Interviews de M. Philippe Séguin, président du RPR, à TF1 le 8 mars 1998, dans "Le Parisien" du 10 mars, à France 2 le 11 et France-Inter le 13, sur l'enjeu des élections régionales, l'avantage donné à la gauche et le refus d'une éventuelle alliance avec le FN.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Journal de 8h - France 2 - France Inter - Le Parisien - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

TF1 – dimanche 8 mars

TF1 : Qu’est-ce que doit faire Roland Dumas s’il y a mise en examen ? Il doit partir ?

Philippe Séguin : Personne ne peut se mettre à sa place. S’il est mis en examen, et s’il est innocent, cela ne suffit pas à justifier son départ. Maintenant, s’il est coupable, même s’il n’est pas mis en examen, cela suffirait à le justifier.

TF1 : Une mise en examen ne suffit pas ?

Philippe Séguin : Je ne sais rien de l’affaire. C’est au juge à se déterminer, et à Roland Dumas de savoir ce qu’il risque ou ce qu’il ne risque pas, et à en tirer des conséquences.

TF1 : On est assez dur dans son propre camp : Dominique Strauss-Kahn…

Philippe Séguin : Oui, mais ça, vous savez, chez les socialistes cela ne m’étonne pas beaucoup. On est très oublieux du passé. C’est comme si Monsieur Mitterrand n’avait jamais été président de la République. D’ailleurs, Monsieur Jospin vous parle de droit d’inventaire, comme s’il était un poulet de l’année, et comme si Monsieur Mitterrand n’avait été pour rien dans sa carrière. Ils sont très oublieux, très rapidement.

TF1 : Les régionales : vous êtes très actif, l’un des leaders de la droite les plus actifs. On a l’impression que cela n’accroche pas. Les sondages maintiennent un écart entre la gauche plurielle et l’UDF-RPR.

Philippe Séguin : Un sondage à dix jours des élections c’est comme un score dans un match de rugby vingt minutes avant la fin. Or, là je vous rappelle que, samedi, sept minutes avant la fin, la France était menée et elle a gagné finalement. Les sondages nous donnent les scores intermédiaires. Attendons le résultat final. Maintenant, pourquoi vais-je sur le terrain ? Parce que, précisément, c’est lorsque qu’une élection ne paraît pas soulever un intérêt spontané…

TF1 : Les Français ne s’intéressent pas particulièrement à ces régions ?

Philippe Séguin : Parce qu’ils connaissent peu la région. La région est une collectivité toute jeune, elle n’est même pas entrée dans l’adolescence : elle a douze ans. Et puis, on ne leur a pas souvent expliqué de quoi il s’agissait, qu’elle était son importance dans leur vie quotidienne. Donc, on a d’une part une élection qui ne suscite pas un intérêt spontané ; d’autre part, pour nous, neuf mois après notre défaite des élections législatives, cela s’annonce comme une élection difficile. Donc, je pense que mon devoir, en tant que responsable politique, c’est d’autant plus d’aller sur le terrain pour expliquer aux gens ce qu’est la région, pour expliquer l’enjeu, et pour les inviter à s’y expliquer. Je n’oublie pas que les partis politiques, au terme de la Constitution, sont là pour concourir à l’expression du suffrage. Donc, je fais mon métier, je ne fais pas seulement ça pour racoler des voix, mais aussi pour faire vivre la démocratie.

TF1 : N’est-ce pas d’autant plus difficile que la conjoncture économique n’est pas aussi mauvaise que cela.

Philippe Séguin : En tout état de cause, il est clair que, s’il y a eu une embellie, ça n’est pas directement lié à la politique du Gouvernement.

TF1 : Oui, mais les électeurs vont faire le lien.

Philippe Séguin : A fortiori, c’est à moi de leur expliquer que cela n’est pas le cas ! Si c’était les 35 heures qui étaient à l’origine de l’embellie, ça se saurait. Or, les 35 heures ne sont pas encore votées. Si c’étaient les emplois Aubry, ça se saurait également. Ils commencent à peine à se mettre en place. En vérité, il y a trois choses qui ont joué : la hausse du dollar, la baisse des taux d’intérêt, et – pourquoi ne pas le dire ? – les effets différés de la politique de réduction des dépenses publiques des gouvernements Balladur et Juppé.

TF1 : Mais alors, comment ne pas avoir pu prévoir cette embellie ? C’est tout de même le constat des difficultés à venir qui a poussé le chef de l’État à dissoudre !

Philippe Séguin : Si cette question se posait, ce ne serait pas à moi qu’il faudrait la poser. Cela étant dit, je crois que c’est le passé. La dissolution a eu lieu, nous avons perdu les élections. Ce n’est pas le problème du 15 mars. Le 15 mars, nous sommes face à une situation, un calendrier qui, pour nous, n’est pas idéal, c’est incontestable – c’est une raison supplémentaire de la désaffection des Français –. Deux élections auront eu lieu dans un intervalle de temps très court. Beaucoup de gens que je rencontre me disent : « Monsieur Séguin, on vient de voter deux fois. Est-ce que vous croyez que c’est vraiment nécessaire d’y retourner ? » Bon, on est dans cette situation et il faut faire avec. Cela dit, pour nous, opposition, c’est quand même un moment important. Nous avons reçu de la part des électeurs un message abrupt mais clair : on nous a surtout reproché d’avoir oublié nos convictions, nos valeurs, d’avoir des comportements parfois critiquables, etc. Nous devons démontrer aux Français que nous avons reçu leur message cinq sur cinq, et leur démontrer que nous commençons à en tirer les conséquences. Mais, pour nous, c’est le début d’un chemin, et le chemin, nous n’en sommes pas encore au bout.

TF1 : L’alliance avec le Front national : les principaux leaders ont été très clairs sur ce sujet, mais il y a eu une ou deux voix discordantes. Est-ce que vous allez prendre des sanctions ?

Philippe Séguin : Dans un mouvement comme le nôtre, il peut toujours arriver qu’il y ait une ou deux voix discordantes. Je ne prendrai jamais de sanction contre quelqu’un qui aura émis une idée…

TF1 : François Bayrou dit : les sanctions sont nécessaires.

Philippe Séguin : Monsieur Bayrou, il fait comme il veut, c’est son affaire. Chez nous, lorsque quelqu’un dit : il faudrait plutôt faire alliance avec le Front national, c’est son droit de dire.

TF1 : C’est quelqu’un d’important du RPR : Jean-François Mancel.

Philippe Séguin : Nous ne sanctionnons pas le délit d’opinion. Ça, il faut que ça soit bien clair ! La direction a fait un choix : je considère qu’une alliance avec le Front national conduirait à une impasse à la fois morale, politique et électorale d’ailleurs – je dis ça pour les plus cyniques – ; mais si certains pensent différemment, ils ont le droit de le dire. En revanche, ils n’ont pas le droit de le mettre en pratique. C’est la stratégie retenue par leur mouvement qui doit être appliquée, et s’ils s’en écartaient, alors là ils seraient sanctionnés ! Moi, j’ai montré – à la différence d’autres que je ne réciterai pas, parce qu’ils ont déjà été cités – que je savais prendre des décisions. Et un président de conseil général, un député ont été exclus, il y a quelques semaines, parce qu’ils ne s’étaient pas conformés au code de déontologie que nous avions voté.

TF1 : Jacques Chirac devait s’engager davantage dans cette campagne ?

Philippe Séguin : C’est une campagne dont l’enjeu est local. De toute façon, le Premier ministre sera toujours Premier ministre le 16 mars, quel que soit le résultat. En revanche, les majorités et les présidences de région, de conseils généraux, peuvent changer de titulaires. Alors, ce qu’il faut d’abord c’est parler des enjeux locaux ; étant précisé qu’il y a aussi des enjeux communs à l’ensemble des régions. En particulier, celui-ci : est-ce qu’on va continuer à pratiquer la décentralisation comme on la pratiquait jusqu’à présent ? C’est-à-dire que c’est l’État qui aide les régions – qui se déterminent, elles, librement. Ou est-ce que c’est maintenant les régions qui doivent aider l’État ? Or, lorsque j’entends dire qu’il va falloir que les régions financent les 35 heures, les emplois Aubry, j’ai de quoi m’inquiéter.


Le Parisien, 10 mars 1998

Le Parisien : L’embellie que connaît l’économie française n’est-elle pas le premier adversaire du RPR et de l’UDF ?

Philippe Séguin : Elle constitue surtout la preuve que les gouvernements précédents ont bien géré la France. On ne peut que s’en réjouir. Mais il faudrait un sacré toupet pour l’attribuer à l’action du Gouvernement. Les 35 heures ? Elles ne sont pas encore votées. Les emplois Aubry ? Ils commencent à peine à se mettre en place… En fait, tout vient de la hausse du dollar, de la baisse des taux d’intérêt et de la remise en ordre des finances publiques par Édouard Balladur et Alain Juppé…

Le Parisien : Pourquoi l’excellente cote de popularité de Jacques Chirac ne profite-t-elle pas à la droite ?

Philippe Séguin : Tout simplement parce que Jacques Chirac est le président de la République, et que son action dépasse, en période de cohabitation, les clivages partisans traditionnels. La grande majorité de nos compatriotes, qu’ils soient de droite ou de gauche, lui savent gré de la manière dont il exerce le rôle d’arbitrage qui lui revient actuellement. Il est le garant de l’unité nationale et l’inspirateur de la politique extérieure, comme l’ont particulièrement bien illustré les événements de Corse et la crise irakienne. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas de lien de cause à effet entre la popularité de Jacques Chirac et la situation de l’opposition, à qui les Français demandent encore de faire la preuve qu’elle a bien reçu cinq sur cinq leur message de mai et juin 1997. Ce à quoi nous nous employons sans relâche… Mais cela ne se fera pas en un jour.

Le Parisien : Était-il pertinent, de la part du RPR et de l’UDF, d’annoncer que ces régionales seraient un « test national », voire un « vote sanction » ?

Philippe Séguin : Ai-je jamais dit que ces régionales seraient un vote sanction ? Elles interviennent, à l’évidence, beaucoup trop tôt pour qu’il puisse en être ainsi. Je n’ai jamais caché que j’aurais préféré un autre calendrier. Mais enfin, ces élections sont là, devant nous, et notre responsabilité est de voir les choses telles qu’elles sont : les régionales sont la première consultation depuis juin 1997, et elles auront forcément des répercussions nationales.
Il s’agit de savoir si nos compatriotes veulent donner à un même camp la totalité des leviers du pouvoir, ou s’ils veulent maintenir un certain équilibre des pouvoirs, nécessaire à notre démocratie. Veut-on que nos collectivités locales ne soient que des courroies de transmission des décisions de l’État, ou qu’elles assument, au contraire, librement leur avenir ? Voilà l’enjeu !

Le Parisien : Comprenez-vous Charles Pasqua d’avoir dit que la perte éventuelle de la région Île-de-France serait un véritable « séisme » ?

Philippe Séguin : Je me bats pour que nous fassions le meilleur résultat possible, car il faut éviter partout la victoire de la gauche. A fortiori en Île-de-France, région la plus peuplée de notre pays dont le poids économique et culturel est considérable. J’ai toute confiance en la capacité d’Édouard Balladur à gagner ce combat. Il mène une campagne exemplaire, de conviction et de courage, à la hauteur des enjeux qui sont posés à l’Île-de-France.

Le Parisien : La gauche mène campagne sur le thème des « affaires », et Dominique Strauss-Kahn n’est pas le moins cruel…

Philippe Séguin : La gauche ferait mieux d’être plus prudente, et Monsieur Strauss-Kahn d’être moins enclin à l’arrogance. La gauche n’a pas de leçon à donner en matière de morale. Monsieur Strauss-Kahn non plus, si j’en juge à la manière dont il pratique la limitation du cumul des mandats. En fait, le projet de la gauche pour l’Île-de-France se résume à jeter l’anathème sur ses adversaires, à les couvrir d’opprobre. Et à préparer, en sous-marin, un sérieux tour de vis fiscal, afin de faire couvrir les fins de mois de l’État par le budget des régions auxquelles on demandera de financer les mesures dispendieuses de la politique gouvernementale : les 35 heures et les autres… Que les Franciliens ne s’y laissent pas prendre ! Ils veulent moins d’impôts et plus de sécurité : avec la majorité plurielle, ils auraient très précisément l’inverse.

Le Parisien : La gauche vous soupçonne de préparer, pour le lendemain du 15 mars, des alliances avec le FN afin de « sauver » des présidences…

Philippe Séguin : C’est une honte ! Notre comportement démontre exactement le contraire. Depuis que le FN existe, nous n’avons cessé de repousser la perspective d’une alliance avec lui. Édouard Balladur et moi-même avons été parfaitement clairs. Je ne vais pas me justifier tous les jours. Même Madame Voynet pense que ce petit jeu a assez duré ! Que les socialistes balayent devant leur porte. Ils n’ont jamais craint, eux, d’accepter les voix du FN, leur allié objectif, leur camarade de jeu. Aux dernières législatives, soixante-dix des députés de gauche ont été élus grâce au maintien des candidats de l’extrême droite. Ils renvoient volontiers l’ascenseur : dès que le Front risque de baisser, une ou deux manifs pour le transformer en martyr, et le tour est joué ! François Mitterrand avait trouvé le filon. Sous Jospin, on l’exploite à fond.

Le Parisien : L’UDF existe-t-elle encore ?

Philippe Séguin : C’est une question, ou une provocation ?

Le Parisien : Quel jugement portez-vous sur Lionel Jospin, à nouveau touché par l’état de grâce ?

Philippe Séguin : Qu’il en profite, ça ne durera pas ! S’il peut, quelques temps encore, se faire passer pour l’artisan de tout ce qui marche, de la croissance comme de la météo, il sera contraint demain de goûter des fruits amers : les résultats de sa propre politique. Mais, ce jour-là, je vous le dis, nous serons prêts !


France 2 – mercredi 11 mars 1998

France 2 : Je sais que vous en avez plus qu’assez que l’on vous pose la question, mais tout de même, là, c’est dans votre camp : Jean-François Mancel dit, il faut voir avec les voix du Front national, on ne peut pas les refuser comme ça. Alain Madelin déclare dans un interview, si nous nous accordions avec le Front national, on ne perdrait pas une seule région, bien qu’il s’en défende.

Philippe Séguin : Oui, mais ça, objectivement, que les calculs de Monsieur Madelin soient vrais, c’est incontestable. Par ailleurs, s’il n’est question que d’accepter les voix des électeurs du Front national, je dis bravo ! Parce que moi, je ne vois pas d’autre manière de faire baisser le Front national que de convaincre ses électeurs de voter pour nous. Je ne vois vraiment pas d’autre façon. À moins de les interdire de vote, et encore je ne sais comment on pourrait faire.

France 2 : Mais s’il y a accord, par exemple.

Philippe Séguin : Mais, il n’y aura pas d’accord. Les accords, ce sont les mouvements politiques qui les passent. Et puis moi, en tant que responsable d’un mouvement politique, je vous dis qu’il n’y aura pas d’accord avec le Front national. Parce qu’un accord avec le Front national est une triple impasse : une impasse politique, une impasse morale, et même une impasse électorale. Parce que même si on passait un accord avec le Front national, que se passerait-il finalement ? Il se passerait ceci, c’est qu’une partie des électeurs du Front national l’abandonneraient pour une raison simple : c’est qu’ils viennent de la gauche, en partie. Et d’autre part, une partie de nos propres électeurs nous abandonneraient. Alors où serait le profit ? Alors même si on prend les choses de la manière la plus cynique qui soit, cela n’a strictement aucun intérêt. Mais en revanche, cela a un intérêt pour certains. Parce que, depuis que Monsieur Mitterrand a inventé le filon, le filon, il est exploité.

France 2 : Monsieur Jospin fait prospérer…

Philippe Séguin : Évidemment. S’il y a au moins un élément de l’héritage de Monsieur Mitterrand auquel Monsieur Jospin est tout à fait fidèle, c’est celui-là. À chaque veille d’élection, on fait monter le Front national : soit en annonçant, comme il l’avait fait au moment des législatives, qu’il est pour la proportionnelle – ce que souhaite le Front national –, soit en organisant des petites manifs, autour des réunions du Front national, pour le faire passer pour un martyr, et parallèlement on essaye de culpabiliser l’opposition. C’est tout bénéfice. Mais ce n’est pas de la démocratie. C’est très dangereux même pour la démocratie.

France 2 : Passons à votre campagne. Vous vous donnez beaucoup de mal, vous parcourez la France, mais disons que la période n’est pas très facile pour vous : on est en pleine embellie économique ; Monsieur Jospin est au plus haut dans les sondages ; le président de la République lui aussi…

Philippe Séguin : Que le président de la République soit au plus haut dans les sondages, cela n’est pas vraiment ce que je considère comme négatif, ni même l’embellie économique, dont je souhaite qu’elle se prolonge, d’autant que pour l’essentiel, elle est due aux effets de la politique qui avait été conduite par Messieurs Balladur et Juppé. Parce que vous n’allez pas dire que ce sont les 35 heures – qui ne sont pas encore votées – qui sont à l’origine de l’embellie, ni les emplois Aubry, que l’on commence à mettre en œuvre.

France 2 : Sur quoi pouvez-vous vous accrocher…

Philippe Séguin : Tout simplement sur l’enjeu, sur les régions. Et nous essayons, malgré les socialistes, de mettre le débat là où il doit se passer. À savoir : il y a des régions, on essaye d’expliquer ce que font les régions – collectivités jeunes, peu connues des Français, ce qui explique leur manque d’intérêt spontané pour cette élection –, mais pour autant, des collectivités qui comptent s’agissant de la lutte en faveur de l’emploi, parce qu’elles s’occupent de formation professionnelle, des lycées, d’aménagement du territoire, d’infrastructures, et l’on essaie d’expliquer que la gestion socialiste et la nôtre, ce n’est pas la même chose, et qu’il vaut mieux la nôtre.

France 2 : Un autre argument que vous employez, c’est de dire : il faut un contre-pouvoir. Cela dit, avant cette élection, avant l’élection de juin dernier des législatives, vous aviez tous les pouvoirs : président de la République, Sénat, régions, Parlement. Alors ce qui était cohérent avant, cela devient un pouvoir absolu aujourd’hui ?

Philippe Séguin : Vous savez probablement ce qu’ont décidé les Français. Alors j’invite les Français à être cohérents avec eux-mêmes, tout simplement, d’autant que pendant quatre ans, nous ne retournerons pas aux urnes, en tout cas pas pour une élection nationale. Donc il y a à bien prendre garde à ce qu’ils ont décidé. Tout donner aux socialistes et à leurs alliés, c’est probablement dangereux, et ils n’auront aucune possibilité de correction pendant les quatre ans qui viennent.

France 2 : Il y a deux scénarios : vous ne vous en sortez pas trop mal, c’est-à-dire que vous perdez un certain nombre de régions ; ou vous vous en sortez très mal, et vous perdez beaucoup de régions. Quelle conclusion tirez-vous dans ce cas ?

Philippe Séguin : Je vais probablement vous surprendre. Je vous dirai que de toute façon, ces élections et cette campagne auront été pour nous positives. Pourquoi ? Parce que nous avons reçu un message de la part de Français en mai-juin 1997, un message abrupt, mais un message extrêmement clair. Ils nous ont dit qu’il fallait que nous modifiions nos comportements. Ils nous ont dit qu’il fallait que nous renouions avec nos valeurs. Parce que finalement, ils n’arrivaient plus à faire la différence entre la majorité et l’opposition ; à leurs yeux, c’était la même politique. Donc, ils nous ont dit d’être fidèles à nous-mêmes. Eh bien pour nous, ces élections ont été une première occasion de répondre aux Français, de leur démontrer que nous avions entendu leur message, et c’est la première étape d’un chemin, d’un chemin qui sera vraisemblablement long. Il était d’autant plus opportun de franchir positivement cette première étape.


France Inter – vendredi 13 mars 1998

France Inter : Quel enseignement faudra-t-il tirer de ces élections régionales, dont les politiques, jusqu’au président de la République, dit-on, sont un test national et le désintérêt affiché par les citoyens ? Morne campagne où ne sont pas apparus clairement les enjeux de ces élections pour la gestion de ces régions mais où, à droite comme à gauche, on se préoccupe plus de la consolidation voire de la reconstruction des groupes politiques. Majorité plurielle à gauche, bilan de la désunion à droite, ces régionales sont-elles la suite et fin des législatives de juin ? Victoire annoncée de la gauche ? Avant de poser lundi la question d’une prochaine droite plurielle ?
En studio, le président du RPR, Philippe Séguin. Vous avez le gabarit d’Hercule. Avez-vous le sentiment d’avoir, depuis juin dernier, d’avoir mené des travaux d’Hercule ?

Philippe Séguin : Il est certain que le travail de reconstitution de l’opposition est un travail difficile. Pour autant, dans l’immédiat, ce qui me préoccupe, ce n’est pas l’après-régionales. Ce sont les régionales. Il y a encore deux jours de campagne. J’ai l’intention de conduire cette campagne jusqu’au bout. J’admire beaucoup ceux qui, depuis des semaines, pour ne pas dire des mois, sont déjà dans l’après-régionales. S’ils avaient été dans les régionales, peut-être notre situation serait-elle encore meilleure.

France Inter : Justement, à cet effet, et c’est pour cela que j’ai utilisé facilement l’image d’Hercule, c’est peut-être bien que ces régionales sont vraiment la suite des législatives. Si vous lisez la presse ce matin, vous verrez écrit presque partout que cela va être difficile pour la droite, parce que précisément on est encore dans l’histoire de la dissolution !

Philippe Séguin : Cela, c’est probable. Je n’ai jamais eu l’impression que l’on partait pour une partie de plaisir. Pour autant, il faut aussi resituer l’enjeu. L’enjeu est d’abord un enjeu local. Le problème est de savoir comment nos régions, nos départements seront administrés dans les six ans pour les régions, dans les trois ans qui viennent pour nos départements. Alors que cela ait une portée nationale, c’est difficilement contestable. Mais, n’exagérons pas non plus cet enjeu. Quel que soit le résultat dimanche soir, Monsieur Jospin, sauf accident que je ne lui souhaite pas, sera toujours Premier ministre lundi. Donc l’enjeu, il est de savoir qui sera président des régions, qui détiendra la majorité, généralement d’ailleurs la majorité relative. L’enjeu national, il est second.

France Inter : Sauf que justement, c’est peut-être à force d’avoir été une campagne de politique politicienne, que les Français…

Philippe Séguin : Non. Pas du tout. Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir conduit…

France Inter : Mais vous êtes l’un des premiers ce matin à nous dire : eh bien, il y a un enjeu régional ! Pourtant, ils ont été nombreux à ce micro !

Philippe Séguin : Je le dis depuis des semaines. Cela étant dit, je comprends qu’il n’y ait pas eu un intérêt spontané des Français pour cette élection. Il y a toute une série de raisons qui peuvent l’expliquer. D’abord, cette élection, du fait d’un calendrier perturbé par la dissolution, intervient neuf mois à peine après les élections législatives, et les Français que vous rencontrez vous disent : mais vous pensez vraiment qu’il était nécessaire de revoter si vite. Deuxièmement, la région est une collectivité encore mal connue. Elle est toute jeune, elle n’est pas encore rentrée dans l’adolescence. Elle a douze ans, douze ans à peine. Personne n’a vraiment pris la peine – il y a une responsabilité gouvernementale à cet égard, pardonnez-moi de le dire – d’expliquer ce qu’étaient les régions, ce qu’elles faisaient…

France Inter : À quoi elles servent ?

Philippe Séguin : Elles s’occupent de choses qui sont extrêmement importantes, en particulier dans la perspective de l’emploi, de formation professionnelle, de formation initiale, d’aménagement du territoire, d’infrastructures. Et tout cela, il aurait fallu l’expliquer. Moi, je me suis attaché à l’expliquer, et déjà en soi, c’est quelque chose de très important de savoir comment les régions marchent. Nous sommes administrés d’une certaine manière, nous avons une superposition de structures, ce n’est peut-être pas le régime idéal, mais c’est ainsi que cela se passe. Nous avons les communes, nous avons les départements, nous avons les régions, nous avons l’État. Et c’est la synergie de toutes ces interventions qui font notre vie quotidienne. Et à cet égard, l’intervention des régions est une intervention importante. C’est la raison pour laquelle moi je suis allé dans tous les départements pour dire aux gens : attention, c’est important !

France Inter : Quand on vous voit, on dit : c’est l’homme qui est en train d’essayer de reconstruire le RPR, et c’est difficile. Est-ce que, au sein du RPR, et plus généralement dans l’opposition aujourd’hui, on a digéré la dissolution ? Voire, a-t-on pardonné la dissolution ?

Philippe Séguin : Ce qui est certain, c’est que lorsque vous avez un tremblement de terre, je crois que c’est une des règles de la géologie…

France Inter : C’est même une formule de Monsieur Pasqua !

Philippe Séguin : Oui. Vous avez forcément – non je parle de tremblement de terre, non pas sur des hypothèses du vote de dimanche, mais de ce qui s’est passé en mai et juin derniers –, là, je crois que, sans polémique ni risque, on peut dire qu’il s’est agi d’un tremblement de terre. Quand vous avez eu un tremblement de terre, vous savez qu’il y aura encore un autre mouvement de terrain encore, peu de temps après.

France Inter : Cela s’appelle une réplique.

Philippe Séguin : Exactement Alors, la réplique, ce n’est pas forcément aussi grave que le premier mouvement de terrain. Mais, cela se sent. Alors, selon toute vraisemblance, on va connaître quelque chose de ce genre. Mais, le problème est de faire en sorte que la réplique soit la plus limitée possible.

France Inter : Quand vous voyez, par exemple dans « Le Parisien » ce matin, que Messieurs Chirac et Jospin étaient main dans la main hier à Londres avec une union extraordinaire, image de la cohabitation que les Français aiment assez bien, qu’en dites-vous ?

Philippe Séguin : J’entends ce que me disent les gens que je rencontre : ils ont parfois de la difficulté effectivement à s’y retrouver. Mais c’est vrai qu’on est dans une situation originale. On avait connu une cohabitation conflictuelle de 1986 à 1988 ; une cohabitation de terminaison de cycle de 1995 à 1995. Là, on est dans une cohabitation de croisière. C’est tout à fait original. Ça pose en termes de rapports des uns et des autres, de tous les protagonistes, des problèmes nouveaux que nous découvrons au fur et à mesure.

France Inter : Mais cela veut dire aussi des problèmes de cohésion, d’intelligence du discours ?

Philippe Séguin : En ce qui me concerne, je n’ai strictement aucun problème. Maintenant, le président de la République est à la fois le garant de l’unité du pays, il a un rôle constitutionnel à jouer ; il est d’autre part la référence de l’opposition. C’est à lui de trouver l’équilibre entre ces exigences qui peuvent effectivement apparaître à première vue contradictoires.

France Inter : À vous aussi maintenant de tirer les wagons du RPR et peut-être au-delà. Quand vous entendez dire ici ou là : « pourquoi n’y aurait-il pas une droite plurielle ? », que dites-vous ?

Philippe Séguin : Qu’est-ce que c’est que ça, une droite plurielle ? Je ne comprends pas très bien. J’avais cru comprendre que lorsqu’on utilisait les mots de « gauche plurielle », c’était pour dénoncer la cacophonie, le caractère hétéroclite de l’assemblage. Maintenant, on nous propose cela comme un modèle ? J’ai parfois du mal à suivre, je dois dire !

France Inter : Tout le monde annonce une victoire de la gauche lundi.

Philippe Séguin : Mais le match n’est jamais joué avant d’être terminé – attention ! –, tant que les Français ne se sont pas prononcés. Je respecte tout à fait le travail des sondeurs. Cela étant, le sondage, c’est le résultat partiel pendant la partie. Même le PSG arrive à gagner ! Pourquoi pas nous ?

France Inter : Serez-vous un [Marco] Simone ? Quels sont les buts que vous marquerez à partir de lundi ?

Philippe Séguin : Mais attention ! Lundi, lundi… Mais moi, ce qui m’intéresse, c’est dimanche ! Nous avons une élection : arrêtons de considérer ça comme un épisode sans intérêt. C’est un moment important !

France Inter : Personne ne dit ça ; tout le monde dit que cela n’a peut-être pas le sens que l’on peut leur donner et que ce sera peut-être plus national que régional.

Philippe Séguin : Avant de commenter des résultats, essayons de faire en sorte d’aider les Français à voter en conscience et à voter si possible dans le sens que nous leur recommandons ! Je suis absolument ébahi par tous ces gens qui se projettent toujours je ne sais où ! Mais il y a une échéance ! Une haie après l’autre, comme dirait Guy Drut !

France Inter : Vous en avez sautées quelques-unes depuis juin dernier.

Philippe Séguin : Ce n’est pas terminé, de ce côté-là ! Ce n’est pas du 110, plutôt du 400, et même du marathon !

France Inter : Quel est le programme d’aujourd’hui ?

Philippe Séguin : Je vais partir en Mayenne ; ensuite, j’irai en Ille-et-Vilaine, puis dans le Pas-de-Calais. Je terminerai à Amiens. Donc, quatre régions.

France Inter : Pas à lundi, donc à dimanche soir !

Philippe Séguin : Encore que dimanche soir, une chatte n’y retrouverait pas ses petits dans les résultats. J’ai eu l’occasion de le dire : les élections régionales, c’est comme le Scrabble s’agissant des résultats : le problème, ce n’est pas de faire des voix ou des mots, mais de faire des sièges. Or, il y a entre le nombre de voix obtenues et les sièges des rapports très mystérieux et compliqués qu’il faudra attendre très loin dans la nuit pour les discerner.