Texte intégral
France 2 – Dimanche 4 mai 1997
B. Masure : Combien espérez-vous avoir d’élus ?
P. de Villiers : On a été pris de court. Ça c’est tout à fait vrai. C’était fait pour ça d’ailleurs, mais on a quand même 520 candidats.
B. Masure : Combien à l’arrivée selon vos hypothèses les plus optimistes ?
P. de Villiers : 520 candidats à l’arrivée. On verra bien le score au soir du premier tour.
J.-M. Carpentier : Mais précisément au soir du premier tour, ces 520 candidats vous les situez où dans la campagne ? Vous êtes où actuellement ? Dans la majorité ? À droite de la droite ?
P. de Villiers : La droite indépendante se situe de la manière suivante : contre le socialisme ; pour une autre majorité. C’est-à-dire que nous voulons proposer une autre vision de la France, de la société française, une autre majorité, une autre politique. Alors qu’est-ce que c’est une autre politique ? Sur les trois chapitres essentiels de la vie publique, une politique de lutte contre le chômage et non plus une politique de marche forcée à la monnaie unique qui conduit au chômage. Donc ça veut dire une politique de la France et de l’Europe des nations. Ça c’est le premier message distinctif que nous souhaitons faire passer. Deuxième message distinctif, un vrai projet libéral pour l’entreprise. La libération des forces créatives, des forces vives...
J.-M. Carpentier : Ça c’est comme le gouvernement d’A. Juppé. C’est ce qu’il propose également.
P. de Villiers : Oui mais le problème c’est que depuis deux ans, ils n’ont pas fait ce qu’ils avaient dit qu’ils feraient. Ils avaient dit qu’ils baisseraient les impôts, ils les ont augmentés. Ils avaient dit qu’ils feraient une politique de la famille et ils ont soumis les allocations familiales au RDS.
J.-M. Carpentier : Ça veut dire que vous seriez prêt à dire : sortez les sortants ?
P. de Villiers : Moi je n’entre pas dans le jeu des quolibets stériles et des accusations de personne. Ce n’est pas une affaire de personne. Et donc nos 520 candidats par eux-mêmes représentent des gens neufs, c’est-à-dire que ce ne sont pas des professionnels de la politique, ce sont des gens qui sont des gens de principes, de conviction, qui sont des gens courageux parce qu’ils affrontent la pensée unique et parfois les appareils, et puis ce sont des gens honnêtes. Et pour moi, c’est le troisième message distinctif, le message national, le message libéral et le message de la moralité publique, de l’honnêteté publique. Des gens honnêtes et qui appartiennent à des formations qui n’ont pas de casseroles.
J.-M. Carpentier : Il n’y a pas que des candidats malhonnêtes dans la majorité sortante quand même.
P. de Villiers : Ce n’est pas ce que je dis. Je dis simplement que pour I’instant, nous sommes les seuls – vous vous souvenez de la soirée qui a suivi la dissolution – j’étais le seul à évoquer la question de l’honnêteté. Par exemple nous sommes les seuls proposer que tout homme politique condamne pour corruption soit inéligible à vie. Cela me paraît être le préalable à toute société de confiance. Et il n’y aura pas de redressement économique et social – et donc politique – s’il n’y a pas d’abord le rétablissement d’un regard de confiance et donc l’honnêteté, la probité publique.
B. Masure : Vous êtes un de ceux qui êtes le plus en pointe contre Maastricht. Ce Traité il a été adopté, alors comment peut-on revenir à quelque chose qui a déjà été décidé ? Il n’y a plus de démocratie possible si on remet tout le temps en cause les choses qui ont été adoptées de façon solennelle.
P. de Villiers : D’abord le peuple a tous les droits y compris de se tromper et de se reprendre.
B. Masure : Oui mais c’est un traité international qui engage la France.
P. de Villiers : Écoutez, Maastricht a été une tromperie...
B. Masure : Oui mais ça a été ratifié.
P. de Villiers : Non mais attendez, quand on va dans un cul de sac et qu’on est dans le mur, il vaut mieux revenir en arrière. Or on nous avait dit : il y avait 14 millions de chômeurs ; il y aura 5 millions d’emplois dans les trois ou quatre ans. C’était la formule de Mitterrand qui est – ne l’oublions pas pour L. Jospin – le concepteur de Maastricht. Il y a aujourd’hui 18 millions de chômeurs en Europe. Donc moi je dis : quand on se trompe, il faut revenir en arrière, et le faire vite. Or la monnaie unique c’est le transfert de la souveraineté – ça c’est l’aspect politique – mais c’est aussi la précipitation dans le chômage parce que depuis trop d’années l’Europe a changé de sens. Elle est une Europe libre-échangiste livrée aux délocalisations de nos entreprises et donc de nos salariés. Et deuxièmement, c’est une Europe monétariste, que ces fameux critères de convergence, ils asphyxient l’économie française. Et on ne peut pas réformer à l’intérieur tant qu’on n’a pas résolu ce problème.
J.-M. Carpentier : Vous avez dit que vous vouliez faire de ces législatives un référendum contre l’Europe de Maastricht, est-ce que c’est un référendum contre la politique européenne de J. Chirac ? Que ferez-vous au deuxième tour ? Appellerez-vous à voter au deuxième tour pour la majorité sortante ou comme le Front national vous laisserez vos électeurs dans la nature et objectivement vous aiderez les socialistes ?
P. de Villiers : Je vous ai déjà répondu à cette question. Nous sommes contre le retour du socialisme. Vous savez, moi, en 1981, j’étais sous-préfet, quand j’ai vu arriver Mitterrand, j’ai démissionné. Donc le retour des socialistes non ! Mais pour moi, le socialisme, c’est Maastricht. Je suis contre le socialisme maastrichtien. Donc nous disons aux Français qui nous écoutent et qui nous regardent : votez pour vos idées. C’est-à-dire laissez parler en vous vos convictions...
J.-M. Carpentier : Pour au contre J. Chirac ?
P. de Villiers : Mais ce n’est pas une élection présidentielle. C’est une élection législative.
J.-M. Carpentier : Mais quand vous dites un référendum ?
P. de Villiers : Oui c’est-à-dire qu’en fait, si se développe au premier tour un large, un fort courant d’idées pour des propositions nationales, libérales et de moralisation de la vie publique, eh Bien la vie politique sera différente parce que ce courant infléchira la vie politique. Alors que, dans le cas contraire, eh bien cette majorité qui a échoué, au sens des appareils RPR et UDF, sera reconduite telle quelle et ça n’aura servi à rien. Or nous ce que l’on veut avec nos 520 candidats de la droite indépendante, c’est que cette dissolution injustifiée serve à quelque chose. Serve à quoi ? À changer de cap, à changer de politique pour qu’il y ait vraiment un nouveau souffle et une nouvelle vision. Sinon ça n’aura servi à rien. Et servir quelque chose ça veut dire quoi ? Ça veut dire faire revenir l’espoir. C’est pour cela que cet après-midi, on a lancé notre campagne sur le double thème suivant : faire entrer la France dans la modernité. Et la modernité, c’est la liberté de la France, et c’est la liberté des Français. Les Français aujourd’hui sont accablés par les technocrates, par les impôts, par le dirigisme. Et la liberté de la France, elle est entravée par Maastricht.
RTL : mardi 6 mai 1997
O. Mazerolle : Le Président de la République doit publier demain matin un article dans la presse quotidienne régionale, qu’en attendez-vous ?
P. de Villiers : Moi j’attends qu’il donne enfin un sens à cette dissolution parce qu’elle apparaît aujourd’hui parfaitement injustifiée beaucoup de Français. Il y a eu dissolution, il y a eu dépôt de bilan, le bilan n’est pas bon, les Français souffrent et ne comprennent pas pourquoi il y a eu cette dissolution. Et un sens, cela veut dire quoi ? Cela veut dire faire revenir l’espoir et pour faire revenir l’espoir, il faut proposer un véritable nouveau souffle, c’est-à-dire un changement de cap, une nouvelle politique et pour ce qui me concerne, j’ajouterais une nouvelle majorité, c’est-à-dire une nouvelle vision de la France. Parce que si la politique qui doit suivre les élections, c’est le partage du travail emprunté au patrimoine des idées du Parti socialiste et adopté par A. Juppé, et l’euro qui interdit toute forme de marge de manœuvre, alors les Français auront le sentiment – et ont le sentiment – que rien ne changera.
O. Mazerolle : Une nouvelle politique, c’est un peu plus de libéralisme ?
P. de Villiers : Oui, c’est le libéralisme à la française, c’est un projet libéral pour l’entreprise, une politique aussi pour la famille, qui est attendue depuis deux ans, c’est une politique fondée sur la probité publique – c’est pour cela que les 526 candidats de la droite indépendante incarnent cette exigence d’honnêteté qui est le préalable à toute confiance – et puis d’abord la question de l’enjeu national. J’entendais hier sur votre antenne un débat très intéressant entre deux économistes, J.-P. Fitoussi et P. Salin, qui disaient à J. Esnous : "si on ne lève pas la contrainte des critères de convergence de Maastricht, on ne pourra rien faire de nouveau".
O. Mazerolle : Les sondages indiquent une remontée de la gauche, vous avez le sentiment que la gauche peut gagner ces élections ?
P. de Villiers : Je ne le crois pas personnellement, parce que c’est une élection qui est aussi une élection locale. Ce qui est certain, c’est que si le Président a décidé d’intervenir, c’est sans doute parce que, compte tenu des éléments d’information qu’il a en sa possession, il voit bien que les appareils du RPR et de l’UDF patinent. Et c’est pourquoi les 526 candidats de la droite indépendante s’adressent à tous les Français, notamment ceux issus de la majorité qui ne se sentent plus représentés par le RPR et par l’UDF, et ceci pour deux raisons : d’abord parce que le RPR et l’UDF sont devenus indéfiniment et inconditionnellement maastrichtiens et ensuite, parce que les sortants n’ont pas tenu leurs promesses. On nous avait dit : on baissera les impôts, ils les ont augmentés ; on nous avait dit : on rompra avec la pensée unique, elle est uniforme et toute puissante ; on nous avait dit : on fera une politique de la famille, on fera un référendum sur l’école, on fera un referendum sur l’Europe, etc.
O. Mazerolle : Si la gauche l’emporte, vous aurez joué votre rôle dans cette affaire, en présentant 526 candidats contre la majorité ?
P. de Villiers : Pas du tout. En 1981, j’ai démissionné du corps préfectoral – à l’époque, j’étais sous-préfet – quand F. Mitterrand est arrivé au pouvoir. Alors, s’il y a bien un procès que l’on ne peut pas me faire, c’est celui-là. La définition de la droite indépendante est double : un, contre le socialisme ; deux, pour une autre majorité. Et si, précisément aujourd’hui, d’après les sondages, l’écart se resserre entre la droite et la gauche, c’est parce qu’on a le choix entre la régression – la gauche – et la résignation – la majorité –, c’est-à-dire qu’il y a l’archaïsme d’un côté et de l’autre côté, l’immobilisme.
O. Mazerolle : Vous attendez un signe d’A. Juppé pour pactiser ?
P. de Villiers : Attendez, je ne négocie pas, je n’attends pas de signe, je fais campagne sur mes idées qui tiennent en trois mots : premièrement, ne bradons pas la nation française si on veut lutter contre le chômage...
O. Mazerolle : Attendez M. de Villiers, tout de même : où vous situez-vous précisément ? Au soir de la dissolution, vous avez dit : je me vois mal appeler au deuxième tour à voter en faveur de ce qu’est devenue la majorité. Maintenant, vous dites : je dirai plus tard ce que je ferai.
P. de Villiers : Je n’ai jamais parlé du deuxième tour, j’ai toujours parlé du premier tour et c’est une élection à deux tours. Donc, au premier tour, je dis aux Français : laissez parler vos convictions, laissez parler votre cœur, votez pour vos idées, votez pour la droite indépendante, c’est-à-dire pour trois choses : la nation française et la lutte contre le chômage plutôt que l’euro ; un vrai projet libéral pour la libération des forces vives et des forces créatrices plutôt que l’asphyxie continue, la technocratie, le dirigisme ; et la probité publique, en votant pour des gens neufs, pour des gens honnêtes et pour des gens courageux qui veulent affronter la pensée unique. Voilà, cela, c’est le premier tour. Moi, je veux faire barrage au socialisme et le barrage au socialisme, il se fait au premier tour.
O. Mazerolle : Éventuellement au second aussi ?
P. de Villiers : Bien sûr. Nous avons aujourd’hui un programme du RPR et de l’UDF qui est totalement aseptisé et qui flotte à mi-hauteur entre les gadgets du traitement social issus de la gauche et les abstractions de l’euro-somnifère.
O. Mazerolle : Vous avez souhaité que le premier tour soit aussi une sorte de référendum sur Maastricht : est-ce que vous comptabiliserez, dans ce secteur, les voix accordées au PC et au Mouvement des citoyens de J.-P. Chevènement ?
P. de Villiers : Ma démarche n’est pas politicienne et je voudrais dire par là que pour tous ceux qui sont des électeurs de la majorité, et qui voient bien que l’euro nous entraîne à l’échec et à l’absence totale de toute possibilité de manœuvre, c’est le moment de dire : nous voulons retrouver la liberté de la France et la liberté des Français.
O. Mazerolle : Les électeurs communistes et les électeurs de J.-P. Chevènement sont également contre Maastricht...
P. de Villiers : Moi je ne m’adresse pas au PC, cela ne vous aura pas échappé.
O. Mazerolle : À R. Hue non plus, d’ailleurs.
P. de Villiers : Absolument. Donc ma famille, c’est la droite, la droite classique, sereine, calme, sans outrance mais qui tient à ses convictions. Or, aujourd’hui, elle est un peu orpheline de ses idées. Et ce que je constate, en entendant les leaders du RPR et de l’UDF, c’est qu’ils font bâiller les électeurs de la droite. Donc, on veut autre chose que le partage du travail et l’euro.
O. Mazerolle : C’est cela qui manque à la droite : elle n’ose pas dire ce qu’elle est ?
P. de Villiers : Exactement. Quand on voit le programme de I’UDF et du RPR, on voit la dérive depuis les années 1986 parce que, finalement, notre projet, le programme de la droite indépendante qui regroupe le MPF, le CNI, les diverses droites, c’est le programme du RPR et de l’UDF en 1986. Depuis, que s’est-il passé ? Le RPR et l’UDF se sont effondrés sur eux-mêmes, I’UDF n’est plus libérale et le RPR n’est plus national et donc nous avons recueilli cet héritage. On voit bien dans cette campagne, d’ailleurs, que M. Pasqua a été borduré, que M. Madelin a été marginalisé et donc tous ceux qui veulent un véritable projet libéral pour l’entreprise et un véritable projet national pour la France pour lutter contre le chômage... Parce que la question essentielle, c’est la question du chômage et moi, je suis convaincu que si l’on continue la même politique, la politique de l’euro et la politique social-démocrate et dirigiste, on ne sortira pas de l’ornière du chômage.
O. Mazerolle : Après les élections, le Premier ministre, ce ne sera pas P. de Villiers, ce sera soit A. Juppé, soit L. Jospin ; entre les deux, votre cœur balance ?
P. de Villiers : Ce n’est pas une question d’homme, moi je m’interdis toute forme de jugement sur les personnes. La politique devrait s’attacher à des questions de principe et non pas à des questions de personne. Ce que je souhaite, c’est un autre choix et que, au-dessus des querelles subalternes, on élève le choix. Et le vrai choix, c’est le choix de la lutte contre le chômage, de l’Europe des nations et le choix de la France.
Europe 1 : lundi 12 mai 1997
J.-P. Elkabbach : Le Président de la République devrait, si l’on en croit tous les sondages ce matin, devrait atteindre l’objectif de la dissolution. Une majorité neuve pour cinq ans. C’est Bien ?
P. de Villiers : Attendez, pour l’instant, il ne faut pas se fier aux sondages, la campagne est loin d’être terminée. Et moi, ce que je remarque, c’est la grande indécision des Français qui finalement sont comme moi, à savoir un peu perplexes devant ce choix qui leur est proposé et qui est une sorte de non choix. D’un côté, le retour du socialisme. Nous n’en voulons pas ! Et de l’autre côté, l’immobilisme qui consiste à nous dire qu’il faut nous adapter à la monnaie unique, nous adapter à la mondialisation, à la désertification. Bref, nous adapter. Petit à petit, on nous propose d’un côté la régression et de l’autre côté, la résignation et la stagnation. Il vaut mieux la stagnation que la régression. Si c’est la réponse à votre question, la voilà !
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que, dans votre définition, vous préféreriez Juppé à Jospin ?
P. de Villiers : Non, c’est une manière d’amener ma propre transition, J.-P. Elkabbach. Entre l’immobilisme et le socialisme, je préfère faire bouger la France et pour la faire bouger, il y a trois choses à faire tout de suite : rétablir l’honnêteté publique qui est la condition de la confiance ; deuxièmement, une vraie politique libérale pour l’entreprise avec la baisse des impôts, des dépenses publiques ; troisièmement, la question de l’euro. J’ai ici Le Courrier International qui est la synthèse des grands éditorialistes étrangers. Quel est le titre cette semaine ? C’est « l’euro, l’enjeu cache de la campagne » et le sous-titre en gros « les dernières élections franco-françaises ». Cela veut dire qu’en 2002, on élira non plus des députés à l’Assemblée nationale mais des représentants d’une province.
J.-P. Elkabbach : Mais vous savez bien que la peur ne passe plus ?
P. de Villiers : La peur ne passe plus ? Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là.
J.-P. Elkabbach : Ce sont les dernières élections franco-françaises ! Il y aura toujours des élections franco-françaises mais avec une dimension européenne !
P. de Villiers : Ce n’est pas moi qui dit ça.
J.-P. Elkabbach : Il y a des experts internationaux qui disent que l’euro est le levier de la croissance et en même temps de l’emploi pour toute l’Europe.
P. de Villiers : Je pense qu’ils ont raison de dire la vérité, à savoir que l’euro, c’est un choix économique, c’est un choix politique. Je ne pense pas que l’euro nous ramène à une véritable politique de lutte contre le chômage et je pense qu’en même temps, cela sera, pour nous, le transfert de notre souveraineté par le biais de la monnaie. C’est la raison pour laquelle, j’ai, dans cette campagne, un message distinctif dans la droite classique.
J.-P. Elkabbach : Mais à chaque élection, vous recevez une dérouillée, alors comment faites-vous pour continuer à jouer les fiers-à-bras et à dire que la solution passe par vous et par vous seul ?
P. de Villiers : Vous avez déjà oublié les élections européennes ? Non, vous ne vous souvenez pas ?
J.-P. Elkabbach : C’est moi qui pose les questions.
P. de Villiers : Attendez, ne soyez pas systématique. Et puis vous savez, l’échec fait mûrir et c’est une manière de concevoir sa communication peut-être d’une façon différente. À l’élection présidentielle, j’ai dit un certain nombre de choses que je ne cesse de répéter. Depuis, on a vu ! Et moi, je m’adresse à tous les Français qui, au deuxième tour, ont voté pour J. Chirac et qui aujourd’hui sont déçus et se sentent trahis parce que les engagements de la majorité sortante n’ont pas été tenus. Ils avaient dit qu’ils baisseraient les impôts : ils les ont augmentés. Ils avaient dit qu’ils feraient une politique de la famille : ils n’ont pas fait de politique de la famine. Ils avaient dit : on fera un référendum sur l’école, un référendum sur l’Europe. Ils avaient dit : on ne fera pas la maîtrise comptable des dépenses de santé.
J.-P. Elkabbach : Donc la logique, c’est de faire battre cette majorité-là, c’est ça ?
P. de Villiers : Non, attendez, ma logique est positive. Ma logique, c’est une logique de propositions. Je dis : entre l’immobilisme d’un côté et le socialisme de l’autre, il faut faire bouger la France dans le sens des valeurs modernes qui sont les valeurs de la liberté, c’est-à-dire la liberté de la France pour conduire sa politique économique, monétaire, sociale, fiscale. Je veux une Europe des nations qui protège nos emplois et dans laquelle la monnaie soit au service de l’emploi ; et la liberté des Français, de ceux qui entreprennent, la liberté de choix, de prescription des médecins, la liberté de l’école et la liberté d’aller et venir, qui n’est même plus garantie en France aujourd’hui.
J.-P. Elkabbach : Mais hier vous disiez au Journal du Dimanche : l’essentiel est de refaire un marché commun. Si les partenaires disent : on a ce qui faut ou on renforce ce qu’on a, qu’est-ce qu’elle fait la France, elle va toute seule ?
P. de Villiers : On a l’exemple célèbre du général de Gaulle lorsqu’il a fait la chaise vide. Reagan, Thatcher, tous ceux qui ont fait bouger l’histoire, n’ont pas hésité à ouvrir une crise. Et moi, je veux un marché commun parce que j’assiste dans mon propre département, comme partout en France, à l’hémorragie des délocalisations. C’est-à-dire que vous avez d’un côté ceux qui créent des emplois chez nous et qui sont asphyxiés par les impôts, les artisans, les commerçants, les PME et, de l’autre côté, les grandes entreprises qui peuvent délocaliser, se payer ce luxe-là et qui ne gardent chez nous que leur siège social et qui préfèrent aller installer leurs urines dans les pays à très bas salaires. C’est cette contradiction qu’il nous faut résoudre. II faut retrouver l’idée du Traite de Rome, c’est-à-dire une communauté de producteurs et de consommateurs...
J.-P. Elkabbach : Vous êtes en train d’expliquer l’échec de la majorité à laquelle vous avez appartenu longtemps et dont vous vous êtes séparé. C’est cela ?
P. de Villiers : Attendez, je suis en train de vous dire que le RPR et l’UDF n’ont pas de programme. Leur seul programme, c’est un brouet insipide dont je suis à peu près persuadé que vous ne l’avez même pas lu vous-même parce qu’il est sans intérêt.
J.-P. Elkabbach : Ne jugez pas, j’ai lu même votre propre programme. Sur combien de députés, sur quel pourcentage d’électeurs comptez-vous ?
P. de Villiers : Je ne fais aucun pronostic parce qu’aujourd’hui, personne ne peut dire, dans une élection qui est largement locale, dans 577 circonscriptions, ce qui va se passer. Ce que je voudrais quand même vous dire parce que vous ne semblez pas l’avoir remarqué, c’est que, dans les derniers sondages, c’est la tendance...
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire quand ils sont bons on les récupère, quand ils sont...
P. de Villiers : Non mais vous l’avez vu, J.-P. Elkabbach. Vous êtes trop fin analyste pour ne pas avoir vu qu’il y avait une montée de la droite indépendante. Donc cela signifie quelque chose. »
J.-P. Elkabbach : Justement, je n’ai jamais compris. Qu’est-ce que ça veut dire indépendante ? Cela veut dire que le RPR et l’UDF sont dépendants de qui, de quoi ?
P. de Villiers : Ils sont dépendants d’une idéologie, l’idéologie de Maastricht, et ils sont dépendants de leurs propres investitures parce que, quand je vois les députés à la base, ils me disent tous : heureusement que tu es là pour dire autre chose. Vous voyez. Donc, il y a une variété de discours qui me va droit au cœur. C’est ça l’indépendance. Et puis, allons plus loin, ils sont dépendants aussi d’un passé qui est le passé des partis politiques. Et quand je dis que nous avons des gens neufs, des gens honnêtes et des gens courageux, ça veut dire qu’ils affrontent la pensée unique et qu’ils n’ont pas de casserole et qu’ils appartiennent à des formations qui n’ont pas de casserole.
J.-P. Elkabbach : Et jusqu’à quand pensez-vous que vous pourrez sauver le pays tout seul, et malgré les électeurs, parce que si vous faites un bon score, vous ferez 5 %, vous ne gouvernerez pas ? Entre nous, même si ça vous fait rire : vous ne gouvernerez pas la France.
P. de Villiers : Je ris parce que, pardonnez-moi, vous me faites sourire avec votre question. Vous ne vous souvenez pas de ce que disait F. Mitterrand : quand tu ne peux pas être la porte sois la charnière. C’est-à-dire, en d’autres termes : quand on a la capacité de peser au soir du premier tour sur une élection grâce à ses idées en favorisant un courant puissant qui infléchit le deuxième tour, alors vous pesez beaucoup plus que votre poids. Cela s’appelle, en économie, l’utilité marginale et vous savez cela très bien J.-P. Elkabbach.
J.-P. Elkabbach : Alors, la charnière, qu’est-ce qu’elle lira au deuxième tour ? Votez Chirac ou votez Jospin ? Ou à quelles conditions pourriez-vous faire accord avec la majorité ?
P. de Villiers : Moi, je ne fais pas de politique politicienne. Je ne trafique avec mes idées et d’ailleurs, je vais vous dire : d’après les études que j’ai en ma possession et que je garde confidentielles pour ne pas céder à l’euphorie, je serai amené au deuxième tour à aller soutenir beaucoup de candidats de la droite indépendante qui seront qualifiés pour le deuxième tour.
J.-P. Elkabbach : Mais cela ne fait pas une majorité. Vous serez la charnière, mais à quelles conditions pourriez-vous discutez avec la majorité ? À moins que vous disiez à vos électeurs : vous faites ce que vous voulez – c’est la formule classique – je ne suis pas propriétaire des voix des électeurs de mon mouvement.
P. de Villiers : Je ne conçois pas d’être une charnière au sens d’un appoint, pas du tout. Il n’est pas question pour moi de favoriser ou de soutenir une politique qui soit contraire aux idées que nous défendons. En revanche, je pense qu’il y aura, au soir du premier tour, un courant d’idées représentatif de notre message distinctif et à ce moment-là selon la formule célèbre de C. Pasqua, rien ne sera plus comme avant, J.-P. Elkabbach.
J.-P. Elkabbach : Comment faites-vous pour garder ce ton péremptoire et presque présomptueux, M de Villiers ?
P. de Villiers : Et comment faites-vous, vous, pour garder ce ton impertinent et si site de vous ?
J.-P. Elkabbach : Eh bien, parce que cela s’appelle la liberté. Bonne journée.
P. de Villiers : Eh bien moi, j’ai la même liberté, c’est pour cela d’ailleurs qu’on fait une bonne émission.
France 3 : lundi 12 mai 1997
E. Lucet : D’abord une première constatation, on a le sentiment que cette campagne ne passionne pas vraiment les Français, à votre avis pourquoi ?
P. de Villiers : Parce qu’il y a d’un côté le retour au socialisme, l’archaïsme de ses alliances et de ses propositions, ça sonne comme le retour à 1981. Et de l’autre côté, il faut bien le dire, l’immobilisme : puisque tout ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est le partage du travail et s’adapter à la mondialisation et à la monnaie unique. Et c’est pour ça que la droite indépendante – avec le Mouvement pour la France, le Centre national des indépendants et paysans – présente 525 candidats, et ce, pour dire autre chose.
E. Lucet : Justement, quand on vous entend, on a l’impression que vous vous sentez presque aussi éloigné de la majorité que des socialistes ?
P. de Villiers : Moi, j’ai démissionné, en 1981 j’étais sous-préfet quand Mitterrand est arrivé au pouvoir. Donc je ne veux pas le retour de la gauche et je propose avec les 525 candidats du Mouvement pour la France de faire barrage aux socialistes dès le premier tour et avec un triple message qui nous distingue : lutter contre le chômage, rétablir l’union douanière pour protéger nos emplois et éviter les délocalisations ; baisser les impôts, les charges pour libérer l’esprit d’entreprise et mettre la monnaie au service de l’emploi et non l’inverse, comme on nous le propose avec la marche forcée à la monnaie unique ; un projet pour la famille ; et puis le rétablissement de l’honnêteté publique dont on voit bien aujourd’hui qu’elle n’est plus le principe préalable comme elle devrait l’être de la vie politique. Par exemple, tout homme politique condamné pour corruption devrait être déclaré inéligible à vie. Je pense à des exemples précis dans l’actualité.
E. Lucet : Vous nous dites que vous ne voulez pas voir les socialistes revenir au pouvoir, mais on a cru comprendre aussi que vous étiez en débat avec J.-L. Debré et que vous ne vouliez pas que les voix qui vont vous revenir pendant ces élections soient comptabilisées comme des voix de divers-droite. Pourquoi ?
P. de Villiers : Parce que la droite indépendante n’est pas le RPR, n’est pas l’UDF, et nous avons avec nous des gens qui n’ont pas d’étiquette ou qui se battent à partir de ces idées que je viens d’exprimer. En fait, nous nous adressons à tous les Français qui veulent que la droite fasse une politique de droite, que la France fasse une politique de la France, et que les hommes politiques soient fidèles à leurs convictions plutôt qu’à leurs appareils. Ça veut dire qu’aujourd’hui il y a beaucoup de déçus qui jusqu’ici votaient RPP-UDF et qui sont aujourd’hui un peu désorientés parce qu’ils ont l’impression d’avoir été trompés. On leur avait dit : il y aura une baisse des impôts, il n’y en a pas eu. On leur avait dit : il y aura une politique de la famille, il n’y en a pas eu. On leur avait dit : il y aura un référendum sur l’école, un référendum sur l’Europe ; il n’y a pas eu tout ça. On leur avait dit : il n’y aura pas la maîtrise comptable des dépenses de santé, il y a la maîtrise comptable des dépenses de santé. Alors aujourd’hui, ils cherchent autre chose. Et comme ils ne veulent pas faire un vote extrémiste – et j’espère qu’ils ne veulent pas s’abstenir – ils viendront tout naturellement vers les candidats de la droite indépendante, nous sommes là pour ça.
E. Lucet : Comment vous vous imaginez dans la nouvelle Assemblée : avec un rôle d’arbitre ?
P. de Villiers : Oui, je pense que, si au premier tour, se dégage, se dessine, comme nous le sentons actuellement sur le terrain, un courant puissant pour les idées que je viens d’évoquer, alors nous pèserons de tout notre poids et nous infléchirons la vie politique, nous donnerons un sens à cette dissolution qui jusqu’ici n’en a pas vraiment. C’est-à-dire qu’à ce moment-là, nous ferons une politique pour faire entrer la France dans la modernité, pour que la France retrouve sa liberté, pour faire une vraie politique de lutte contre le chômage, pour que les Français retrouvent la liberté. Je pense aux artisans, aux commerçants, aux PME, aux médecins, tous ceux qui aujourd’hui sont complètement découragés. Il faut qu’on puisse leur donner un message d’espoir. C’est ce message d’espoir que nous apportons avec cette génération de gens neufs, de gens propres et de gens courageux qui affrontent la pensée unique. Vous savez, ça n’est pas facile.
France 2 : mercredi 14 mai 1997
G. Leclerc : On a le sentiment que vous avez connu un début de campagne un peu difficile, avec des candidats qui ont du mal à percer sur le terrain. La dissolution, vous étiez contre. Est-ce que vous n’êtes pas victime, comme d’autres petites formations, d’une campagne brève, rapide, qui bipolarise forcément droite et gauche, bloc contre bloc ?
P. de Villiers : Moi je crois, au contraire que le 25 mai, tous les commentateurs vont être surpris. Les vraies questions ne sont pas posées. Et par contre, elles sont posées par les Français. C’est-à-dire les 3 questions essentielles : est-ce qu’on va enfin rétablir l’honnêteté publique c’est la question que posent tous nos candidats de la droite indépendante, nos 525 candidats ? Est-ce qu’on va enfin baisser les impôts, par exemple en plafonnant les dépenses de toutes les collectivités locales, grandes villes de plus de 100 000 habitants, conseils régionaux, conseils généraux ? Est-ce qu’on va réduire les effectifs des postes administratifs pour redonner de l’oxygène à tous ceux qui entreprennent, à tous ceux qui créent ? Et, troisième question : est-ce qu’on va faire l’euro dans une Europe libre-échangiste et qui provoque les délocalisations, ou est-ce qu’on va faire une Europe des nations qui protège nos emplois, auquel cas on retrouve une marge de manœuvre pour faire une politique économique de lutte pour l’emploi ? Voilà les trois questions qui sont posées. Elles ne sont pas posées par ceux que les politologues appellent les "blocs centraux" et, du coup, nous les posons, et à force de les poser, cela finit par s’entendre.
G. Leclerc : Alors l’euro, précisément, c’est l’un des thèmes centraux, effectivement, de la campagne. D’un côté, l’UDF et le RPR et, de l’autre, le PS, débattent de la façon dont on doit rentrer dans l’euro. Pour vous, la question est tout à fait différente : comment ne pas y rentrer, dans la monnaie unique, alors que les Français ont pourtant choisi qu’ils allaient y entrer avec le référendum ?
P. de Villiers : Depuis le referendum sur Maastricht, il y a trois points importants qui sont nouveaux. D’abord, on nous impose, l’Allemagne nous impose, ce qu’ils appellent le Pacte de stabilité. C’est une espèce d’usine à gaz qui serait une contrainte supplémentaire, qui n’était pas prévue dans le Traité de Maastricht. Deuxièmement, on est en train de réviser le Traité de Maastricht, donc, c’est le moment ou jamais de demander aux Français s’ils sont d’accord pour, comme le propose la Commission, faire en sorte que les problèmes de l’immigration soient de la compétence de la Commission de Bruxelles. Vous imaginez, à ce moment-là, ce qui se passera. Et puis troisièmement, J. Chirac avait proposé, pendant sa campagne présidentielle, un référendum sur l’Europe. C’est le moment ou jamais de demander aux Français s’ils sont d’accord pour transférer la souveraineté par le biais de la monnaie, entre les mains de banquiers extérieurs à la France. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante. Moi, je suis pour une monnaie commune à l’Europe, avec un système monétaire européen qui évite les dévaluations compétitives, mais je ne suis pas pour la disparition du franc. Quand vous êtes au volant de la voiture, si vous n’avez plus le volant, si vous n’avez plus l’accélérateur, si vous n’avez plus le frein, plus le frein à main, eh bien vous allez dans le fossé. Et quand vous n’avez plus la manette monétaire, la manette fiscale, la manette sociale, vous ne pouvez plus rien faire. Et tout le problème, aujourd’hui, c’est que, en Europe, contrairement aux États-Unis, au Japon, ou ailleurs, vous avez une monnaie forte et une économie faible, alors que là-bas, vous avez une monnaie faible et une économie forte. Et moi, je préfère avoir une monnaie faible – une monnaie c’est un instrument, ce n’est pas un but – et une économie forte. Or aujourd’hui, on marche sur la tête.
G. Leclerc : Autre thème central de la campagne : l’emploi. Est-ce qu’il y a encore des recettes-miracles qui n’ont pas été essayées ?
P. de Villiers : Il y a trois méthodes qui sont utilisées à l’étranger et pas en France. Et les pays qui ont utilisé ces méthodes retrouvent le chemin de l’emploi. Première méthode, baisser les impôts, baisser les charges. La France a le record des prélèvements en Europe. Et pour baisser les impôts, naturellement, il faut réduire le nombre de postes administratifs. Je dis bien de postes administratifs. Il faut plus d’infirmières, plus de gendarmes et de magistrats mais...
G. Leclerc : Par rapport aux postes de fonctionnaires ?
P. de Villiers : Je parle des postes administratifs proprement dit, que ce soit dans des inspections académiques ou au ministère de l’agriculture par exemple. II y a deux fois moins d’agriculteurs qu’il y a 20 ans, il y a deux fois plus de postes administratifs au ministère de l’agriculture. Deuxièmement, la préférence européenne. Les gens qui nous regardent, en ce moment, et qui voient les entreprises chuter les unes après les autres, voient aussi des chefs d’entreprise qui, discrètement, délocalisent leur production dans les pays à très bas salaires, parce qu’avec un emploi en France, on peut avoir 60 Pakistanais, 80 Philippins, et 120 femmes chinoises avec un bracelet magnétique, qui travaillent 12 heures par jour. Et les produits que l’on retrouve ensuite dans les grandes surfaces, ils viennent de ces pays-là. Donc je demande une protection douanière européenne, qui nous mette au niveau des États-Unis, du Canada, et qui ne fasse pas de nous les derniers naïfs de la planète. Le protectionnisme, non, mais un minimum de protection douanière européenne. Si l’on baisse les impôts, si l’on fait la protection douanière européenne et si l’on met la monnaie au service de l’emploi, et non pas l’emploi au service de la monnaie, le pays repart. Et vous verrez qu’à ce moment-là, les artisans, les commerçants, les professions libérales, tous ceux qui, aujourd’hui, désespèrent, recréeront des emplois. Parce que ce ne sont pas les multinationales qui créent des emplois – elles ont tout délocalisé ce sont les autres, les petites entreprises, tous ces gens qui, aujourd’hui, se sentent asphyxiés. Il faut qu’en France l’espoir revienne pour ceux qui travaillent, pour ceux qui donnent du travail et pour ceux qui veulent travailler.
G. Leclerc : Quels sont vos objectifs pour le premier tour et comment est-ce que vous pensez, vous espérez, vous souhaitez intervenir dans le débat du second tour ?
P. de Villiers : Moi je veux faire barrage au socialisme, dès le premier tour, et construire une autre majorité.
G. Leclerc : Une majorité sortante qui vous considère actuellement comme un opposant.
P. de Villiers : Non, non.
G. Leclerc : C’est ce que ses responsables disent.
P. de Villiers : Il y a une majorité sortante RPR-UDF, ça c’est une chose, c’est fini. Il y a une élection maintenant. Il y a une majorité future. Et cette majorité future, si c’est l’immobilisme, ou le retour au socialisme, moi je veux autre chose.
G. Leclerc : Concrètement, vos consignes du second tour ?
P. de Villiers : Mes consignes du second tour, c’est de dire dès le premier tour : laissez parler vos convictions, laissez parler vos idées, laissez parler votre cœur. Si vous considérez que les sortants n’ont pas tenu leurs engagements, ce qui est le cas, si vous considérez qu’il y a une autre voie que de faire la France dans l’euro, et si vous considérez que, sur la question morale, sur la question libérale, sur la question nationale, il faut faire un autre choix, alors votez pour les candidats de la droite indépendante, et c’est de cette manière que nous pèserons d’un grand poids, et c’est avec ce poids-là que nous infléchirons la politique de notre pays et que nous sortirons de ce choix absurde : le retour au socialisme d’un côté, dont nous ne voulons à aucun prix, et l’immobilisme actuel qui, je crois, ne satisfait pas les Français.
G. Leclerc : En un mot, pas de consigne de vote, pour l’instant, pour le second tour ?
P. de Villiers : Attendez ! Moi, si j’étais entraîneur du PSG, ce soir, je dirais à mes joueurs : on joue la première mi-temps avec telle et telle consigne, et puis ensuite, pour la deuxième mi-temps, on verra ça. Si je commence par donner des consignes pour la deuxième mi-temps, vous trouveriez ça tout à fait cocasse.
France Inter : vendredi 16 mai 1997
A. Ardisson : Demain, derniers sondages autorisés à publication. D’après ceux dont nous disposons jusqu’à présent, la droite indépendante, dans laquelle vous êtes compte, recueillerait entre 4 et 5 % des voix, ce qui est à peu près votre étiage à l’élection présidentielle. Est-ce que cela vous va ou contestez-vous ces chiffres ?
P. de Villiers : Les sondages sont très difficiles pour une élection législative. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il faut les regarder en tendance. C’est d’ailleurs ce que disent tous les sondologues. Le milieu politique ne s’y est pas trompé, puisque depuis trois semaines, on voit bien que, dans un scrutin a deux tours, ce qui va se passer, c’est qu’au premier tour, beaucoup de Français, notamment issus de la majorité, vont faire un autre choix que d’un dote le retour au socialisme et de l’autre cote, l’immobilisme. Puisque c’est le seul choix qu’on nous propose à travers un échange quotidien d’invectives, de quolibets et d’amalgames dans lequel nous ne souhaitons pas prendre parti, parce que nous faisons une campagne de propositions.
A. Ardisson : Juppé, hier à Bordeaux, a mis en garde les Français qui seraient tentés de se défouler au premier tour. Vraisemblablement, il visait surtout les Français de droite qui se sentent de la famine de droite et qui seraient tentés de voter pour vous. Le prenez-vous mal ?
P. de Villiers : Non, je le prends bien : cela veut dire qu’A. Juppé est intelligent et qu’il a bien vu qu’on pouvait faire un vote à droite, la droite indépendante, tout en disant au RPR et à l’UDF "Vous n’avez pas tenu vos promesses". Et un vote qui ne soit pas simplement un vote-sanction, mais aussi un vote d’espoir. Ce n’est pas un vote-défouloir, c’est un vote d’espoir pour une autre politique de l’emploi, par exemple, et pour une autre politique des valeurs, la responsabilité plutôt que l’assistanat, la liberté, l’honnêteté. Nous avons 525 candidats qui incarnent trois valeurs : l’honnêteté publique qu’il faut rétablir en France – je regrette qu’on ne parle pas plus de la corruption parce qu’il faut la chasser de notre pays, et ce n’est pas un problème de gauche ou de droite, c’est un problème beaucoup plus grave que ça, en pensant à nos jeunes ; la question de la liberté pour l’entreprise : il faut un grand projet libéral pour l’entreprise ; la question de la famille, qui est la grande absente de cette consultation, de cette campagne ; et puis la question de nos valeurs, du civisme, dire aux Français que si on a des droits, c’est parce qu’il faut des devoirs. Mais il y a d’abord la question de l’emploi qui aurait dû être au centre de cette campagne et qui n’y est pas.
A. Ardisson : J’en reviens à la mise en garde d’A. Juppé : quels sont actuellement vos rapports avec la majorité ? Sont-ils susceptibles de se pacifier ? Y aura-t-il une paix après les élections, un regroupement ?
P. de Villiers : Dans une élection législative comme celle-là, il y a deux tours. Nous exprimons notre position de la manière suivante : contre le socialisme, pour une autre majorité.
A. Ardisson : Une autre majorité, qu’est-ce que ça veut dire ?
P. de Villiers : Ça veut dire que nous souhaitons autre chose que le choix entre, d’un côté, la régression – c’est-à-dire que je ferai tout pour éviter le retour de la gauche, c’est clair, et ce dès le premier tour, avec nos candidats – et la stagnation de l’autre. Certains pourront dire qu’il vaut mieux la stagnation que la régression. Quand on regarde programme contre programme, le bloc RPR-UDF d’un côté, le bloc socialiste de l’autre, on voit bien qu’il n’y a pas de programme, ou peu de programme, peu de choses différentes : la gauche commémore et le RPR-UDF redisent sur le mode mineur ce qui n’a pas été fait depuis 1995. Ils avaient dit qu’ils baisseraient les impôts, qu’ils feraient une politique de la famille, un référendum sur l’école, un referendum sur I’Europe, qu’ils ne feraient pas de maîtrise comptable des dépenses de santé, etc. Prenons l’exemple de l’emploi : je pense qu’il faut sortir de cette espèce de fatalisme dans lequel on explique aux Français qu’on ne peut rien faire qu’à la marge. Nous, nous proposons une politique pour l’emploi qui soit fondée sur trois idées simples et fortes: la première, c’est de stopper les délocalisations, première cause du chômage, avec une protection douanière européenne ; deuxième idée : mettre la monnaie au service de l’emploi plutôt que de poursuivre cette course folle aux critères de convergence de la monnaie unique ; troisième idée : baisser les impôts et pour cela, par exemple, plafonner les dépenses et les recettes des grandes collectivités locales de plus de 100 000 habitants et réduire les effectifs administratifs, des postes administratifs : il faut plus d’infirmières, mais s’il y avait moins de postes administratifs au ministère de l’agriculture ou dans les sous-préfectures, ça fonctionnerait encore.
A. Ardisson : D’accord, mais vous n’avez pas répondu à ma question : êtes-vous susceptible de vous rabibocher avec la majorité traditionnelle ? Vous avez dit que vous ferez tout pour barrer la route au retour du socialisme dès le premier tour. C’est dans l’entre-deux tours que ça va négocier dur !
P. de Villiers : J’avais parfaitement compris votre question. J’y ai en partie répondu et je complète ma réponse en vous disant ceci : j’ai bon espoir, compte tenu d’un certain nombre d’informations qui remontent du terrain, que beaucoup de nos candidats soient au deuxième tour, auquel cas faire barrage au socialisme, cela voudra dire le faire avec nos propres candidats. Voilà la situation dans laquelle nous sommes. Un entraîneur de football qui dirait "Voilà les consignes pour la deuxième mi-temps" ne serait pas sérieux : on donne des consignes pour la première mi-temps. Pour I’instant, il s’agit du premier tour. Nous voulons absolument éviter le retour des socialistes, c’est clair. En même temps, nous voulons une autre majorité qui ne fasse pas l’euro et qui fasse une autre politique fondée sur des valeurs. Notre position est très claire et elle offre au premier tour un autre choix. Si, au premier tour, comme je le crois, se dégage et se dessine un courant puissant pour les idées de la droite indépendante, selon une formule célèbre de C. Pasqua, "plus rien ne sera comme avant".
A. Ardisson : On connaît vos positions sur l’euro et sur l’Europe. Qu’est-ce qui vous distingue sur ce terrain, qui commence à être bien occupé, à la fois d’un J.-P. Chevènement à gauche et d’un C. Pasqua à droite ? Je garde pour la bonne bouche P. Séguin !
P. de Villiers : Il est vrai que J.-P. Chevènement a des positions sur l’Europe qui sont intéressantes. Je ne suis pas sûr qu’elles soient conciliables avec celles de L. Jospin puisque ce sont les socialistes qui ont porté sur les fonts baptismaux le traité de Maastricht. Après tout, on peut dire que L. Jospin aujourd’hui s’aperçoit qu’il s’est trompé. Mais il vaut mieux confier le pouvoir à des gens qui ne se sont pas trompés. Quant à P. Séguin, il fait un syllogisme brillant, ce qui lui ressemble, mais qui est difficile à suivre et qui est à peu près le suivant : prémisse : "je suis contre la monnaie unique" ; mineure : "le RPR est pour la monnaie unique" ; conclusion : "je suis pour le RPR". Nous, nous avons un syllogisme qui est un peu différent : "je suis contre la monnaie unique ; la droite indépendante est contre la monnaie unique ; donc, je suis pour la droite indépendante". Nos 525 candidats ont donc une cohérence qui leur évite toutes ces contorsions psychologiques qui doivent faire souffrir P. Séguin.
RTL : mardi 20 mai 1997
J.-M. Lefebvre : Où en êtes-vous après l’annonce de la dissolution ? Vous affirmiez ne pas vouloir voter en faveur de ce qu’est devenue la majorité. Il y a quelques jours, vous souhaitiez faire barrage au socialisme. Pourquoi ce changement ?
P. de Villiers : Il n’y a jamais eu aucun changement. J’ai toujours dit : nous sommes contre le socialisme, nous, la droite indépendante, avec nos 525 candidats, et pour une autre majorité. Parce que si rien ne change après la dissolution, alors autant nommer les sortants. Il y a une élection, c’est pour envoyer un message. Chaque voix sera un message, et nous souhaitons que ce message soit le suivant : pour une autre vision politique de la société française. Pour une autre politique, c’est-à-dire pour une autre politique européenne qui soit une politique de la France...
J.-M. Lefebvre : ... Avec qui ? Avec le RPR et l’UDF ?
P. de Villiers : Le premier tour est un premier tour d’expression libre ou chacun fait connaître ses convictions. Donc moi, je souhaite que les Français, notamment ceux qui sont issus de la majorité, s’expriment, et sur les chapitres essentiels de la vie publique, c’est-à-dire une autre politique que la politique de Maastricht...
J.-M. Lefebvre : ... Est-ce que vous voulez faire du premier tour un référendum sur l’Europe ?
P. de Villiers : …Une autre politique que la politique de Maastricht pour faire une politique de lutte pour l’emploi, un vrai projet de libération des entreprises, c’est-à-dire ce qui n’a pas été fait ; une véritable politique de la famille, c’est-à-dire ce qui n’a pas été fait ; et le rétablissement de honnêteté publique, et c’est pourquoi nous présentons 525 candidats, qui sont des candidats neufs, courageux mais aussi des candidats honnêtes et qui appartiennent à des formations qui n’ont pas de casseroles.
J.-M. Lefebvre : Concrètement cela veut dire quoi cette nouvelle majorité ? Vous ne pourrez pas la constituer tout seul, donc c’est le retour dans la majorité ?
P. de Villiers : Je crois qu’il y a un premier et un deuxième tour. Le premier tour doit permettre à beaucoup de Français, qui sont aujourd’hui dubitatifs –- et il y a de quoi quand on regarde l’affrontement stérile de deux impopularités relatives –, un autre choix. Nous, nous proposons, face à l’archaïsme des socialistes – on a l’impression de revenir à 81 –, et à l’immobilisme du bloc RPR-UDF – on a l’impression que rien ne va changer après les élections du 1er juin –, un autre choix pour faire bouger la France, et la faire bouger sur les questions essentielles la baisse des impôts, la question de l’Europe parce que si on continue avec les critères de convergence, on ne lèvera pas la contrainte de Maastricht et on fera la même politique et on aura encore plus de chômage –, et la question des valeurs – la responsabilité plutôt que l’assistanat, le civisme – on a des droits parce qu’on a des devoirs –, la famille, la nation. S’il n’y a pas de valeurs, il se passe ce qui s’est passé hier avec l’assassinat de cet enfant, de ce jeune. C’est dramatique ! Une société qui n’a pas de valeurs glisse dans la violence.
J.-M. Lefebvre : Entre les deux tours, qu’allez-vous faire ?
P. de Villiers : Moi, pour le deuxième tour, j’appellerai à faire barrage aux socialistes. Je dis simplement – pour l’instant il s’agit du premier tour – que s’il y a un courant puissant, comme je le crois et comme le montre les dernières études, qui se dessine au premier tour, eh bien plus rien ne sera comme avant parce qu’il y aura une autre majorité qui fera cette autre politique que les Français appellent de leurs vœux, cet autre choix qui rendra l’espoir.
J.-M. Lefebvre : Ce matin, sur RTL, A. Juppé évoquait ce gouvernement économique européen demande et obtenu par les Français. Ça ne vous rassure pas que ce ne soient pas les technocrates et que l’euro soit instrument de croissance ?
P. de Villiers : Moi, je crois qu’on ne sera rassuré sur la question européenne que si l’Europe – et c’est ce que nous proposons – redevient un marché commun, c’est-à-dire une communauté de producteurs et de consommateurs pour arrêter l’hémorragie des délocalisations, et que si l’Europe met la monnaie au service des hommes, au service de l’emploi, et non l’inverse comme aujourd’hui. Or l’Europe, aujourd’hui, est engagée dans une véritable impasse libre-échangiste et monétariste. Nous, nous pensons que pour lutter contre le chômage il faut, un, baisser les impôts, deux, faire la préférence européenne, une protection douanière de nos industries, trois, mettre la monnaie au service de l’emploi. Moi, je préfère avoir une monnaie faible et une économie forte, plutôt que l’inverse, c’est-à-dire une économie qui ne crée pas d’emplois et avec une monnaie forte.
J.-M. Lefebvre : Le libéralisme à la française que vous préconisez est-il compatible avec le maintien du système de protection sociale et les avantages acquis ?
P. de Villiers : Bien sûr. Nous, nous ne voulons plus d’une France active qui ploie sous les charges et qui est accablée par la technocratie. Nous ne voulons plus que les commerçants, les artisans, les PME soient submergées par la paperasse, les impôts ; que les médecins soient livrés aux sanctions collectives ; que les paysans soient nourris aux primes de jachères administratives et que les écoles soient confisquées par les syndicats et les apparatchiks. C’est ça la modernité, c’est-à-dire la liberté, et les deux libertés qu’ils nous faut retrouver pour remettre la France sur le chemin de l’espoir, c’est la liberté de la France de conduire sa politique et la liberté des Français, la liberté de choix de l’école, la liberté de choix du médecin, la liberté d’entreprendre, et jusqu’à la liberté d’aller et de venir, c’est-à-dire la sécurité.