Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la mort de trois policiers, la sécurité et le rôle de la police, Paris le 31 janvier 1998.

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Circonstance : Obsèques des trois policiers tués dans un incendie provoqué par un forcené à Paris le 27 janvier 1998

Texte intégral

C’est sous l’empire d’une émotion vive et profonde, d’une extrême tristesse que nous sommes réunis ce matin pour honorer la mémoire de Laurent Delos, Wilfrid Bourdon et Jérôme Delva, trois jeunes policiers tombés victimes du devoir dans la soirée du 27 janvier dernier. Dans ces circonstances si dramatiques, j’ai voulu être personnellement à vos côtés.

Mes pensées se portent tout d’abord vers leurs familles et leurs proches. Je leur exprime en mon nom personnel, au nom du ministère de l’Intérieur, M. Jean-Pierre Chevènement, et au nom de l’ensemble du Gouvernement, mes condoléances les plus attristées et le témoignage de notre profonde compassion.

Qu’ils soient assurés dans ces moments si douloureux du soutien du Gouvernement, de la solidarité de tous les policiers, ceux qui sont présents ici et tous les personnels de la police nationale, et du respect de nos concitoyens.

Je souhaite également exprimer à Monsieur Massoni, préfet de police, aux directeurs, commissaires, gradés et gardiens de la préfecture de police, et plus spécialement aux policiers du commissariat de voie publique du 10e arrondissement, la part personnelle que je prends à leur peine. Je les assure de toute ma sympathie.

Laurent Delos était âgé de 33 ans. Il était brigadier de police depuis mars 1994. Il est entré dans la Police nationale dix ans plus tôt, comme élève gardien de la paix. Affecté successivement au commissariat du 11e arrondissement, puis du 10e, comme gardien de la paix, il avait pris les fonctions de brigadier dans le 19e arrondissement avant de revenir dans le 10e arrondissement.

Wilfrid Bourdon, qui était âgé de 24 ans, était entré dans la Police nationale en mars 1996 puis avait été affecté un an plus tard, à sa sortie de l’école de police de Marseille, au commissariat de voie publique du 10e arrondissement.

Jérôme Delva était âgé de 26 ans. Entré dans la Police nationale en février 1996, il avait été affecté dans ce même commissariat du 10e arrondissement, à sa sortie de l’école de police de Mulhouse.

Ces trois fonctionnaires étaient unanimement appréciés de leurs collègues et de leurs chefs pour leur dévouement, leur disponibilité et leur compétence professionnelle. Les états de services de ces jeunes fonctionnaires étaient dignes d’éloges.

Leur décès, perte irréparable pour tous ceux qui les aimaient, doit conduire tous les Français à penser aux difficultés et aussi à la grandeur du métier de ceux qui portent le nom symbolique et beau de gardiens de la paix.

Je voudrais aussi avoir une pensée particulière pour le gardien Cyril Grimaud, grièvement blessé lors de cette intervention. Je lui souhaite un bon rétablissement en l’assurant de notre soutien dans ces épreuves.

Nos concitoyens savent sans doute que les policiers exercent un métier qui présente des risques mais je ne suis pas sûr qu’ils soient conscients à quel point ce risque existe au quotidien, qu’il n’est pas seulement présent dans des interventions jugées difficiles mais qu’il peut surgir, sous les formes les plus dramatiques, dans les interventions en apparence les plus banales, que derrière les centaines de milliers d’appels qui arrivent chaque année sur le numéro 17 du téléphone à Paris, peut apparaître, sans aucun avertissement ou signe avant-coureur une situation difficile qui peut conduire à un drame

C’est ce qui s’est passé, malheureusement, dans cette soirée du 27 janvier, alors que les policiers, qui avaient été appelés pour prévenir les risques d’un différend familial, dans lequel la sécurité d’une femme et d’un enfant étaient menacés, sont intervenus avec courage et ont été pris dans la tourmente.

Rien, je le crois, ne pouvait conduire à prendre la mesure du risque encouru ni laisser présager une issue aussi tragique.

C’est ce dont nos concitoyens doivent prendre conscience : le métier de policier, ce n’est pas seulement une série d’interventions quotidiennes parfois routinières, ce n’est pas qu’une présence familière dans nos cités et sur la voie publique, c’est aussi ce risque assumé, parfois jusqu’au sacrifice, par des hommes et des femmes, qui, investis de la confiance de la République, font face avec courage aux situations les plus difficiles et les plus inattendues.

Les policiers qui ont répondu ce soir-là à l’appel ont fait preuve d’un courage exemplaire pour s’acquitter de la mission qui leur était confiée, sauver la vie d’une femme et celle d’un enfant. Ils les ont sauvées, au prix de leur propre vie.

Pour tous ceux qui combattent l’insécurité au quotidien, il faut à tout instant faire preuve de sang-froid, de maîtrise de soi et de courage physique.

J’ai eu l’occasion de dire au colloque de Villepinte l’importance que le Gouvernement attachait à la sécurité, sans laquelle il n’y a ni liberté ni démocratie.

Les fonctionnaires de police se trouvent aux postes avancés de ce combat pour la sécurité quotidienne. Je souhaite que chacun, dans notre pays, prenne conscience des qualités d’abnégation et d’altruisme, du sens du devoir et de l’esprit de sacrifice qui animent ceux qui ont choisi personnellement et à qui nous avons collectivement confié la responsabilité de veiller sur la sécurité de tous.

La citation à l’ordre de la nation, la croix de chevalier de la Légion d’honneur, la médaille d’honneur de la police nationale, la médaille d’or pour acte de courage et de dévouement, qui viennent de leur être décernées à titre posthume, témoignent de la reconnaissance de la nation envers Laurent Devos, Wilfrid Bourdon et Jérôme Delva. La médaille de vermeil de la ville de Paris traduit la reconnaissance de la capitale dans laquelle, venus d’autres régions comme beaucoup de policiers, ils travaillaient. La promotion de ces trois hommes dans le corps des officiers est un témoignage de notre respect.

Au-delà de ces marques de notre attachement, chacun d’entre nous aura à cœur de manifester, à la place qui est la sienne, aux familles et aux amis des trois fonctionnaires qui viennent de nous quitter l’amitié et le réconfort que nous leur devons.

Me faisant l’interprète de tous ceux qui assistent à cette cérémonie et de ceux qui s’associeront à la douleur des policiers de Paris et de France, je m’incline à nouveau devant la douleur des proches de Laurent Devos, de Wilfrid Bourdon et de Jérôme Delva, en les assurant, ainsi que tous les fonctionnaires de police, des sentiments d’estime et d’affection que leur portent, en ces moments dramatiques, tous les citoyens de notre pays.