Interview de M. Alain Madelin, vice-président du PR et président du Mouvement Idées-action à France-Inter le 14 octobre 1996, sur l'élection législative partielle de Gardanne et la situation économique, notamment la déflation.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : L’élection législative partielle de Gardanne était très regardée, pas seulement parce qu’il s’agissait de remplacer B. Tapie. Au deuxième tour, ce sera finalement le choc des extrêmes, puisque ce sera le candidat communiste qui arrive en tête – le seul d’ailleurs qui ait obtenu plus de 12,5 % des inscrits – qui sera opposé au FN. Exit donc le candidat de la majorité ami de P. de Villiers. Exit aussi B. Kouchner. Est-ce une surprise pour vous ?

Alain Madelin : Je crois qu’il y a, dans ce fiasco de Gardanne, l’illustration de ce grand décalage qui existe aujourd’hui entre la vie politique et la vue Français ordinaires, entre le jeu des états-majors parisiens et les réalités locales. Je pense que tout était programmé pour arriver à un tel résultat. En réalité, dans cette affaire, quand on regarde les différents candidats – je ne parle pas des extrêmes – ils ont été abandonnés par leurs états-majors : M. Kouchner a été poussé par M. Tapie qui lui a ensuite retiré le tapis sous les pieds, si j’ose dire ; M. Fabre-Aubrespy, candidat de P. de Villiers, a reçu le soutien de l’UDF et du RPR. Ils ne pouvaient pas faire autrement, paraît-il, parce qu’ils n’avaient pas de bons candidats, ce qui en dit long d’ailleurs sur le fait qu’il n’y ait pas eu un seul bon candidat UDF-RPR dans cette circonscription. S’ils avaient eu un candidat, d’ailleurs, il serait arrivé derrière M. Fabre-Aubrespy, pensaient-ils. Ils ont soutenu du bout des lèvres M. Fabre-Aubrespy qui, il est vrai, soutenait du bout des lèvres le Gouvernement. Mais il travaillait le jour à le soutenir et la nuit à le détruire.

A. Ardisson : Donc personne ne soutenait personne !

Alain Madelin : Voilà le résultat de toute cette bouillabaisse politicienne. Je crois que, dans ce fiasco, il y a comme une sorte d’appel au sursaut de bon sens de la majorité pour retrouver un comportement normal, des candidats qui sachent allier à la fois le renouveau et une véritable capacité à entrainer l’opinion.

A. Ardisson : Compte tenu du jeu de massacre que vous nous décrivez, est-ce significatif d’une nouvelle donne politique, à gauche comme à droite ?

Alain Madelin : On dira « Gardanne, c’est Gardanne », bien évidemment. Sans doute y a-t-il un côté atypique dans cette élection. Cela étant, je crois que ce ci révèle un état de décomposition, pour une part de la vie politique, qui m’inquiète dans la mesure où les partis de gouvernement, RPR, UDF, PS, se voient éliminés au profit des extrêmes. Que fait-on dans une situation comme celle-là ?

A. Ardisson : Et surtout, que fait-on au deuxième tour ?

Alain Madelin : Est-ce qu’après avoir appelé au front républicain, on va appeler au front populaire, c’est-à-dire au barrage de tout le monde avec le PC contre le FN ? Je suis heureux de ne pas être dans la circonscription de Gardanne !

A. Ardisson : Ce n’est pas une réponse. Je sais bien qu’à Redon, ça ne se passe pas comme ça, mais quand même !

Alain Madelin : Je souhaite travailler à éviter que de telles situations se présentent, parce que c’est une situation totalement aberrante et qui illustre, tant dans le taux de participation que dans le résultat de ces élections, une coupure grave, un décalage entre la vie politique et la vie des Français.

A. Ardisson : Que fait-on en termes de morale ? On reste chez soi ?

Alain Madelin : On ne reste pas chez soi, parce qu’on va voter. Mais franchement, le fait d’être acculé à ce choix est le résultat d’une bouillabaisse qui ne doit pas se reproduire.

A. Ardisson : Gardanne, n’est-ce pas aussi un vote contre l’Europe, contre l’Union économique et monétaire ? Seul B. Kouchner défendant Maastricht.

Alain Madelin : C’est ce que l’on a dit. Peut-être y a-t-il de cela. Peut-être qu’aujourd’hui, l’Europe fait peur. Si l’Europe fait peur, c’est qu’on l’a, à tort à mes yeux, identifiée à une purge économique qui se paye par le désespoir et le chômage. Cela me confirme dans l’idée que, plus que jamais, il faut trouver le moyen de renouer avec la croissance et avec la création d’emplois. C’est ce qui désagrège aujourd’hui la société française. Pour ce faire, il n’y a pas d’autre politique – je maintiens, je dis et je répète – que celle qui consiste à multiplier le nombre d’entrepreneurs, le nombre d’entreprises, à enlever tous les obstacles qui sont sur leur chemin dans une sorte d’élan et de sursaut économique. C’est possible. D’autres pays l’ont fait. Mais hélas, tout se passe comme si, dans notre pays, trop souvent, on renonçait à l’emploi et on s’enfermait dans les solutions artificielles d’hier : des relances de la consommation sans fabrication de nouveau pouvoir d’achat, ou du partage du travail sans création de nouveaux emplois.

A. Ardisson : Vous avez été l’un des premiers, à ldées-Action, à employer le mot « déflation ». On, on a eu à la fin de la semaine dernière les chiffres de l’Insee qui montrent une légère reprise de la croissance ou en tout cas, par les prix, une petite augmentation qui laisse dire que « ça frémit », comme disent les économistes. Est-ce que ça met à bas toutes les inquiétudes sur la déflation ?

Alain Madelin : Cela fait beaucoup de mois que l’on dit que « cela frémit », et l’on ne voit pas le frémissement. Peut-être cela va-t-il finir par frémir un petit peu, mais il faut arrêter d’être là, à guetter 0,2, 0,5 ou 0,6 % de PIB ! En plus, ceci n’a rigoureusement aucune importance. Le seul critère qui compte, c’est l’emploi. Arrêtons d’être prisonniers des chiffres. L’économie, ce ne sont pas des chiffres, l’économie ce sont des hommes et des femmes qui sont plus ou moins incités à travailler, à épargner, à investir, à innover, à créer, à créer des emplois. Je crois que c’est cela l’économie et aujourd’hui, nous voyons bien qu’il y a une défiance et donc il faut une politique qui soit susceptible de ramener cette confiance, surtout que je dis, je maintiens qu’il y a aujourd’hui des pressions déflationnistes.

Alors, vos auditeurs ne comprennent pas très bien ce que veut dire que les prix ont tendance à baisser. « Bonne nouvelle ! » diront les consommateurs. C’est vrai, mais il faut faire extrêmement attention. La déflation ce n’est pas un drame. On identifie toujours la déflation avec une crise abominable. Tout le XIXe siècle a été un siècle où les prix baissaient et où il y avait néanmoins de la croissance. Mais c’est une période difficile parce que les gens se trouvent étranglés entre des dettes qu’ils doivent rembourser à des taux d’intérêt d’hier – de 7, 8, 9, 10 % - et des prix qui baissent aujourd’hui de 5 ou 10 % - pas tous les prix mais totalement les prix industriels, ce qui coince les entreprises. Ce qui fait qu’elles coupent dans leurs investissements, c’est-à-dire qu’elles sacrifient l’avenir, qu’elles coupent dans leur masse salariale. Elles licencient ou les salaires n’augmentent pas et souvent, elles se trouvent acculées à déposer leur bilan. Donc, c’est une situation qui est aujourd’hui une situation dangereuse et qui exige un sursaut, un sursaut économique et un sursaut politique.

A. Ardisson : Est-ce que vous n’êtes pas vous aussi un pied dedans et un pied dehors ? Parce que vous critiquez beaucoup, vous dites par exemple que : « le plan de la Sécurité sociale est une erreur de conception », que le budget : « on ne va pas assez vite dans les réductions d’impôts », etc. ?

Alain Madelin : Le budget est un bon budget, en soi. Peut-être on aurait pu le faire autrement mais, globalement, c’est un effort important qui a été fait par le Gouvernement. La réforme fiscale, c’est une baisse des impôts, c’est mieux qu’une hausse des impôts, ça va plutôt dans le bon sens. La réforme de la Sécurité sociale : c’est vrai que j’ai émis des critiques depuis le début, donc je suis plutôt fidèle à mes idées. Et j’ai tendance à dire que je suis fidèle à mes idées depuis toujours, il y a une étatisation de la Sécurité sociale et aujourd’hui, il y a une étatisation partielle qui me fait craindre beaucoup, à la fois pour l’avenir de notre médecine libérale, mais aussi pour notre possibilité de revenir aux équilibres financiers.

A. Ardisson : C’est donc A. Juppé qui ne joue pas le jeu ?

Alain Madelin : Non. Cela veut dire en tout cas que cette réforme de la Sécurité sociale, dans son architecture, ne correspondait pas à une vision libérale, elle était plutôt d’une facture socialiste. C’est d’ailleurs pour cela, peut-être, que la CFDT a accepté d’en assurer la gestion.