Texte intégral
L’Hebdo de l’actualité sociale V.O. - 7 mars 1997
Point de vue par Lydia Brovelli, secrétaire de la CGT
L’économique et le social sont-ils antinomiques ? Avec pour leitmotiv mondialisation, concurrence, compétitivité… tout dans les discours ambiants pourrait conduire à le penser. Pourtant, quand on y regarde de plus près, n’est-ce pas plutôt la façon dont est géré le social, après le reste, qui nous enfonce dans une spirale récessionniste ?
Les méthodes de Renault qui suscitent l’amertume, la colère et une eurogrève – « première » porteuse de perspectives – sont révélatrices. Mais contrairement à bien des propos entendus ces jours-ci ce n’est pas seulement l’absence de concertation autour de la fermeture d’un site qui pose problème. C’est la décision même de fermeture, comme les réductions d’effectifs en France. C’est la politique industrielle de l’entreprise au losange, la politique française et européenne en matière automobile qui sont en cause, leur manque d’anticipation et le fait que le social soit traité en « résultante », quand il n’est pas considéré comme un obstacle ! Obstacle à la compétitivité, aux rapports internationaux et à la rentabilité.
La situation financière des entreprises françaises est aujourd’hui globalement bonne
L’inflation est contenue, les gains de productivité sont élevés et le solde commercial extérieur est historiquement excédentaire. Or, la part des salaires dans le produit intérieur brut comme dans la valeur ajoutée des entreprises a diminué de façon importante depuis le début des années 80. Ce serait donc justice et efficacité économique de restituer aux salariés ce qui leur a été dérobé et est à l’origine de la crise de sous-consommation. Mais là, on bute sur une contradiction essentielle : chaque employeur croit avoir « intérêt » à pressurer sa masse salariale et compte sur ses collègues pour accroître les débouchés. Sauf que les collègues font le même – très égoïste – raisonnement et que cette dichotomie entre les raisonnements micro-économique et macro-économique contribue à étouffer les perspectives de croissance.
Le débat autour de l’emploi se déroule dans un cadre lui aussi verrouillé, comme si le volume d’emploi était prédéterminé et limité
Du coup, au lieu de s’orienter vers un meilleur usage du temps libéré par le progrès technique, on parle de partage et certains pensent (plus ou moins bas) que si les femmes rentraient à la maison et les immigrés au pays, tout irait mieux. Ces raisonnements oublient que l’emploi est extensible : plus de jeunes, d’immigrés ou de femmes qui travaillent, cela crée de la valeur ajoutée et suscite de nouveaux besoins et des emplois dérivés. Les domaines sont nombreux qui appellent des missions renouvelées, des structures modernisées, des créations : industries de la ville et de la communication, de la santé, de l’énergie, du logement, de l’équipement et de l’environnement qui mêlent étroitement productions industrielles et services, qui enchaînent recherches et usages, qui nécessitent une maîtrise redéfinie dans un espace public moderne.
Au fond, il y a beaucoup à dire, à proposer contre la pensée unique. Car la stratégie libérale, en cassant les régulations n’est en rien constitutive d’un système nouveau, fiable et crédible ; elle ne porte aucun projet, sauf à considérer que la jungle en est un !
La régulation marchande rythmée par la concurrence n’est en aucun cas susceptible d’être constitutive d’un ordre économique et social tourné vers le développement humain
Certes, il ne suffit pas d’affirmer cela et fonder un projet suppose d’affronter des réalités très concrètes. Sans se focaliser sur le passé en ignorant les bouleversements intervenus et sans vouloir inventer le futur en faisant table rase du passé. Mais affirmer que les salariés ont encore aujourd’hui des droits et garanties collectives à conquérir n’exprime ni la volonté de s’enfermer dans une défense figée d’acquis ni celle de s’adapter à des « lois économiques » qui s’imposeraient sans discussion. C’est au contraire promouvoir l’idée qu’il faut rechercher un développement mariant efficacité économique et densification des liens sociaux.
Comment y parvenir sans engager des recherches collectives de solutions, sans ordonner des propositions novatrices fondées sur les besoins sociaux de notre époque ? Besoins de l’homme et de la société. Complémentaires par essence.
L’Hebdo de l’actualité sociale V.O. - 7 mars 1997
Point de vue par Jacqueline Léonard, secrétaire confédérale CGT
La campagne pour les élections prud’homales est maintenant bien engagée dans toutes nos organisations. Tout le monde est concerné, y compris les chômeurs pour lesquels la CGT réclame l’inscription systématique dans les Assedic, comme pour les salariés dans les entreprises. Comment accepter que, déjà privés d’emploi, exclus du travail, ils soient, de plus, interdits du droit à la parole ?
Car pour voter, le 10 décembre 1997, et voter CGT, il faut d’abord être inscrit. C’est pendant le mois de mars qu’il faut exiger des employeurs et du gouvernement. Chacun pourra vérifier, lors de la publication des listes du 1er avril au 12 mai, dernier délai, s’il est bien inscrit.
Cela vaut pour les Ictam, dans la section encadrement, pour les femmes et les hommes salariés à plein temps dans le privé, en précarité, en formation ou CES dans la fonction publique
C’est donc maintenant que tout se joue et l’enjeu est bien celui de la démocratie, de la citoyenneté, du droit de s’exprimer et se défendre.
En effet, chacune et chacun dans sa vie professionnelle peut avoir recours au conseil des prud’hommes. Un tribunal pas comme les autres, composé d’un nombre égal d’employeurs et de salariés élus, présentés par les syndicats, pour juger les conflits du travail. Les « juges sans robe », militants et militantes de la CGT, y sont connus et reconnus pour leur acharnement à défendre les droits des salariés contre l’arbitraire patronal. Dans ce monde d’insécurité, éclaté et fragilisé par la précarité, la flexibilité, le chômage, l’exclusion, les prud’hommes constituent l’un des derniers remparts accessibles et de proximité, afin que justice soit faite aux salariés, et que progresse le droit et la législation sociale. Recours d’autant plus précieux, utile et efficace, que le gouvernement et le patronat accélèrent la destructuration des emplois, la déréglementation du travail, des garanties collectives et des statuts. Ils poussent à l’individualisation et à l’isolement, à la mise en concurrence qui permet de diviser pour mieux régner.
200 000 jugements prononcés par an !
Par-delà les dizaines de milliards récupérés par des salariés spoliés de leurs droits, les sanctions commencent à tomber sur le patronat qui sacrifie trop facilement l’emploi.
Ainsi, la Samaritaine a été condamnée à réintégrer des salariés après l’annulation de licenciements déguisés en « plan social ». Peugeot est obligé de reconstituer la carrière de six élus CGT frappés de discriminations depuis quinze, vingt ou trente ans ! Et la Servair a dû procéder à la requalification de deux cents emplois précaires en emplois stables. Ces exemples récents font partie d’un bilan qui représente un réel point d’appui et un encouragement à la construction de luttes solidaires et convergentes pour le plein emploi, les revendications, le respect des droits sociaux et syndicaux.
Or, les grandes manœuvres vont se multiplier pour réduire, compliquer, entraver la participation au vote. L’objectif est de porter atteinte au syndicalisme et à cette juridiction originale, unique en Europe, que le patronat voudrait bien faire disparaître, que la réforme de Jacques Chirac risque de remettre en cause, et que le Front national continue de vouloir investir, malgré les succès remportés dans les procès pour faire interdire ses faux syndicats.
Rien n’est donc plus important que de se faire inscrire, dès maintenant, pour prendre la parole et se faire entendre
Donner du poids au vote CGT, n’est-ce pas donner de la force aux revendications pour gagner sur l’augmentation des salaires, les 35 heures sans perte de salaire, la retraite à 55 ans, l’emploi pour les jeunes qui galèrent avec de plus en plus de diplômes. N’est-ce pas donner de la force au syndicalisme unitaire et de rassemblement ?
Nous sommes 647 209 syndiqués à la CGT et chacun, chacune, avons un rôle actif et important pour aller au-devant de ceux qui ne le sont pas, pour les informer, discuter, reconstruire des liens de solidarité et de fraternité pour agir ensemble. Le vote CGT se construit dans le présent de l’action revendicative. Il va prendre toute sa dimension dans nos efforts de reconquête pour faire de 1997 une année de lutte et de syndicalisation, pour être plus forts tous ensemble.