Texte intégral
O. Mazerolle
R. Dumas a-t-il raison de dire comme il le fait, ce matin, dans Le Figaro que l’affaire dont il fait l’objet est une opération politique d’envergure qui vise à détruire l’héritage de F. Mitterrand ?
P. Moscovici
- « Je crois qu’il ne faut pas tout mélanger dans cette affaire. Il y a des faits qui sont reprochés, qui mettent d'ailleurs un peu mal à l’aise parce que c'est vrai que l'on a la sensation que la présomption d'innocence dans cette affaire-là est totalement méprisée. Il faut faire le clair là-dessus : apparemment les juges vont l'entendre. Je crois qu'il ne faut pas en faire une affaire politique, de règlement de comptes politiques. »
O. Mazerolle
Il a raison de ne pas avoir encore tranché quant à sa possible démission ?
P. Moscovici
- « Ce qu’il dit c'est qu'il fera un examen de conscience le moment venu lorsque son éventuelle mise en examen interviendra. Moi, je pense que, bien sûr, s'agissant d’un très haut personnage de l'État, c'est une affaire très sérieuse. »
O. Mazerolle
Il pourra rester ?
P. Moscovici
- « C'est à lui de choisir. »
O. Mazerolle
À lui, vraiment ? Le Gouvernement n'a rien à dire là-dedans. Vous êtes quand même ses amis politiques.
P. Moscovici
- « Vous savez que le Conseil constitutionnel est quand même une institution de la République qui est prévue par la Constitution elle-même. Mais je pense qu'en même temps, manifestement, R. Dumas se pose la question lui-même. Mais je vous répète que quelles que soient les relations que j'ai pu avoir, moi, par le passé, avec Mitterrand et le mitterrandisme, quelle que soit la conviction que j’ai que beaucoup de choses ont changé avec Jospin et les socialistes aujourd'hui, je suis un peu mal à l'aise par rapport à l'étalement, à longueur de colonnes d'une affaire alors que la mise en examen n’est pas intervenue. »
O. Mazerolle
F. Mitterrand n'était pas l'organisateur machiavélique de toute sorte de prébendes. C'est un fantasme, dit R. Dumas, ce matin, dans le Figaro.
P. Moscovici
- « Le propos est intéressant. Je n'ai jamais prétendu que F. Mitterrand était l'organisateur machiavélique de prébendes. Il faut arrêter justement et ne pas faire à ce sujet-là le procès du mitterrandisme. Il y a une affaire Elf, il y a des problèmes qui ont été soulevés avec ces fameuses vedettes vendues à Taiwan. Qu'on fasse le clair, que la justice passe et puis pour le reste... »
O. Mazerolle
Pour faire le clair, R. Dumas propose une solution au Gouvernement : la levée du secret-défense car effectivement une commission de 2 milliards et demi de francs a été versée. « J'en connais les bénéficiaires », dit-il.
P. Moscovici
- « Je ne veux pas commenter davantage. »
O. Mazerolle
Le secret-défense, on peut le lever pour savoir ?
P. Moscovici
- « Écoutez, il y a un ministre de la défense, il y a un Premier ministre. Je ne veux pas commenter davantage une interview de R. Dumas dans Le Figaro en réponse à des propos qui ont été tenus sur sa future éventuelle mise en examen dans un autre journal le samedi. Je crois que ce n'est pas comme cela que l'on doit traiter ce genre d'affaires. »
O. Mazerolle
Le secret-défense : vous ne croyez pas qu’il est utile que l'on sache tout ?
P. Moscovici
- « Évidemment, des choses interviendront dans les jours qui viennent, à commencer par l'audition de R. Dumas par ses juges qui permettront que les décisions opportunes soient prises. »
O. Mazerolle
Des mesures opportunes seront prises : très bien. Eh bien nous verrons lesquelles. Cela va avoir un poids sur les régionales, cette affaire ?
P. Moscovici
- « Je ne crois pas. De toute façon, on parle là d'affaires assez anciennes et qui concernent aussi, reconnaissons-le, une période qui est, je crois, révolue. L'heure n’est plus au droit d'inventaire parce que je crois que l'inventaire a été fait par l'histoire, par les électeurs, il est en train de se faire dans la pratique. Non, les régionales c'est plutôt le bilan du gouvernement de L. Jospin qui sera en cause. »
O. Mazerolle
Est-ce que ces régionales sont cruciales justement pour permettre au Gouvernement une grande liberté d'action ?
P. Moscovici
- « Je pense qu'elles sont effectivement très importantes. Il y a des enjeux régionaux : changer la majorité dans les régions. Moi, dans la mienne, la Franche-Comté, il faut absolument changer de majorité pour des problèmes de gestion. Mais il y a aussi un test national qui est que quand on y réfléchit bien, c'est vrai que nous avons gagné les élections l'an dernier, et c'est important. C'est vrai que nous avons un gouvernement de gauche mais, en même temps, la France reste dominée par la droite. La présidence de la République n'est pas à l'origine une conquête de la gauche, le Sénat est une chambre très à droite, les départements, les régions. Il y a besoin de rééquilibrer les forces dans le pays et puis le Gouvernement a besoin de trouver des relais, des forces sur le terrain pour exécuter sa politique. Et puis je crois aussi que fatalement la première consultation après 1997, en 1998, c'est un signal de confiance. Je ne dis pas que ce sera le jugement définitif. Ce n'est pas le troisième tour des législatives mais cela est très important pour nous. Du résultat de dimanche prochain dépendront beaucoup de choses. »
O. Mazerolle
Publiquement, le Premier ministre a accueilli les chiffres de la croissance en disant : « pas d'emballement ». Et puis l'autre jour, à la réunion du Gouvernement, il a dit - paraît-il : je veux une politique de gauche, pas une politique orthodoxe sur le plan économique. Alors qu'est-ce que l'on doit comprendre exactement ?
P. Moscovici
- « Ce que l'on doit comprendre, c'est la chose suivante : la croissance est là, elle semble revenue. Il faut encore qu'elle s'établisse. On n'est pas à l'abri d'un nouveau coup de tabac asiatique par exemple. Mais la question légitime est de savoir : que fait-on des fruits de la croissance retrouvée ? Moi, il me semble qu'il n'y a pas d'opposition entre une politique de bonne gestion et une politique qui soit une politique de gauche. Je m'en explique : je crois effectivement que la priorité doit être donnée à la réduction du déficit. Parce que lorsque l'on est dans une phase dite haute du cycle - c'est-à-dire quand cela va plutôt bien -, ce moment-là il y a plus de recettes budgétaires et donc le déficit baisse, ce qui permet de faire baisser la dette publique et donc de dégager davantage de capacités d'investissement pour l'éducation, etc, etc. Mais en même temps, le fait qu'il y ait ces recettes supplémentaires permet de nouvelles dépenses : c'est cela que nous sommes en train de faire pour l'emploi, les 35 heures, pour le plan emplois-jeunes, contre l'exclusion. Le plan de M. Aubry est un plan qui a un coût important et qui n'est pas une petite mesure d'urgence. Et puis il faudra penser le moment venu à la distribution de salaires. Donc nous allons, à l'intérieur des marges de manœuvres retrouvées, déployer une politique qui est clairement une politique de gauche tournée vers l'emploi, contre l'exclusion et pour une plus juste redistribution. Voilà ce que voulait dire L. Jospin. Mais en même temps, nous commençons par réduire les déficits. »
O. Mazerolle
Commencer par réduire les déficits. Mais beaucoup, à gauche, disent : il faut penser effectivement aux chômeurs qui continuent d'ailleurs à manifester. Le PC réclame toujours une augmentation des minima sociaux. R Hue va plus loin et dit : il faut baisser maintenant la TVA. Vous allez résister à toutes ces pressions-là Si en plus vous gagniez les régionales, la gauche va dominer le pays…
P. Moscovici
- « J'ai participé à cette réunion de ministres et j'ai entendu, J.-C. Gayssot qui, me semble-t-il, est tout à fait un ministre communiste, expliquer que la priorité était au désendettement. D. Voynet également... »
O. Mazerolle
Il y a deux sortes de discours : un discours au Gouvernement et un discours public ?
P. Moscovici
- « Justement pas, car j'essaye de vous expliquer qu'il n'y a pas de contradiction. »
O. Mazerolle
C'est votre point de vue mais les communistes aussi pensent qu'il n'y a pas de contradiction ?
P. Moscovici
- « C'est la réalité : baisser le déficit quand on a des recettes fortes permet d'avoir des dépenses supplémentaires qui sont justement consacrées à la lutte contre le chômage. C'est ce que nous faisons. Et si nous n'avions pas eu une croissance forte, eh bien nous n'aurions pas pu faire ce plan contre l’exclusion sans augmenter le déficit. Là, nous le pouvons. Et je crois que nous sommes entrés dans un cercle vertueux qui permet de commencer à gagner la bataille du chômage. »
O. Mazerolle
Vous allez continuer à titiller la droite sur le FN. P. Séguin, F. Bayrou sont très clairs : il y aura exclusion de ceux qui pourraient…
P. Moscovici
- « Peut-être que P. Séguin et F. Bayrou sont très clairs, mais moi je vois C. Baur - j’étais dans la Somme l'autre jour : il y a un membre du FN qui est encore très proche de son exécutif et il est prêt à faire l'alliance. Je vois P. Vasseur qui tient des propos absolument scandaleux en expliquant... »
O. Mazerolle
Bayrou dit : on l'exclura s’il continue.
P. Moscovici
- « Ils vont en exclure combien ? Quatre, cinq, dix. Je vois C. Pasqua qui explique qu'on ne peut pas refuser les voix. Je vois qu’il existe au sein de la droite un camp qui est prêt à l’alliance avec le FN. Alors peut-être que c'est un problème de division de la droite. Sans doute les leaders sont plus clairs, mais il faut que partout, dans chaque région, il y ait des engagements pris. Prenons un engagement très simple : il y a deux camps, la gauche républicaine et la droite républicaine. Celui qui est en tête dirige et l'autre ne présente pas de candidat dans les régions. C'est ce que nous ferons chez moi, par exemple. Si la gauche est derrière la droite : pas de problèmes, elle dirigera la région. J’aimerai entendre de mon opposant, qui fait partie des ambigus, une réponse aussi claire. »