Texte intégral
La crise que traverse notre pays est d'abord une crise de l'espérance. C'est une interrogation sur l'avenir qui ne trouve pas de réponse immédiate : ni matérielle, ni morale. Le Président de la République est conscient de cette crise. À sa manière il s'emploie à la conjurer en faisant appel aux ressources du courage et de la volonté. Face à une situation si difficile à maîtriser, la réflexion sur les solutions possibles doit être à la fois modeste, positive et globale. C'est à ce débat national que je souhaite, avec toute l'UDF, participer.
Le chef de l'État se trouve aujourd'hui devant trois enjeux majeurs : l'enjeu monétaire issu des engagements souscrits lors de la signature du traité de Maastricht, l'enjeu institutionnel et l'enjeu politique.
Le premier, l'enjeu monétaire, est marqué par une forte contradiction : la réussite de la monnaie unique, à laquelle nous sommes très attachés, passe – dans un premier temps – par un ralentissement mécanique de la croissance. Cette faiblesse à court terme de la croissance nous empêche d'apporter aux grandes difficultés nationales (et d'abord le chômage) les solutions immédiates qu'elles appellent. On ne créera pas d'emplois avec une croissance trop faible. Or notre croissance sera provisoirement faible si l'on n'agit pas. Sans oxygène pour la croissance, nous ne pourrons réussir dans la lutte contre le chômage.
Cet oxygène proviendra notamment de taux d'intérêt plus bas et de l'obtention d'une marge provisoire de flexibilité sur les critères de Maastricht.
La hausse de la fiscalité décidée en 1995 et la baisse de la dépense publique qui marquera – nous le souhaitons – l'année 1996 contribuent l'une et l'autre à la lutte contre les déficits. On peut regretter que la première l'ait emporté sur la seconde, mais l'essentiel est de constater aujourd'hui qu'elles contribuent également à un ralentissement de la croissance à court terme.
Cette contraction de la dépense publique, absolument nécessaire, ne produira pas d'effets bénéfiques immédiats. Tout le monde reconnaît que cette politique est impérieuse : elle est appliquée aujourd'hui avec une remarquable concordance – et beaucoup de volonté – en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France. Dans un premier temps, elle ne favorise pas la lutte contre le chômage. Elle n'y contribuera qu'à moyen terme à condition d'être accompagnée d'autres mesures réformant nos grands systèmes sociaux.
Particulièrement attachés à l'objectif d'une monnaie unique pour les Européens, nous devrions refuser toute hypothèse qui sacraliserait les critères de Maastricht et – en les sacralisant – aboutirait à repousser au-delà de 1999 les échéances qu'il a fixées. Reconnaissons que cette question est posée autant aux Allemands qu'à nous-mêmes. Compte tenu de la rigueur traditionnelle de leur politique monétaire, c'est auprès d'eux qu'il faudra plaider la cause suivante : soit respecter ce calendrier, soit l'anticiper. Nous n'avons pas devant nous une troisième hypothèse.
En effet, reporter au-delà de 1999 l'avènement de la monnaie unique, c'est en réalité y renoncer. C'est laisser se déchaîner sur nos monnaies les orages des marchés et c'est faire perdre aux yeux du monde toute crédibilité à notre volonté politique, d'unifier le continent européen.
Si nos deux gouvernements ne peuvent reporter cette échéance sans mettre en cause l'objectif lui-même, du moins leur reste-t-il, affrontés l'un et l'autre au même calendrier politique, la possibilité de l'anticiper. Il s'agirait de conserver les critères de Maastricht comme des objectifs traduisant une volonté économique à moyen terme et d'anticiper la date de 1999 pour réaliser la monnaie unique.
Cette décision est essentiellement politique. Il s'agit de replacer le traité de Maastricht dans sa véritable interprétation : la monnaie unique est un objectif ; les critères pour y parvenir ne sont que des moyens. Ils relèvent de la bonne gestion à moyen terme de nos économies. Je suis convaincu qu'avant l'été 1997 nous aurons ce rendez-vous de la vérité.
Le deuxième enjeu est sans aucun doute moins impérieux aux yeux de nos compatriotes. Il me semble néanmoins capital pour sortir notre pays de cette asphyxie de la décision qui parfois le menace. Il s'agit, à travers une relecture de nos institutions et de notre pratique politique, de lutter contre la trop grande concentration des pouvoirs.
Une pratique consternante du cumul des mandats, une décentralisation inachevée, une confusion des fonctions partisanes et des fonctions gouvernementales, une indépendance insuffisante de la justice, nos concitoyennes écartées de la vie publique, un Parlement qui voit ses fonctions de contrôle et de proposition réduites, tout cela contribue à l'atmosphère lourde que connaît aujourd'hui notre vie politique. S'y ajoutent les conséquences d'une évolution vers un régime présidentiel qui n'entraîne pas, en même temps, ses deux corollaires indispensables : un Parlement fort, une décentralisation authentique. Nous pourrions ajouter : la nécessaire réduction, déjà votée, du mandat présidentiel.
Cohérence et ambition
L'évolution, freinée par la cohabitation, qui consiste à faire du gouvernement le cabinet du Président de la République peut avoir un sens positif à une condition majeure : elle doit s'accompagner d'un renforcement important du rôle du Parlement ainsi que d'une relance forte de la décentralisation. Elle suppose en outre une grande intransigeance quant à l'indépendance de la justice. La vérité et la force d'un régime présidentiel, c'est d'abord et avant tout la réalité d'une forte et constante séparation des pouvoirs.
C'est là le chantier d'une démocratie moderne qui pourrait reprendre certains des thèmes de la campagne présidentielle : la diffusion des pouvoirs, tant économiques que politiques, est une exigence des sociétés d'aujourd'hui ; elle est le gage de leur efficacité sociale ; elle rend au chef de l'État la plénitude de ses grandes fonctions régaliennes. Dans les faits, la modernisation de nos pratiques politiques devrait· correspondre aujourd'hui à ce que fut la modernisation de notre vie économique au cours des deux décennies précédentes. Ne pas la faire, c'est ajouter, pour les Français, la lassitude au découragement.
Le troisième enjeu du Président de la République est de nature politique. Il est au cœur même de sa fonction éminente : donner un sens à notre vie commune. On ne peut pas facilement le dissocier des deux autres tant il est vrai qu'une politique, c'est d'abord la traduction d'une vision d'ensemble du destin national : il s'agit de proposer à notre peuple le chemin d'une espérance perdue. Cela ne peut réussir qu'à deux conditions majeures : la cohérence et l'ambition.
La cohérence consiste à fixer un cap clair à l'ensemble de l'administration d'État, dont on hésite parfois à rappeler qu'elle est soumise aux orientations du pouvoir politique : il s'agit de sortir enfin du socialisme implicite ou explicite de la société française. C'est là le mandat que nous avons reçu à deux reprises en 1993 et en 1995. Et c'est à l'oublier que nous prendrions le risque de perdre les prochaines élections nationales. Choisir résolument une économie de liberté, redonner sa place à l'initiative, refuser de considérer l'assistance comme un état civil, transférer du pouvoir d'achat de l'État vers les Français, valoriser l'esprit d'entreprise et soutenir les plus modestes de ceux qui le pratiquent, c'est permettre à la France de gagner la rude compétition qui s'annonce. Être libéral aujourd'hui n'est pas une mode. C'est une exigence de survie. Ma conviction pour la France, c'est qu'il s'agit d'une chance.
L'ambition enfin. Qu'un peuple comme le nôtre soit resté parmi les premières nations du monde, qu'il soit fier de sa langue et de sa culture, qu'il continue à être une grande puissance dans le domaine de la recherche, qu'il exporte ses idées et ses produits, cela est le fruit d'une profonde ambition nationale. Cette ambition, à chaque instant, peut être perdue de vue.
Or la lutte contre le déficit est une exigence. Ce n'est pas une ambition. La France, et au-delà d'elle l'Europe, doit porter une ambition faite à la fois d'identité et de fraternité : politique méditerranéenne, nouveau pacte transatlantique, rejet des intégrismes de tous ordres, exigence culturelle forte, attention renouvelée à l'écologie de la planète à la bioéthique... Nous sommes en mesure d'être présents - et parmi les premiers - sur tous ces fronts.
Une anticipation de la décision monétaire pour sortir l'Europe du doute, une diffusion massive des pouvoirs rendant à l'État son vrai rôle, un retour de la politique des idées et des convictions : voilà ce qui pourrait redonner goût à notre vie publique et couleur à notre espérance.