Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, à France Inter le 28 mai 1997, sur l'intervention télévisée de M. Chirac entre les deux tours des élections législatives de 1997 et sur la déclaration commune PCF-PS pour un éventuel gouvernement de gauche.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Comment avez-vous perçu l’allocution du président de la République, qu’avez-vous entendu entre les mots ?

A. Bocquet : Je crois que M. le président de la République avait laissé son walkman, puisqu’il n’a rien entendu de ce que veulent les Françaises et les Français, le même discours, les mêmes paroles. Le message des Français est clair : ça suffit. La crise, le chômage, les difficultés de toutes sortes, il n’en a pas parlé. Pas un mot sur le chômage, pas un mot sur l’emploi. Des phrases qu’on a déjà entendues dans d’autres circonstances, en campagne électorale, des promesses, toujours et encore des promesses. Alors je crois que ça créé les conditions pour que les Français poursuivent leur logique et se dynamisent pour donner une victoire à la gauche dimanche prochain.

A. Ardisson : Mais avez-vous entendu, dans ses propos, quoi que ce soit qui puisse vous choquer au regard des fonctions qu’il occupe ?

A. Bocquet : Le président de la République, qu’il soit obligé de descendre dans la mêlée, de se glisser un maillot, chausser ses crampons, ça montre bien qu’il est en vraie difficulté. La veille, son Premier ministre a été déchu. C’est vraiment la crise de ce pouvoir.

A. Ardisson : L’hypothèse d’une cohabitation avec un homme comme Chirac vous fait-elle peur ou vous gêne-t-elle tout simplement ?

A. Bocquet : La logique veut que, dans le cadre institutionnel actuel, le président de la République reste en place et que s’il y a une nouvelle majorité, un nouveau gouvernement qui soit un gouvernement de gauche et une majorité de gauche, la cohabitation est une réalité qui a déjà existé. Le problème c’est : « Quelle politique fera cette majorité nouvelle demain ? ».

A. Ardisson : Je vous parlais de l’homme Chirac ?

A. Bocquet : L’homme Chirac, il est président de la République, je suis respectueux du suffrage universel et je pense que, dans ce pays, il devrait y avoir la possibilité à la fois de cohabiter institutionnellement tout en menant une autre politique que celle que souhaite Jacques Chirac.

A. Ardisson : Même pour un communiste ?

A. Bocquet : Les communistes sont des hommes réalistes, ouverts et ils veulent que ça change. Ils s’appuient sur la volonté populaire.

A. Ardisson : Qu’est-ce qui vous motive le plus ? L’idée d’avoir des vôtres au gouvernement ou de refaire une santé à votre groupe parlementaire ?

A. Bocquet : Je suis un militant du bonheur donc mon combat c’est celui des choix économiques, sociaux qui changent la vie des gens. Dans toutes les régions de France, dans la mienne, il y a des gens qui souffrent. Des jeunes bardés de diplômes qui ne trouvent pas d’emploi, des personnes qui ont du mal à vivre et c’est ça qu’il faut vraiment changer. Le combat que nous devons mener à gauche, les choix immédiats que doit faire un nouveau gouvernement, une nouvelle majorité : ce sont des choix pour l’augmentation du pouvoir d’achat, pour l’emploi et en particulier l’emploi des jeunes et pour faire en sorte que vraiment, une nouvelle chance soit donnée à notre peuple et à la France. C’est ça notre combat. Le reste, les maroquins ministériels, la politique politicienne, ce n’est pas ma tasse de thé.

A. Ardisson : Les maroquins peut-être pas, mais le nombre de députés à l’Assemblée, je suppose que vous n’y êtes pas indifférent ?

A. Bocquet : Tout à fait et là, effectivement, le grand risque n’est vraiment pas qu’il y ait trop de députés communistes, c’est qu’il n’y en ait pas assez et que 34 de mes amis sont en lice au second tour. Et je prie tous les dieux du monde pour que, effectivement, …

A. Ardisson : J’ai eu peur là.

A. Bocquet : Je suis un œcuméniste bien connu ! Pour que le maximum d’entre eux soit élu à l’Assemblée nationale. Ce sera une bonne chose pour défendre les intérêts de la France, de notre peuple et pour qu’en France, il y ait une politique vraiment à gauche.

A. Ardisson : C’est un vœu ou une prière ? Mais en termes d’analyse politique, à partir de quel seuil considérez-vous que vous pourrez peser réellement à la fois sur les débats à l’Assemblée et puis sur vos alliés, y compris dans les négociations d’après-deuxième tour ?

A. Bocquet : Je crois que tout indique que s’il y a une majorité de gauche, elle ne se fera pas sans les communistes. Une politique de gauche, en France, c’est impossible sans les communistes. Donc demain, sans doute allons-nous ouvrir les discussions bien entendu pour la suite. Ensuite, toutes les hypothèses sont posées. On ne sait pas encore que deviendra demain. Les communistes vont décider de leur position au lendemain des élections et au vu des objectifs qui seront fixés pour la politique qui va être menée demain dans ce pays. Moi je pense que la question qui est posée et l’expérience l’a montrée, c’est qu’il faut faire des choix vraiment à gauche, c’est clair. Et il y a eu de ce point de vue un accord, une déclaration commune qui est une base de discussion. Ensuite, il faut surtout que le mouvement populaire ne pose pas ses valises parce que l’expérience de 1981 montre que si le mouvement populaire pose ses valises, alors tout est possible, y compris le retour de flamme. Et nous sommes pour que la gauche gagne, pour que la gauche réussisse, je pense même que la gauche n’a plus le droit à l’erreur.

A. Ardisson : On ne voit pas très bien comment ça va se passer dans l’hypothèse bien entendu où le PS et ses alliés ont une majorité à l’Assemblée nationale. Dans cette hypothèse, que va-t-il se passer au lendemain du second tour ? Quand saura-t-on si vous êtes capables de vous mettre d’accord avec le PS sur l’essentiel ou un minimum ?

A. Bocquet : D’abord, nous n’avons ni accord électoral ni programme, c’est une déclaration commune et je ne joue pas sur les mots. Je l’interprète comme une déclaration commune, un constat à un moment donné de nos points de convergence, de nos points de différence, c’est clair. Je pense que la question est posée de quelle politique va mener demain la majorité nouvelle si la gauche l’emporte. Il est évident que, nous, communistes, nous ne sommes pas pour faire n’importe quoi, nous sommes pour qu’il y ait une vraie politique de gauche. Ensuite, nous ne sommes pas pour qu’il y ait une sorte de domination de l’un sur l’autre. Je pense qu’il faudrait concevoir une nouvelle conception du travail en commun, de l’union, c’est-à-dire que l’on soit effectivement des partenaires à part entière. Il n’y a pas de petits partis à gauche. La gauche est plurielle. Il y a des formations politiques, des idées convergentes, des idées différentes. Et je pense qu’on peut ensemble trouver les moyens de mener et de définir une politique cohérente. C’est ça la question pour demander et c’est comment on sera en capacité de tirer les enseignements du passé pour bâtir cette nouvelle politique qui pourrait être mise en œuvre. Cela étant dit, les communistes prendront leur décision, dans tout domaine, en fonction de cette politique qu’il est possible de mener pour demain.

A. Ardisson : Je ne suis pas beaucoup plus avancée, là. Imaginons, le lundi ou le mardi, qu’est-ce qui se passe ?

A. Bocquet : Je suppose que le lundi ou le mardi, on va tirer les enseignements du scrutin, et qu’il y aura forcément des rencontres, des rendez-vous, bien entendu. Laissez nos organisations se réunir. D’abord le PC va se réunir, ses militants vont prendre des décisions, il a même été question, et pas seulement une question, une décision est prise en ce qui concerne la participation, ou non, à un gouvernement éventuel de gauche. Cette décision sera prise après une consultation des militants communistes.

A. Ardisson : Il faudra peut-être faire vite parce que, théoriquement, à partir de lundi, il n’y a plus de gouvernement…

A. Bocquet : Oui, mais vous savez, on sait faire vite, la démocratie peut se mener d’une manière très rapide, il y a la démocratie éclair. On n’est pas encore au stade d’Internet partout, dans toutes les cellules et sections du PC, mais on sait se réunir en une journée, ou en 2 jours, pour que les communistes puissent donner leur point de vue, et ce sera fait.

A. Ardisson : Alors, et la pomme de discorde de l’Europe ? Parce que jusqu’à présent, vous êtes restés dans le flou le plus complet sur cette question. Non pas sur vos positions, mais sur la possibilité d’accommoder les positions des uns et celles des autres.

A. Bocquet : J’ai noté que dans la déclaration commune que nous avons élaborée, on a dit clairement qu’il fallait dépasser Maastricht. Ce n’est pas négligeable. Et qu’ensuite, je pense qu’il est possible de discuter pour voir comment la France peut jouer son rôle dans le cadre d’une Europe nouvelle, et il est noté aussi, dans cette déclaration, qu’il n’est pas question de continuer dans cette Europe ultralibérale, l’Europe des banquiers, l’Europe des marchands, mais d’aller vers une nouvelle Europe, l’Europe sociale, l’Europe démocratique. Maintenant, c’est comment on fait ? C’est un débat. Personne n’ignore qu’il y a des différences d’appréciation, voire certaines divergences, mais ça c’est le propre de la démocratie. Je pense qu’on peut avancer. Il y a eu des avancées, y compris de la part du PS, dans ce domaine. Il reste du chemin à faire, c’est vrai…

A. Ardisson : Est-ce qu’il n’y a pas le risque, justement, d’un déchirement, comme le laisse craindre la majorité sortante en disant : « Vous allez voir ils vont être ensemble et puis, à la première occasion, ils vont se déchirer ».

A. Bocquet : Parce que vous pensez qu’au sein de la majorité actuelle sortante, si j’ose dire, il y a des points d’accord entre, par exemple, ce que pensent Charles Pasqua, Philippe Séguin, Alain Madelin ou d’autres, en ce qui concerne l’Europe ? Je pense que sur la question de l’Europe, il y a des sensibilités particulières qui se sont exprimées…

A. Ardisson : Il faut qu’il n’y ait qu’une seule ligne…

A. Bocquet : Oui, mais la ligne, on la définit ensemble. Une ligne, ça a pour principe d’essayer de trouver ensemble, quand il y a une volonté de changer, quand il y a une volonté de faire une nouvelle politique, de l’élaborer ensemble. Après, bon, est-ce qu’on va y parvenir ? C’est une autre question bien entendu.