Texte intégral
Le Grand Jury RTL-Le Monde - 29 septembre 1996
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec le Grand Jury RTL-Le Monde
RTL-Le Monde : Vous vous doutez qu’une grande partie de ce Grand Jury sera consacré aux événements sanglants qui viennent de se dérouler ces derniers jours au Proche-Orient. L’événement de la journée est l’annonce cet après-midi par le président américain Clinton d’un sommet à Washington qui se tiendrait probablement mardi entre le Premier ministre israélien, M. Netanyahu et le dirigeant palestinien Yasser Arafat, l’objectif étant de tenter de sauver le processus de paix. Le roi Hussein de Jordanie sera présent, le président égyptien Moubarak a été invité mais subordonne sa présence à la fermeture des portes qui se trouvent sous les monuments et sous le mur israélien de Jérusalem. À l’heure actuelle, à notre connaissance, aucun responsable ne participera pas à ce sommet.
Ce sommet arrêtera-t-il la violence qui a déjà fait 80 morts ? Débouchera-t-il sur une relance officielle du processus de paix ? Le Premier ministre israélien, M. Netanyahu selon vous, la volonté de construire la paix par la négociation ?
Avant de commencer, trois télégrammes importants : le premier vient de Jérusalem, il dit que M. Netanyahu refuse de discuter du tunnel, le second vient de Gaza, Yasser Arafat réserve sa participation au sommet de Washington, et le troisième vient du Caire, le Président Moubarak subordonne, je le répète, sa participation à la fermeture du tunnel de la mosquée Al-Aqsa.
Avec ces incertitudes sur leur présence, on peut penser que, si Washington a annoncé la présence et le sommet de mardi, celui-ci devrait avoir lieu. Ma première question est très simple : au cours de ces derniers jours, l’État hébreu a durci ses positions, qu’est-ce qui, selon vous, mardi, si le sommet a lieu, pourrait débloquer la situation et relancer le processus de paix.
Hervé de Charette : M’autorisez-vous, avant de répondre à votre question, à faire d’abord une observation puisque je reviens de New York où j’ai passé une semaine pour la traditionnelle ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies.
Il y avait là le monde entier, un très grand nombre de ministres des Affaires étrangères, près de 150, le président Clinton était là. Je voudrais faire une observation à l’intention de ceux qui nous écoutent. J’ai été frappé, une fois de plus, d’y retirer un sentiment très simple : aujourd’hui, la France compte. Elle compte beaucoup plus que le croient nos compatriotes. Elle est attendue au Moyen-Orient. Nous allons en parler longuement et les pays arabes comme Israël souhaitent l’intervention et le rôle de la France dans les crises. Elle est attendue et joue un rôle important en Afrique. Elle est attendue aujourd’hui en Amérique du Sud. J’ai rencontré plusieurs dirigeants d’Amérique du Sud qui attendent le voyage du président Chirac comme un événement important. Nous sommes de plus en plus présents en Asie. J’ai vu le ministre des Affaires étrangères chinois qui m’a dit quelle importance les Chinois attachent aux relations avec la France. Je ne dis pas cela pour faire des cocoricos qui paraîtraient un peu naïfs à votre micro, mais simplement pour dire ceci : au moment où nous sommes nous-mêmes, le peuple français, dans un moment difficile et où s’expriment beaucoup de doute et de morosité, d’inquiétude sur l’avenir, je crois que les Français se sous-estiment, qu’ils sous-estiment la France. Notre pays est aujourd’hui considéré, il a de l’influence, il a parfois une grande influence. Nous pouvons être fiers de ce qu’est la France dans le monde d’aujourd’hui.
RTL-Le Monde : Pardonnez-moi de vous relancer : vous répondez à ma première question quand vous dites que la France compte, mais dans le processus de paix qui est engagé et dans le sommet qui est convoqué mardi, les Européens et la France ne sont pas invités ?
Hervé de Charette : C’est certainement regrettable. Ce n’est sûrement pas un élément positif pour le déroulement des choses. Avant même d’arriver ici, j’ai eu une longue conversation avec le président Arafat, avec qui j’ai évoqué ce qui peut être fait pour sortir de la crise.
Un mot sur cette crise si vous le voulez bien, pour essayer de bien comprendre et de mettre en perspective ce qui se passe. Il y a un processus de paix. Il a été entamé il y a plusieurs années, à Madrid, et des décisions ont été prises qui ont fourni un cadre général à la négociation avec quelques principes de base : le principe de l’échange de la terre contre la paix, l’échange du Golan contre la paix avec la Syrie.
Deuxième principe, le droit des Palestiniens à l’autonomie, et des accords pratiques ont été mis en œuvre. On a fait des accords intérimaires entre le gouvernement israélien précédent, dirigé par M. Rabin puis par M. Peres, créant une nouvelle situation avec notamment sept villes palestiniennes qui sont désormais autonomes, c’est-à-dire gérées par les autorités palestiniennes et un gouvernement palestinien, si on peut l’appeler ainsi, présidé par M. Arafat, avec une police palestinienne. Il avait été convenu qu’il y aurait ensuite une deuxième phase de négociation qui aurait dû s’ouvrir le 4 mai dernier et au cours de laquelle auraient été traitées le sort définitif de la Palestine et la question de Jérusalem qui est très difficile puisque cette ville est revendiquée à la fois par Israël, comme la capitale de l’État d’Israël, et par les Palestiniens, comme la capitale de la Palestine.
RTL-Le Monde : Cela, c’est l’historique M. de Charette.
Hervé de Charette : Oui, il faut que l’on y voit clair.
RTL-Le Monde : Vous avez raison mais ce que nous souhaitons savoir c’est ce que vous pensez de la réunion de mardi et ce que l’on peut en attendre.
Hervé de Charette : J’y viens. Nous sommes favorables à tout ce qui peut contribuer, d’une façon ou d’une autre, à apaiser la tension ; la crise, le drame qui vient de surgir et qui a causé près de 1 100 blessés palestiniens et près de 80 morts dont une quinzaine de soldats israéliens, c’est un événement qui n’a pas de précédent depuis 30 ans. C’est donc quelque chose d’extrêmement grave. Tout ce qui peut contribuer à passer de la crise à la négociation et au retour du fil interrompu des négociations, tout ce qui va dans ce sens est positif. De ce point de vue, cette réunion de Washington peut être utile. Elle peut constituer, selon nous, une mesure spectaculaire, une sorte de levée de rideau qui préparerait à de vraies négociations sur le fond. Ces négociations, franchement, elles ne peuvent se tenir que dans la région ; c’est-à-dire au Moyen-Orient. Le Président Moubarak, qui avait été un moment sollicité par M. Netanyahu, est je crois la personnalité pour jouer un rôle éminent dans la reprise de cette négociation sur le fond. Celle-ci devant se jouer, selon nous, en deux temps : d’une part, des mesures d’apaisement que j’évoque rapidement : la fermeture du tunnel, le retrait de ce que l’on appelle la zone A, c’est-à-dire ces villes autonomes en Palestine qui ne peuvent pas rester entourées par les chars si on veut avoir l’apaisement et la fin du bouclage des territoires palestiniens. La négociation doit repartir des acquis qu’il ne faut pas remettre en cause, traiter les questions en suspens, notamment Hébron, les implantations israéliennes qui posent un énorme problème en Palestine, enfin, parvenir à l’ouverture des vraies négociations de fond, celles qui devaient être ouvertes le 4 mai. Elles l’ont été de façon symboliques mais elles n’ont pas poursuivi leur chemin.
RTL-Le Monde : Comment reprendre la négociation ? Vous dites très bien au Journal du dimanche et vous le rappelez là que la négociation repose sur deux principes importants : l’échange des territoires contre la paix et le droit des Palestiniens à l’autodétermination. À ces deux questions, le gouvernement israélien répond « non » publiquement, officiellement. On a envie de vous demander, n’avez-vous pas l’impression que, pour revenir à la négociation, il ne faut pas changer de tactique. Le moment n’est-il pas venu d’une stratégie de pressions économiques et financières sur Israël ?
Hervé de Charette : La France, comme je le crois tous les pays du monde, a toujours été extrêmement attentive aux préoccupations légitimes des uns comme aux préoccupations légitimes des autres. Pour les Israéliens, la préoccupation de la sécurité est un impératif majeur. Pour qui connaît Israël, l’étroitesse de territoire, les drames connus par ce pays, la question de leur sécurité est une question essentielle. De l’autre côté, ce qui est essentiel, comme cela le serait si nous parlions de la Syrie, c’est de trouver la paix. Paix et sécurité sont compatibles. Il y a, d’un côté, la paix telle que le processus de paix le prévoyait et, de l’autre, l’affrontement, la guerre civile, la violence, il n’y a pas de troisième voie. Tout le problème qui est posé aujourd’hui est celui-là. Peut-on rechercher une troisième voie ? La France dit solennellement « non ». La troisième voie n’existe pas, il faut choisir : être d’un côté ou de l’autre.
Alors il faut dans cette affaire être attentif aux préoccupations des uns et des autres. Mon souci n’est pas de condamner qui que ce soit. Mon souci est d’écouter, de comprendre, de parler et de pousser dans le sens de la paix. Pour l’instant, nous n’en sommes pas aux mesures extrêmes que vous envisagez M. Frachon, et si on peut l’éviter, franchement, ce serait mieux.
RTL-Le Monde : D’après vous, qui est responsable de cette crise ? On a du mal à croire à une erreur de calcul de M. Netanyahu, puisque ses services secrets l’avaient prévenu des conséquences de l’ouverture du tunnel. On s’était dit que finalement, après l’élection de Netanyahu, que le pragmatisme l’emporterait, c’est aujourd’hui la politique du pire. Il applique son programme à la lettre.
Hervé de Charette : Très précisément, cette question est au cœur des pensées de chacun dans cette période. Tout à l’heure, j’insistais auprès de vous pour dire qu’il n’y avait pas de troisième voie possible. Il est vrai que pendant des semaines, au lendemain des élections législatives israéliennes, chacun s’était interrogé. On a dit que M. Netanyahu était un homme pragmatique, ce que je crois qu’il est. C’est un homme qui veut la paix, ce que je crois franchement, mais il a quelques difficultés à se raccrocher au fil de la négociation précédente. Je crois que l’on est toujours dans cette situation et que, par conséquent, le dialogue, l’écoute, le dialogue franc sont importants. La France, comprenez-le bien, est l’amie d’Israël comme elle est l’amie des Palestiniens et du monde arabe. Nous persistons à dire que nous avons deux amis, les uns et les autres. De ce fait, nous sommes capables d’écouter les uns et les autres, de parler aux uns et aux autres, y compris de parler avec sincérité quand l’heure de la franchise est venue. Ce que, naturellement, nous ne manquerons pas de faire.
RTL-Le Monde : Le bilan de ces cent premiers jours ne vous fait pas douter de sa volonté de faire la paix ?
Hervé de Charette : Je vous dis franchement aussi que la période actuelle est très angoissante, que nous venons de vivre un drame terrible, que ces incidents et ces conflits peuvent reprendre du jour au lendemain et que, par conséquent, c’est vraiment l’heure d’assumer ses responsabilités. Le processus de paix au Proche-Orient aujourd’hui est à l’heure de vérité. Il va bien falloir choisir la route à prendre.
RTL-Le Monde : Justement, je veux bien croire au pragmatisme des uns et des autres, mais pourquoi ne pas prendre M. Netanyahu au mot ? Pourquoi ne pas croire ce qu’il dit, lorsqu’il dit qu’il veut en rester là, qu’il n’y aura pas d’autre évolution territoriale en Cisjordanie, qu’il n’y aura pas de retrait du Golan. Pourquoi ne pas croire que c’est effectivement son programme et qu’il entend l’appliquer ?
Hervé de Charette : Pour une raison très simple, je ne voudrais pas que vous forciez les propos. J’écoute et je lis. Je peux vous dire avec une très grande attention parce que je suis le dossier du Proche-Orient pour beaucoup de raisons. Parce que j’y suis allé, parce que j’aime les peuples qui vivent dans cette région et c’est une région formidable avec laquelle nous entretenons des liens historiques, nous sommes présents là-bas depuis 900 ans. Nous avons donc une compréhension naturelle, que d’autres pays n’ont peut-être pas autant que nous, de ce que ressentent les peuples qui y vivent. J’ai entendu aussi M. Netanyahu, il y a quelques jours, dans le bureau du président de la République et dans des déclarations publiques, dire qu’il entendait appliquer les accords de paix. En d’autres termes, je ne crois pas que l’on puisse tenir les propos un peu définitifs que vous venez d’avoir.
RTL-Le Monde : Vous avez eu Yasser Arafat plusieurs fois au téléphone depuis le début de cette crise, dans quel état d’esprit l’avez-vous trouvé ? Est-il convaincu de pouvoir tenir ses troupes ?
Hervé de Charette : La position de M. Arafat est extrêmement difficile. Notre devoir, nous le faisons spontanément, est d’être auprès de lui dans un moment crucial. Il a besoin, en effet, sans aucun doute, de notre soutien, du soutien de ses amis arabes, comme il a besoin, et c’est utile que M. Netanyahu comprenne que M. Arafat est un homme décisif pour le processus de paix. Je souhaite vraiment que le dialogue reprenne, il le faut, et dans cet instant essentiel, crucial que le chemin de la paix soit pris de façon claire et définitive.
RTL-Le Monde : Si la réunion de Washington a bien lieu, compte tenu du rôle que joue l’Europe et notamment la France, compte tenu du fait que nous sommes notamment les principaux financiers du processus de paix dans les Territoires palestiniens, n’allez-vous pas officiellement demander aux États-Unis que l’Europe soit présente à Washington sous une forme ou sous une autre ?
Hervé de Charette : La France n’a pas l’habitude de quémander quoi que ce soit. Nous sommes très attentifs à tout ce qui peut contribuer à la paix. Naturellement, la place de la France a malheureusement été, dans cette région du monde, peu tenue pendant les années qui ont suivies la guerre du Golfe. Nous avons été, après 1991, pratiquement écartés de tout pouvoir d’influence et de décision. Le président de la République, lorsqu’il est allé au Caire et à Beyrouth a expliqué très clairement que la France était décidée à être à nouveau présente. Nous avons montré, dans la crise du Liban d’abord, que ce n’étaient pas des paroles en l’air, que nous en prenions les moyens, et aussi que nous pouvions être utiles, car s’il y a eu une solution et un arrangement au mois d’avril dernier, c’est parce que nous avons fait des propositions. Et aujourd’hui, la France est présente dans le Groupe de surveillance qui suit la situation au sud-Liban. Le système de mise en place du Groupe de surveillance est coprésidé par les États-Unis et par la France, je crois, au plus grand avantage de tous.
RTL-Le Monde : Quelle initiative la France et l’Europe peuvent-elles prendre ?
Hervé de Charette : Ne croyez pas que je ne veuille pas répondre à votre question. Résoudre les problèmes ne signifie pas que, demain matin, l’on puisse prendre une initiative qui va tout régler. Ce que je voudrais dire ici est que nous sommes extrêmement actifs, présents, avec M. Arafat, M. Netanyahu, M. Moubarak et d’autres, nous sommes en contact permanent. J’étais aux Nations unies, je peux vous dire que j’ai passé pratiquement la moitié de mon temps avec les dirigeants de la région qui étaient présents sur place, et que nous continuons à le faire de façon très active. Nous verrons dans les jours qui viennent comment poursuivre et quelles initiatives prendre le cas échéant.
RTL-Le Monde : Une nouvelle dépêche vient de me parvenir du Caire, elle confirme que le Président Moubarak refuse pour le moment d’aller à Washington. Le chef de l’État pose toujours une condition pour y participer – assurer à l’avance la réussite du sommet en prenant sur le terrain des mesures concrètes, en priorité la fermeture du tunnel.
Hervé de Charette : Le Président Moubarak est un sage et c’est un homme d’une grande expérience, très soucieux du processus de paix dans la région. Quand il parle, je crois que le monde a intérêt à l’écouter.
RTL-Le Monde : Oui, mais vous avez demandé comme lui la fermeture du tunnel et M. Netanyahu a répondu : « maintenant les portes sont ouvertes et elles sont ouvertes pour toujours ».
Hervé de Charette : Cela prouve qu’il y a un problème.
RTL-Le Monde : Vous dites que vous êtes angoissé. Quel peut être le scénario le plus pessimiste ou le plus noir ?
Hervé de Charette : Si vous le voulez bien, ne cherchons pas à faire ici des plans sur la comète, surtout sur cette comète tragique à laquelle vous pensez.
C’est tout à fait simple ; nous venons de vivre des événements d’une extrême gravité. Ils ont été interrompus pour l’instant. Cela va mieux. Mais cela peut reprendre à tout instant et à toute heure. Comme on vous apporte une dépêche, on peut vous en apporter une autre qui vous indiquerait que les tensions reprennent. Tout ceci est extrêmement fragile, par conséquent, il est de la responsabilité des uns et des autres, des dirigeants israéliens, des dirigeants palestiniens, de ceux qui ont de l’influence, les États-Unis, la France, d’autres encore, de mettre tout en œuvre pour essayer de renouer les fils interrompus de la paix. C’est une affaire de toute urgence de première importance. Bien sûr cela concerne les peuples de la région, mais cela concerne le monde entier.
RTL-Le Monde : Lorsque vous dites « de toute urgence, c’est grave », cela veut dire que si hélas les négociations à Washington devaient capoter, il faudrait dire craindre, dans la région, le retour à une situation très tendue, pour ne pas dire un climat de guerre ?
Hervé de Charette : Je vous ai dit que la France ne cesserait pas d’être sur le pont, pendant toute cette période. Nous poursuivrons nos efforts inlassablement. Je reste du côté des optimistes, mais des optimistes actifs. Il ne faut pas exprimer ici un optimisme béat qui n’aurait guère de sens. Mais la détermination française ne doit pas vous échapper.
RTL-Le Monde : Si on arrive à renouer les fils, cette crise n’aura-t-elle pas détruit de toute façon au moins le début de confiance qu’il y avait entre les deux parties ?
Hervé de Charette : Peut-être, et il faudra donc reconstruire. Vous connaissez certainement la région, Palestiniens et Israéliens n’ont pas d’autres choix que de vivre ensemble. On ne peut pas imaginer d’autre voie. La géographie les y contraint. Ils sont imbriqués les uns dans les autres dans les conditions que vous savez. Les implantations nombreuses faites en territoire palestinien les y conduisent encore plus. Donc, il faut apprendre à vivre ensemble. Cela veut dire qu’il faudra prendre les dispositions de sécurité nécessaires mais aussi prendre les mesures de confiance qui permettent de vivre ensemble. C’est cela l’enjeu. Vivre ensemble. La paix et la sécurité dépendent de ces disponibilités mutuelles.
RTL-Le Monde : Les ministres de Netanyahu ont proposé aujourd’hui, d’une part, d’élargir les colonies à tous les endroits où il y avait eu des affrontements et de désarmer les policiers palestiniens.
Hervé de Charette : Qui a proposé cela ?
RTL-Le Monde : M. Sharon.
Hervé de Charette : Oui, mais ce sont les discussions internes d’Israël. Je ne veux pas commenter toutes les déclarations. Chacun a reconnu que la police palestinienne avait fait un travail très remarquable en matière de lutte contre le terrorisme. C’était aussi l’un des enjeux de la sécurité d’Israël et de la Palestine.
RTL-Le Monde : Je propose, Monsieur le ministre, de changer de sujet et d’aborder celui de la Russie. Décidément ce soir, l’actualité est très active, des télégrammes se succèdent et je voudrais évoquer le cas de M. Eltsine. Une dépêche datée de Washington nous dit que le secrétaire d’État, Warren Christopher, a rejeté dimanche la demande d’Alexandre Lebed, secrétaire du Conseil de sécurité russe que le président russe Boris Eltsine confie tous ses pouvoirs jusqu’à ce qu’il soit capable de retravailler normalement. Que pensez-vous de cette décision ?
Hervé de Charette : Je ne comprends pas très bien le sens de cette déclaration. Les affaires russes leur sont intérieures.
RTL-Le Monde : Cela veut dire en gros que Eltsine et Tchernomyrdine sont aux commandes et pas Lebed ?
Hervé de Charette : Oui, la réalité pour l’instant est que le Président Eltsine est le président de la Russie, qu’il assume la plénitude de ses responsabilités et je n’ai pas d’autres commentaires à faire.
RTL-Le Monde : N’avez-vous jamais eu l’impression dans vos contacts avec la Russie ces dernières semaines d’un vide du pouvoir ou d’une certaine confusion au Kremlin ?
Hervé de Charette : Pas du tout. Je vais vous dire très simplement les choses. À New York, j’ai passé près d’une heure et demie avec M. Primakov, le ministre des Affaires étrangères russe. Nous avons parlé de beaucoup de questions intéressant les questions de sécurité en Europe, les relations bilatérales franco-russes. Je n’ai pas eu du tout l’impression de quelqu’un qui ne savait pas qui commandait.
RTL-Le Monde : Vous allez en Russie la semaine prochaine. Qui verrez-vous ?
Hervé de Charette : Je verrai le ministre des Affaires étrangères, peut-être le Premier ministre et le Président.
RTL-Le Monde : N’y a-t-il pas dans l’attitude des dirigeants occidentaux la volonté de pratiquer la politique de l’autruche face à une vacance de plus en plus évidente du pouvoir à Moscou ? Les Occidentaux ne veulent pas faire ou dire quelque chose qui pourrait affaiblir la situation à Moscou ?
Hervé de Charette : Vous savez, dans la vie internationale, la moindre des choses que l’on attend des dirigeants des pays c’est de ne pas se mêler des affaires des autres.
RTL-Le Monde : Avez-vous l’impression que l’un des dossiers qui peut être un dossier de contentieux qui est celui de l’élargissement de l’OTAN est en voie d’être résolu avec les Russes ?
Hervé de Charette : On ne peut pas le dire comme cela. La question de la sécurité en Europe est en plein bouleversement par rapport à l’idée qu’on en a eu pendant un demi-siècle. Avant, la question était de se défendre à l’Ouest contre la menace éventuelle venant de l’Est. Donc, c’était l’affrontement. L’Alliance atlantique était le moyen de défense des pays européens. La France avait une condition à part et elle avait en plus sa force de dissuasion nucléaire autonome, indépendante. Maintenant, nous avons devant nous la perspective de vivre avec une Russie qui sera, nous l’espérons tous, de plus en plus, une nation démocratique et fonctionnant selon les règles de l’économie de marché, donc, comme nos pays. Cela change tout. Dès lors, nous travaillons à ce que pourrait être la nouvelle architecture, la nouvelle organisation de la sécurité en Europe. Cela comprend bien sûr les nouvelles missions de l’Alliance atlantique, différentes d’hier, elles sont maintenues mais pour l’essentiel tournées vers autre chose, le maintien de la paix, vers telle intervention à l’extérieur, etc.
Il y a aussi les rapports à établir avec la Russie, nous proposons de passer un traité, une charte entre l’Alliance atlantique et la Russie, et il y a le dispositif pour les pays qui sont en Europe centrale et orientale, dont certains entreront dans l’Alliance, d’autres n’y entreront pas mais chercheront à avoir des garanties de sécurité. Bref, il faut se mettre d’accord tous ensemble. Américains, Européens et Russes pour monter un dispositif dans lequel chacun, je dis bien chacun, trouve une réponse positive aux exigences de sécurité qui sont les siennes.
RTL-Le Monde : Cela se ferait quand ?
Hervé de Charette : Ce sera le travail de l’année 1997 et je vous informe qu’en particulier il y aura, sur la proposition du Président Chirac au printemps prochain, une grande réunion qui se tiendra dans une ville d’Europe qui n’est pas encore arrêtée où nous réunirons les membres de l’Alliance atlantique, la Russie, les autres pays européens pour délibérer en commun de ce que peut être l’Organisation de la sécurité en Europe. Vous voyez qu’au fond, nous sommes en train de faire quelque chose qui a, pour la génération à venir, la même importance que ce que nos prédécesseurs ont fait dans la fin des années 1945-1950. Établir une organisation de sécurité qui soit valable probablement une génération ou deux. Donc c’est très important, c’est le programme de travail déjà en cours en 1996 et qui se poursuivra en 1997.
RTL-Le Monde : Les chefs d’État et de gouvernement vont se retrouver samedi prochain à Dublin, la négociation sur la Conférence intergouvernementale est-elle si mal engagée qu’elle a besoin d’un bon coup de pouce au plus haut niveau ?
Hervé de Charette : Oui, franchement, elle a besoin d’un coup de pouce, oui. Mal engagée je ne sais pas, mais elle a besoin d’un sérieux coup de pouce.
RTL-Le Monde : Si elle est engagée…
Hervé de Charette : Voilà, cela se pose plutôt comme cela. En 1992, dans la négociation du traité de Maastricht, si populaire comme vous le savez, comme tout le monde n’avait pas obtenu ce qu’il voulait, on était tombé d’accord pour dire que l’on se reverrait dans quatre ans et que l’on ferait le point. C’était assez pratique pour ceux qui étaient autour de la table, dire que, dans quatre ans, j’obtiendrai peut-être ce que je n’ai pas eu cette fois-ci. Et puis, entre-temps, est venu un élément qui a changé le sens de cette discussion que nous faisons maintenant, une sorte de révision du traité de Maastricht, une mise au point. C’est la perspective de l’élargissement de l’Union européenne. Nous avons pris la décision de donner une sorte de droit à tous les pays européens, 12 pays, d’entrer dans l’Union européenne le jour venu, c’est-à-dire lorsqu’ils seront prêts, à la fois sur le plan politique, économique et social. Cela veut dire que dans les dix ou quinze ans qui viennent, l’Europe ne sera pas à 15 mais probablement à 25, 26 ou 27, peut-être un peu plus encore. Cette Europe-là pose des problèmes d’organisation et de fonctionnement. Lorsque nous étions à six, voyez comment cela marchait. À quinze, je peux vous dire que prendre une décision est devenue de plus en plus compliqué. Alors, avec les règles d’aujourd’hui, cela ne marchera plus à 25. La question qui est devenue centrale maintenant, c’est de tâcher d’organiser nos règles de fonctionnement de façon à ce que cela marche. C’est l’enjeu de cette Conférence intergouvernementale. C’est vrai que je pense personnellement que l’on a passé, puisque l’on a commencé cette conversation il y a maintenant plus d’un an, à peu près un an à tourner en rond, tels des derviches tourneurs, regardant les dossiers les uns après les autres, se posant des questions, écoutant le point de vue de chacun. On n’a pas progressé d’un demi-centimètre. Il est temps d’entrer dans le vif du sujet. En effet, nous nous sommes donnés pour mandat de terminer cette négociation et d’adopter ces règles pour le mois de juin 1997. C’est logique puisque la seconde partie de l’année 1997 et l’année 1998 seront occupées par le calendrier de la monnaie unique. Il faut donc tenir ce calendrier. Pour cela, il faut « mettre le turbo » et, pour l’instant, il n’est pas mis. Nous comptons bien sur cette conférence informelle des chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu samedi prochain à Dublin pour donner un coup de pouce. De ce point de vue-là, Français et Allemands, comme d’habitude, travaillent la main dans la main.
RTL-Le Monde : Sur le Conseil précédent, sur la monnaie unique, avez-vous l’impression que quelque chose d’irréversible a été fait et que le calendrier va être respecté ? N’a-t-on pas fait cela en cédant un peu trop aux conceptions allemandes de la monnaie unique ?
Hervé de Charette : D’abord, je voudrais insister sur le fait que cette affaire de la monnaie est tout à fait essentielle. Ce n’est pas une affaire de technocrates perdus dans des bureaux et qui parlent une langue ésotérique. Souvent, ils parlent une langue ésotérique, mais en fait cela va toucher directement notre vie quotidienne. Si on se bat pour avoir une monnaie européenne, c’est parce que nous pensons que cette monnaie va contribuer à la croissance économique, donc à l’emploi des Français. C’est aussi parce que nous pensons que cette monnaie-là va devenir une monnaie aussi puissante que le dollar et que demain elle empêchera cette domination du dollar, qui est devenue depuis cinquante ans, non seulement la première monnaie du monde, mais une monnaie irresponsable, c’est-à-dire qui peut faire ce qu’elle veut puisqu’elle est la seule grande monnaie du monde. Demain, l’euro sera l’autre grande monnaie et elle pèsera lourd dans les débats financiers et monétaires internationaux.
C’est donc pour le bien de nos compatriotes et pour notre emploi.
Tous les observateurs, souvent critiques, notamment tous les analystes financiers, tous ceux qui ont des responsabilités financières dans le monde et qui cherchent toutes les occasions de glisser une faille dans le système pour leurs propres intérêts, considèrent que c’est maintenant un mouvement irréversible.
Observez par exemple ce qu’ont fait les Espagnols et les Italiens, qui ont, comme nous, préparé leur budget, et qui vont le présenter devant leur Parlement. Les Espagnols et les Italiens ont des problèmes parce qu’au point où ils en sont, ils ne respectent pas les critères de Maastricht. Aujourd’hui, la préoccupation majeure du gouvernement italien et du gouvernement espagnol, c’est de ne pas être à la traîne. Ils veulent être dans le noyau de tête de l’Europe. Les Italiens et les Espagnols n’arrivent pas à s’imaginer, et je les comprends, qu’on pourrait les laisser un peu à la traîne. Ils pensent les uns et les autres qu’ils sont des nations importantes, c’est aussi notre avis, et que donc ils doivent en être. Autrement dit, aujourd’hui, je crois en effet que tout le monde est convaincu – et la France est absolument déterminée, comme l’Allemagne et d’autres pays – que cette monnaie unique verra le jour à la date convenue. Chacun ordonne désormais ses décisions autour de cette échéance. En Angleterre, à Londres, des voix s’élèvent dans le parti conservateur, pourtant pas très europhile, comme vous le savez, pour dire : « qu’est-ce que l’Angleterre attend pour monter dans ce train-là et non pas attendre le prochain arrêt en gare ? ».
RTL-Le Monde : Voyez-vous une bonne chance pour l’Italie et l’Espagne d’être dans le premier cercle ?
Hervé de Charette : Je suis persuadé que oui. Je le souhaite vivement car nous avons besoin que ce cercle de la monnaie unique soit le plus large possible. C’est le plus ardent désir de la France.
RTL-Le Monde : Est-ce que sur tous ces dossiers il n’y aurait pas un manque d’explications vis-à-vis de l’opinion publique et que l’on arrive finalement à ce que le gouvernement voulait éviter, à ce que les Français découvrent un paquet ficelé comme Maastricht auquel ils ne comprenaient rien ?
Hervé de Charette : C’est possible. En réalité le grand public, en effet a, pour le moment, un peu de mal à se familiariser avec ces concepts souvent techniques. En même temps, je crois que, par exemple, beaucoup de professions ont compris que c’était très important. Si vous vous adressez aux agriculteurs, qui sont des professionnels souvent très qualifiés, eux savent que la monnaie unique est tout à fait indispensable, parce que les variations erratiques des monnaies leur portent tort.
Dans ma circonscription, dans l’ouest de la France, les gens savent, parce qu’ils travaillent dans les usines de chaussures, que les dévaluations, pas légitimes d’ailleurs, de la monnaie italienne ou de la monnaie espagnole leur ont coûté très cher en termes de concurrence et d’emploi. Donc, il y a un certain nombre de gens, les dirigeants, les cadres, les salariés d’entreprises maintenant qui commencent à comprendre, et que cette monnaie doit régler, je dirais de façon définitive, les rapports monétaires entre nous au sein d’un marché unique. À marché unique, monnaie unique. Ce langage est assez clair.
Le Journal du dimanche - 29 septembre 1996
Le Journal du dimanche : Qui est responsable de ces violences ?
Hervé de Charette : Il est certain que les Palestiniens ressentent un sentiment de frustration devant l’immobilisme dont le processus de paix est atteint. S’y sont ajoutées les décisions israéliennes : les nouvelles implantations, l’interdiction d’accéder à Jérusalem pour les Palestiniens des territoires et la non-application de l’accord entre les deux parties, notamment sur Hébron. Une grande tension en est résulté. Nous avions alerté les autorités israéliennes depuis plusieurs semaines. Cette tension ne fait que croître et, oserais-je ajouter, ce qui devait arriver est arrivé.
Le Journal du dimanche : La responsabilité des affrontements est donc imputable à Israël ?
Hervé de Charette : Il n’est pas question de résoudre le problème en terme de responsabilité. Il faut savoir comment mettre un terme à cette crise, la plus grave depuis 30 ans : 79 morts, 1 300 blessés ! L’entrée des forces de sécurité israéliennes dans des zones placées sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne, notamment à Ramallah et à Naplouse, constitue un retour en arrière qui a entraîné l’affrontement avec la police palestinienne. Cette situation est très préoccupante. Au point où nous en sommes, une rencontre Arafat-Netanyahou devient urgente. Le président Moubarak a proposé qu’elle se tienne au Caire sous son égide.
C’est une excellente initiative, encore faut-il que cette rencontre ne se limite pas à une poignée de mains mais débouche sur des mesures concrètes et une relance officielle du processus de paix.
Le processus de paix est un mouvement continu. S’il s’interrompt, comme c’est le cas depuis 4 mois, c’est la porte ouverte à la violence. Il doit donc redémarrer et le plus vite sera le mieux. La seule façon de le faire, c’est de s’appuyer sur ce qui a déjà été fait. En particulier appliquer l’accord sur Hébron qui aurait dû être réalisé depuis plusieurs mois. Le processus de paix repose sur deux principes essentiels : l’échange de la terre contre la paix et le droit à l’autodétermination palestinienne. En dehors de cette route, il n’y a que des événements tragiques à attendre.
Le Journal du dimanche : Vous avez fait des propositions vendredi. Quelle réponse avez-vous reçue ?
Hervé de Charette : Je me suis rendu au conseil de sécurité de l’ONU, comme de nombreux collègues notamment le russe, le britannique, l’allemand. Une telle réunion au niveau ministériel est un événement extrêmement rare. Si les ministres des Affaires étrangères se sont déplacés, c’est que la situation est d’une grande gravité. J’ai demandé au gouvernement israélien qu’il donne des signes de bonne volonté. Deux mesures s’imposent. La première : affirmer le caractère permanent de la fermeture du tunnel sous l’esplanade des mosquées, son ouverture a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il avait été convenu que le statut de Jérusalem serait négocié à la fin du processus de paix. Tout ce qui anticipe sur ce programme ne peut que provoquer des tensions. Deuxième mesure : j’ai demandé que les forces israéliennes se retirent des villes situées dans les territoires confiés au contrôle de l’Autorité palestinienne.
Pour l’instant je n’ai pas enregistré de réactions. Ceci n’empêche pas de développer des initiatives. Le Président Chirac a eu une longue conversation avec Yasser Arafat, il a reçu récemment Benyamin Netanyahou. J’ai eu moi-même trois fois Arafat au téléphone et me suis entretenu avec les ministres égyptiens, syrien et le représentant du Liban à New York. La France, comme c’est désormais son rôle, est très présente dans le processus de paix dans la région.
Le Journal du dimanche : En avril vous vous étiez rendu au Liban et en Israël, lors de la grave crise qui s’y était déroulée. Allez-vous retourner sur place ?
Hervé de Charette : Ce n’est pas impossible. Je suis disposé à le faire à tout moment. Je le ferai si cela peut contribuer à faciliter l’apaisement de la tension. À New York et à Paris je reste en contact étroit avec tous les acteurs de la crise.
Le Journal du dimanche : Jacques Chirac est-il à l’origine de la déclaration commune avec le chancelier Kohl et M. Major ?
Hervé de Charette : C’est une initiative de Jacques Chirac, dans le cadre d’un dialogue permanent. Il est normal que devant de tels événements, les dirigeants européens prennent des initiatives concertées.
Le Journal du dimanche : L’Europe ne se limite pas à trois pays.
Hervé de Charette : MM. Chirac, Kohl et Major ont informé la présidence de l’Union européenne de leur initiative. L’unité de vue des Européens que j’avais observé dans la crise libanaise demeure. Sur le Proche-Orient l’Europe parle d’une seule et même voix.
Le Journal du dimanche : Êtes-vous inquiet ? La paix n’est-elle pas morte ?
Hervé de Charette : Je suis inquiet, je ne peux pas le cacher. La situation est extrêmement tendue dans les territoires palestiniens et les événements qui s’y déroulent sont réellement tragiques. Jamais depuis 1967 nous n’avions connu une telle situation. Pendant l’Intifada, c’étaient des pierres contre des fusils, là ce sont des affrontements armés entre la police palestinienne et les forces israéliennes. Cette tension est d’une très grande gravité.
Je veux croire que la paix n’est pas morte et je veux croire que dans les heures et les jours qui viennent nous réussirons à renouer les fils de la paix. Mon espoir reste intact.