Article de Mme Jacqueline Léonard, secrétaire de la CGT, dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" du 20 septembre 1996, sur les propos de M. Le Pen sur "l'inégalité des races" et le rôle du syndicalisme dans la lutte contre le racisme, intitulé "Le seuil de l'intolérable est franchi".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : L'Hebdo de l'actualité sociale

Texte intégral

Indignation, colère, dégoût, on ne sait quel mot utiliser pour dire les sentiments qui percutent le cœur et la raison, devant les provocations et manifestations du Front national.

Ni dérapage, ni bavure, l’auteur du « détail de l’histoire » qui s’inspire du nazisme pour banaliser l’horreur des camps d’extermination, ose déclarer pour la première fois en France, depuis 50 ans, qu’il croit à « l’inégalité des races » et en « une civilisation supérieure ».

Il ne respecte rien de la douleur d’une famille et exploite l’horrible crime, commis par un jeune sur un autre jeune, pour le charger de haine raciale et xénophobe. Des affiches proclamant « l’expulsion des clandestins » sont collées sur les murs. Le Pen sème le poison du racisme, de la violence, de la division parmi les salariés et dans la population. Le seuil de l’intolérable est franchi.

Avec la CGT, d’autres voix s’élèvent pour dénoncer, condamner, réclamer justice et condamnation parce qu’il y a violation des droits de l’homme, danger pour l’humanité, menace pour la démocratie.

Que fait le gouvernement ? Il y a en France des valeurs républicaines à faire respecter, « liberté, égalité, fraternité ». Les dispositions ne manquent pas dans la constitution, dans le Code pénal et le Code du travail pour interdire toute discrimination. Une loi comme celle de Gayssot en 1992 vient renforcer celle de 1972 affirmant que le racisme n’est pas une opinion, mais un délit.

Notre histoire, en particulier celle du syndicalisme et de la CGT, est riche de tradition d’accueil, d’intégration, de solidarité.

Mais le gouvernement reste sourd. La décision est prise de n’engager aucune poursuite. Et pour cause ! L’extrême droite se nourrit des politiques de chômage, d’austérité, de régression sociale, sans jamais mettre en cause les responsabilités du gouvernement et du patronat qui organisent des filières d’immigration et emploient clandestinement des hommes et des femmes pour tirer les plus grands profits d’une main d’œuvre sans droits et sans papiers.

Au lieu de combattre et faire barrage à ces dérives dangereuses, les gouvernements ont contribué à la banalisation du racisme en multipliant les dispositions législatives et réglementaires qui fragilisent la population immigrée.

Il aura fallu les puissantes manifestations du mois d’août avec les « sans papiers » pour comprendre le sens de la lutte pour la régularisation de leur situation, pour commencer à placer le débat de l’immigration sur d’autres bases que celles fixées par le Front national et pour que se manifestent les actes et les sentiments de solidarité, de citoyenneté, d’attachement aux droits de l’homme.

Il est grand temps que l’opinion publique et les salariés en particulier, se mobilisent pour faire barrage à la stratégie du Front national qui prétend investir le terrain social et plus particulièrement le champ syndical, en commençant à déposer des pseudos statuts dans plusieurs secteurs professionnels et recueillir des voix dans certaines élections professionnelles comme la police.

Si la contestation devant les tribunaux s’avère indispensable en toute circonstance, elle ne suffit pas. Le mal est sérieux. Mieux vaut en voir toute la complexité et s’interroger sur comment l’affronter.

Le pire serait donc de rentrer la tête en attendant que cela passe.

Au contraire, le syndicalisme doit être une chance, un lieu d’échange, de débat ouvert, accueillant, à l’écoute des souffrances, des colères et des exigences de chacun pour réfléchir et trouver ensemble comment rompre avec l’isolement, le chacun pour soi et le rejet de l’autre, pour nouer de nouveaux rapports entre l’individuel et le collectif, retisser les liens cassés par la mal vie au travail et, dehors, reconstruire les solidarités de lutte.

N’est-ce pas dans cette démarche unitaire et rassembleuse, courageuse et conquérante que nous construirons un syndicalisme résolument antiraciste, parce que résolument fraternel et humain, démocratique et à l’écoute de toutes les aspirations.

Un syndicalisme authentique, utile et efficace, capable de dépasser toutes les fractures et les clivages, pour faire vivre sur le lieu de travail une grande force collective, pour le progrès social et la dignité de tous les êtres humains.