Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que j'ai accepté l'invitation de l'institut d'histoire de l'industrie de conclure votre colloque consacré aux trains à grande vitesse, les TGV.
L'approche historique de votre colloque, qui part de la genèse du concept technologique pour éclairer les enjeux actuels et à venir tant en France qu'en Europe et dans le reste du monde, est à mes yeux, très enrichissante. Dans le domaine industriel comme dans le champ des grandes politiques publiques, il est, en effet, toujours de bon conseil de prendre du champ et de replacer les décisions dans une perspective historique ou, à tout le moins, dans un contexte d'évolutions lourdes.
Cette approche est particulièrement utile lorsqu'il s'agit d'investissement à très long terme comme les TGV, le long terme s'entendent aussi bien sur le temps de maturation puis de réalisation des projets que pour leur durée de vie. Le « temps long » est ainsi une donnée fondamentale de ces projets, qu'il convient de garder toujours à l'esprit. Une partie des difficultés politiques que nous connaissons dans la mise en œuvre du schéma directeur des TGV vient précisément à mon sens d'une confusion des horizons temporels, ainsi que j'aurai l'occasion d'y revenir.
Puisque votre colloque est consacré à l'examen du passé et des perspectives d'avenir, il constitue pour moi une occasion privilégiée de préciser la position du gouvernement à l'égard des lignes à grande vitesse, au moment où se met en place la réforme ambitieuse de l'organisation du transport ferroviaire que Bernard Pons et moi-même avons présentée en juin dernier au Parlement.
Un choix technologique confirmé et enrichi
D'emblée, je souhaite confirmer, de la manière la plus claire et la plus forte, la foi du gouvernement dans la pertinence économique et technologique du TGV.
Le TGV est un succès technique et commercial remarquable de notre pays et je souhaite rendre un hommage appuyé à l'ensemble des acteurs, dont beaucoup sont présents aujourd'hui, qui l'ont rendu possible. C'est à mon sens à juste titre que le TGV est souvent présenté comme l'une des réussites les plus exemplaires des grands programmes technologiques français, qui fédèrent les pouvoirs publics, une grande entreprise publique et les industriels autour d'un projet ambitieux. Et il est important de souligner que cette réussite fut technique, comme le montre l'exploitation sans incidents du TGV depuis près de 15 ans, mais qu'elle fut aussi commerciale, comme le prouve la fréquentation croissante des différentes lignes en service.
Le train n'est certes plus le mode de transport dominant, mais il garde des créneaux de pertinence forts face aux modes de transports concurrents. Trois créneaux, qui sont conformes à la vocation de transport de masse du train, sont ainsi particulièrement porteurs à mes yeux : le transport de voyageurs dans les zones urbaines et péri-urbaines ; le transport de marchandises sur grande distance avec le transport combiné ; enfin le transport de voyageurs sur moyenne et grande distance avec les lignes à grande vitesse.
Je souhaite donc être très claire à l'heure où l'on entend parfois attaquer le concept même des TGV : la France et le gouvernement français sont fiers de la réussite exemplaire du TGV et résolus à entreprendre la poursuite du programme d'équipement du pays.
Cette volonté s'est traduite de manière concrète, il y a un an, lorsque j'ai décidé le lancement des travaux de TGV Méditerranée, qui représentent un investissement de 24 milliards de francs auquel l'État contribue à hauteur de 2,4 milliards. Je tiens d'ailleurs à confirmer aujourd'hui, sans ambiguïté, que ces travaux se poursuivent normalement et permettent une mise en service comme prévu, en l'an 2000.
J'ai plaisir à souligner que les nombreux succès remportés à l'exportation confirment, de manière éclatante, la pertinence des choix techniques des solutions mises au point en France. Je pense en particulier en Europe, à la ligne Madrid-Séville et à la future ligne Londres-Folkestone, en Asie, au TGV coréen, aux États-Unis, au récent succès remporté en Floride pour la liaison Miami-Orlando-Tampa, Bernard Pons et moi apportons en outre un soutien constant aux autres projets en discussion sur tous les continents, notamment en Asie.
Cette avance technologique française doit être préservée par un effort de recherche soutenu dans le cadre de la mise au point du TGV de nouvelle génération. Si les travaux de recherche de ces dernières années ont surtout porté sur la mise au point des rames duplex et sur l'élévation à 350 km/h de la vitesse commerciale en exploitation, les travaux à venir devront être prioritairement focalisés sur la mise au point du TGV pendulaire, qui doit combiner les avantages de deux techniques que l'on a, à tort, présentées comme antagonistes.
Le gouvernement apportera son appui financier à cet effort dans le cadre du programme de recherche et d'innovation dans les transports terrestres, le PREDIT, le TGV pendulaire est clairement, pour le gouvernement, l'une des priorités premières du PREDIT.
Une meilleure synergie avec le réseau est souhaitable
J'évoquais le succès industriel et commercial du TGV en France. Je souhaite, à cet égard, souligner que, contrairement à une idée reçue, le développement du TGV ne s'est pas fait en France au détriment financier du réseau classique, comme le prouve le volume des investissements au cours des dix dernières années, qui se répartissent de manière à peu près égale entre le réseau TGV et le réseau classique. En revanche, on peut s'interroger si ce développement ne s'est pas fait, au sein de la SNCF, insuffisamment en synergie avec le reste du réseau, notamment en matière de correspondance. Il ne faut jamais oublier que les clients ont un besoin de transport qui se conçoit « porte à porte ».
Pour s'être trop focalisée sur la concurrence avec l'avion dans la conception de ses projets TGV, la SNCF a sans doute perdu un peu de vue les atouts propres du train, notamment en termes de desserte des centres-villes, de convivialité et de correspondance. On peut s'interroger si les déconvenues sur la rentabilité de certaines liaisons par rapport aux prévisions n'en découlent pas en bonne partie. Cela est d'autant plus regrettable que l'un des avantages spécifiques du TGV par rapport aux systèmes concurrents, c'est précisément de pouvoir circuler sur toutes les lignes électriques du réseau.
Aussi, il me paraît indispensable que les projets de TGV s'inscrivent désormais dans une optique résolue d'intégration de ces lignes avec le reste du réseau et avec les autres modes de transport. Cette articulation commence, bien entendu, par les correspondances, donc par les gares. Il me semble, à cet égard, que le principe des « gares nouvelles » doit être remis en cause ou, à tout le moins, faire l'objet d'une vérification sérieuse de leur pertinence au cas par cas. Je m'interroge, en effet, si le chemin de fer ne perd pas son principal atout quand il s'écarte de l'accès au centre-ville et se prive des connexions d'un réseau maillé.
Une ambition pour une génération
La recherche d'une meilleure articulation avec le réseau classique constituera, en tout état de cause, un objectif à privilégier dans la mise en œuvre des projets inscrits au schéma directeur des TGV adopté en 1992. Ce schémas – qui doit beaucoup à l'énergie de Michel Walrave – traduisait une grande ambition nationale pour l'équipement du pays, en liaisons ferroviaires à grande vitesse. La présentation de ce schéma, confortée probablement par des déclarations circonstancielles à finalités locales, a, cependant, fait perdre de vue l'échelle de temps qui devait accompagner cette ambition.
La France a mis vingt ans à construire 1 300 km de lignes TGV, de surcroît les plus rentables et en les faisant financer à crédit par la SNCF avec les conséquences que l'on sait. Dès lors, chacun peut comprendre que ce n'est pas en dix ans que l'on construira les 2 300 km de lignes en projet, qui représentent un investissement hors matériel roulant de plus de 200 milliards de francs !
Aussi, il ne faut pas se dissimuler la vérité : la réalisation du schéma directeur du TGV est un projet pour une génération. Ce n'en est d'ailleurs, à ce titre, qu'une plus grande ambition pour la nation.
Le rôle du politique est de rechercher l'équilibre entre le souhaitable et le possible. Cela signifie que le programme TGV doit continuer mais que son avancement doit s'effectuer à un rythme compatible avec les ressources financières que la nation peut y consacrer.
C'est le sens de la mission confiée par Bernard Pons et moi-même à Philippe Rouvillois, ancien président de la SNCF, dans la perspective de l'élaboration du schéma directeur ferroviaire et de la révision du schéma des TGV de 1992. Nous souhaitions, en particulier, qu'il examine les termes possibles d'une programmation réaliste « dans le temps et dans l'espace » et qu'il étudie les mécanismes de financement les plus appropriés.
Les données des projets ont été actualisées
Parallèlement à sa mission, nous avons fait procéder à une actualisation des données des différents projets. Il s'agissait, en particulier, d'intégrer les conséquences de la déréglementation du transport aérien et de tirer les enseignements de l'expérience du TGV Nord dont la fréquentation se révèle deux fois plus faible que les prévisions. Cette actualisation était indispensable dans un contexte économique et budgétaire qui impose une grande rigueur dans les choix d'investissement.
Les nouvelles estimations font apparaître une baisse sensible de la rentabilité des projets de TGV, d'un facteur 2 à 4 : leur rentabilité financière se situe désormais entre 1 et 3,5 % et la rentabilité socio-économique, qui intègre les avantages pour la collectivité, entre 5 et 12 %. Le niveau de la rentabilité socio-économique peut tout à fait justifier la réalisation des projets, mais celle-ci impliquera, compte tenu de leur faible rentabilité sur le plan strictement financier, des contributions publiques très importantes de la part de l'État, des collectivités locales et de l'Union européenne. Il faut en avoir conscience.
La remise de son rapport par Philippe Rouvillois a été retardée par la mise en œuvre de la réforme fondamentale du transport ferroviaire que Bernard Pons et moi-même avons présentée au Parlement en juin dernier. Celle-ci, je le rappelle, prévoit en effet, la création d'un établissement public, qui s'appellera « Réseau ferré national » et qui sera chargé, pour le compte de l'État, de la responsabilité de l'infrastructure et de son développement. Nous avons donc logiquement demandé à Philippe Rouvillois d'intégrer les effets de cette réforme dans sa réflexion.
Philippe Rouvillois vient de nous remettre ses conclusions, que Bernard Pons et moi-même rendrons possible publiques très prochainement. Sans dévoiler à ce stade leur contenu détaillé, je souhaite dire qu'avec sa double expérience des problèmes ferroviaires et financiers. Il conclut logiquement à la nécessité de procéder à une révision profonde des ambitions au regard des financements publics qu'il conviendrait de mobiliser.
Il confirme en outre que l'ingénierie financière, aussi imaginative soit-elle, ne peut faire de miracle et rendre rentable ce qui ne l'est pas. De même, chacun peut comprendre que le financement d'infrastructures non rentables par des investisseurs privés nécessité des subventions publiques plus importantes que le financement par une entité publique, compte tenu de la rémunération plus élevée exigée par les apporteurs de capitaux privés.
L'intervention d'investisseurs privés peut, certes, permettre des économies sur les coûts de réalisation. J'ai d'ailleurs été surprise récemment, en constatant que le coût du kilomètre de TGV en francs constants, avait à peu près doublé depuis la ligne Paris-Lyon, ce qui signifie sans doute que des économies sont possibles. Mais, compte tenu de la faible rentabilité des projets de TGV, la participation financière des collectivités publiques sera indispensable et la réalisation par des structures publiques ou d'économie mixte semble incontournable.
En tout état de cause, la clarification des risques entre le transporteur ferroviaire et le constructeur de l'infrastructure s'impose. La création de l'établissement public « Réseau ferré national » constitue, à cet égard, un atout significatif pour la poursuite du développement du programme TGV, y compris dans le cadre de partenariats éventuels avec des capitaux privés. Il crée, en effet, les conditions d'une approche responsable du financement des liaisons TGV.
Au total, l'enveloppe financière que les pouvoirs publics accepteront de consacrer au financement des TGV au cours des dix ou vingt prochaines années, sera l'élément déterminant de dimensionnement du volume des programmes futurs. Chacun doit s'en convaincre et ne pas s'illusionner sur la fuite en avant dans l'endettement.
Pour difficiles à accepter qu'elles soient, ces conclusions sont, cependant, conformes à ce que chacun d'entre nous, avec son propre bon sens, pouvait deviner : nous avons voulu aller trop vite en voulant tout, tout de suite, et en oubliant le « temps long » qui s'impose pour ce type d'investissement.
Il faut redimensionner les projets
Dès lors, il faut que nous recherchions une programmation réaliste des projets « dans le temps et dans l'espace », afin de mettre en adéquation le rythme des travaux et les financements mobilisables. Dans cette perspective, il convient de réexaminer chaque projet dans l'optique de rechercher le meilleur rapport entre les gains de temps et le coût de l'investissement, en tirant parti des nouvelles améliorations technologiques.
Deux voies, qui relèvent du bon sens, sont, à cet égard, à privilégier :
– d'une part, le phasage des projets, à travers une réalisation progressive présentant une bonne pertinence technique et commerciale, à l'image de la politique qui a été suivie dans le passé avec succès pour le TGV Sud-Est et le TGV Atlantique ;
– d'autre part, l'accélération des circulations sur les lignes existantes, dans le prolongement ou dans l'attente des lignes nouvelles, par des travaux sur l'infrastructure mais aussi par une amélioration des performances du matériel roulant, notamment grâce à la technologie pendulaire qui a trop longtemps été négligée en France.
Chaque projet devra donc être réexaminé dans cette double logique, en pensant d'abord « service » avant de penser « travaux ».
Le TGV pendulaire, qui fera la synthèse des avantages de deux techniques que l'on a à tort présentées comme antagonistes, apparaît comme le complément, au niveau du matériel roulant, d'un phasage de la réalisation des infrastructures. Lorsqu'une réalisation phasée est nécessaire, il peut faciliter la recherche du meilleur compromis entre le temps de parcours et l'investissement.
Je précise que le TGV pendulaire est un train capable de rouler à 300-350 km/h sur une ligne nouvelle et 200-220 km/h sur les lignes existantes. Il ne s'agit donc en aucun cas, d'un TGV « au rabais », comme certains mal informés ou mal intentionnés ont cru pouvoir le dire, mais bien d'un saut technologique qui peut permettre une accélération sensible de la mise en œuvre, en termes de service, des liaisons projetées.
Les constructeurs de matériel – je pense à GEC-Alsthom – nous ont assuré qu'un prototype serait disponible d'ici fin 1997 et que des matériels pourraient être techniquement produits en série en 2000. Je profite de leur présence dans cette salle pour leur dire l'importance que nous attachons à ce programme et les encourager à tenir ces délais.
Le TGV Est
Si ces propos esquissent les principes auxquels Bernard Pons et moi-même entendons nous conformer – principes qui relèvent du bon sens, je veux le souligner –, je souhaiterais évoquer brièvement la situation du TGV Est, qui est aujourd'hui le projet le plus avancé puisqu'il est le seul à être déclaré d'utilité publique, Alain Juppé ayant signé, en mai dernier, le décret que Bernard Pons et moi lui avions proposé.
Je ne suis ni sourde, ni aveugle, et j'entends ou je lis dans les journaux les manifestations d'une certaine agitation dans les régions concernées. Aussi, je souhaite être très claire :
– premièrement, je confirme une fois encore, comme ont pu le faire le Premier ministre et plusieurs membres du gouvernement, que le TGV Est est prioritaire et qu'il sera le prochain TGV réalisé après le TGV Méditerranée ;
– deuxièmement, la réalisation du TGV Est sera phasée, comme l'ont été tous les projets de TGV réalisés à ce jour, à la seule exception du TGV Nord, compte tenu de sa faible distance ;
– troisièmement, le TGV Est sera le premier à être équipé d'un TGV pendulaire et à bénéficier de ses avantages spécifiques : meilleur service pour un moindre coût et des travaux moins longs.
Ces principes étant réaffirmés avec force, le gouvernement entend aborder le sujet avec sérénité, dans la transparence et la concertation. C'est la raison pour laquelle Bernard Pons et moi-même, conjointement avec Jean Arthuis, avons demandé au conseil général des ponts et chaussées et à l'Inspection générale des finances, de procéder à une actualisation des coûts et de la rentabilité du projet. Sur la base de leurs conclusions, nous examinerons prochainement, en concertation avec les partenaires concernés, au premier rang desquelles figurent les collectivités locales, le phasage le plus avantageux au titre de l'amélioration du service rapportée au coût. Nous pourrons alors arrêter le plan de financement définitif.
Je souhaite que cet examen puisse s'engager entre des partenaires responsables et lucides. À cet égard, j'indique d'ores et déjà que je n'accepterai pas les critiques stériles de celles et ceux qui réclament une réalisation intégrale et immédiate, alors qu'ils n'ont pas su ou pas pu, dans le passé, obtenir de leur majorité, les décisions nécessaires à une réalisation plus rapide du projet.
S'agissant du financement par l'Union européenne, à propos duquel j'ai entendu récemment se développer une polémique inutile, je souhaite enfin rappeler que l'Union est parfaitement en mesure aujourd'hui, de l'avis quasi-unanime des ministres européens des Transports, de financer à hauteur de 10 % les projets techniquement prêts, dont le TGV Est. Ne perdons pas, par ailleurs, le sens des réalités : le problème du TGV Est n'est pas tant le financement des 10 % susceptible d'être apportés par l'Union européenne que celui des 90 % restants !
Conclusion
Voici, Mesdames et Messieurs, les perspectives que je souhaitais tracer sur l'action du gouvernement dans le domaine des liaisons ferroviaires à grande vitesse, en conclusion de votre colloque. La plupart des acteurs de cette grande réussite française qu'est le TGV, était réunie ce soir et je veux réaffirmer l'importance stratégique que revêt notre industrie ferroviaire, qui a permis ce succès.
Votre colloque était pour moi une tribune de choix pour exposer, de manière ouverte et directe, les choix auxquels nous sommes confrontés. Ces choix, vous l'aurez compris, ne sont pas simples. Ils ne sont pas simples en soi, compte tenu des sommes en jeu ; ils ne sont pas simples non plus à expliquer, compte tenu de la passion qui anime les élus et les populations dès lors qu'il est question de grands équipements structurants. Mais, la difficulté de ces choix est une forme de rançon du succès des TGV, qui a fait naître des espoirs parfois disproportionnés.
La réalisation du programme TGV reste une ambition formidable pour le pays à l'échelle d'une génération, ambition qui doit s'inscrire dans la logique de la construction européenne. Elle est de celles qui peuvent rassembler les énergies des Français et constituer l'une de leurs fiertés collectives les plus fortes.
Ce n'est donc pas à un rêve plein d'illusions que je vous invite mais à un grand projet pour l'équipement du pays, qu'il nous appartient ensemble, avec responsabilité, de rendre possible.