Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, à France 2 le 3 avril 1998 et à RTL le 6 mai, sur la recomposition de la droite.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 : vendredi 3 avril 1998

On ne vous avait pas entendu depuis les élections régionales. Ce soir, on nage encore en pleine confusion avec tout à l’heure l’élection d’un vice-président Front national avec les voix de droite. Continuez-vous de dire qu’il ne peut y avoir aucun accord ? C’est le cap à tenir et que vous tiendrez ?

– « Certainement. Toute cette confusion est d’ailleurs le résultat d’un mode de scrutin qui est mauvais, qui est inefficace et dont on voit les résultats. Pour le reste, la position que j’ai prise il y a six mois, disant que si je n’avais pas la majorité relative, je ne serais pas candidat à la présidence de la région Ile-de-France, je l’ai tenue. Je n’ai aucune raison d’en changer. »

En Ile-de-France, il y a eu des tentations au sein de votre propre liste ?

– « Pas que je sache. Mais en tout cas, le cap a été tenu de la façon la plus claire. »

Les déboires de l’opposition, les querelles de familles à l’UDF, les revirements, comment expliquez-vous que la droite soit dans cet état ?

– « Nous avons subi une véritable bourrasque, puisque finalement la droite est dans une large mesure majoritaire dans le pays et que cependant elle est amputée dans la représentation. Pourquoi ? Je pense que c’est essentiellement parce qu’un certain nombre de nos électeurs nous ont trouvés - je ne veux pas dire de mots trop forts, peut-être pas infidèles, mais en tout cas que les propositions que nous faisions n’étaient pas conformes à leurs aspirations et à leurs souhaits, pas plus que la politique que nous menions. Nous avons à faire désormais pas du tout des arrangements entre les états-majors ou entre les appareils de partis, mais un travail de dialogue avec la population et avec les Français proches de nous pour leur expliquer ce que nous voulons et surtout pour bien comprendre ce qu’ils veulent et répondre à leurs aspirations. »

Vous allez leur poser un certain nombre de questions. Vous ne voulez pas vous adresser aux militants de base, mais vraiment aux électeurs. Quelles seront ces questions ?

– « C’est une idée que j’ai. Mais ce n’est pas nécessairement celle qui a été retenue jusqu’à présent. Il faut faire plusieurs choses. Il faut tout d’abord demander à nos électeurs ce qu’ils veulent. Il faut les consulter sur des problèmes très précis et très pratiques. Par exemple, la sécurité et l’emploi. Ce sont les deux grandes préoccupations des Français. Comment peut-on assurer une meilleure sécurité des Français ? Est-ce qu’il faut se montrer plus sévère ? Est-ce qu’il faut que les familles soient parfois jugées responsables de ce qui se fait ou des délits que peuvent commettre, leurs enfants ou leurs adolescents ? Comment peut-on lutter contre le chômage ? Est-ce qu’il faut réduire le coût du travail ou est-ce qu’il faut diminuer la durée du travail ? Voilà des problèmes concrets et précis qui intéressent les Français, beaucoup plus que les affaires d’organisation des partis les uns avec les autres. Moi, Ce que je propose, c’est que d’abord nous demandions aux électeurs qui sont les nôtres et à ceux qui nous ont quittés, qui ne demanderaient peut-être pas mieux que de revenir pour que nous représentions à nouveau, je dirais 40 % du corps électoral, que nous leur posions un certain nombre de questions sur ce qu’ils veulent et je crois que ce serait très, important parce que véritablement ça donnerait au débat politique et démocratique une nouvelle légitimité. »

Si, par exemple, ils répondent favorablement à un accord avec le Front national que direz-vous ?

– « Ca ne fait pas partie des questions que je souhaitais poser. De toute façon, à mon avis, c’est un problème sur lequel on ne peut pas transiger. »

Mais vous ne pouvez pas échapper à ce genre de questions puisque vous dites qu’un certain nombre d’électeurs voudraient revenir au sein de la droite ?

– « Mais je parle des questions de fond. Est-ce que, oui ou non, les Français qui veulent voter à droite, qui ont voté à droite et qui nous ont quittés, ont envie à nouveau de voter pour nous – parce que nous mènerons une politique de droite et que nous aurons des idées conformes aux idéaux de la droite républicaine et libérale –, voilà la question. Il ne s’agit pas d’arrangements d’états-majors. Il ne s’agit pas du tout de ça. Et, finalement, si nous avons le courage – ou l’imagination – d’organiser cette grande consultation de tous les électeurs de droite – c’est une chose qui est possible, qui peut se faire – eh bien, je suis persuadé qu’il y aura un souffle nouveau qui pourra passer sur la politique de notre pays. Je voudrais dire ce soir qu’il ne faut pas se décourager. Nous traversons, nous la droite républicaine et libérale, une période difficile, c’est vrai ; d’autres l’ont traversée avant nous. Souvenez-vous de ce qu’étaient le Parti socialiste et la gauche il y a trois ou quatre ans ! Eh bien, ils se sont ressaisis et aujourd’hui voyez où ils en sont. Eh bien ce qu’il leur a été possible doit être possible également à nous. Ce soir, je souhaiterais donner un message d’optimisme, de courage et de volonté à tous les Français un petit peu désappointés, déçus, qui sont proches de nous et qui ne comprennent pas très bien ce qui s’est passé. »

Nous non plus on ne comprend pas toujours très bien.

– « Allons-y, qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? »

Par exemple le RPR, à travers P. Séguin, joue plutôt la recomposition : pas question de fusion ; F. Bayrou, aujourd’hui, reparle d’un grand parti au centre. Vous prenez des chemins séparés, à quel moment allez-vous vous retrouver ?

– « Les choses sont extrêmement simples. Il y a à droite toute une série de familles politiques, de tendances qui ont, comme on dit aujourd’hui, des sensibilités différentes. Est-ce qu’il faut les fusionner ? Je crois que ça ne marchera pas. Est-ce qu’il faut mieux les organiser ? Je crois que oui et que c’est nécessaire et que l’une des questions qui pourra être posée aux Français qui sont proches de nous, c’est de leur demander qu’elle forme d’organisation préféreraient-ils, comme une confédération. Il faut un organisme qui soit capable de gérer les conflits et de les régler. Ma conviction, c’est que les Français ne sont pas du tout passionnés par ces affaires d’organisation politique et d’états-majors et d’appareils. »

Mais à qui la faute ?

– « À tout le monde, peut-être à nous d’ailleurs. Mais ce qui les intéresse, c’est de savoir si nous allons être capables de leur proposer un message qui soit le message rénové de la droite républicaine et libérale, et de les y associer. Voilà ce que je souhaiterais en ce qui me concerne. »


RTL : MERCREDI 6 MAI 1998

Que s’est-il dit au déjeuner de l’Élysée ?

- « On a parlé essentiellement de problèmes internationaux et d’Europe. »

M. Kohl est justement avec J. Chirac à Avignon. Estimez-vous que le couple est en état de fâcherie ?

– « Non, je ne crois pas. Il y a eu un désaccord, c’est évident. Tout le monde le sait. Pour autant, il était normal qu’il soit bien clair que c’est à l’autorité politique qu’il revient au sein de l’Europe de prendre les décisions importantes. C’est cela qui comptait, et c’est ce qui a été décidé. »

L’opposition est en mauvais état, c’est un euphémisme ; le Président Chirac a appelé à l’union ; comment réaliser cette union ?

– « Il est évident que l’opposition n’est pas en bonne forme en ce moment, c’est une litote que de le dire. Pourquoi ? Pour deux motifs : d’abord, parce que les Français ont le sentiment qu’elle n’est pas suffisamment cohérente, homogène et unie. Et, deuxièmement, parce qu’ils ont le sentiment qu’elle ne propose pas une alternative à la politique socialiste qui est menée aujourd’hui. Eh bien, il faut essayer de résoudre ces deux problèmes. Comment peut-on le faire ? Je crois que nous avons besoin les uns et les autres d’un fait nouveau pour montrer que nous avons compris le message que nous ont envoyé nos concitoyens l’an dernier en nous retirant la majorité à l’Assemblée nationale, et donc le Gouvernement. »

Vos électeurs vous ont déjà demandé de vous unir. Or on voit que se multiplient les nouveaux partis au sein de l’opposition.

– « Oui, mais enfin viendra le temps de la recomposition. Je souhaite qu’il vienne le plus vite possible et que l’opposition soit capable de s’organiser sous des formes qu’il faut déterminer, mais bref, d’être plus cohérente qu’elle ne l’est aujourd’hui. À partir de là, ce qui est important, me semble-t-il, c’est que les Français sachent s’il y a ou pas une alternative à la politique du gouvernement socialiste. Pour cela, il faut faire deux choses : il faut tout d’abord élaborer un programme différent de la politique actuelle ; le RPR a fait pour sa part un projet sur l’avenir qu’il faut sans doute maintenant préciser. »

Il n’est pas encore commun avec l’UDF, ce programme.

– « Non. Il faudra en venir là, bien entendu. En second lieu, une fois ce programme élaboré, il faudra quelque chose de nouveau ; c’est cela le fait nouveau que j’appelle de mes vœux. C’est que le plus grand nombre de Français et d’électeurs possible soient associés à son adoption – autrement dit, il faudrait que l’élaboration de ce programme de gouvernement d’avenir ne soit pas le fait uniquement des états-majors, des cénacles, des partis, mais, qu’y soient associés l’ensemble des élus – vous savez, en France, il y a entre les conseillers généraux, municipaux, les maires, etc., il y a 500 000 hommes et femmes, dont une bonne moitié appartient à l’opposition républicaine et libérale –, et qu’au-delà, on essaie de consulter les Français, qui sont les Français de droite pour savoir si ce programme correspond à leur aspiration. Autrement dit, il faut deux choses : d’abord, que nos électeurs aient le sentiment, que nous avons compris, et que, nous sommes en mesure de proposer un projet correspondant à leurs aspirations ; il faut que la droite s’affirme sans complexes. En deuxième lieu, il faut qu’ils aient le sentiment que c’est leur affaire. C’est là qu’il y aura un fait nouveau très important. »

Pour l’heure, on en est loin. Comment allez-vous vous y prendre ? C’est un vaste référendum auprès de vos électeurs ?

– « Appelez ça référendum si vous voulez. Pour le moment, il faut commencer par élaborer ce programme et que chacun y apporte sa contribution. Je compte apporter la mienne, mais elle n’engagera que moi. Je la soumettrai ensuite, bien entendu, au mouvement politique auquel j’appartiens et auquel il appartiendra donc de le retenir ou pas ou de le modifier. En second lieu, il faut que, dans chaque département ou région – c’est une affaire à déterminer – on soit en mesure d’organiser la consultation de tous les élus et du plus grand nombre des électeurs possibles afin qu’ils ratifient ce projet, éventuellement qu’ils le modifient. Souvenez-vous de ce qu’on a fait lors de la grande consultation des jeunes : il y a 1,6 million de jeunes qui à l’époque avaient répondu à cette consultation. À l’époque, c’était le Gouvernement qui l’avait organisée, c’était plus facile ; mais si l’opposition le veut, si les partis de l’opposition le veulent, ils peuvent associer l’ensemble des Français à la définition de l’avenir qu’ils souhaitent. »

On risque de vous accuser de manie du questionnaire, parce qu’il y aussi l’UDF qui questionne en ce moment ses militants !

 – « Je vais vous dire : plus on questionnera les Français, plus on les associera à la chose politique, plus on prendra le souci de savoir ce qu’ils veulent et ce qu’ils pensent, et mieux on fera. Le temps des relations hiérarchiques venues du sommet vers la base est terminé. Il faut maintenant une autre façon de faire de la politique. »

La ville de Paris : J. Toubon et J. Tibéri ont été sommés à plusieurs reprises ces quarante-huit heures, de s’entendre, par P. Séguin. Mais on parle toujours du troisième homme, et c’est souvent votre nom qui est annoncé ?

– « J’ai déjà eu l’occasion de répondre là-dessus. La situation à Paris est mauvaise, et si les choses devaient continuer comme cela, il est certain que nous perdrions les prochaines élections municipales à Paris. Après avoir perdu la majorité à l’Assemblée nationale et après avoir perdu un certain nombre de régions, nous perdrions Paris. Donc, il faut en sortir. Et pour en sortir, il faut mettre fin à cette sorte de zizanie et de querelles permanentes. C’est tout ce que j’ai à dire en ce qui me concerne. Et je ne veux surtout pas, si peu que ce soit, ajouter à la confusion actuelle. »

Un dernier mot. Comment trouvez-vous la politique de L. Jospin ?

– « C’est une politique socialiste et moi, je souhaite une politique de libertés et une politique de droite, pour parler clair. »