Texte intégral
Monsieur le secrétaire général, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous voilà donc réunis ce soir, une nouvelle fois, pour ce dîner qui est devenu, au fil des ans, une coutume appréciée : le traditionnel dîner francophone.
En fait de tradition, j'aurais dû, comme il sied, vous affliger d'un long et docte discours sur les origines et le devenir de la Francophonie, que j'aurais, comme il se doit, conclu par une belle exhortation à préserver, ensemble, cette communauté et à la développer.
Ce discours est prêt. Je l'ai même en poche… mais je ne vais pas le lire. J'ai, en effet, l'impression qu'en matière de discours officiels, vous avez reçu cette semaine une dose suffisante.
Au risque de vous surprendre ou de vous choquer, je vais vous faire une confidence : si nous sommes réunis ce soir, ce n'est ni seulement, ni principalement à cause ou grâce à la seule Francophonie. Il est une autre chose qui nous rassemble. Et c'est de cette « autre chose » que je voudrais vous parler.
J'aperçois d'ici le regard inquiet de Margie Sudre, notre secrétaire d'État à la Francophonie qui doit se dire que le ministre des Affaires étrangères est décidément bien fatigué de sa semaine new-yorkaise et divague un peu ! …
Je la rassure tout de suite. Loin de moi la pensée de réduire l'importance de la Francophonie ou de sa vigueur dans le monde d'aujourd'hui. Et cette belle vitalité vous doit beaucoup chère Margie ; nous en sommes les témoins chaque jour.
Mais ce soir, c'est de cette autre chose qui me tient à cœur, que je voudrais vous entretenir.
Il est certains signes qui ne trompent pas et qui me confortent dans l'impression que l'essentiel n'est pas uniquement une langue, aussi belle soit-elle, ni une culture pourtant chère à tous nos cœurs.
J'aperçois quelques signes discrets, qui sont comme des clins d'œil.
Ces signes sont au nombre de trois, comme il se doit, chiffre mystique qui est aussi celui de tout discours construit à la française : le jour, l'endroit et les participants à ce dîner.
Le jour : c'est vendredi, la fin de la semaine, le début du « week-end » mot que les défenseurs du français le plus pur voudraient proscrire, et qui est, par excellence, le moment de détente. Le jour des soirées amicales et des repas partagés.
Détente particulièrement nécessaire lorsque la semaine écoulée a tenu du marathon et nous laisse comme essoufflés, pantois, désireux d'une pause partagée entre amis.
L'endroit : nous sommes réunis dans cette magnifique bibliothèque qu'est la New York Library.
Contrairement à ce que vous pourriez penser, cet endroit n'a pas seulement été choisi parce qu'il est lié à la France.
Certes, l'un de ses architectes était français, quoique né au Brésil.
Certes, cet édifice porte en lui l'empreinte, dans ce New York du début du siècle, de l'École française des beaux-arts. Mais ce lieu s'est imposé de lui-même pour une autre raison : parce que nous y sommes en très bonne compagnie, entourés de ces milliers d'amis – ces livres qui sont à l'homme le compagnon le plus cher et le plus fidèle.
Les participants, enfin : nous sommes, ici, réunis plus de trois cent. D'horizon très divers, ambassadeurs, fonctionnaires des Nations unies, journalistes… et même ministres, rassemblant des cultures aussi diverses d'une extrémité à l'autre de notre planète : du Zaïre à l'Afghanistan, du Laos à la Colombie…
Et nous sommes ensemble pour une toute petite raison, cette « autre chose » dont je parlais et qui a pour nom l'amitié.
Cette amitié dont la langue française n'est finalement que le véhicule privilégié.
Et à laquelle la culture qui nous unit donne son ciment.
Nous sommes francophones parce qu'amis et non amis parce que francophones.
Et si notre cercle s'ouvre chaque année plus largement, c'est qu'il vit et se développe sous le signe de cette amitié à laquelle je veux dédier notre soirée d'aujourd'hui.
L'amitié à laquelle je voudrais porter ce toast, à travers vous tous et chacun de vous en particulier, est un sentiment précieux, rare et unique entre tous.
Unique surtout parce que de tous les sentiments qui agitent l'âme humaine, l'amitié est avant tout « un acte de liberté ».
L'amour est le plus bouleversant des sentiments ; il nous emporte et nous transporte, l'affection familiale s'impose à nous par nature et par naissance, l'amitié – quant à elle – chaque jour renouvelée, reste ce choix authentique dont nous sommes les maîtres absolus.
Un lien certes et combien solide, mais un lien dont toute contrainte est absente. Et c'est bien ainsi que je nous perçois ce soir : tous venus ici par notre seul choix, en toute liberté, sans autre contrainte, ni nécessité… par amitié !
Et, puisque d'amitié il s'agit, je voudrais lever mon verre à un grand ami que nous avons tous en la personne de M. Boutros Boutros-Ghali.
Ami de la culture et de la langue françaises, qu'il manie avec un art de ciseleur que je jalouse, il n'a pas pour autant cessé d'être imprégné de la culture arabe et de la civilisation africaine. Boutros Boutros-Ghali a aussi fait la preuve qu'il était resté dans ces fonctions, à la tête de notre organisation, l'ami digne de confiance de tous ces peuples qui voient dans l'ONU un espoir et une promesse. Je voudrais, ici, l'assurer, au nom de tous autour de cette table, de notre fidélité, tant il est vrai que c'est à l'aulne de la fidélité que se mesure toute amitié. Cette fidélité que nous vous exprimons aujourd'hui, cher Boutros Boutros-Ghali, ne vous fera pas défaut demain, soyez-en assuré.
Enfin, c'est à vous tous, mes chers amis, que je voudrais lever mon verre, à notre attachement à notre langue et à la culture qu'elle incarne… Le monde du XXIe siècle dépend de nous et de notre capacité à porter haut la flamme de cette amitié : ce n'est qu'en lui restant fidèles, que nous ferons en sorte que ce monde ne soit ni celui de l'uniformité stérile, ni celui de la rivalité de cultures refermées sur elles-mêmes.
Je vous propose donc de lever notre verre à la diversité qui est notre richesse et à cette amitié qui nous inspire ce soir, cette amitié que Marie de France chantait, voilà quelques siècles, et qui pourrait aussi bien exprimer les liens entre la France et les peuples qui l'accompagnent :
« Mais si l'on veut les séparer
Le coudrier meurt promptement
Le chèvrefeuille mêmement
Belle amie ainsi est de nous
Ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
Ni vous sans la France, ni la France sans vous !