Interviews de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, président délégué de l'UDF et président de Force démocrate, à France 2 le 19, à France-Inter le 20, et à RTL le 26 mai 1997, sur les propositions de la majorité en vue des élections législatives 1997 et les résultats du premier tour.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - France Inter - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 : lundi 19 mai 1997

B. Masure : Même question que M. Aubry hier soir : les instituts de sondage montrent qu’en gros, au bout de quatre semaines de campagne, chaque grande coalition est exactement dans le même état qu’au début de la campagne. Donc peut-être quatre semaines pour rien. On n’a pas l’impression ni d’un élan partagé ni d’une réelle envie de changer l’avenir ?

F. Bayrou : Moi, je n'ai pas ce sentiment. Chacun naturellement juge sur ce qu'il voit et qu'il connaît. Vous savez que je me présente dans une des circonscriptions des Pyrénées-Atlantiques et je n'ai pour ma part, jamais vu autant de monde aux réunions. Alors c'est à peu près le cas général. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je crois que ça veut dire en tout cas que les Français mesurent la dimension de l'enjeu. Je ne dis pas que leur sentiment est définitivement fixé mais ils mesurent la dimension de l'enjeu et je crois qu'ils se rendent compte en particulier de ceci : l'Assemblée que nous allons élire, c'est la première Assemblée du XXIe siècle. Les députés qui vont être mis en place siégeront jusqu'en 2002. Ils seront les premiers députés du troisième millénaire. Je crois que rien que cela suffit à donner la dimension de cet enjeu.

J.-M. Carpentier : Ici, V Giscard d'Estaing disait la semaine dernière qu'il fallait gouverner autrement. Vous avez dit depuis que vous l'approuviez mais pour les Français en fait, gouverner autrement, c'est d'abord créer des emplois, baisser les impôts, voire baisser les charges de certaines entreprises. Pour vous c'est quoi, c'est changer les hommes, changer A Juppé ?

F. Bayrou : D'abord je crois qu'on se trompe en personnalisant constamment les débats. Ce n’est pas la Ve République. La Ve République ne donne pas aux élections législatives le pouvoir de choisir le Premier ministre. Ça, c'est le système allemand, ce n'est pas le système français. Le système français repose sur un équilibre : vous avez d'un côté les législatives qui donnent le projet et le Président de la République qui choisit l'homme qui va porter ce projet. Et c'est dans cet équilibre entre président et députés que se trouve la Ve République parce que naturellement, le Président de la République est le seul qui soit élu, lui, au suffrage universel. »

B. Masure : C'est précisément l'homme qui incarne ce projet. Honnêtement entre un homme – pour prendre deux noms comme ça, au hasard –, entre A. Madelin et P. Séguin, ne serait-ce par exemple sur la place de l'État, il n'y a pas forcément convergence. Donc le projet est différent selon la personnalité qu'on choisit pour animer le Gouvernement ?

F. Bayrou : Oui mais le projet n’est choisi ni par un homme ni par un autre. C’est pourquoi il faut éviter de personnaliser. Mais le projet est choisi par les Français sur le programme et l'équilibre que la majorité a définis.

J.-M. Carpentier : Par exemple sur l'Europe, on sent qu’il y a eu un rapprochement important pendant cette campagne. On est moins technique, on parle moins des 3 % des critères de convergence, on est plus politique. Est-ce que ça peut amener quelqu'un qui n'a pas voté pour le traité de Maastricht, comme P. Séguin à pouvoir gouverner, être le chef du Gouvernement sur une nouvelle base politique ?

F. Bayrou : L'importance dans ce que P. Séguin a dit, C'est qu’il approuvait désormais l'application du traité de Maastricht adopte par le peuple français. Et ce n'est pas une surprise pour moi, il me l'avait dit avant le vote de 1992. Mais plus important encore, et il a est bien que vous le notiez, le fait que les positions au sein de la majorité se sont rapprochées sur ce sujet. La majorité est aujourd’hui la force la plus cohérente. Tout à l'intérieur de la majorité ont choisi d'aller dans le même sens. Ce qui n’est pas le cas bien entendu de la coalition de gauche qui, sur ce sujet, est absolument écartelée.

J.-M. Carpentier : Ce qui signifie que, selon que, ce soit A Juppé, P. Séguin, A Madelin, ce n'est plus un problème maintenant ? Ce qui compte, c'est que la majorité soit gouvernée par quelqu'un...?

F. Bayrou : Tout le monde, parmi les responsables de la majorité, a indiqué quel était le choix européen qui s'imposait à tous. Et comment en serait-il autrement ? Vous venez, B. Masure, de montrer deux sujets dans le journal le premier, c'est celui du Moyen-Orient et votre commentateur a fini par cette phrase terrible. Il a dit : « le processus de paix est agonisant. » Et le deuxième sujet, c'est le Zaïre ou vous avez dit vous-même ce que tout le monde sait désormais, c'est l'ampleur des massacres par un des deux camps contre l'autre. Et nous allons rester les bras croisés ? Je ne parle même pas la de monnaie ou de finance ou d'économie. Et pourtant, il y a à dire. Est-ce que nous allons pour le XXIe siècle dans lequel nous allons entrer, de demeurer impuissants en face de drames où se joue une partie de notre avenir ?

B. Masure : Mais tout le monde semble d'accord pour que l’Europe joue un rôle politique.

F. Bayrou : Eh bien, si tout le monde est d'accord, que tout le monde la fasse. Ce qui me frappe, moi, c'est qu'il y a des gens qui disent quelquefois qu'ils peuvent être d'accord mais qui en réalité retiennent constamment le mouvement vers la construction d'une puissance dont nous avons besoin pour que notre vision française du monde réussisse à être respectée par tous. Nous ne pouvons pas continuer à vouloir à la fois notre projet français et sa faiblesse. Moi je propose que nous y ajoutions la force.

J.-M. Carpentier : Revenons en politique française. Le Front national revient à un slogan « ni droite-ni gauche » après avoir apparemment soutenu L. Jospin, en tout cas J.-M. Le Pen. Alors vous avez demandé à ce moment-là de récuser les voix du Front national au deuxième tour, maintenant, ils appellent plus ou moins à voter pour la droite. Est-ce que vous récusez les voix du Front national au deuxième tour ?

F. Bayrou : Ils n'appellent pas à voter pour la droite et je n'ai donc pas à prononcer ce genre de phrase. C'était simplement parce qu’il y avait une prise de position de M. Le Pen disant qu'il voulait une majorité de gauche, que des voix se sont exprimées en ce sens. Je refuse qu'on fasse du Front national la vedette de la politique française. Et donc je refuse qu'on passe son temps à le mettre en valeur en se renvoyant le Front national comme une grenade dans les jambes. Je n'adopte pas pour ma part ce genre d'attitude.

B. Masure : Le problème se posera entre les deux tours tout de même parce qu'il y aura un certain nombre d’électeurs qui n'auront plus de candidats et qui devront bien se déterminer.

F. Bayrou : M. Le Pen a annoncé que partout où il le pourrait, il maintiendrait ses candidats et s'il ne peut pas les maintenir, c'est qu'il n'a pas le nombre de voix nécessaires.

B. Masure : Vous savez qu'on accuse souvent les hommes politiques français d'être un peu manichéens. Y a-t-il au moins un point du projet socialiste sur lequel vous êtes d'accord ou est-ce que tout est à jeter à la poubelle ?

F. Bayrou : Non, sûrement pas. D'abord, vous savez bien que je ne crois pas moi que le monde soit divisé en deux par une barrière invisible et qu'il y ait tous les intelligents d'un côté et tous les imbéciles de l'autre, et pas non plus tous les généreux d'un côté et tous les égoïstes de l'autre. Je crois qu'on a besoin de la diversité des sensibilités. Et il se trouve que je respecte cette diversité des sensibilités. Disons que ce qui me frappe, c’est qu’il y a un accord sur le fait que la baisse des charges est clé. Simplement je crois que nous sommes plus déterminés et plus concentrés sur la baisse des charges que le Parti socialiste est plus cohérent aussi dans son financement. Mais je me réjouis en tout cas que l’on s’aperçoive qu’il y a là un point-clé pour l’emploi.


France Inter : mardi 20 mai 1997

A. Ardisson : Êtes-vous satisfait de la manière dont l’Europe a été traitée dans cette campagne puisque c'est l’un des motifs invoqués par le Président de la République pour justifier la dissolution ?

F. Bayrou : En tout cas, nos concitoyens ont compris que c'était une échéance majeure et ils sont, à mon avis, moins intimidés que les responsables politiques ne 1'ont été pendant le début de la campagne - B. Bromberger le rappelait à l'instant - pour en parler, pour se poser des questions. Et j'ai le sentiment que, pour eux, c'est un sujet central, ils ont bien raison.

A. Ardisson : Mais ne trouvez-vous pas que, pour l’Europe précisément, le discours de la majorité, la voie qu'elle trace n'est pas tout fait cohérente finalement, face à la gauche ? Parce que quand on voit que celui qui en parle le plus, c'est P. Séguin, qui a quand même une lecture personnelle...

F. Bayrou : Je crois exactement le contraire et on vient de l'entendre à l’instant : en effet, le sentiment des uns et des autres à l’intérieur de la majorité, sur l’Europe, s’est considérablement rapproché. Désormais, nul ne met plus en cause le choix de 1992, nul ne réclame de nouveau référendum qui aurait été une épée Damoclès au-dessus du destin européen de la France. Et tout le monde est d’accord pour considérer que l’Europe est la meilleure protection possible de l’emploi si l’on décide de faire une politique offensive pour l’emploi. Tout cela, me semble-t-il, confirme le choix du Président de la République qui, vous le savez, a depuis longtemps décidé de soutenir le choix européen de la France, comme le Chancelier Kohl le fait de son côté pour le choix européen de l’Allemagne.

A. Ardisson : On a beaucoup critique A. Juppé quand il a dit, à propos des trois conditions mises par L. Jospin pour entrer dans la monnaie unique, que finalement, sur le fond, il n'en était pas très éloigné. Qu'en pensez-vous ?

F. Bayrou : Sur la forme, l'affirmation de conditions est critiquable sur un seul point. Mais il est majeur. C'est de laisser penser aux Français que l'Europe est une menace et qu’il faut donc se protéger contre cette menace. C'est la présentation qui est critiquable. Quant au gouvernement économique, à côté de la banque européenne, nous l’avons demandé et obtenu. Et quant au souhait de faire que la monnaie de l'Europe soit la plus large possible et intègre, pourvu que les économies d’un certain nombre d’États fondateurs de l'Europe soient en bonne santé, l'Italie par exemple, l'Espagne aussi, nous n'avons jamais divergé de ce point de vue-là. Je l'ai moi-même exprimé à plusieurs reprises. Donc, ce qui est critiquable dans une campagne électorale, ce n'est quelquefois pas les mots eux-mêmes, ce sont les orientations que ces mots font entrer dans l'esprit de nos concitoyens. C'était sur ce point que nous avons eu un débat avec M. Jospin et il semble aujourd'hui que M. Jospin ait repris un certain nombre de ses billes.

A. Ardisson : Il n'en reste pas moins, si on vous suit sur ce terrain des mots qui font rentrer un certain nombre d'idées dans la tête de nos concitoyens, que, selon qu’à l'issue du deuxième tour, c'est P. Séguin qui est choisi pour conduire les affaires ou F. Bayrou, ce ne sera pas exactement la même chose en matière européenne ?

F. Bayrou : Je sais bien que le grand jeu est aujourd'hui d'essayer d'opposer des personnalités.

A. Ardisson : Non : des idées.

F. Bayrou : Je voudrais rappeler ce que c'est que la Ve République. La Ve République, c'est un Président de la République élu au suffrage universel, qui est le seul dans nos institutions dont le pouvoir, l'influence et la magistrature viennent du peuple lui-même. A côté de ce Président de la République, une Assemblée nationale dont chacun des députés est élu au suffrage universel pour son propre compte, 577. Ça signifie quoi ? Qu'au moment des élections législatives, le peuple choisit le projet et le Président choisit les hommes. Les deux légitimités se réunissent en une seule. Le peuple choisit l’orientation et le Président choisit les équipes. Et d’ailleurs, il a le pouvoir, la faculté, en cours de législature, de renouveler ces équipes. Vous voyez bien que cet équilibre, c’est la Ve République. La Ve République, ce n’est pas autre chose que cet équilibre-là. C’est pourquoi, naturellement, moi je ne me prête pas à ce petit jeu d’opposer des noms et des personnalités. Ce n’est pas l’heure de choisir les équipes, c’est l’heure de choisir le projet.

A. Ardisson : Il n’était pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Un autre sujet : vous êtes ministre de l’éducation, est-ce que vous estimez avoir accompli votre tâche, parce que je vois dans la plate-forme UDF-RPR qu’il y a encore beaucoup à faire ?

F. Bayrou : Il y a et il y aura toujours à faire, bien entendu. L’éducation, c’est le cœur d’une société. J’ai souvent dit que si les Français avaient à dessiner quelque chose qui veuille dire « liberté, égalité, fraternité », ils dessineraient une école. C’est le lieu où s’accomplit l’égalité des chances, où devait s’accomplir l’égalité des chances, où se construit la liberté personnelle et où se donnent les premiers éléments de ce projet de fraternité qui est la nôtre. Donc c’est tout à fait sensible et essentiel. Et bien entendu, l’école c’est aujourd’hui le recours contre les drames divers que notre société vit et qui sont des fractures sociales, culturelles, affectives. Eh bien, naturellement, cette école-là n’aura jamais fin d’être adaptée. Il y a beaucoup de travail à faire encore. Simplement, on a beaucoup fait en quatre ans et on l’a fait, je voudrais insister sur ce point, sans que nul puisse avoir le sentiment qu’il y a affrontement partisan ou idéologique à l’intérieur de l’école. C’est la première fois depuis longtemps que des réformes sont acceptées, qu’elles passent qu’elles reçoivent le soutien des acteurs et qu’elles ne suscitent pas, au contraire, de ces mouvements de rue qui faisaient qu’en réalité, on reculait au lieu d’avancer.

A. Ardisson : Mais sur le terrain de cette adaptation, est-ce qu’il y a une vraie différence entre ce que peut faire un gouvernement de droite ou un gouvernement de gauche ?

F. Bayrou : Je n’ai jamais posé le problème en ces termes. Pour moi, je ne crois pas que l’école soit le lieu d’un affrontement politique. Je ne crois pas que l’école appartienne aux uns contre les autres. L’école, c’est l’affaire de tous et m’y tiendrai.

A. Ardisson : Donc, ça ne peut pas être un thème de campagne ?

F. Bayrou : Et vous aurez observé – c’est ce que je voulais dire – que personne n’en fait un thème de campagne, personne n’en fait un thème d’affrontement. D’une certaine manière, c’est, me semble-t-il, un succès pour cela qui a voulu que l’école échappe aux affrontements partisans.

A. Ardisson : Comment voyez-vous l’après-deuxième tour, parce que finalement c’est ça qui est le plus intéressant ? Craignez-vous les effets de la cohabitation, si cohabitation il devait y avoir ?

F. Bayrou : J’ai été ministre d’un gouvernement de cohabitation. C’est un mouvais système pour la France. Il y a naturellement des moments où ce système s’impose en raison des échéances électorales. Il est constitutionnellement possible mais politiquement, c’est système qui est un frein. La cohabitation consiste en une négociation permanent et conflictuelle entre le Président de la République d’un côté et le gouvernement de l’autre avec, au fur et à mesure que le temps passe et que les mois passent, un certain nombre de chausse-trapes. C’est un système qui n’est pas sain. C’est un système que, depuis longtemps, on a pu observer comme un de ceux qui ne permettent pas d’avancer et de prendre les décisions qui s’imposent. Alors, il y a des moments de l’histoire où ça n’est pas très grave. Mais au moment des grandes échéances, au moment où il faut la France pèse lourd dans les négociations, qu’elle s’impose autour de la table et qu’elle fasse entendre sa voix, alors dans ce moment-là, il faut que la majorité et président tirent dans le même sens.


RTL : lundi 26 mai 1997

O. Mazerolle : Avec 30 % des suffrages au dernier pointage du ministre de l’intérieur, la majorité a-t-elle reçu une simple gifle ou bien est-elle en train de vivre une rupture avec ses électeurs ?

F. Bayrou : Je crois qu’il y a un avertissement, un coup de semonce, on peut choisir le vocabulaire que l’on veut. Les électeurs se sont servis du premier tour de l’élection législative pour envoyer un message. Ce message est bien entendu un message critique d’avertissement. Maintenant, ils sont un deuxième tour devant eux. Ce deuxième tour a une autre fonction : il s’agit de choisir quelle sera l’équipe, quelle sera la cohérence qui aura la responsabilité des années qui viennent. Ma conviction est qu’ils vont maintenant, avec le sérieux qui les caractérise, car ils prennent les élections au sérieux, aller jusqu’au bout de la réflexion sur cette cohérence et sur ce choix.

O. Mazerolle : L’avertissement a-t-il essentiellement porté sur le contenu de la politique ou sur la méthode ?

F. Bayrou : Je crois qu’il a porté – c’est mon sentiment – sur en particulier la méthode, c’est-à-dire sur le sentiment que beaucoup avaient qu’il y avait sans doute d’autres manières de prendre les citoyens comme partenaires et comme acteurs des décisions à prendre, et de la démocratie. Peut-être aussi y avait-il à clarifier davantage. Des problèmes de communication, nous en avons eus. Mais je crois que le plus important, c’était évidemment la méthode. »

O. Mazerolle : Qui est averti : le Président de la République qui a voulu ces élections ou le Gouvernement ?

F. Bayrou : C’est la majorité qui se présentait.

O. Mazerolle : Les deux donc, Gouvernement et le Président ?

F. Bayrou : Non, c’est la majorité, c’est-à-dire le Gouvernement et les députés qui le soutiennent. Je pense que naturellement, le Président de la République est à l’écoute. Il ne peut pas ignorer le sentiment que les Français ont exprimé hier, mais principalement, c’est la majorité et le Gouvernement qui ont été au centre de la réflexion que les électeurs ont manifestée par leurs bulletins de vote.

O. Mazerolle : Avant dimanche prochain, pour bien faire comprendre qu’il a entendu le message, le Président de la République doit-il se contenter de parler ou bien doit-il également annoncer des décisions, parler particulièrement du rôle d’A. Juppé ?

F. Bayrou : Mais le Président de la République, naturellement, a à scruter avec encore plus de soin et de précision que nous tous, à la fois les résultats et ce que les Français ont voulu dire à travers ces résultats. Je pense qu’il tirera les conclusions et qu’il dira lui-même ce qu’il a entendu et ce que lui inspire ce qu’il a entendu.

O. Mazerolle : Compte tenu de l’importance de la psychologie en politique, est-ce que le cas Juppé est posé ce matin ?

F. Bayrou : Encore une fois, si on personnalise les choses, on se condamne à ne pas entendre. Bien entendu, chacun de ceux qui ont la responsabilité de la majorité, du Gouvernement, ont été à leur manière interpellés, A. Juppé comme les autres. Mais encore une fois, je pense qu’il n’est pas bon de faire des personnalités des boucs émissaires. Ce n’est pas la bonne attitude.

O. Mazerolle : A. Juppé disait hier soir : « Les Français ont montré qu’ils voulaient le changement. Nous aussi, nous voulons un changement avec des idées neuves ». Vous avez des idées en réserve ?

F. Bayrou : On a des idées qui sont au cœur du projet que nous avons présenté, qui ne sont pas apparues, je crois, clairement aux Français. Je crois que ce qu’il faut mettre en valeur, c’est deux axes principaux : le premier de ces axes, c’est qu’il y a une démarche politique nouvelle à inventer. Cette démarche politique nouvelle, elle s’appuie sur le fait que les citoyens ne sont plus des sujets de décisions, même démocratiques, même légales : ils sont des acteurs, ils ont leur part de responsabilité sur leur propre destin. L’idée qu’on décide en haut et qu’on obéit en cas, cette idée est derrière nous. Cela fera, à mon avis la matière des années qui viennent. C’est un des sujets les plus importants que nous ayons à traiter. Comment faire pour que les citoyens, qui manifestent leur défiance à l’égard des grandes formations politiques davantage à chaque élection – ce qu’on a peu souligné, me semble-t-il, c’est que la gauche, le Parti socialiste, avec à peine plus d’un quart des électeurs qui se sont exprimés pour lui, est autant en situation de défiance comme grande formation politique que les formations de la majorité. Donc, les citoyens ne veulent plus être des sujets : ils veulent être acteurs. Et deuxième axe : il faut préciser en quoi le projet de la majorité est nettement différent du projet du Parti socialiste et quel est le caractère incrédible, déraisonnable des propositions qui sont avancées, qui étaient avancées hier comme des propositions d’opposition – lorsqu’on est en opposition, on se sent un peu plus libre de dire des choses peu crédibles – et qui apparaîtront aujourd’hui comme ne tenant pas la route.

O. Mazerolle : Que diriez-vous à des électeurs qui pourraient se montrer méfiants, qui vont vous entendre et se dire « ils sont en train de nous parler, c’est fort sympathique, mais une fois le deuxième tour passé, lorsque nous nous seront réconcilié avec eux en votant pour eux, ils nous oublieront une nouvelle fois ?

F. Bayrou : Je pense que présenter la démocratie de cette manière-là, c’est fragiliser la démocratie. L’espèce de scepticisme perpétuel dans lequel on prend des attitudes et les déclarations des responsables politiques contribue à cette marginalisation.

O. Mazerolle : Ce sont les électeurs qui se sont montrés sceptiques, hier.

F. Bayrou : Oui. Mais je me refuse à avoir cette attitude. Il me semble qu’il faut prendre au sérieux les problèmes et les gens. Ma certitude, c’est qu’il existe des attitudes politiques qui sont sincères et qui sont justes, qui sont les seules qui puissent permettre de répondre aux problèmes comme ils se posent, pas aux problèmes comme on les voudrait. Personne ne supprimera de la carte le fait que le monde est dans une concurrence économique terrible.

O. Mazerolle : D’accord, mais vous ne croyez pas que les électeurs ont voulu dire : « on s’est fait avoir en 1995 » ?

F. Bayrou : Non, je pense qu’ils ont traduit une mauvaise humeur et qu’ils se sont servis du premier tour avec beaucoup de soin pour donner leur sentiment sur une situation politique. Ma conviction est qu’ils ne veulent pas le retour en arrière. Beaucoup d’entre eux ont souhaité que le Gouvernement et la majorité les entendent. Pour autant, ils ne souhaitent pas se retrouver dans la situation d’avant 1993, dont il faut quand même rappeler à quel point ils ont eux-mêmes constaté que c’était vraiment une situation inacceptable du point de vue de la gestion et du point de vue moral.

O. Mazerolle : Dans bien des cas, des candidats du Front national vont se retrouver seuls face à des candidats de gauche au deuxième tour. Que demandez-vous aux électeurs de la majorité de faire dans ce cas : voter Front national, laisser faire ou voter pour la gauche ?

F. Bayrou : Les électeurs de la majorité ont deux choses à l’esprit : d’une part, ils savent que la gauche et la majorité, ce n’est pas la même chose, qu’il y a deux projets, deux attitudes politiques différentes. La deuxième chose, c’est qu’ils savent qu’ils ont des valeurs : ils n’oublieront pas leurs valeurs. Vous verrez qu’ils exprimeront, dans ce dilemme, leur choix.

O. Mazerolle : Donc il vaut mieux voter pour… ?

F. Bayrou : Ils exprimeront leur choix.

O. Mazerolle : Pas de mot d’ordre ?

F. Bayrou : Nous allons nous expliquer ce matin et dans la journée sur tous ces points.

O. Mazerolle : Pas de consigne ?

F. Bayrou : Vous verrez dans la journée.