Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à RTL le 19 juillet 1996, sur l'accident du Boeing de la TWA, la poursuite de MM. Karadzic et Mladic devant le Tribunal international et son prochain voyage au Proche-Orient.

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Média : RTL

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Q : A l'heure actuelle, vous venez de l'entendre, on ne connaît pas les causes exactes de la tragédie du Boeing. Mais ne craignez-vous pas que l'attentat soit la piste la plus plausible ?

H. de Charrette : Ecoutez, franchement, dans la position qui est la mienne, je crois que le plus sage est de ne pas faire d'hypothèse. Je sais que les Américains font tous les travaux, toutes les études, toutes les analyses possibles pour déterminer la cause de cet accident. Je me garderai bien de faire quelque hypothèse que ce soit, au point où nous en sommes. Mais c'est vrai que c'est une affaire tragique dans laquelle, hélas ! 43 Français ont perdu la vie. Nous avons travaillé en liaison très étroite avec les autorités américaines.

Q : Croyez-vous que Bill Clinton – parce que vous le connaissez bien – pourrait cacher une information pour ne pas contrarier le bon déroulement des Jeux Olympiques ?

H. de Charrette : Non. Franchement, je ne le crois pas.

Q : Monsieur le Ministre, cette journée a été marquée par un évènement en Bosnie : le leader serbe Radovan Karadzic a enfin accepté de se retirer de la vie politique…

H. de Charrette : Oui. C'est un évènement très positif.

Q : Etes-vous satisfait ou ce n'est pas suffisant pour vous ?

H. de Charrette : Non, c'est un évènement très positif. La communauté internationale l'avait réclamé, moi-même, j'avais parlé de ce sujet, il y a quelques jours, avec Warren Christopher, le secrétaire d'Etat américain. Je viens de l'avoir au téléphone, il y a quelques minutes, pour le féliciter du travail fait par la diplomatie américaine, en liaison naturellement avec nous. Je crois que c'est un résultat important qui ouvre la porte au processus électoral conduisant aux élections du 14 septembre. Il n'était pas réellement possible – et, franchement, la communauté internationale ne pouvait accepter – que Karadzic, dont on connaît tous les crimes qui lui sont imputés, soit encore là à en tirer les ficelles.

Q : Mais êtes-vous d'accord avec l'émissaire américain pour dire qu'il faut, encore aujourd'hui, traduire Karadzic et Mladic dont on ne parle pas, d'ailleurs dans ce processus de retrait, devant le Tribunal international ?

H. de Charrette : Oui, bien entendu. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus, je l'ai déjà dit à de très nombreuses reprises.

Q : Cela veut dire que vous êtes d'accord pour que les soldats français participent à l'arrestation, quels qu'en soient les risques ?

H. de Charrette : Si vous me le permettez, à chaque jour suffit sa peine. Pour l'instant, ce que nous avons devant nous, c'est l'objectif essentiel pour le processus de paix en Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire le déroulement de la campagne électorale et les élections du 14 septembre. C'est cela l'objectif du moment. Je crois que l'élimination politique de Karadzic ouvre cette voie, mais je persiste à dire que la place de MM. Karadzic et Mladic est devant le Tribunal pénal international.

Q : Et pour vous, s'agit-il d'un vrai retrait, parce que c'est son grand ami politique qui va lui succéder ?

H. de Charrette : Oui, enfin, vous ne pouvez pas jouer des jeux confus auxquels on ne voit pas grand-chose. Nous avons remarqué depuis le début qu'il fallait que les accords de Paris soient intégralement appliqués et qu'ils prévoyaient expressément que ne pourraient être candidats aux élections ceux qui font l'objet de mise en accusation devant le Tribunal pénal international. C'est le cas de Karadzic, c'est le cas d'autres d'ailleurs. Nous avons obtenu gain de cause : ils ne seront ni sur le devant de la scène, ni derrière.

Q : C'est un succès américain ou c'est un succès international ?

H. de Charrette : C'est un succès international mais il ne faut pas non plus, comment dire, essayer de tempérer sa satisfaction. M. Holbrook a joué un rôle important et je m'en félicite.

Q : Vous entamez, lundi, une tournée au Proche-Orient en commençant par la Syrie. Etes-vous inquiet, franchement, pour le processus de paix au Proche-Orient actuellement ?

H. de Charrette : Je crois que tout le monde était inquiet et continue de l'être parce que nous voyons que le processus de paix, qui était engagé depuis plusieurs années, se trouve aujourd'hui dans une période d'attente. Je vais donc en Syrie, au Liban, en Israël, en Jordanie, en Palestine bien sûr, et au Caire. Je verrai tous les interlocuteurs engagés dans ce processus et je vais vous dire franchement, je vais y aller sans préjugé mais avec des convictions. Les convictions sont celles que nous avons toujours exprimées, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'autres voies que la poursuite du processus de paix, le respect des engagements souscrits par les uns et par les autres, et la reprise des négociations. Il n'y a pas non plus de solutions qui ne passe pas par le respect des principes qui ont été fixés par la communauté internationale, c'est-à-dire le principe de l'autodétermination des Palestiniens et celui de l'échange de la terre contre la paix mais…

Q : Et quels moyens avez-vous d'être entendu ?

H. de Charrette : Ecoutez-moi, je n'ai pas de préjugé, c'est-à-dire que vais écouter les uns et les autres avec beaucoup d'attention, avec le souci de rechercher comment la France peut aider concrètement à renouer les fils de la paix et à permettre la reprise du dialogue.

Q : Croyez-vous que la France peut avoir une véritable influence dans ce dossier ?

H. de Charrette : Je n'ai aucun doute : oui bien sûr. La France a déjà démontré qu'elle avait de l'influence. Comme vous le savez, la France co-préside avec les Etats-Unis le groupe de surveillance qui fait suite à la crise israélo-libanaise. Nous sommes sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis. Nous avons montré ainsi que nous avions de l'influence et nous continuerons à en avoir, mais nous continuerons à en avoir à côté et avec les Américains, avec le souci d'être utiles et de rendre service dans une région du monde où nous avons à la fois beaucoup d'intérêts et beaucoup d'amis.

Q : A votre avis, le Premier ministre israélien n'est-il pas trop intransigeant en ce moment ?

H. de Charrette : Je pourrai répondre à cette question quand vous m'interrogez à mon retour.