Texte intégral
Lutte ouvrière - 4 octobre 1996
Le révolte des Palestiniens
La place Tien-An-Men en Palestine
Il n’aura pas fallu longtemps à Benyamin Netanyahou, le leader de la droite israélienne, qui est aussi, depuis quatre mois, le Premier ministre de son pays, pour passer des discours musclés sur « la paix dans la sécurité » à la plus violente des répressions contre la population palestinienne. L’armée israélienne n’avait pourtant devant elle que des manifestants désarmés – car la police palestinienne n’est intervenue que dans un deuxième temps, pour tenter de défendre ces manifestants et avec des moyens qui n’avaient rien de commun avec les tanks et les hélicoptères d’assaut de l’armée israélienne, comme la disproportion du nombre des morts entre les deux camps le montre largement. Et l’on comprend que ces hommes et ces femmes qui subissent depuis des dizaines d’années l’occupation israélienne et qui ont vu, malgré le discours sur le « processus de paix », le gouvernement israélien continuer à les traiter comme du bétail, qu’on parque ou qu’on refoule sans autre forme de procès, aient eu envie de crier leur indignation contre une politique qui rassemble fort à la « purification ethnique » pratiquée dans l’ex-Yougoslavie. On leur a répondu par la mitraille que les gouvernements des grandes puissances qui se prétendent démocratiques trouvent vraiment à y redire.
Ils ont certes « déploré » ces massacres, versé quelques larmes de crocodile. Mais on n’a pas entendu le tollé qui avait suivi la répression exercée il y a dix ans contre les manifestants chinois de la place Tien-An-Men. Mais Bill Clinton n’a pas décrété contre Israël l’embargo qu’il impose à Cuba, sous prétexte que le régime de Castro ne respecte pas les libertés démocratiques. Car Israël est, depuis des années, une agence militaire des puissances impérialistes au Moyen-Orient et cela lui vaut des égards, de la part de Chirac comme de celle de Clinton.
Pour être la principale victime de ce drame, le peuple palestinien n’en est d’ailleurs pas la seule. La population israélienne pourrait bien, elle aussi, en payer le prix, y compris la moitié qui aspirait suffisamment à la paix pour accepter de reconnaître les droits du peuple palestinien et qui a voté contre la candidature de Netanyahou (car celui-ci n’avait gagné qu’avec une infime avance sur son concurrent travailliste). D’une part, parce que la politique de Netanyahou ne peut que rendre cette paix impossible, et qu’elle prépare peut-être dans la région, une explosion qui ne choisira pas ses victimes. D’autre part, parce que l’extrême droite israélienne, que cette politique ne peut que renforcer, ne réservera pas forcément à ses opposants juifs un sort plus doux que celui qu’elle inflige aux Palestiniens.
Quant à ceux, parmi la population laborieuse d’Israël, qui se sont laissés prendre aux rodomontades chauvines de Netanyahou et de ses semblables, ils se sont préparé un sort qui n’est pas plus enviable, car les gardiens, comme les détenus, sont condamnés à vivre en prison.
Le seul avenir possible et souhaitable, pour les peuples de la région, réside dans l’union fraternelle des travailleurs juifs et arabes, dans le respect mutuel de leurs droits, et dans une même lutte contre leurs exploiteurs et leurs oppresseurs communs. Mais en refusant de faire leur cette perspective, les partis de la gauche israélienne ont fait le jeu de la droite et de l’extrême droite.
C’est une leçon qui vaut pour nous aussi, en France, où sévissent des démagogues à la Le Pen qui cherchent à dresser les travailleurs les uns contre les autres. N’oublions pas que les responsables du chômage, de la régression du niveau de vie de la population laborieuse, des scandales financiers à répétition, ne sont pas d’autres travailleurs, mais ceux qui dirigent l’économie de ce pays, la classe des capitalistes. Et que prêter une oreille complaisante aux propos racistes ou xénophobes qui visent à diviser la classe ouvrière, c’est forger ses propres chaînes, et peut-être ouvrir la voie à des hommes capables d’entraîner le peuple, au nom duquel ils prétendent parler, dans les pires aventures.
Lutte ouvrière - 11 octobre 1996
Le 17 octobre, et après…
Préparer la riposte
Le Premier ministre et le président de la République battent, paraît-il dans les sondages, des records d’impopularité.
Malgré cela, le Premier ministre veut montrer qu’au contraire, des députés de sa majorité, inquiets de leur réélection, il n’a pas d’états d’âme et poursuivra tranquillement sa politique ; quitte à prédire maintenant pour l’année prochaine, la reprise économique qu’il avait auparavant prédite pour cet été et qui, manifestement, n’est pas au rendez-vous.
De mensonge en mensonge, le gouvernement poursuit une tâche qui consiste à assurer malgré le marasme économique, les profits de la bourgeoisie, quoi qu’il en conte aux classes populaires. Cette politique a pour seul résultat de rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, en renvoyant aux calendes les conditions d’une amélioration économique et sociale.
Mais rien n’empêchera Juppé de poursuivre cette politique, comme les gouvernements qui l’ont précédé et comme ceux qui lui succéderont… si les travailleurs n’y mettent pas bon ordre.
Car le choix aujourd’hui est clair : le maintien du profit des groupes capitalistes signifie la déchéance pour la population travailleuse ; la seule alternative à cette situation, c’est que la classe ouvrière se donne les moyens de faire céder le mur d’argent, pour imposer une vie digne pour les travailleurs.
Des réactions ouvrières, il y en a. Il y a· un appel à la grève le 17 octobre pour l’ensemble de la fonction publique, y compris la SNCF et les transports urbains, et la CGT parle d’une journée interprofessionnelle pour le début novembre.
Il est nécessaire d’aller vers une mobilisation générale de tous les travailleurs, et il faut faire en sorte que de telles journées soient des étapes de cette mobilisation.
Les dirigeants syndicaux le souhaitent-ils ? Ce n’est pas sûr, et en tout cas pas de tous. Mais il peut dépendre des travailleurs que cela prenne ce sens.
Un nombre important de grévistes peut donner à ces mouvements d’une journée une valeur d’avertissement. En effet, c’est le succès du mouvement des uns qui encourage les autres, qui redonne confiance à tous et montre que la lutte est possible. C’est ainsi que se créent les conditions d’une extension, d’une généralisation des luttes, dont la menace est la seule qui puisse réellement inquiéter le patronat.
Car il faut que la crainte change de camp. À l’heure où les patrons prétendent être contraints de licencier ou de baisser les salaires, il faut que les travailleurs puissent ouvrir les livres de comptes, vérifier ce que l’on fait de l’argent, imposent et exercent un droit de regard sur le fonctionnement de ce système capitaliste qui est en train d’emmener l’ensemble de la société à la ruine.
Les travailleurs ont la force d’imposer, non seulement des mesures immédiates et urgentes comme l’augmentation générale et immédiate des salaires, ou la diminution de l’horaire de travail sans diminution des salaires, mais aussi l’interdiction des licenciements et l’expropriation de toutes les entreprises qui licencient tout en faisant des bénéfices ; la suppression des aides de l’État au patronat et l’embauche directe dans les services publics ; l’abolition du secret commercial et le contrôle de la comptabilité des grandes entreprises, de leurs dirigeants et de leurs gros actionnaires.
Tout cela n’est pas une vue de l’esprit, une utopie, c’est au contraire, le minimum indispensable pour renverser l’évolution catastrophique de la situation des travailleurs et des chômeurs.
Lutte ouvrière - 18 octobre 1996
La grève des services publics
Un pas vers une mobilisation générale du monde du travail
À la veille de ce jeudi 17 octobre où les travailleurs de la fonction publique, des PTT, de la SNCF, de la RATP, des transports urbains de nombreuses villes, de l’EDF, seront en grève, tous les travailleurs doivent se dire que, même s’ils n’appartiennent pas à la fonction publique ou au service public, ils sont tous, en tant que travailleurs, employés, ouvriers, du public ou du privé, concernés par cette grève.
En effet, même si les revendications de ceux qui vont faire grève le 17 octobre leur sont propres et ne concernent apparemment pas les travailleurs du privé, c’est pourtant le sort de tous qui est en jeu.
Cela ne signifie pas que la grève des travailleurs de la fonction publique, des transports ou de l’EDF soit une grève par procuration, où, en quelque sorte, ils feraient grève à la place de tous les autres.
Leur patron est l’État et même s’ils le font reculer sur un point ou un autre, cela n’empêchera pas le patronat de continuer à profiter de la menace du chômage pour imposer des conditions de travail plus dures, des emplois plus précaires et des salaires les plus bas possible.
Ce n’est donc pas seulement à l’État et au gouvernement qu’il faut s’en prendre, mais à tout le patronat.
C’est pourquoi, la journée de ce jeudi doit être une étape vers des luttes de l’ensemble des travailleurs. Nous avons tous intérêt à ce que cette journée reste comme une démonstration de force.
Nous avons intérêt à ce que cette journée soit suivie rapidement par une grève interprofessionnelle où l’ensemble des travailleurs soient appelés à lutter en même temps. Ce n’est que cela qui commencera à faire peur au patronat.
Il faut montrer la colère du monde du travail, car il en va de notre vie d’inverser le cours des choses. Sinon, le chômage et la précarité vont encore augmenter. On va réduire de plus en plus le niveau de vie des familles ouvrières par une augmentation des taxes et des prélèvements ainsi que par une diminution des possibilités de se soigner ou de survivre en cas de perte d’emploi.
Des millions d’entre nous risquent d’être réduits à la misère, pour ceux qui n’ont pas d’emploi, ou aux maladies professionnelles et à la déchéance physique pour ceux qui devront subir la surexploitation au travail.
Oui, il faut montrer notre colère et le seul moyen de le faire c’est la grève et les manifestations de rue.
Mais si nous sommes contraints à nous battre, il faut que ce soit pour imposer des revendications susceptibles de renverser la situation. Une augmentation générale des salaires, certes ! Une diminution des horaires et de l’intensité du travail, oui ! Mais le fléau majeur c’est le chômage.
Alors, il faut aussi un contrôle de la population, des consommateurs, des travailleurs, sur la comptabilité des entreprises et des comptes en banque de leurs principaux actionnaires pour qu’on sache quels sont les profits réels du patronat.
Il faut faire la lumière sur les canaux par lesquels circule l’argent des entreprises aux hommes politiques, et de l’État aux entreprises. Et l’on verra alors qu’il y a de quoi maintenir l’emploi, en prenant sur les bénéfices réels. Qu’il y a de quoi créer des emplois directement, par l’État, dans les services publics utiles à la population et à la collectivité, hôpitaux, écoles, logements, etc.
Alors, il faut que la journée du 17 octobre ait été une réussite et ait rencontré la sympathie et le soutien moral de tous les travailleurs. Car tous ceux qui auront été en grève ce jour-là auront contribué à préparer la contre-offensive du monde du travail.
Lutte ouvrière - 25 octobre 1996
La capacité du patronat et des financiers engendre chômage et misère
Ça ne peut plus durer ! Il fut une contre-offensive de toute la classe ouvrière
Il est heureux que le candidat FN n’ait pas été élu à Gardanne car cela ôte une raison supplémentaire de pavoiser à ce parti qui, par ses idées, est l’un des pires ennemis des travailleurs.
Par contre, ce qui est déplorable, c’est que Roger Meï, élu du Parti communiste, ait présenté son élection comme une victoire du « camp républicain », un « camp » qui comprend de tout, jusqu’à l’actuel ministre Gaudin.
Et surtout, Roger Meï, en déplorant que ni le RPR, ni l’UDF n’aient officiellement appelé à voter pour lui pour faire barrage au FN, a dit que si la situation inverse s’était produite, il n’aurait pas hésité à faire voter pour un candidat RPR.
Bien sûr, le FN représente le pire pour l’avenir. Mais comment peut-on feindre d’ignorer que ces hommes politiques du patronat que sont les cadres du RPR s’effaceraient sans l’ombre d’une hésitation devant le fascisme, si la bourgeoisie avait besoin de recourir à cet expédient ?
Toute l’histoire nous rappelle que la bourgeoisie demande et ses hommes politiques de droite sont passés comme un seul homme du côté d’Hitler. Et toute la bourgeoisie française, comme presque tous les hommes politiques de la droite ont soutenu Pétain pendant la guerre.
Alors, l’élection de Roger Meï n’a pas permis une victoire du FN et c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas pour autant ne victoire des travailleurs.
Une victoire des travailleurs, il faudrait plutôt en chercher la voie du côté de l’exemple de la grève des travailleurs de la fonction publique et des services publies.
Oh bien sûr, une seule journée ne suffira pas à faire reculer le gouvernement ni à faire céder le patronat. Mais cette journée doit être la préparation d’une grève unissant un plus grand nombre de travailleurs, des services publics comme des entreprises privées. Car ce n’est pas seulement l’État qu’il faut combattre, c’est l’ensemble du patronat. Il faut combattre ceux qui nous exploitent, ceux qui jettent des milliers de travailleurs à la rue, qui ruinent des familles et des villes entières pour faire un peu plus de profit dont ils ne font rien. C’est le patronat qui ruine la société et est responsable de l’accroissement du chômage et de la misère. L’État et les gouvernements ne sont que sa valetaille.
Nous aurons tous à entrer en lutte car la rapacité du patronat et le cynisme de l’État vont nous contraindre à nous battre le dos au mur si nous ne voulons pas sombrer dans la misère. Cela vient vite, d’augmentations des loyers en expulsions pour impayés, on reverra des familles occuper des logements surpeuplés. On verra le chômage frapper plus lourdement encore les familles de travailleurs. On reverra des hausses des prix des services publics et des biens courants qui ne permettront plus aux travailleurs ni d’avoir une voiture, ni même d’utiliser les transports en commun pour autre chose qu’aller et venir au travail, quand ils auront du travail.
Oui, le patronat et le gouvernement vont nous contraindre à réagir quand le ras-le-bol nous y contraindra. Mais il vaut mieux que ce soit avant que nous ayons perdu les moyens de nous défendre et que les entreprises soient vidées de leurs ouvriers.
Il faut donc participer massivement à toute grève interprofessionnelle à laquelle nous serons appelés. Limitée à une journée, une telle grève, même massive ne commencera évidemment à changer les choses que si elle est un avertissement et un début.
Ce sera plus dur que de se servir d’un bulletin de vote, mais ce sera bien plus efficace. Faire grève n’est pas un but en soi, c’est la nécessité qui nous y contraint. Ceux de Cherbourg, de Moulinex et de bien d’autres entreprises sont au pied du mur et il est bien tard.
Oui, il faut se préparer à la contre-offensive pour inverser le cours des choses et pour enfin faire payer la crise à ses vrais responsables, le patronat et les financiers. Et c’est aussi le meilleur moyen de couper l’herbe sous les pieds de Le Pen.