Tribune de M. François Léotard, président de l'UDF, dans "Les Echos" le 22 avril 1998, intitulée : "De l'Europe des bureaux à l'Europe des peuples" et interview à Europe 1 le 6 mai, sur le besoin de transparence et d'approfondissement de la construction européenne et sur les divisions internes de la droite.

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Média : Energies News - Les Echos - Europe 1 - Les Echos

Texte intégral

LES ÉCHOS le 22 avril 1998

La question de la construction européenne, de son histoire, de ses perspectives, de ses contraintes et de ses chances est au cœur de notre débat politique nationale. Y a-t-il question plus importante puisqu’elle touche à la fois :

• à la conception que nous avons de la nation ;
• au nombre et à la nature des emplois que nous créons ;
• à la sécurité extérieure et intérieure de notre pays ;
• à l’idée que nous nous faisons de notre culture ?
Dès lors, à partir de ces quatre mots la question est simple : peut-on imaginer que l’Europe se fasse :
• contre la nation ?
• contre l’emploi ?
• contre la sécurité des Français ?
• contre notre culture ?
On devine bien dans certains propos que c’est ce que redoutent beaucoup de nos compatriotes, que c’est ce que disent ceux qui utilisent l’Europe (comme ils le font de l’immigration et de la délinquance) dans le seul espoir d’opérer autour d’eux le grand rassemblement des inquiétudes et des ressentiments.
On voit bien qu’à la grande espérance suscitée au lendemain de la guerre par des esprits justes et courageux s’est peu à peu substituée une peur insidieuse qui s’est glissée jusqu’au plus intime de notre conscience nationale et qui impute à l’Europe des responsabilités qui sont d’abord les nôtres.
Voilà quelques années, après la réunification, on employait les mots d’ « Europe allemande » pour faire peur. Comme si nous n’avions ni le courage ni les moyens de partager avec d’autres cet idéal et cette ambition d’un continent qui serait notre bien commun, le plus bel héritage de culture qui nous ait été laissé. Comme si la peur de l’Allemagne - soigneusement entretenue - devait rester pendant des décennies encore le meilleur ciment de notre unité nationale…
De même, sauf à tomber dans les pires caricatures, pouvons-nous laisser dire que la France est la victime d’un combat qui serait ourdi par des forces obscures acharnées à la détruire : les banques, les marchés, les bureaux ou les circulaires ? Non. La France est d’abord victime d’elle-même, de ses propres peurs, du choix qu’elle fait trop souvent du désordre au détriment de la réforme, de l’Etat au détriment de l’entreprise, de la contrainte au détriment de l’initiative.

Plus de transparence et un meilleur contrôle
De Maastricht à Amsterdam, certains présentent les efforts des Européens comme une sorte de chemin de croix de la souveraineté nationale…
Mais ont-ils à l’esprit l’extraordinaire aventure humaine qui consiste à faire plus divisé des continents le lieu d’une ambition commune ? Il est vrai que nous n’avons pas encore mis en place, à l’échelle du continent, les repères démocratiques qui ont mis plusieurs siècles, dans chacun de nos pays, à signaler de façon claire les processus de la délibération et de la gestion.
Trop souvent, la décision européenne apparaît comme lointaine, indéchiffrable, tellement collégiale que la signature de la responsabilité s’en trouve comme progressivement effacée. L’Europe ne sera pas populaire dans les esprits si elle n’est pas démocratique dans ses procédures.
Faire entrer le débat européen dans les Assemblées régionales et nationales, rendre les décisions plus transparentes et les élus identifiables, mettre en place des processus de contrôle et de sanction plus efficaces, tout cela reste à accomplir, comme reste devant nous, la vaste tâche de réflexion et de rédaction qui consiste à proposer aux Européens une véritable Constitution de l’Union.
Mais reconnaissons également que, si l’Europe des bureaux est trop forte, c’est que l’Europe des Assemblées est trop faible. Là encore, essayons de ne pas transférer sur d’autres les responsabilités qui sont en cause, que ce soit dans le domaine budgétaire, dans celui du contrôle de l’administration, dans celui de la politique internationale ou de la défense…
Si nous voulons demain redonner du crédit à la représentation nationale – et peut-être tout simplement à l’idée même de représentation, aujourd’hui ébranlée –, conservons au Parlement les responsabilités qui lui ont été confiées. C’est au Parlement que doivent être examinées les modifications constitutionnelles nécessitées par la ratification d’Amsterdam.
> D’abord parce que le processus de la délibération parlementaire est celui qui correspond le mieux à la gestion d’un nouveau droit. Cette réalité s’est imposée dans toute notre histoire au fil de plusieurs siècles, sous l’Ancien Régime comme sous la République.
> Ensuite parce que nous n’avons pas le droit de jouer aux dés la tunique de l’Union, c’est-à-dire de laisser le hasard de l’emportement ou le mélange hétéroclite des insatisfactions triompher de la nature même de la question.
> Enfin parce que les raisons qui pourraient amener un certain nombre de Français à repousser les résultats d’Amsterdam restent profondément contradictoires et que l’on ne fait pas d’une contradiction le fondement d’une politique.
La décision d’aboutir à l’euro, décision déjà ratifiée par la France, était la conséquence logique d’une décision antérieure, celle du marché unique. Nous sommes favorables à l’euro aujourd’hui parce que nous étions favorables hier au marché unique et aux immenses potentialités de création de richesses que contenait cette décision.
Nous ne répondrons pas aux grands ensembles économiques du monde de demain par une Europe morcelée, aussi cloisonnée que l’était l’Allemagne du traité de Westphalie. Pour autant, comme tous les événements européens qui jalonnent notre route depuis la guerre, comme l’Union de l’Europe occidentale, comme la CECA, comme la défunte Communauté européenne de défense, comme Euratom, l’arrivée de l’euro obéit à des considérations politiques dont nous assumons les prolongements.

L’Europe ne sera pas populaire dans les esprits si elle n’est pas démocratique dans ses procédures.

La volonté d’introduire l’euro dans les économies européennes a eu hier des origines politiques, a aujourd’hui une signification politique, aura demain des conséquences politiques. C’est une curieuse façon de limiter notre regard que de cantonner l’euro à sa seule dimension économique.
La monnaie unique aura des conséquences politiques : la convergence des politiques fiscales et budgétaires, le rapprochement du droit social, du droit du patrimoine et de l’épargne. Ce ne sera pas un uniforme mis sur notre droit mais un outil au service d’une Europe monétairement solidaire, plus cohérente et plus efficace et qui saura mieux s’affirmer en tant que telle comme l’une des grandes puissances du monde à venir.
Il faut à l’évidence redonner à l’Europe une ambition politique. Il faudra bien, de même, lui rendre la dimension spirituelle qu’elle a perdue. Affirmer cela ce n’est pas traduire une quelconque nostalgie pour un passé qui continue de nous éclairer. Ce n’est pas non plus exprimer une aspiration de nature confessionnelle que pourtant certains ressentent comme légitime. C’est dire simplement que nos lettres de noblesse - à nous Européens et à nous Français -, ce sont d’abord celles de l’esprit. Avant d’être celles du marché, celles de la quantité ou de l’argent. L’Europe c’est d’abord une aventure de l’esprit.
Face à ce constat du primat de la politique sur l’économie, la position de la France nous paraît solide quant à ses objectifs mais encore bien incertaine voire inquiétante dans les modalités de sa mise en œuvre.
> Oui, il faut que l’élargissement soit subordonné à des réformes institutionnelles de fond.
> Oui, il faut que l’Union européenne obéisse davantage aux trois principes qui fondent un équilibre démocratique :
• le principe de subsidiarité ;
• l’exigence de transparence et de responsabilité ;
• l’impératif du contrôle et de la sanction.
> Oui, enfin, il faut que les peuples d’Europe apportent chacun leur identité propre afin que l’œuvre commune ne puisse en aucune manière signifier leur disparition ou leur effacement.
Une Europe populaire c’est d’abord une Europe qui accepte chacune des identités nationales - véritable propriété des peuples - comme une richesse et qui s’appuie sur chacune d’elles pour enrichir le patrimoine commun.
Mais disons-le fortement : si l’on veut tout cela – et il semble bien qu’on le veuille tout autant à l’Elysée qu’à Matignon – pourquoi maintenir cette étrange étanchéité entre conception politique d’une Europe plus cohérente et la gestion économique d’une France toujours plus solitaire dans ses décisions ? Peut-on faire durablement coexister une orientation de convergence dans le domaine politique et une orientation de singularité dans le domaine économique et social ?
La progression des dépenses publiques au-dessus du niveau de l’inflation, le développement continu de l’emploi public, l’absence d’une réforme profonde de l’Etat, l’enlisement de la décentralisation comme l’autoritarisme social, tout cela crée sans doute une singularité française, mais est-ce bien celle dont nous aimerions nous prévaloir ?

Après l’euro, une initiative sur la défense
Il ne s’agit pas d’aller, comme l’a dit justement le président de la République, vers le démantèlement, sans autre forme de procès, des protections nécessaires qui organisent sur notre continent un espace social certainement plus juste et moins brutal que partout ailleurs dans le monde. Nous avons besoin au contraire de définir et de redéfinir sans cesse un modèle social correspondant à notre conception de l’homme ; d’un homme qui n’est pas et ne peut pas être, impuissant, le jouet de marchés indifférents.
L’Europe perdrait son âme, son identité et sa force si elle venait à oublier qu’elle est le berceau de l’humanisme contemporain. C’est d’ailleurs pour défendre ces valeurs-là dans le monde contre la purification ethnique en Bosnie, contre la famine en Somalie, contre le génocide au Rwanda que dans les dernières années, les soldats français sont intervenus. Les 600 blessés, les 70 morts français en Bosnie témoignent de cette volonté française de ne pas se laisser envahir par le cynisme ou l’indifférence.
La question est simple : pourrons-nous continuer à le faire si nous ne créons pas une entité européenne de défense, c’est-à-dire un outil qui nous permette de dire et de faire ensemble ce à quoi nous croyons ensemble ? C’est-à-dire prolonger notre effort sur la monnaie par un effort de même nature sur la défense. Tout autant que le partage de la monnaie, la volonté de défendre une souveraineté commune autour de nos valeurs nous permettra de définir l’Europe que nous voulons.
On parle souvent des échecs, des blocages ou des erreurs de la construction européenne. On en parle parfois avec une satisfaction suspecte que certains n’arrivent même plus à cacher. Mais pourquoi n’évoque-t-on jamais la principale victoire de l’Union européenne ? Victoire partagée avec nos amis américains, victoire pacifique, à proprement parler historique. Je veux parler de l’effondrement de l’Union soviétique et de sa conséquence : la libération des peuples d’Europe centrale.
Si nous ne savions plus mériter cette victoire-là, si nous ne savions pas la prolonger en étant conscients de ce que nous sommes - non pas seulement des pays riches, mais surtout des hommes libres -, alors nous aurions échoué là où nous étions attendus.
Élevons-nous contre la germanophobie, le maniement solitaire de la monnaie, l’évocation artificielle d’une domination révolue, la gestion électorale de la peur. Mais affirmons ce pourquoi nous nous engageons : une France qui est aussi nécessaire à l’Europe que l’Europe peut l’être à la France. C’est tour à la fois, pour les Français, une volonté, une chance et un espoir.


EUROPE 1 le  mercredi 6 mai 1998

Jean-Pierre Elkabbach : L'Europe tout d'abord, avec les suites du sommet de Bruxelles. Un sommet qui ne semble pas avoir arrangé l'image de la France chez nos voisins et qui a jeté comme un trouble sur les relations franco-allemandes. Le principal moteur de l'Europe semble avoir des ratés. La satisfaction un peu chauvine de voir la France à la tête de la Banque centrale européenne dans quelques années valait-elle ce prix ?

François Léotard : « Tout le monde le sait, les Français le savent, il y a toujours eu des moments difficiles, des nuits difficiles dans la construction européenne et même entre la France et l'Allemagne. Néanmoins, ce coup de canif porté au Traité est une mauvaise chose pour l'Europe. On institue une monnaie qui est celle de onze pays et on commence, le jour même où on la crée, à donner un coup de canif dans le Traité, il n'y a pas d'autre mot, c'est-à-dire à ne pas le respecter. Je crois qu'il y a là quelque chose qui est fâcheux. Il faudrait que nos compatriotes sachent que lorsque l'on s'engage dans cette voie-là, c'est-à-dire à onze, il y a des préoccupations qui sont celles d'une politique intérieure, parfaitement légitimes, mais qui ne doivent pas l'emporter sur l'ambition collective. C'est cela mon souci. J.-C. Trichet est un homme d'une très grande capacité, personne ne conteste cette capacité. Nous avions un traité qui prévoyait que le gouverneur de la future Banque centrale était désigné pour un certain laps de temps. Si on divise ce temps en deux, on ne respecte plus le Traité. C'est tout. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous n'aviez pas envie de rire quand J. Chirac a évoqué les raisons personnelles qui pourraient amener M. Duisenberg…

François Léotard : « En aucune manière. Ce sont des choses trop sérieuses. Les partenaires de la France doivent pouvoir avoir confiance dans la France. Or nous n'avons pas une tradition monétaire qui nous permette d'être pris au sérieux. La tradition monétaire française a été marquée, jusqu'à il y a quelques années de cela, par la légèreté, par la gestion électorale de la monnaie. Ce n'est pas bien. Nos voisins pourraient sur ce sujet avoir davantage de motifs de satisfaction. Ce n'est pas à la France de donner cette image. »
 
Jean-Pierre Elkabbach : Vous attendez un geste ?

François Léotard : « Je le souhaite d'autant plus que nous sommes probablement là, ce soir, à Avignon, devant Je dernier sommet franco-allemand d'H. Kohl. Probablement, et je dis cela avec beaucoup de regret parce que toutes les informations qui nous viennent d'Allemagne laissent entendre que M. Kohl pourrait ne pas être réélu. Cela s'est produit à plusieurs reprises, ces sondages et prévisions et il a triomphé jusqu'à présent. Mais là, on sent bien qu'il se passe quelque chose en Allemagne. Je ne suis pas sûr que les Français aient à s'en réjouir. D'abord, parce qu'H. Kohl est un très grand Européen comme l'a été Churchill et comme l'a été De Gaulle. Et qu'une nouvelle fois, c'est par des élections que l'on va congédier une personnalité de cette stature. On peut, hélas, en être un peu attristé. Et la seconde raison, c'est que c'est un homme qui aime beaucoup là France et qui a une conception très exigeante d'une Europe dans laquelle la France soit respectée. Donc, je regretterais qu'H. Kohl ne soit plus dans la situation de représenter l'Allemagne fédérale. »

Jean-Pierre Elkabbach : A part cette question de la Banque centrale européenne, est-ce que vous avez trouvé quelque chose à redire au credo européen de J. Chirac ?

François Léotard : « L'évolution qui a été la sienne sur ce sujet, nous la considérons à l'UDF comme très positive. Nous sommes, nous, des Européens convaincus. J'allais dire acharnés, tenaces. Nous traversons toutes ces petites tempêtes avec la volonté d’aboutir à un résultat, à savoir la construction d'un continent au plan politique et social. Et donc, chaque fois qu'il y a une brouille, chaque fois qu'il y a une difficulté, chaque fois qu'il y a une crise, nous essayons de regarder après la brouille, après la difficulté, après la crise pour voir ce que l'on peut tirer de bon de cette situation. Donc, je souhaite qu'il y ait un vrai parti des Européens en France, des Français en Europe et cela pour l'instant, c'est l'UDF. Nous sommes convaincus sans ambiguïté sur ce sujet. J'espère que les mois qui viennent nous permettront de le montrer et de développer la pédagogie nécessaire auprès des citoyens français. »

Jean-Pierre Elkabbach : Précisément, les prochaines élections européennes sont en juin prochain. Quelle stratégie préconisez-vous pour l'opposition ? Une seule liste ? Plusieurs ?

François Léotard : « Vous savez que l’on parle beaucoup de modification du mode de scrutin. D'abord, je suis réservé sur une hypothèse qui consisterait à créer de très grandes régions avec comme objectif de rapprocher l'élu, le député européen, de l'électeur. C'est un bon objectif mais dans des grandes régions on ne rapprochera personne de personne. Quand vous faites des régions à 10 millions d'habitants, il est très difficile d'identifier son élu. Si on garde la proportionnelle, puisque c'est la règle commune en Europe, gardons également le scrutin actuel. Là, regardons avec nos partenaires du RPR si nous sommes en mesure de présenter un projet commun. Je n'en sais rien à l'heure qu'il est. Le dernier débat européen à l'Assemblée nationale a montré que nos partenaires avaient sur ce sujet des vues contrastées. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous pèserez dans le sens d'une liste unique ?

François Léotard : « Nous allons nous rencontrer. Je l'ai fait hier avec les responsables du RPR. Je le referai dans les jours qui viennent. Petit à petit nous allons le faire. Nous allons nous rencontrer pour voir. Si ce n'est pas le cas, ce n'est pas dramatique. Chacun présentera ses conceptions. La volonté européenne qui est celle de l'UDF doit pouvoir s'assumer à ciel ouvert. Nous n'avons pas à rougir de cette ambition et de cette volonté. »

Jean-Pierre Elkabbach : Jacques Chirac disait hier que quand on touche le fond de la piscine, on donne un coup de jarret. Il parlait bien sûr de l'opposition. Est-ce que l'opposition a touché le fond ou pas encore ? Est-ce que ce n'est pas plutôt la piscine qui est en train de se vider ?

François Léotard : « Je ne vais pas utiliser la langue de bois avec vous. Tous les matins, on voit des tentatives de partis nouveaux. On voit des proclamations se faire, des démarches individuelles s'affirmer, des querelles. Je suis très préoccupé, je ne vous le cache pas. J'essaye, à la place qui est la mienne, modestement, sans aucune espèce d'arrogance de tenir ensemble des gens qui méritent de tenir ensemble c'est-à-dire pour l'instant, la démocratie chrétienne, les centristes et les libéraux. Je crois que c'est le fondement de l'UDF et ensuite, de tendre la main à nos partenaires gaullistes. Si nous ne sommes pas capables de réunir ces formations-là, comment pouvons-nous prétendre réunir les Français demain ? D'abord sur le fond, sur un vrai projet politique qui soit à la fois libéral et social, c'est-à-dire qui sache traduire les souffrances sociales des Français, la détresse sociale d'un certain nombre de nos compatriotes. Et puis avec une forte ambition européenne. Voilà, parlons d'abord de cela et après on verra les structures. »

Jean-Pierre Elkabbach : Edouard Balladur propose ce matin une méthode dans une interview au Fïgaro : redonner la parole à la base électorale de l'opposition en lui faisant parvenir un questionnaire, en faisant étudier les réponses à ce questionnaire par les responsables et réunir une convention nationale pour élaborer un programme commun. Est-ce une bonne méthode ?

François Léotard : « C'est une bonne méthode. M. Balladur a souvent des intuitions quant aux méthodes qui sont justes. Il y a un désir très fort chez nos électeurs, chez cette France de droite, qui existe cachée aujourd'hui, en tout cas morcelée. Il existe un besoin très fort d'être consulté, d'avoir droit à la parole, que ce ne soit pas uniquement le fait des appareils politiques. Cette revendication est légitime. Il faut lui trouver une réponse. »

Jean-Pierre Elkabbach : La présidence de l'UDF, en avez-vous épuisé les charmes ?

François Léotard : « Oui. »

Jean-Pierre Elkabbach : Qu'est-ce que cela veut dire ?

François Léotard : « Cela veut dire que je n'ai pas de désintérêt, mais que j'ai un profond désintéressement. Ce sont deux termes de même étymologie, mais qui ne sont pas de même nature. Je suis très intéressé par la survie, la pérennité et le rayonnement de cette famille. Mais je suis profondément désintéressé quant à ma situation personnelle. Je souhaite simplement contribuer à ce que dans la maison commune continuent à venir ceux qui méritent d'y venir, c'est-à-dire les Français qui veulent un pays plus moderne, un pays plus ouvert, fraternel, généreux, européen. C'est, cela, la vocation de l'UDF. Je suis donc très ouvert à toutes les hypothèses, mais pas intéressé pour moi-même. Je vous dis cela parce que vous le verrez certainement dans les mois qui viennent. La gestion d'un parti dans les moments que nous traversons est très difficile. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous ne serez pas candidat à votre propre succession ?
 
François Léotard : « Probablement pas. Je vais essayer de faire en sorte que la transition vers quelque chose de neuf, qui permette d'affirmer, avec éventuellement un nouveau nom, de nouvelles façons d'être, démocratiques, décentralisées. Et que ce quelque chose de neuf puisse se faire paisiblement, ce qui n'est pas facile par les temps qui courent et sans trop d'ambitions personnelles des uns ni des autres. »

Jean-Pierre Elkabbach : Que dites-vous aux membres de l'UDF qui font partie du petit groupe de rébellion contre Jean Tiberi ?
 
François Léotard : « Il faut chercher la paix, inlassablement Le combat politique existe, mais il existe avec des adversaires, il n'existe pas à l'intérieur d'une famille politique, notamment à droite. Donc, qu'on se batte contre les socialistes ou les communistes, c'est normal, c'est la vie politique, et nous le faisons. Mais pas entre nous ! Cela n'a pas de sens ! Je plaide pour un cessez-le-feu qui soit fait et proposé par des gens raisonnables. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez pris beaucoup de coups ces dernières années. Avez-vous eu parfois l'envie de tout laisser tomber ?

François Léotard : « Ca arrive à tout le monde, mais ce n'est pas très intéressant. Le monde d'aujourd'hui est très cruel, mais il n'est pas cruel que pour moi : il l'est beaucoup plus encore pour un jeune chômeur, une femme seule, un SDF. Il ne faut pas se plaindre de cela. La société française est dure aujourd'hui pour un certain nombre de gens. C'est plutôt à eux que je pense : que va-t-on dire à un jeune Français aujourd'hui quant à l'avenir de son pays, de son peuple ? C'est ce qui est passionnant pour qu'il ne s'en désintéresse pas, que ce ne soit pas la bof-génération de nouveau qui dise “Cela m'est égal, la France !. »