Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, dans "Paris-Match" du 1er janvier 1998, sur la nomination de femmes à des postes de direction au ministère de l'éducation, la réforme de l'administration centrale, la lutte contre la violence dans les établissements scolaires, et sur la grève des instituteurs.

Prononcé le 1er janvier 1998

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Média : Paris Match

Texte intégral

Q - Vous venez de nommer des femmes aux commandes de cinq des onze nouvelles directions de votre administration centrale. À votre tour, vous succombez à l’atout femme ?

– Jamais je n’aurais nommé ces femmes si j’avais pensé qu’elles n’étaient pas aussi, si ce n’est plus, compétentes que les candidats hommes. Les femmes gadgets, cela ne m’intéresse pas. Simplement, il était temps que, dans ce ministère où sur 1,1 million d’administrés 65 % sont des femmes, elles accèdent enfin à des postes de pouvoir. Je vous rappelle que j’ai promu la première femme directrice générale du C.N.R.S. L’homme qui aimait les femmes, ce n’est pas moi… En revanche, je suis l’homme qui croit aux femmes. Et depuis longtemps… Je suis le professeur français qui a fait passer le plus de thèses en sciences de la terre à des filles, et mon cabinet comprend 45 % de femmes. Le plus important avec ces nominations, c’est que, désormais, ce processus de féminisation à la tête du ministère est à mon avis irréversible.

Q – Ne seriez-vous pas plutôt l’homme qui a besoin du savoir-faire féminin pour dégraisser le mammouth ?

– Si je parlais comme un patron, je dirais que les femmes sont plus efficaces car plus pragmatiques et plus dynamiques. À l’intérieur d’une, équipe, les relations sont réellement plus détendues, car elles n’ont pas l’obsession du pouvoir. Ce qui est efficace dans une équipe, c’est l’équilibre hommes-femmes.

Q – Alors, cette réforme de l’administration centrale, c’est le premier coup de scalpel du dégraissage ?

– En supprimant cinq des seize directions, c’est le début de la cure d’amaigrissement du pouvoir central au ministère : de 4 000 personnes hier, les fonctionnaires ne seront plus que 2 500 d’ici un an. Mais attention, cela ne signifie pas que nous mettons à la porte les 1 500 partants. Nous redéployons. Pour plus d’efficacité, nous allons proposer plus de postes sur le terrain. C’est un dégagement vers la périphérie : nous allons rééquilibrer le poids du cargo en donnant plus de pouvoir aux ailes. Et, je l’espère, dynamiser le tout.

Q – Parlons donc du terrain. Vous avez annoncé un plan antiviolence, mais, depuis, les agressions continuent de plus belle. Seriez-vous dépassé par l’ampleur du chantier ?

– Je rappelle que le plan débuts mi-janvier, dans neuf zones ciblées. Nous travaillons à sa mise en place. Pour les urgences, je vais bientôt nommer un monsieur Violence, l’inspecteur général Jacky Simon. Il aura pour mission d’organiser un réseau d’action d’urgence. Dès qu’il sera alerté d’un problème grave, il aura de vrais moyens pour monter des opérations coups de poing sur le terrain et très vite. Un quota d’emplois-jeunes, d’infirmières, de pions, etc., sera mis à sa disparition pour former des équipes d’intervention. Nous réfléchissons aussi à la création de pensionnats pour les collèges en zones difficiles, qui manquent cruellement. Mais, soyons clairs, c’est un problème difficile…

Q – Le 1er février, vous allez devoir d’affronter votre première grève d’instituteurs. C’est le début d’un bras de fer avec les syndicats ?

– Cette grève ne m’inquiète pas outre mesure. C’est une grève pour obtenir des augmentations de salaires et ce n’est pas moi qui détiens le porte-monnaie du Gouvernement. Mais les syndicats devraient faire attention : c’est leur image auprès de l’opinion qui pourrait pâtir de cette grève. Faut-il leur rappeler que Jospin, quand il était leur ministre, a revalorisé leurs rémunérations de 30 %. Je ne suis pas certain que les Français comprendront une grève salariale au moment où nous luttons contre le chômage et où nous venons de mettre 30 000 emplois-jeunes dans les écoles.

Q – Quels délais vous donnez-vous pour réformer l’Éducation nationale ?

– J’aurai fini de réformer quand je serai mort ! Je ne peux pas faire croire aux citoyens que les problèmes vont se résoudre par miracle. Les chantiers de l’enseignement scolaire sont sur des rails. Désormais, je vais m’attaquer à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Q – Jacques et Bernadette Chirac semblent séduits par le ministre Allègre… Seriez-vous le ton élève de la cohabitation ?

– Le président m’a dit : « Je vois que vous essayez de faire bouger les choses à l’Éducation nationale. Ce n’est pas trop tôt. » Je ne suis pas naïf pour autant.