Texte intégral
La Montagne : jeudi 19 mars 1998
La Montagne : Avez-vous gagné ces élections ou la gauche les a-t-elle perdues ?
Valéry Giscard d'Estaing : C'est clair comme de l'eau de roche, c'est nous qui avons gagné et c'est la gauche qui a perdu. Et, ce même jour, il y a eu deux victoires de l'Auvergne : à Narbonne, il y a eu la victoire de l'ASM par 21-20, et à Clermont-Ferrand, celle de notre liste par 22-20.
Personne n'a dit qu'à Narbonne l'ASM pouvait gagner, c'est pareil ! Les pronostics raisonnables, quelques jours avant, nous donnaient huit sièges certains, les plus optimistes allaient à neuf, et cela nous en fait dix. D'ailleurs, dans les derniers jours, nos adversaires se comportaient comme s'ils avaient la certitude de la victoire.
Donc, c'est une victoire et j'ajoute que c'est une belle victoire parce que dans le courant national tel qu'il s'est produit, le fait, dans un département comme le Puy-de-Dôme, de garder dix élus - c'est-à-dire le même chiffre qu'en 1986 et 1992 - il fallait le faire. Et nous avons dépassé le chiffre de 100 000 électeurs... Si ces électeurs se donnaient la main à partir de la place de Jaude, cela ferait une chaîne ininterrompue de personnes jusqu'à Ambert.
La montagne : Vous avez fait le calcul ?
Valéry Giscard d'Estaing : J’ai fait le calcul. Je le répète, c'est une belle victoire ! Je n’ai pas voulu faire de déclaration sur le coup parce que je trouve qu’on a l’air de "plastronner". Mais, hier matin, je suis allé me promener dans les rues de Clermont et les passants que j’ai rencontrés m’ont tous dit la même chose : "Bravo et maintenant il faut faire ce que vous avez annoncé".
La Montagne : D’une certaine manière, c’est aussi la victoire de Vulcania ?
Valéry Giscard d'Estaing : Il y a trois éléments qui ont joué. Premier élément, nous avions des projets d’avenir : Vulcania, la Grande Halle et l’autoroute. Vulcania en tête, peut-être. Nos adversaires disaient à plusieurs reprises : "Il faudra que les Auvergnats se prononcent". Et les Auvergnats ont dit oui à ces projets.
Deuxième élément qui a joué un rôle, c’est ma rénovation de la liste, comme sa cohésion sur tous les sujets. Car il n’y a jamais eu de rivalité de personnes.
Et, le troisième élément qui a peut-être été moins perçu, c’est d’avoir adopté un positionnement stratégique proche du centre.
La liste concurrente principale était, en effet, très à gauche puisque parmi les trois premiers, deux étaient à gauche de la gauche et qu’on retrouvait la gauche classique clermontoise assez loin. Donc, il valait mieux nous positionner près du centre parce que le Puy-de-Dôme a souvent des majorités de gauche mais jamais d’extrême-gauche. Nous avons illustré cette stratégie en mettant en avant la candidature de Pierre Goldberg pour en faire l’argument de fin de campagne. J’ajouterai que nous avons peu répondu à nos adversaires qui, eux, ont fait une campagne hargneuse.
La Montagne : Vous voulez dire que la gauche plurielle aurait fait de l'anti-Giscard primaire ?
Valéry Giscard d'Estaing : Oui, et en plus c'était une erreur à la fois humaine et politique parce que j'avais fait faire un sondage au mois d'octobre. Ce sondage a révélé que 56 % des gens avaient une bonne opinion de moi et 26 % une mauvaise. Faire une campagne d’attaques personnelles, c’était aller à contre-courant du sentiment général.
La Montagne : Vulcania et la Grande Halle d’Auvergne, c’est donc pour bientôt ?
Valéry Giscard d'Estaing : Les deux vont démarrer sur les chapeaux de roues car je considère que les Auvergnats les ont ratifiés. Ils sont au point sur le plan technique, mais posent tous les deux des problèmes de calendrier impératifs. Si nous voulons l'ouverture de Vulcania en juillet 2000, deux ans et trois mois pour un projet de cette taille, c'est très serré. Il faut passer l’ensemble du marché avant l'été.
La Montagne : Ce qui prouve que vous êtes optimiste pour la réouverture du chantier ?
Valéry Giscard d'Estaing : C'est très précisément le 25 mars que nous attendons la décision du Conseil d'Etat. Je vous répondrai d'un seul mot : j'ai bonne confiance.
La Montagne : On vous a prêté la volonté de passer la main dans le courant de votre mandat ?
Valéry Giscard d'Estaing : Mon rôle est très clair : c’est de faire aboutir les grands projets pour l’Auvergne. Ces grands projets vont prendre un certain temps et tant qu’ils vont prendre un certain temps, je ne me pose aucune question. Sans états d’âme ni interrogation.
La Montagne : Certains vous reprochent d’avoir centré ces grands projets sur le seul Puy-de-Dôme ?
Valéry Giscard d'Estaing : Comme la loi électorale - et Je vous rappelle que j'ai milité activement pour qu'on la change - est ce qu'elle est, il ne faut pas dire maintenant qu'il faut la changer quand on avait le pouvoir de la changer et qu'on ne l'a pas fait ! J'avais déposé des conclusions devant l'Assemblée qui ne sont jamais venues en discussion. Alors, comme le cadre de la campagne est départemental, j'ai été amené à parler plus "département", mais un de nos très grands projets concerne le Cantal, avec le percement du tunnel du Lioran ; un autre, la Haute-Loire, avec le contournement de Brioude, sans oublier l’aménagement de la nationale 102 jusqu'au Puy et la mise en valeur du site du Puy.
Dans l'Allier, ce sera la mise à deux fois deux voies de la route Centre-Europe-Atlantique.
La Montagne : Vous avez déclaré : « Nous sommes passés tout près du gouffre » ?
Valéry Giscard d'Estaing : C'est l’Auvergne qui est passée près du gouffre. Il faut bien voir que c'est une région fragile avec des entreprises qui s'interrogent sur les lieux de leur futur développement. Alors, avoir un président communiste à l'aube du XXIe siècle aurait été désastreux. Le fait qu'il ait fallu faire tant d'efforts pour l'empêcher montre que la France est un pays très troublé.
La Montagne : Aujourd'hui, vous êtes donc un homme rasséréné ?
Valéry Giscard d'Estaing : Tout à fait. Mes adversaires ont cru que je faisais une affaire personnelle de ces élections. Il est évident que tout individu préfère le succès à l'échec, mais au regard de ma vie passée, présente et future, je ne pouvais mener une telle campagne comme s'il y avait des enjeux personnels. C’était plutôt une affaire affective parce que je voulais conduire ces projets à leur terme, Cela, oui, c'est affectif… Et je savais que ces projets auraient été abandonnés - pas brutalement mais par dépérissement - si mes adversaires l'avaient emporté.
Date : jeudi 26 mars 1998
Source : France 3
E. Lucet : Vous avez rencontré C. Millon ce matin ; on le presse de toutes parts de démissionner. Que lui avez-vous conseillé ?
V. Giscard d’Estaing : Oui, j'ai reçu C. Millon à sa demande, il est venu donc de Lyon, ce matin. Je rappelle qui il est, parce que, c'est, un personnage qui est connu, et qui est respecté pour ses convictions. On ne peut pas le traiter de xénophobe ou de raciste. Je rappelle simplement sans insister que, bien qu'il ait de nombreux enfants, il a adopté, dans sa famille un petit réfugié laotien. Et il a été ministre de la Défense de J. Chirac, jusqu'à la dissolution ; il a été président du groupe UDF, et il est président sortant de Rhône-Alpes. Il est venu me voir pour recueillir mon sentiment. Eh bien je lui ai dit ceci : ce n'est pas à moi de lui dire ce qu’il a à faire ; mais je peux lui donner des éléments pour éclairer sa décision. Et je lui ai dit : je vais, vous poser trois questions. Une question, d'abord à vous-même : pensez-vous modifier vos convictions personnelles ? Une question, par rapport à ses électeurs : pensez-vous appliquer un autre programme que celui que vous avez proposé à vos électeurs. Et enfin une question par rapport à l'exécutif régional, le petit gouvernement que nous avons dans nos régions : pensez-vous pouvoir gouverner la région Rhône-Alpes, avec seulement des personnes élues sur, votre liste, ou des personnes qui partagent la même idéologie, - puisqu'il y a des petites listes, comme vous savez, par exemple, les chasseurs. C'est à lui de répondre à ces trois questions, et c'est à lui ensuite d'en tirer les conséquences. »
E. Lucet : Vous avez le sentiment qu'il va démissionner ?
V. Giscard d’Estaing : Je n'ai pas de sentiment personnel ; c'est à lui, je vous répète, d'agir en conséquence. Et je rappelle que la situation n'est pas ce qu'on raconte : là, ils sont à égalité dans Rhône-Alpes, et ils ont même un léger avantage pour l'UDF-RPR, parce qu'on compte avec la gauche plurielle - ce qui est original - un indépendantiste savoisien. C'est-à-dire quelqu'un qui veut détacher la Savoie pour faire un Etat savoyard avec une partie de la Suisse, une partie du Val d'Aoste etc. Si l’on écarte d'un côté les élus du Front national, je crois qu'on ne va pas retenir l’indépendantiste savoisien.
E. Lucet : M. Le Président, on a lu dans la presse que vous aviez encouragé C. Millon à la veille du scrutin de vendredi dernier, pour la présidence de région, à accepter les voix du Front national.
V. Giscard d’Estaing : Vous avez lu dans la presse des ragots, des bobards, du venin. Et c'est une époque dont je désapprouve absolument la haine, l'intolérance et le mensonge. Je n'ai aucun rapport avec C. Millon. Quand il y a deux personnes c'est facile à savoir ; quand il y en a sept ou huit, c'est plus difficile. Aucune communication, d'aucune sorte avec C. Millon, entre l'élection du 15 mars et son élection à la présidence de Rhône-Alpes. Ni par téléphone et ni par personne interposée, etc.
G. Leclerc : Vous avez été élu président de la région Auvergne d'une courte majorité. Si vous aviez été dans le même cas de figure - en Auvergne - que celui de C. Millon aujourd'hui quelle aurait été votre attitude ?
V. Giscard d’Estaing : J'avais préparé, tout ça naturellement. Si nous n'avions pas eu la majorité en Auvergne, le 15 mars, voilà ce que je faisais : le lundi et le mardi je restais au Conseil régional, pour m'occuper du sort de mes collaborateurs et pour mettre un peu en ordre la maison. Et le mardi soir, je remettais ma démission au préfet du Puy-de-Dôme ; donc ma démission de conseiller régional d'Auvergne. Je ne voulais pas aller siéger dans ces conditions, et j'aurais été remplacé par le suivant de la liste.
G. Leclerc : Pour vous le Front national est un « parti raciste et xénophobe », comme a pu le dire le Président de la République ?
V. Giscard d’Estaing : Ce qu'a dit le, Président de la République sur le sujet me parait juste. Simplement, c'est la moitié de l'analyse ; parce que l'autre moitié c'est de savoir pourquoi des Français qui ne sont eux, ni racistes et ni xénophobes votent pour ce parti ? Il y en a qui le sont, racistes et xénophobes, et il y en a qui ne le sont pas. Et quelles sont les raisons qui font qu'une partie des gens qui votaient pour nous désormais vont voter pour ce parti, dont ils ne partagent pas, je le pense, les idéologies. Et c'est une question de fond parce que si l'on ne sort pas de ce piège, et si on n'est pas capables de récupérer une partie de nos électeurs qui sont partis voter pour le Front national, nous sommes condamnés en réalité à la gauche plurielle à perpétuité.
E. Lucet : Alors justement, Monsieur le président, on va parler si vous le voulez bien de l'UDF et de son évolution. Comment prenez-vous la proposition de F. Bayrou de créer un nouveau parti de centre droit ? Est-ce que vous prenez cela comme une trahison ou une évolution nécessaire ?
V. Giscard d’Estaing : Je ne crois pas du tout que la solution des problèmes de la France actuelle viendra des partis. Les partis ont montré qu'ils n'avaient aucune capacité d'anticipation dans la période récente. Tout ce qui s'est passé était prévisible. On savait très bien qu'avec la loi électorale actuelle, on aurait ce résultat. Tout le monde le savait. Je suis allé devant le groupe UDF deux fois avant la dissolution pour leur dire : vous allez à la catastrophe.
G. Leclerc : Estimez-vous qu'il y a une vraie coupure entre le terrain et les états-majors politiques à droite ?
V. Giscard d’Estaing : En tout cas depuis huit jours, ce qui se passe à Paris est incompréhensible pour la province. Et d'ailleurs, les gens ne vous en parlent pas. J'ai fait entre les deux tours, puisque nous avions les élections régionales le 15 mars et puis ensuite les cantonales qui d'ailleurs ont donné dans le Puy-de-Dôme un résultat à gauche et qui ont montré que notre victoire est une victoire très spécifique en Auvergne et on ne parlait pas du tout des mêmes sujets qu'à Paris.
E. Lucet : Mais si l'UDF disparaissait comme on en parle ces derniers jours, quelle serait votre réaction ? Cela vous toucherait j'imagine ?
V. Giscard d’Estaing : J'ai fondé l'UDF en 1978. C'était une grande idée parce que c'était une idée historique, en fait, à savoir réunir deux pensées qui en France ont toujours été divisées et trop faibles. C'est la pensée démocrate-chrétienne avec un idéal de justice sociale et la pensée républicaine libérale avec un objectif de liberté économique et politique. Ce sont deux familles importantes mais isolées et elles ne peuvent pas gouvernées. Il fallait donc les mettre ensemble et, avec des hommes qui avaient des visions comme J. Lecanuet, nous avons réussi à les mettre ensemble et nous avons quand eu des résultats extraordinaires puisque nous avons la Présidence de la République ; nous avons eu 215 députés à l'Assemblée nationale ; 12 régions.
E. Lucet : La disparition de l'UDF, cela vous toucherait, j'imagine ?
V. Giscard d’Estaing : Je pense malheureusement que la France est en déclin.