n’est d’ailleurs pas en reste…

Le processus se déroule comme prévu. Le réexamen est effectué sur la base de critères privilégiant les liens familiaux. Ainsi, 15 700 autorisations de séjour ont été accordées au titre du regroupement familial et 15 000 refus ont été signifiés. J’ai demandé que les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière n’interviennent que lorsque sera parvenue aux préfets la circulaire sur les aides au retour signées par Mme le ministre de l’emploi et de la solidarité et par moi-même, puisque ces aides transitent par l’office des migrations internationales, lui-même sous la tutelle de Mme Aubry. C’est donc dans ce cadre que les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière seront signifiés.

Ce faisant, je crois avoir répondu à votre question. J’ai l’habitude d’être clair…

M. Jean-Michel Ferrand. Non !

M. le ministre de l’intérieur. … comme vous, Monsieur Cova : j’ai gardé à l’esprit les propos que vous avez tenus lors du débat du projet de loi sur l’immigration, à savoir que nos compatriotes de tradition musulmane n’avaient pas vocation à s’intégrer, ce que je conteste. C’est ce que vous avez dit !

M. Jean-Michel Ferrand. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Charroppin. N’importe quoi !

M. le ministre de l’intérieur. Je vous renvoie au Journal officiel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

 

* COHÉSION DE LA MAJORITÉ

M. le président. La parole est M. Philippe Briand.

M. Philippe Briand. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, mais elle aurait pu être aussi bien posée par M. Jean-Marc Ayrault dont je lisais ce matin les déclarations dans une dépêche de l’AFP.

« Le chef de file des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, a affirmé mardi que le comportement des communistes à l’égard du Gouvernement relevait de « l’ambiguïté », qualifiant de « choquant et inadmissible » leurs déclarations. « Les communistes ne peuvent pas continuer à jouer au chat et à la souris, il faut une clarification » a déclaré M. Ayrault en parlant d’une « ligne fluctuante et préoccupante ».

M. Pierre Lellouche. C’est grave !

M. Philippe Briand. Monsieur le Premier ministre, nous avons entendu tout à l’heure vos déclarations d’intention. La question est simple : comment allez-vous gérer les contradictions de votre majorité plurielle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)…

M. Jean-Yves Le Déaut. Et vous ?

M. Philippe Briand. … avec un Parti communiste dont trois membres sont aujourd’hui ministres du Gouvernement, un Mouvement des citoyens représenté dans ce gouvernement par votre ministre de l’intérieur, et des Verts qui se retrouvent eux aussi dans votre gouvernement avec Mme Dominique Voynet ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Tous ces mouvements manifestent chaque jour dans la rue contre votre politique économique, contre votre politique européenne, contre votre politique sociale !

Monsieur le Premier ministre, quelle est aujourd’hui votre majorité ? Quels sont vos objectifs ? Où entraînez-vous la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je ne suis pas sûr qu’il soit d’usage dans cette assemblée d’interroger le Gouvernement – en tout cas, je ne me souviens pas que nous l’ayons souvent fait lorsque nous étions dans l’opposition – (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française) sur les contradictions politiques supposées exister dans une majorité.

Quoi qu’il en soit, si je réponds à votre question, c’est pour ne pas être en contradiction avec moi-même et tenir devant vous l’engagement que j’avais pris de m’exprimer sur l’incident qui s’est produit la semaine dernière. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Car je ne suis pas sûr, Mesdames, Messieurs, que, malgré mon appel, vous ayez sincèrement aujourd’hui l’intention de me faire des reproches. Mais comme j’avais annoncé publiquement que je vous exprimerai des regrets, je vais le faire d’un mot. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Lorsqu’on fait une erreur, dans la vie politique, si l’on a un peu de rigueur intellectuelle et le sens du respect du débat démocratique, on la reconnaît. C’est ce que je fais. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Mon erreur venait moins d’une analyse historique ou politique sur laquelle, je ne reviens pas…

M. Pierre Lellouche. C’est un paquet !

M. le Premier ministre. … que d’avoir créé dans l’esprit d’un certain nombre d’entre vous l’idée d’un amalgame entre hier et aujourd’hui. Je veux vous dire, particulièrement à ceux qui s’en sont sincèrement émus, que telle n’était pas mon intention et que je le regrette. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialistes et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Huées sur quelques bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Quant aux contradictions supposées à l’intérieur de la majorité, je puis vous assurer que celle-ci, sur les grands projets du Gouvernement pour la mise en œuvre de sa politique, ne lui a jamais fait défaut, et je ne pense pas qu’il en ira différemment dans les grands projets qui sont devant nous, notamment la grande question, décisive, des trente-cinq heures. Le reste relève du commentaire politique libre. Réservez-les plutôt aux réunions de vos paris ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

 

* FLOTTE DE PÊCHE FRANÇAISE

M. le président. La parole est à M. André Angot.

M. André Angot. Ma question s’adresse à M. ministre de l’agriculture et de la pêche – qui est absent me semble-t-il.

Malgré l’opposition de la France au quatrième programme d’orientation pluriannuel, clairement exprimée en avril 1997 par le ministre de la pêche et de l’époque, M. Philippe Vasseur, l’Europe va nous imposer de réduire encore de 59 000 kilowatts la puissance de flotte de notre pêche dans les quatre prochaines années.

Cette décision va entraîner l’arrêt de nombreux navires de pêches. Dans les ports bretons, dans tous les ports français, les professionnels et les élus ont fait part de leurs vives inquiétudes sur l’avenir de l’emploi et de leur activité économique, déjà fortement touchée par les précédents plans de réduction de la flotte de pêche.

Ils craignent que bien des bateaux ne soient vendus à des pêcheurs espagnols qui les exploiteront près des côtes françaises.

Monsieur le ministre, je vous pose donc deux questions : qu’avez-vous fait pour vous opposer à cette décision européenne ? Comment comptez-vous empêcher le bradage de la flotte de pêche française et l’évasion de nos navires ?

Avez-vous pris conscience que votre abandon de la pêche française ne fera que contribuer davantage au « déménagement du littoral », en mettant en péril l’emploi et l’équilibre économique de toutes les côtes françaises ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes, pour une courte réponse.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le député, vous interrogez le ministre de l’agriculture…

M. Jean Auclair. Absent, comme d’habitude !

M. Christian Jacob. Il n’est jamais là !

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. … effectivement absent, sur une question pointue. Je lui en ferai bien évidemment part en votre nom, je veux en tout cas vous assurer, que sur ces sujets, nous sommes évidemment très attachés à protéger dans les instances européennes les intérêts de notre littoral et des pêcheurs français.

Vous comprendrez que je ne puisse en dire davantage aujourd’hui. Vous aurez sans doute l’occasion de reposer cette question à M. Le Pensec, et en sa présence. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous en venons au groupe de l’Union pour la démocratie française.

 

* CRISE FINANCIÈRE ASIATIQUE

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Idrac.

Mme Anne-Marie Idrac. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Michel Bouvard. S’il est là !

Mme Anne-Marie Idrac. J’espère qu’il voudra bien y répondre au lieu de chercher, comme l’a fait le Premier ministre tout à l’heure, à répondre à une question qu’il se poserait éventuellement à lui-même.

Monsieur le ministre, je vous interrogerai sur les conséquences pour les Français de la crise monétaire asiatique.

Il y a quelques semaines encore, vous nous assuriez qu’elle n’aurait aucun effet sur notre pays. Il semblerait que vous ayez depuis modifié quelque peu votre appréciation… Ma question est donc la suivant : pour respecter malgré tout le niveau de déficit convenu, quelles dispositions allez-vous prendre ? En clair, les Français ont besoin de le savoir, quels impôts allez-vous augmenter, quelles restrictions budgétaires allez-vous appliquez ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Madame le député, j’ai plaisir à répondre à votre question qui me permet, c’était le cas la semaine dernière et la semaine précédente, de tenir l’Assemblée, comme il est normal, au courant de l’évolution de la crise asiatique et du jugement que porte le Gouvernement.

M. Arnaud Lepercq. Tout va très bien, madame la marquise !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cette crise, vous le savez, n’est pas encore terminée. Aucune prévision n’est à l’abri de la survenue, dans quinze jours ou dans trois semaines, d’un nouvel embrasement.

Pourtant, la communauté financière internationale estime aujourd’hui que nous arrivons vers la deuxième moitié de la crise et donc que nous en sortons doucement. Je dis cela sous toute réserve : ce genre de phénomène peut évidemment connaître des rebondissements. J’avais ce matin une longue séance de travail avec le président de la Banque mondiale, de passage à Paris, et nous convenions ensemble que l’effet de cette crise aurait serait double. Le premier, c’est celui auquel vous faites probablement allusion, c’est-à-dire sa conséquence directe sur la croissance mondiale, européenne et plus particulièrement française ; les sondages des instituts qui ont interrogé les Français là-dessus ont montré que ceux-ci n’en mesureraient pas encore totalement l’ampleur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.) Mais vous avez raison de poser la question : les estimations effectuées laissent entendre que la perte serait de l’ordre de 0,3 à 0,5 point de croissance selon les pays. Mais comme notre économie, à la fin de l’année 1997 – et ce n’est plus là une prévision, mais une réalité, constatée par l’INSEE – se trouve, comme je l’évoquais devant cette assemblée il y a déjà quelque temps, sur une pente de croissance d’environ 3,5 % plutôt que 3 %, on peut estimer qu’avec 0,3 ou 0,5 % en moins, du fait de la crise asiatique, le résultat final restera très proche des 3 % initialement prévus par le Gouvernement – peut-être même supérieur.

M. François Léotard. Non !

M. François d’Aubert. Ce sont des comptes d’apothicaire !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La structure en sera modifiée : un peu moins de demande externe, un peu plus de demande interne. Mais, au total, il est raisonnable de penser aujourd’hui que nous restons sur cette pente de 3 %. La question que vous posiez tout à l’heure, sans aucune malignité, j’en suis certain, tombe donc à plat ; il n’aura évidemment aucun impôt nouveau lié à cette crise asiatique.

M. Jean Auclair. On est sauvés !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais la crise asiatique a une seconde conséquence, sur laquelle je me permets d’attirer votre attention. Lorsqu’elle sera passée, ces pays se retrouveront avec un potentiel de croissance intact, un système bancaire qui, dans la douleur, aura été restructuré, des devises fortement dévaluées…

M. Pierre Lellouche. C’est du libéralisme, ça !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. … et donc une compétitivité extrêmement forte.

Il nous faut donc aujourd’hui absorber ce léger choc, qui ne sera pas trop difficile, mais surtout nous préparer pour l’avenir à affronter des compétiteurs très puissants.

M. Arnaud Lepercq. Et vous voulez adoptez les trente-cinq heures !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous devons donc continuer à préparer l’économie française à la compétition asiatique de demain…

M. Arnaud Lepercq. En travaillant moins ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. … et c’est sûrement ce à quoi vous pensiez en me posant votre question. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

 

* EURO ET EMPLOI

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Monsieur le Premier ministre, vous avez tenté il y a un instant de nous démontrer qu’il n’y avait pas de contradictions dans votre majorité gouvernementale. Je dois vous l’avouer, mais cela ne vous surprendra pas : vous ne nous avez pas convaincus.

M. Jean Glavany. C’est bon signe !

M. Dominique Dord. Sans vouloir ajouter aux difficultés de cohésion interne de votre propre camp, nous regrettons que votre pacte gouvernemental ait eu à connaître cette fin de semaine une nouvelle et profonde entaille. En effet, malgré vos rappels à l’ordre répétés, vos leçons de solidarité, le numéro un du second parti de votre attelage gouvernemental vous a sommé de choisir entre euro et l’emploi, c’est-à-dire entre les deux piliers de votre politique.

S’il ne s’agissait que de problèmes internes à votre majorité ou si les circonstances n’étaient pas si graves, nous pourrions, comme vous le souhaitiez il y a un instant, vous laisser à vos querelles, voire à certains égards nous en réjouir, compte du nombre de fois où nous les avons dénoncées avant qu’elles n’éclatent au grand jour. Mais voyez-vous, Monsieur le Premier ministre, vous êtes, avec vos alliés communistes, à la tête des affaires de la France. Vos divergences nous concernent donc, car elles portent atteinte à la crédibilité de notre pays vis-à-vis des autres pays et en particulier de nos partenaires européens. Vos divergences discréditent aussi le Gouvernement vis-à-vis de nos compatriotes…

M. Patrice Carvalho. Mazeaud ?

M. Christian Cuvilliez. Complètement maso, oui !

M. Dominique Dord. … qui ne comprennent plus, qui ne supportent plus le spectacle que vous donnez, comme si notre pays n’avait pas de questions autrement plus importantes à régler.

Monsieur le Premier ministre, vous vous faisiez, il y a encore peu, le chevalier blanc d’une autre approche de la politique. Quelles mesures comptez-prendre pour que votre gouvernement, notre gouvernement, parle d’une seule et même voix ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste du groupe communiste.)

M. Michel Delebarre. Attention, c’est un piège !

M. Dominique Dord. Comment comptez-vous répondre à la question qui vous est désormais posée par vos propres alliés : l’emploi ou l’euro ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la démocratie française et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président. Pour s’exprimer au nom de notre gouvernement, la parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, sitôt formé, le Gouvernement a été confronté au sommet d’Amsterdam où, aux côtés du Président de la République, comme la Constitution nous en fait l’obligation, il lui a fallu examiner les résultats de négociations conduites par le gouvernement précédent.

M. Jean Barbet. Si vous n’étiez pas d’accord, il fallait refuser !

M. le Premier ministre. Vous cherchez à nouer les termes d’une contradiction sur les questions économiques et sociales qui, à mes yeux sont essentielles. Conformément aux orientations que nous avions défendues devant les Français le Gouvernement, en plein accord avec sa majorité, a éclaté son engagement européen plein et entier…

Plusieurs députés sur les bancs du Rassemblement pour la République et de l’Union pour la démocratie française. Hue ! Hue !

M. le Premier ministre. … et sa volonté, comme les Français l’avaient décidé par un référendum positif, de réaliser l’euro, à condition toutefois d’avancer dans plusieurs directions. La première était que l’euro soit une monnaie compétitive par rapport au dollar : cette condition est actuellement réalisée.

M. Arnaud Lepercq. Pas avec les trente-cinq heures ;

M. le Premier ministre. La deuxième, que les pays du sud de l’Europe, l’Espagne et l’Italie, soient qualifiés pour la monnaie unique et y participent : or si, comme nous pouvons le penser, ils en respectent les critères, ils seront effectivement qualifiés et, grâce à notre action, aucune suspicion a priori ne pèse plus sur eux.

Troisième condition, réorienter l’Europe vers l’emploi et la croissance. Nous avons obtenu, avec l’accord du Président de la République – reconnaissant que nous étions au fond en train de faire ce qu’il aura aimé voir réaliser avant, et par un autre gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)…

M. Arnaud Leclercq. Holà ! Vous n’êtes pas le porte-parole de l’Elysée !

M. le Premier ministre. … nous avons obtenu la constitution d’un sommet sur l’emploi, suivi d’autres sommets réguliers, qui permettrons de réorienter l’Europe.

Enfin, nous avons milité pour la coordination des politiques économiques afin que, face à la Banque centrale, organisme de caractère fédéral, s’affirme la légitimité des gouvernements. C’est pour cela que nous avons proposé un conseil de l’euro, et il faut croire que cette idée s’est fortement crédibilisée, puisque même le Britannique Tony Blair, dont le pays n’entrera pas dans l’euro tout de suite, a souhaité que son pays participe au Conseil de l’euro dont il a compris que c’était désormais une instance fondamentale pour l’avenir. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Il n’est pas vrai que la perspective européenne, si elle est comprise ainsi, s’oppose à la bataille pour l’emploi et la croissance en France. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Au contraire, à mon sens, elles se conjuguent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) La preuve en est que même les pays qui ne décident pas de faire l’euro, comme la Grande-Bretagne, la Suède et le Danemark…

M. Pierre Lellouche. Ce qui montre qu’il y a un problème avec l’euro !

M. le Premier ministre. … essaient malgré tout de contenir leur déficit budgétaire ne saurait dépasser la limite des 3 % sans créer des situations d’endettement qui pèsent sur les charges de l’État.

J’ai entendu que se faisaient des évolutions très importantes sur ces questions. Les rendez-vous sont pour bientôt. La France est engagée. Elle le fait de façon différente de celle que vous aviez entreprise.

Et si vous revenez sur le deuxième aspect du traité d’Amsterdam, à savoir la conférence intergouvernementale, sur laquelle j’avais compris que M. Séguin voulait m’interroger la semaine dernière, j’aurais l’occasion de vous donner mon analyse, et de vous dire pourquoi, effectivement, j’ai l’intention de respecter l’article 89 de la Constitution qui laisse en ce domaine l’initiative au Président de la République. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

J’aimerais qu’on revienne sur cette question. Je serai ravi que, demain, si vous le voulez bien, sur cette question aussi, pour éclairer l’opinion, on s’explique, et que je porte jugement sur la négociation du traité d’Amsterdam, que vous avez si ma réussie. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe au Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous en venons au groupe communiste.

 

* MINIMA SOCIAUX

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.

Mme Janine Jambu. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Le mouvement des chômeurs, engagé depuis plus d’un mois, exprime de plus en plus fort une légitime exigence de dignité et de reconnaissance sociale.

La société tout entière est aujourd’hui fragilisée par le chômage et la précarité de masse. Elle soutient très majoritairement la lutte et les revendications des chômeurs.

Faire reculer durablement le chômage est la volonté que vous veniez de réaffirmer, Monsieur le Premier ministre. Cela appelle la création de centaines de milliers….