Texte intégral
Entretien avec RFI (Paris, 13 mai 1997)
RFI : Cette campagne s’inscrit dans un cadre un peu plus large puisque nous sommes à quelques mois de la mise en place d’un nouveau palier dans la construction de l’Europe.
Hervé de Charrette : Nous sommes confrontés au grand vent de la compétition mondiale. On ne dressera pas des murs autour de l’hexagone pour se protéger de tout cela. Il faut donc aller vers cette compétition mondiale. Celle-ci d’ailleurs nous offre à nous qui sommes le 4e exportateur du monde, le deuxième exportateur par habitant, donc parmi les plus performants. Cette compétition-là offre pour nous des chances formidables. Dans cette situation au contraire, il faut avoir l’esprit de conquête. Nous avons 2 % de part de marchés en Asie. Mais il faut aller prendre nos places en Asie parce que les places que l’on prend là-bas, ce sont les emplois français que l’on défend. Voilà le vrai enjeu. Il faut que la France se modernise, secteur par secteur, avec détermination, avec bien entendu un esprit humain, attentif aux situations particulières, pour que nous soyons demain parmi les pays gagnants du monde. C’est à notre portée. Il faut quitter cette frilosité, cette peur de nous-mêmes, cette peur du monde. Je le dis celles et ceux qui sont dans le monde et savent tout cela. Je suis sûr qu’ils partagent mon point de vue.
RFI : La France est au cœur d’un très grand projet, l’Europe. On en a très peu parlé pendant cette campagne. Le regrettez-vous et comment vendre l’Europe aujourd’hui ?
Hervé de Charrette : On en a un peu parlée tout de même.
RFI : Pas beaucoup quand même ?
Hervé de Charrette : Il y a eu des tentatives initiales qui ont échoué afin de faire de cette élection un référendum sur l’euro. Je me réjouis que tout cela ait disparu du débat. Cette élection n’a pas à trancher la politique européenne de la France, elle a à trancher la politique française. Que voulons-nous faire de la France dans les cinq années qui viennent ? Que voulons-nous proposer pour les Français dans les cinq ans qui viennent. Notre enjeu c’est vaincre le chômage.
L’Europe, je ne veux pas éluder la question, fait partie de notre stratégie pour la croissance et contre le chômage. Mais je répète, cette élection n’est pas : « Quelle Europe voulez-vous » mais « quelle France voulez-vous ? »
RFI : L’Europe justement. L’entretien est enregistré au siège de l’UNESCO où se déroule en ce moment la réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense de l’UEO, l’organisation européenne de défense.
L’UE0 s’est, certes, dotée ce matin d’un comité militaire mais n’est engagée concrètement nulle part. Pourquoi a-t-on manifestement envie d’être d’accord sur le papier, mais en restant si impuissant à agir ensemble sur le terrain ?
Hervé de Charrette : Vous n’avez pas tort. C’est vrai que dans beaucoup de domaines, l’Europe déçoit, elle n’apporte pas tout ce que l’on attend ou espère d’elle. Forcément, dans le domaine de la défense qui est le domaine le plus complexe, le plus difficile, parce qu’il s’agit de la paix ou de la guerre, de la vie et de la mort, quelque chose d’essentiel à la souveraineté nationale, on n’y parvient plutôt moins que dans d’autres domaines. Nous travaillons, depuis deux ans, sous l’impulsion de Jacques Chirac, à faire en sorte qu’apparaisse ce que nous appelons l’identité européenne de sécurité et de défense : faire naître le nœud de la volonté européenne de se préoccuper elle-même de ces questions de sécurité et de défense.
Nous le faisons d’abord dans l’Alliance atlantique. Depuis deux ans, nous négocions pas à pas sur cette question. Est-il possible que dans l’Alliance, les pays européens apparaissent de façon plus lourde, plus pesante, plus déterminée et soient même capables d’intervenir sans les États-Unis pour des opérations qui intéresseraient leur sécurité ? Premier enjeu.
Second enjeu, l’Union européenne est-elle capable d’exprimer une volonté en matière de sécurité et de défense ? C’était écrit dans le Traité de Maastricht comme un projet à terme.
Dans les négociations européennes qui ont lieu actuellement, nous essayons de faire en sorte de passer du projet pour demain à la réalité pour aujourd’hui. Non sans peine, puisque justement, nous voudrions que l’UEO soit en quelque sorte le bras armé de l’Europe. Jusqu’à présent, nous nous heurtons à un certain nombre de difficultés et en particulier, il faut le savoir au refus très déterminé des Britanniques qui placent « tous leurs œufs » dans le panier transatlantique, en relation avec les Américains, au sein de l’Alliance atlantique et sont franchement hostiles au développement de l’UEO et au rôle de l’Union européenne en matière de défense.
RFI : Plus généralement, il reste de nombreux points de désaccords sur la réforme des institutions, avec un premier sommet la semaine prochaine à Noordwijk pour tenter d’avancer avant Amsterdam en juin. Mais une question de calendrier : la France peut-elle faire avancer le débat a Noordwijk alors qu’elle sera à deux fours des élections ?
Hervé de Charrette : Oui, bien entendu, le Président de la République sera à Noordwijk, je l’accompagnerai. Nous irons exprimer le point de vue de la France. Quel est-il ? Il est simple. Nous sommes à la veille d’une période qui va prendre dix ou quinze ans, au bas mot, d’élargissement progressif de l’Union européenne parce que l’Union européenne s’apprête, durant cette période, à accueillir, successivement les pays d’Europe centrale et orientale. Je crois que c’est bien d’avoir cette démarche d’accueil car ces pays depuis un demi-siècle sont séparés de nous et ils aspirent à nous rejoindre. Dès lors qu’ils sont prêts, nous pouvons les accueillir. Mais alors, cette Europe-là qui ne sera plus une Europe à six, comme hier, une Europe à quinze comme aujourd’hui, sera à vingt, vingt-cinq peut-être trente, dans quinze ans. Pour cela, il faut des institutions mieux organisées et plus efficaces et donc, la priorité française dans la négociation de ce que l’on appelle la Conférence intergouvernementale est de faire en sorte que le poids de la France, lorsqu’il y a voté au sein de l’UEO, soit renforcé. En effet, au fil des négociations passées, il a été chaque fois réduit. Nous voulons le reconstituer pour que la France puisse, dans cette Europe ouverte, défendre davantage ses intérêts. Nous voulons quelques autres réformes institutionnelles, comme une remise sur pied de la Commission qui, elle aussi, a vu au fil des temps son système s’affaiblir. On ne peut pas entrer dans une Europe qui s’élargit, avec des institutions faibles, qui deviendront alors de plus en plus faibles. Ce serait une Europe-espace mais ce ne serait certainement pas une Europe-puissance. C’est pourtant cela que nous voulons.
RFI : Vous parliez des Britanniques, il y a une nouvelle équipe au pouvoir à Londres qui a assez nettement changé le discours britannique sur l’Europe. Jusqu’où peut aller cette inflexion ?
Hervé de Charrette : Prenons un proverbe anglais, wait and see. Les mots me passionnent mais les faits m’intéressent encore plus. Nous allons attendre, c’est vrai que le langage est plus souriant. Mais nous allons attendre les réalités.
RFI : On a notamment entendu votre collègue de l’économie et des finances M Arthuis penser tout haut que la Grande-Bretagne pourrait bien finalement être dans la première vague des pays qui vont adopter l‘Euro dès le 1er janvier 1999. Qu’en pensez-vous ?
Hervé de Charrette : Je ne le crois pas du tout. Les dirigeants britanniques n’ont pas dit cela du tout. Ils ont clairement dit que cela attendrait les prochaines élections législatives britanniques c’est-à-dire dans cinq ans.
RFI : Monsieur le ministre, vous partez dans quelques heures avec Jacques Chirac en Chine où le président effectue un voyage officiel. La Chine à chaque fois pose problème concernant les Droits de l’Homme. La France a pris une position qui a été remarquée, appréciée, des Chinois, qui vise plus à un dialogue constructif qu’a une condamnation systématique et à la mise en avant de ce problème avant le reste des discussions. Qu’attendez-vous du voyage de Jacques Chirac en Chine ? Est-ce un voyage plus politique qu’économique, plus économique que politique ?
Hervé de Charrette : Beaucoup de choses. La Chine, chacun le sait, c’est un milliard trois cent millions d’habitants, et surtout ce qu’il faut savoir, c’est que désormais, pour reprendre les mots d’Alain Peyrefitte, la Chine s’est réveillée. Elle est maintenant en plein mouvement, en plein développement économique. Sa volonté est de prendre toute sa place dans la communauté internationale et naturellement, alors qu’elle sortait d’une longue période d’isolement et d’isolationnisme d’ailleurs, partiellement voulu, nous voyons venir devant nous un monde complètement nouveau où la Chine va peser lourd sur le plan politique et sur le plan économique. La France veut avoir avec ce grand pays, qui est en train de sortir de l’ombre, des relations intenses et efficaces, sur le plan politique, sur le plan économique bien sûr, il y a d’énormes intérêts qui se jouent là-bas. Vous allez me parler des Droits de l’Homme. Juste un mot. Aujourd’hui, les Chinois font, certes beaucoup de reproches aux Américains mais ils utilisent des avions américains. Ils font certes beaucoup de reproches depuis toujours à leurs voisins japonais, mais ils roulent dans des voitures japonaises. La question est de savoir si nous, les Européens, sommes capables de leur proposer la technologie française ou européenne, les voitures françaises, les produits français, les produits européens. Voilà l’enjeu. Est-ce que tout cela signifie que l’on doit s’asseoir sur ses convictions et oublier les Droits de l’Homme ?
RFI : C’était la question...
Hervé de Charrette : La réponse est non. Simplement, le petit jeu de la condamnation devant la Commission des Droits de l’Homme à l’ONU n’a d’ailleurs, depuis sept ans jamais réussi. Nous n’avons jamais réussi à faire condamner la Chine, il n’y a jamais eu de majorité pour cela. Ce petit jeu-là est sans efficacité et a provoqué en réalité un durcissement chinois et nous proposons une autre politique celle du dialogue dans lequel on dit les choses, on parte des Droits de l’Homme. Mais au lieu d’utiliser une tentative de contraintes qui ne marche pas, nous utilisons le dialogue. Le fait est que déjà, cela a produit des résultats puisque la France vient d’obtenir des autorités chinoises que celles-ci ratifient l’une des deux conventions sur les Droits de l’Homme et elle a annoncé qu’elle pourrait le faire aussi dans un avenir pas trop éloigné pour la deuxième Convention des Nations unies sur les Droits de l’Homme. Nous parlerons donc bien sûr aussi des Droits de l’Homme. Nous continuerons d’être la nation qui a une politique étrangère ardente, volontaire, et qui, bien sûr., est fondée sur nos valeurs. Car si nous pesons dans le monde, plus encore que le poids des affaires que nous y faisons, c’est que l’on nous reconnaît un poids d’humanité, un poids d’humanisme, un poids de valeurs qui est très différent des autres.
RFI : La France (...) encore au Zaïre, Monsieur le ministre ? Ne va-t-elle pas payer d’avoir soutenu un peu trop longtemps le président Mobutu ?
Hervé de Charrette : Payer quoi ? Quels sont nos intérêts au Zaïre ? Nous n’avons pas d’intérêt au Zaïre. Je veux dire les choses clairement, nous avons des devoirs. Parce que, en Afrique, au Zaïre comme ailleurs, il y a du sous-développement mais nous pensons, nous les Français et les Européens, pensons que l’aide à ces pays pour qu’ils se développent, fait partie des devoirs de notre politique internationale. Je le répète, nous ne courons pas après les intérêts au Zaïre. Nous en avons mains que beaucoup d’autres, en particulier les États-Unis, les Belges et d’autres. Ensuite, nous avons fait ce qui nous a paru être juste. Or, nous persistons en effet à dire qu’il est injuste que M. Kabila et les siens laissent dans le dénuement que vous savez et parfois dans la mort des dizaines de milliers de réfugiés du Rwanda principalement, qui sont dans l’est du Zaïre. Pour le reste, nous disons qu’il n’y a pas de paix durable, pas plus au Zaïre que nulle part ailleurs lorsque le pouvoir est pris par la force. C’est pourquoi nous avons proposé depuis le début, des élections qui permettent aux Zaïrois de choisir leurs dirigeants. Ces propositions ne sont pas françaises, ce sont des propositions qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité. Elles sont donc désormais les propositions de la communauté internationale, et ce sont celles que nous soutenons, ni plus ni moins.
Alors, les choses se passent-elles exactement comme cela ? Ce serait sans doute un peu excessif de le dire. Que nous ayons les uns et les autres des déceptions, les Américains, nous-mêmes et le secrétaire général de l’ONU, et l’Afrique du Sud qui a joué un grand rôle, c’est vrai. Alors nous continuons à travailler ensemble pour faire en sorte que le Zaïre sorte de ses terribles difficultés.
RFI : Vous citiez l’Afrique du Sud. Le vice-président dit que ces quelques heures seront cruciales, voire décisives, pour l’avenir de ce pays puisque visiblement, Laurent Kabila ne veut pas s’entendre avec le président Mobutu sur une solution honorable de départ. Êtes-vous inquiet personnellement ?
Hervé de Charrette : Je le répète, l’Histoire à venir du Zaïre n’est pas écrite mais il n’y aura pas de situation stable, durable et juste au Zaïre qui ne soit pas fondée sur des élections libres.
Entretien avec « LCI » à Paris – 14 mai 1997
LCI : Le Sommet Mobutu-Kabila aujourd’hui est-il le sommet de la dernière chance ?
Hervé de Charrette : On voit bien que nous approchons de la fin de cette période marquée par plusieurs mois de guerre civile, tragique. Je voudrais rappeler qu’il y a plusieurs centaines de milliers de réfugiés hutus sans compter les dizaines de milliers de villageois du Zaïre qui ont disparu. On ne sait pas trop où ils sont, on ne sait même pas s’ils sont en vie et nous n’avons pas réussi, en dépit des décisions du Conseil de sécurité, à faire en sorte qu’il y ait une enquête. Les gens ont pourtant du mal à accepter ce drame.
Nous ne l’acceptons pas. Il faut que l’on vienne vraiment au secours de ces réfugiés. J’ai, personnellement, à plusieurs reprises, réclamé l’intervention de la communauté internationale pour départager ceux qui se battent pour le pouvoir au Zaïre. Cela n’a toujours pas été fait.
LCI : Est-ce une rencontre de la dernière chance ? On a dit que les autorités françaises avaient déjà – puisque les troupes de Kabila remontent vers Kinshasa – repéré des massacres épouvantables. Est-ce une sorte de règlement de compte ?
Hervé de Charrette : Je ne crois pas que l’on doive penser comme cela. Il faut savoir qu’il y a là-bas un certain nombre de missions françaises et d’autres nationalités.
Nous avons encouragé le départ de tous ceux qui le souhaitaient. Beaucoup ont souhaité rester sur place. Un dispositif militaire nous permet en quelques heures de venir au secours de nos compatriotes.
LCI : Si jamais il y a un massacre qui commence aux portes de la ville, les Français interviennent-ils immédiatement ?
Hervé de Charrette : Oui, tout est prêt.
LCI : Sur le plan diplomatique justement, qu’est-ce qui peut faire que la réunion d’aujourd’hui débouche sur quelque chose ?
Hervé de Charrette : Il y a un accord des Américains, des Français, des Africains, et en particulier de l’Afrique du Sud, qui joue un rôle important, comme vous le savez, pour un objectif qui est le plan de paix adopte par le Conseil de sécurité. Mobutu l’a accepté, Kabila l’a accepté mais en réalité ne l’applique pas, puisque celui-ci prévoit un cessez-le-feu. Ce qui restera, c’est qu’il n’y aura pas de paix durable s’il n’y a pas l’organisation d’élections, contrôlées par la communauté internationale et qui permettent au peuple zaïrois de choisir lui-même ses dirigeants. Il n’y a pas de solution pour laquelle la force puisse suffire à conquérir le pouvoir.
LCI : L’objectif de Kabila est de prendre la capitale, de prendre le pouvoir et d’organiser sous son contrôle des élections qui, à la surprise générale, le désigneront comme vainqueur un quart d’heure plus tard...
Hervé de Charrette : Je maintiens mes propos. Il arrive que les faits soient contraires à ce que vous souhaitez ou à ce que vous pensez être juste. Mais la position française reste celle-là. Elle continuera de prêcher pour qu’il y ait des élections, contrôlées par la communauté internationale et permettant aux Zaïrois de choisir leurs dirigeants.
LCI : Est-ce que la bonne méthode n’est pas la pression militaire immédiate ?
Hervé de Charrette : Franchement, je ne crois pas que la France doive intervenir militairement au Zaïre. Il n’y a pas de disponibilité pour la communauté internationale pour le faire. Je ne crois pas que ce soit la solution. La solution est non pas la force contre la force mais la négociation, le compromis, la discussion et, finalement, les élections.
LCI : On a beaucoup reproché à la France d’avoir soutenu le maréchal Mobutu.
Hervé de Charrette : Bien entendu, nous sommes des acteurs dans cette crise et donc nous parlons ensemble. Mais le Zaïre n’est pas une colonie française. C’est un pays indépendant qui a des difficultés et nous sommes concernés par ce que nous pouvons faire pour l’aider. Il ne s’agit pas d’un territoire sous influence française : c’est un point très important. Nous n’avons pas, contrairement à ce que tout le monde raconte, là-bas, d’intérêts économiques puissants. Nous nous occupons de cette crise comme nous nous occupons d’autres crises dans le monde, comme nous le faisons en Albanie, parce que nous pensons que c’est le devoir d’un grand pays comme le nôtre, ayant un rayonnement et une influence en Afrique. Mais nous ne le faisons que dans le respect de la souveraineté du Zaïre et dans le respect des décisions prises par le Conseil de sécurité. Telles sont les limites de notre action et cela fixe aussi les principes sur lesquels nous nous battons qui sont les principes du droit international.
LCI : Pourquoi le maréchal Mobutu ne se retire-t-il pas ? Quels sont les arguments qu’il donne ?
Hervé de Charrette : Si vous voulez savoir ce qu’il pense, le mieux sans doute est de le lui demander si vous obteniez une émission avec lui. Nous, je le répète, nous parlons avec l’ensemble des parties. Nous cherchons à constituer un rapprochement, à éviter la poursuite des drames que connaît le peuple zaïrois et à trouver une issue pacifique et démocratique et conforme à la loi des nations pour que le pays sorte de ce drame.
LCI : Vous n’avez pas tout à fait répondu. Mais je terminerais par une question : comment se fait-il que l’on ait à choisir entre un ancien dictateur et un futur dictateur dans ce pays ?
Hervé de Charrette : Je vous laisse la responsabilité de ces mots. Vous savez, malheureusement en effet, le monde n’est pas toujours comme l’on voudrait qu’il soit. S’il en était ainsi, il serait sans doute assez différent. Il faut prendre les choses avec l’esprit de réalité. C’est bien pourquoi je réaffirme les principes intangibles de la politique étrangère française, y compris en Afrique : le respect du droit, la primauté des élections, le droit du peuple pour choisir ses dirigeants.
LCI : Parlons un peu de la Chine. C’est un voyage important. Est-ce un voyage politique ? On a souvent désigné le Président de la République comme un « super VRP » au sens noble du terme.
Hervé de Charrette : Je ne suis pas choqué de cette désignation, au contraire. Le Président de la République, comme moi-même d’ailleurs, lorsque nous partons à l’étranger, avons toujours sous le bras le dossier de quelques grands contrats, grands projets intéressant l’économie française.
LCI : Quels sont les dossiers importants ?
Hervé de Charrette : Revenons sur le sens de ce voyage. La Chine est un pays, comme chacun le sait, de 1 milliard 300 millions d’habitants. Ce pays a vécu pendant près d’un demi-siècle, replié sur lui-même, enfermé dans son territoire évidemment considérable. Depuis maintenant longtemps, mais cela se voit de plus en plus, la Chine a choisi l’ouverture, elle a choisi de reprendre sa place dans la communauté internationale. Alain Peyrefitte avait écrit « Quand la Chine s’éveillera ». Il a écrit un autre livre : « La Chine s’est réveillée ». C’est un fait, la Chine connaît maintenant un développement économique formidable et ses dirigeants ont clairement marqué leur volonté de peser de tout leur poids dans la communauté internationale. Cela veut dire que dans 20 ans, la Chine sera probablement la première puissance économique, et probablement politique, du monde.
La France, puissance de rang mondial, doit avoir évidemment pour objectif de nouer avec la Chine un dialogue sur tour les sujets. C’est ce que nous avons décidé de faire.
LCI : Parlez-vous avec des objectifs précis ?
Hervé de Charrette : Bien entendu. C’est le général de Gaulle qui a été le premier à reconnaître la Chine en 1964. Ensuite, il y a eu une période, notamment dans les années 1980, pendant laquelle nous n’avions pratiquement pas de contacts avec la Chine, et nous avions, de cette façon, choisi Taïwan.
Nous avons décidé qu’il était absolument nécessaire d’avoir un dialogue avec les Chinois. Évidemment, c’est avant tout un dialogue politique, et il s’agit d’établir entre la France et la Chine, entre l’Europe et la Chine, ce dialogue au plus haut niveau.
C’est aussi, la promotion de la défense de nos intérêts économiques. En Chine, Les Chinois roulent en voiture japonaises, Boeing est très présent... II est donc indispensable que nous allions là-bas aussi pour prendre les places, les parts de marché qui nous sont offertes. Il s’agit de grands contrats : construction d’une centrale nucléaire, participation à un grand barrage dans le nord de la Chine, vente d’avions, la construction d’un avion de 100 places, qui va, j’espère, aboutir au cours de ce voyage, et qui sera très important sur le marché chinois et sur le marché mondial. Il s’agit aussi, bien sûr, d’augmenter les parts de marché de nos entreprises dans la vie économique chinoise. Par exemple, Carrefour est maintenant implanté de façon très remarquable en Chine. J’étais l’autre jour avec une délégation de chefs d’entreprises du Choletais qui fabriquent des chaussures et qui ont souvent l’occasion de se plaindre d’être concurrencées par les espadrilles à bas prix fabriquées par les Chinois. Ces industriels vont partir en Chine avec l’idée qu’ils peuvent vendre des chaussures françaises de qualité à une certaine partie de la clientèle chinoise. C’est vous dire qu’il y a un immense chantier en formation : notre part de marché en Chine est pour l’instant de moins de 2 %. Il faut tripler cela dans les années qui viennent.
LCI : Pourquoi le Président de la République est-il amoureux du monde asiatique ?
Hervé de Charrette : Il y a dans cette attitude du Président de la République quelque chose de tout à fait remarquable. Souvent nous considérons que nous sommes au centre du monde. Il y a une sorte de vanité européenne et française. Très bien, je suis évidemment très fier de mon pays, de sa civilisation et de son histoire. Mais il faut connaître les autres et il faut les aimer. La civilisation chinoise a 3 500 ans sans discontinuer. Les Chinois ont cette fierté de leur civilisation, de leur culture, leur tradition, égale à la nôtre. Si nous voulons faire valoir notre propre fierté, qui est grande et qui a raison d’être grande, il faut aussi être capable de comprendre et d’aimer la fierté, la civilisation, la culture, la richesse humaine des autres nations. En Asie, il y a des trésors d’Histoire et de culture, de valeurs qui méritent d’être respectés et considérés. Dans le monde de demain, quand nous parlons de l’exception culturelle, quand nous voulons faire valoir ce que nous sommes, nous ne pouvons le faire qu’en nous appuyant sur la même idée que partagent nos deux peuples : la Chine et la France pensent que le monde ne doit pas être domino par un seul, une super puissance, mais qu’il doit être multipolaire, qu’il ne doit pas être marqué par une seule culture, mais par la variété, la diversité et la richesse des cultures du monde. Le partage des cultures, c’est vraiment demain.