Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale et président du mouvement Idées-Action, à Europe 1 le 4 février 1998, sur sa position relative à la peine de mort, l'abandon du surgénérateur Superphenix, les relations au sein de la majorité plurielle, son rejet des 35 heures, la préparation des élections régionales de 1998 et son voeu pour une "alternance forte".

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach
K. Tucker a donc été exécutée : le libéral A. Madelin est-il pour ou contre la peine de mort maintenant, demain, ici ou ailleurs ?

A. Madelin
– « D'abord je comprends l’émotion compte tenu des circonstances particulières, si longtemps après. Le débat sur la peine de mort n’est pas un débat idéologique gauche-droite, libéral-dirigiste etc. C'est vrai que j'ai tendance pour ma part à garder mon émotion pour les victimes et notamment dans l'actualité internationale pour les victimes innocentes de la barbarie en Algérie. À titre personnel – mais j’ai horreur de m'exprimer à chaud sous le poids des événements et des émotions, je veux bien le faire à froid calmement –, je suis partisan de garder la peine de mort quitte à l'appliquer très peu mais dans les circonstances de crimes, j'allais dire horribles, où l’on pense que les auteurs ont perdu leur qualité d'humain. »

J.-P. Elkabbach
Mais en France, elle est définitive l’abolition, irréversible sans aucune exception.

A. Madelin
– « Je ne veux pas revenir sur le débat en France : c'est fait, voilà. Mais je vous donne mon opinion personnelle après avoir bien réfléchi à ces questions en raison, calmement, comme d'autres ont pu le faire. R. Ikor, ou quelques autres consciences que j'admire et qui, tout bien pesé, disent : attention, il y a des circonstances, ou il y a des actes de barbarie, qui appellent dans l'inconscient de chacun un sentiment de vengeance. Et cette vengeance sociale il faut la discipliner, il faut qu'on puisse reconnaître dans des procès toutes les circonstances atténuantes aux assassins, mais il faut que les victimes sachent que dans de tels actes de barbarie, au bout du compte la peine de mort peut être là. »

J.-P. Elkabbach
Et 14 ans après la peine

A. Madelin
– « Non, non !! »

J.-P. Elkabbach
On ne fait pas un débat là-dessus ?

A. Madelin
– « Vous voyez la difficulté de ce débat parce que vous prenez un fait qui est tout à fait particulier et puis ensuite vous me demandez une opinion générale, vous reliez les deux et c'est justement ce que je voulais éviter de faire : relier une opinion générale à un fait qui, je le comprends, appelle l’émotion. »

J.-P. Elkabbach
Je retiens à la fois l'émotion et la précision de la réponse. On passe à la politique : L. Jospin a annoncé, hier, une loi sur la transparence et le contrôle de l'industrie nucléaire. Est-ce qu’il n'a pas eu le courage de décider ce que la droite n'a jamais fait : l'arrêt de Superphénix qui est cher – 35 milliards – risqué, inefficace et inopérant ?

A. Madelin
– « C'est un peu plus cher que cela. Le coût total du surgénérateur, le coût du démantèlement doit être de l'ordre de 90 milliards. Donc, c'est un petit Crédit Lyonnais nucléaire. »

J.-P. Elkabbach
Un gouffre. Donc il a bien fait.

A. Madelin
– « Je crois que l'on a fait beaucoup d'erreurs dans Superphénix. Dans une autre vie ministérielle, il y a bien longtemps, j'avais moi-même arrêté Superphénix. Je crois qu'on aurait pu le faire autrement après débat et non pas donner le sentiment de l’arrêter Pour des raisons politiciennes et idéologiques. Qu'on arrête Superphénix parce qu'on ne sait pas très bien à quoi cela sert et cela coûte trop cher : soit ! Qu'on l’arrête pour faire plaisir aux Verts : c'est idiot ! Et qu'au surplus on remette en route Phénix pour faire plaisir aux communistes, cela devient absurde. »

J.-P. Elkabbach
Phénix dont D. Voynet dit que c’est une vieille casserole, une vieille machine.

A. Madelin
– « D. Voynet sur ce point-là n’a pas tort : d’un strict point de vue écologique, Superphénix ne pose pas de problèmes, Phénix en pose. »

J.-P. Elkabbach
À un certain moment la droite avait admiré l'idée d’une majorité plurielle. A l'expérience vous pensez que cela n'a pas que des charmes.

A. Madelin
– « Je pense que nous assistons une dégradation politique de la majorité plurielle, qui va de pair avec une dégradation sociale et sans doute à venir une dégradation économique. On a le sentiment effectivement qu’il y a des personnes qui se disputent le volant, d'autres qui appuient sur l’accélérateur pendant que d'autres appuient sur le frein. C'est la recette de l’accident programmé. »

J.-P. Elkabbach
Au milieu de ce panorama catastrophique...

A. Madelin
– « Ce n'est pas catastrophique. C'est une observation, j'allais dire, amusée et attristée de ce Gouvernement qui est aujourd'hui une cour de récréation de maternelle. »

J.-P. Elkabbach
Pourtant la Bourse est excellente, les Américains commandent des paquebots à Saint-Nazaire, les Espagnols des Airbus. Et si la réalité démentait le pessimisme ambiant et traduisait peut-être au contraire un certain retour à la confiance ?

A. Madelin
– « Je ne le pense pas et je prends rendez-vous. Je pense qu'à l'heure actuelle nous avons une économie française qui va être affectée plus qu'on ne le croit par la crise du Sud-Est asiatique. Je pense que des mesures comme les 35 heures sont de nature à casser la confiance particulièrement des petits .entrepreneurs qui sont les moteurs de la création d'emplois et de l’innovation. »

J.-P. Elkabbach
La loi sera pourtant votée.

A. Madelin
– « Si on casse la confiance on va casser la croissance et on va casser l’emploi. Et au bout du compte je suis, hélas, obligé de pronostiquer pour ma part une très mauvaise fin d'année : nous allons mettre l'économie en panne. Et si je reprends le débat sur les 35 heures, dont on voit aujourd'hui l'extraordinaire confusion, jour après jour, de ce projet qui nous est proposé, c'est une formidable usine à gaz. Je crois que les meilleurs spécialistes aujourd'hui ne savent plus exactement ce que veut le Gouvernement. On s'y perd. Il y a une chose qui est certaine et qui est celle que j’ai mise en évidence depuis le début de la discussion de ce projet de loi, c'est que cela se traduira par un gel des salaires sinon une baisse des rémunérations et tirera encore un peu plus les salaires des Français vers le bas. Je pense que c'est une faute économique. »

J.-P. Elkabbach
Mais si tout va aussi mal à la fin de l'année ce sera bon pour vous peut-être ? Pour vous opposition.

A. Madelin
– « Non, je ne veux pas faire le grain de l'opposition sur les malheurs de mon pays, je veux les faire sur l'adhésion à une vision d'avenir et d'espoir. »

J.-P. Elkabbach
Aux assises du RPR il y avait du beau monde, pas vous, comment cela se fait ?

A. Madelin
– « Parce que je n'ai pas eu l'occasion d'y être invité. Mais je me réjouis en tout cas à la fois que le RPR retrouve son unité et évolue vers des idées libérales qui ont toujours été les miennes. »

J.-P. Elkabbach
Vous avez donc tous depuis dimanche un nouveau chef, non ?

A. Madelin
– « Je comprends mal le sens de votre question. »

J.-P. Elkabbach
Depuis dimanche vous avez Chirac comme nouveau chef ?

A. Madelin
– « Vous voulez dire, le RPR a Chirac comme nouveau chef ? »

J.-P. Elkabbach
Je ne sais pas. L'opposition non ? Pour aller au prochain combat.

A. Madelin
– « Dimanche ce n'était pas le Congrès de l'opposition, c'était le Congrès du RPR. Nous avons tous un Président de la République qui est J. Chirac, le RPR semble avoir un chef qui est J. Chirac. Ce n'est pas tout à fait la même chose. »

J.-P. Elkabbach
Après la dissolution, c'était à droite : qui exécuterait le mieux, le plus vice, le plus définitivement J. Chirac.

A. Madelin
– « Pas moi. »

J.-P. Elkabbach
Il est ressuscité.

A. Madelin
– « J'ai une amitié pour J. Chirac, je reste fidèle un peu à l'espoir qui était né de sa campagne des élections présidentielles. Donc, je ne suis pas de ceux qui enterrent J. Chirac mais je pense que J. Chirac est Président de la République, qu’il n'est pas le chef de l'opposition. Si le RPR veut le reconnaître comme chef, c'est son affaire et pas la nôtre en tous cas. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce que vous croyez que désormais il ne faudrait pas une grande formation unique de la droite ?

A. Madelin
– « Cela dépend des types de scrutin. C'est souvent le type de scrutin qui façonne le paysage politique. »

J.-P. Elkabbach
Ce n'est pas non alors ?

A. Madelin
– « Ce n'est pas oui non plus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, dans les temps qui viennent, je vais mettre en avant les convictions. vous savez, si on veut redonner confiance aux Français, faire en sorte qu'il y ait un jour une majorité d'adhésions dans une alternance forte – ça ne sera pas une petite alternance la prochaine fois, ça sera quelque chose de beaucoup plus lourd, avec des réformes profondes que l’on a trop longtemps différées et qu'il faudra entreprendre franchement – si on veut cela, il faut que nous soyons entraînants et on ne peut pas entraîner si vous avez un parti mou dans le marécage des compromis et des divisions molles de la société. Donc pour moi, l'année 1998 au lendemain des régionales, sera l’année de l'affirmation des convictions et des solutions, que chacun affirme sa sensibilité. Si tout le monde va dans le sens libéral, tant mieux, ça permettra de se regrouper. Je ne préjuge pas la forme de ce regroupement, tout est ouvert, mais je n'entends pas diluer mes convictions. J'ai observé les progrès du RPR dans le sens qui est le mien... ».

J.-P. Elkabbach
Vers le libéralisme...

A. Madelin
– « ...mais il y a encore du chemin. »

J.-P. Elkabbach
Voilà, on va terminer. Mais vous aussi, dans une petite brochure Démocratie libérale, vous venez d’écrire qu'il faut faire un retour aux sources et qu'il faut relire De Gaulle. Qu'est-ce qui vous sépare vraiment ?

A. Madelin
– « Si vous allez jusqu'au bout de cette petite brochure... c'est-à-dire que j'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'a été 1958, à la fois un formidable élan économique qui a redonné confiance au pays et une réforme profonde de l'Etat. La réflexion sur la réforme de l'Etat me paraît vraiment celle que nous devons avoir à l'ordre du jour et je ne serai pas sans suggestion. »