Interviews de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Ouest-France" du 25 avril 1998 et "Paris-Match" du 30, notamment sur la nécessité d'une rénovation de la vie politique, la recomposition de la droite et sur le Front national.

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Média : Ouest France - Paris Match

Texte intégral

Ouest-France le samedi 25 avril 1998

Ouest-France : Dans son interview au « Monde », Lionel Jospin estime que la droite souffre d’un problème d’identité, de stratégie et de leadership : lui donnez-vous tort ?

Alain Madelin : Je ne détermine pas mon diagnostic sur la santé de l’opposition à partir de celui de Lionel Jospin. Mais je veux bien reconnaître que ce qu’il dit n’est pas faux. À ceci près qu’il s’agit, à mes yeux, d’une crise globale de la politique. En témoignent les résultats des régionales avec la montée des extrémismes – y compris à gauche – et le fait que les partis dits « de gouvernement » ne réunissent que 38 % d’électeurs. Il existe une crise de confiance des Français envers ceux qui les représentent, c’est-à-dire entre la base et le sommet, entre la province et Paris.

Ouest-France : À droite, l’UDF paraît la plus touchée par la crise : comment voyez-vous sa recomposition ?

Alain Madelin : La question de la recomposition se pose à l’ensemble de l’opposition. Donc, recomposer oui, mais pour quoi faire ? En 1995, l’actuelle opposition disposait quasiment de tous les pouvoirs : qu’en a-t-elle fait ? Il ne suffit pas de chercher à reconquérir le pouvoir, la vraie question est : qu’est-ce qu’on veut faire de ce pouvoir ?

Ouest-France : Si Démocratie libérale fait bande à part, si le centre se renforce, si le MPF de Philippe de Villiers se maintient, si « La Droite » de Charles Millon prend forme, si les « UDF refondateurs » réussissent à percer et si le RPR reste ce qu’il est, où est l’union de l’opposition ?!

Alain Madelin : Ce tableau d’une opposition un peu trop plurielle ne fait que démontrer la nécessité de l’unité. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas l’intention de faire bande à part, mais, au contraire, d’être le mieux-disant unitaire de l’opposition. Celle-ci a besoin d’une famille libérale, c’est pourquoi je me refuse à dissoudre Démocratie libérale dans un nouveau parti du centre à la place de l’UDF. En revanche, il est tout à fait possible de reconstituer un nouveau pacte de confiance entre la famille centriste démocrate-chrétienne et la famille libérale. Le projet qui viserait à refaire une UDF en affrontement avec le RPR serait suicidaire. L’opposition a besoin du rassemblement le plus large et de l’union la plus forte.

Ouest-France : Puisque même le libéralisme n’est pas forcément une spécialité de la droite – il peut y avoir des libéraux de gauche –, quelle différence radicale y a-t-il aujourd’hui entre la droite et la gauche ?

Alain Madelin : Oui, il pourrait exister une gauche libérale, comme en Grande-Bretagne avec Tony Blair. Mais je ne crois pas à son émergence chez nous. D’abord parce que Lionel Jospin n’en a pas les moyens politiques à cause de ses alliances ; ensuite parce que l’héritage doctrinal du PS l’en empêche. Les socialistes seront contraints à des avancées libérales, mais Lionel Jospin ne sera pas Tony Blair. Je souhaite, pour ma part, travailler à la mise sur pied d’une opposition et d’une droite qui assumera, contrairement au passé, des choix libéraux forts.

Ouest-France : Quels sont quelques-uns des « choix forts » que vous voudriez mettre en œuvre pour une vraie politique libérale ?

Alain Madelin : Par exemple, le choix du plein emploi que j’oppose au partage du travail. Tout se passe comme s’il y avait une sorte de renoncement de la France à retrouver ce plein emploi, pourtant possible, à condition d’opter pour une vraie liberté du travail, en remplaçant toutes sortes de réglementations qui paralysent la découverte de nouveaux emplois par une plus grande liberté contractuelle. Autre exemple : le choix de la feuille de paie là où nous avons fait le choix implicite de la feuille d’impôts ou de la feuille d’allocation. Faire un choix libéral, c’est vouloir davantage de salaire direct. Ce qui signifie qu’il faudrait remplacer toute une série d’allocations par un revenu familial annuel garanti. Je propose aussi, pour faciliter la réembauche des personnes faiblement qualifiées et aujourd’hui exclues de l’emploi, de verser directement sur la feuille de paie une allocation dégressive, afin d’offrir une garantie de revenu et de sortir de l’enfermement de l’assistance. Le choix libéral, c’est aussi celui d’un état de droit qui assure vraiment la justice et la sécurité. Ce qui signifie, par exemple, la non-tolérance à l’infraction, notamment vis-à-vis des mineurs délinquants. Pour moi, une politique libérale clairement assumée constitue le meilleur antidote aux extrémismes.

Ouest-France : L’opposition a-t-elle les moyens de gagner sur les deux fronts : contre la gauche et contre l’extrême droite ?

Alain Madelin : L’opposition, pour gagner, doit avant tout chercher à entraîner sur ses propositions, être positive avant d’être négative. Si je combats le FN et ses idées, qui sont à l’opposé de celles des libéraux, et que je rejette toute idée d’alliance avec lui, je n’entends pas pour autant le faire en me mettant à la remorque des campagnes orchestrées contre lui par la gauche et l’extrême gauche. La diabolisation du FN ne marche pas. Considérer ses électeurs comme des pestiférés, c’est se couper de ses électeurs, les enfermer dans le vote FN, alors même que ce vote exprime le plus souvent une colère plutôt qu’une adhésion à un projet d’avenir. Dans une démocratie, l’arme du combat c’est le débat. Dans un débat serein et rationnel, les thèses du FN sur l’immigration, la préférence nationale, le protectionnisme, par exemple, ne résistent pas longtemps. En revanche, elles se fortifient dans l’ostracisme.

Ouest-France : Que dites-vous aux présidents de région appartenant à votre formation qui se sont fait élire avec des voix du FN ?

Alain Madelin : Je me suis refusé à participer au procès sans nuance que la gauche et l’extrême gauche ont orchestré contre eux. Je trouve ignoble de comparer Millon à Papon et ridicule de revivre dans la France de l’an 2000 une sorte de psychodrame national des heures noires de Vichy. Cela étant, même s’ils pensent n’avoir passé aucun accord avec le FN et s’ils n’envisagent aucune compromission de leurs idées ou de leur programme, ils se sont fourvoyés. Ils ont donné à beaucoup le sentiment qu’ils se mettaient sous la dépendance du FN, et ils ont pris le risque d’avoir à se soumettre ou à… se démettre.

Paris-Match, 30 avril 1998

Paris-Match : Parlons de la droite. Vous venez de décider de relancer votre parti, Démocratie libérale, et le 16 mai une convention réunira tous vos amis. N’est-il pas temps de sonner la fin de la récréation pour la droite ?

Alain Madelin : Il est temps de mettre fin à toute cette agitation et de se poser enfin les vraies questions : quel est l’avenir que l’on propose, quelles sont les réponses que l’on apporte aux problèmes des Français ? C’est sur ce terrain-là d’abord que l’on attend l’opposition. Si l’on veut faire d’abord à partir des convictions et des choix d’avenir. Or, on ne construira pas demain une France forte sur des choix mous. Et les choix forts que nous devons faire pour la France sont des choix libéraux. Ce serait une erreur majeure aujourd’hui que de dissoudre Démocratie libérale dans un parti du centre. Le centre, c’est une position, pas une proposition. Ce serait une autre erreur que de ressusciter une rivalité entre l’UDF et le RPR au moment où nous avons besoin de l’union la plus large et la plus forte.

Paris-Match : Le climat de turpitude qui règne à droite n’est pas près de se calmer. Diriez-vous, à l’inverse de Peyrefitte il y a près de vingt ans : « Si nous continuons à faire des bêtises, nous serons pour vingt-trois ans dans l’opposition » ?

Alain Madelin : Ce qui est sûr c’est qu’au-delà de l’opposition il y a tout un système politique de pensée et de décision qui est aujourd’hui usé. Cette usure se traduit par une crise de confiance des Français vis-à-vis de la politique. On la constate dans la montée de l’extrémisme, à droite mais aussi à gauche, et dans une désaffection des électeurs. C’est ainsi qu’aux dernière élections régionales 38 % des Français seulement sont allés voter pour des partis de gouvernement. Je crois que globalement les élites françaises se sont montrées incapables à ce jour de conduire les mutations nécessaires de la société française. Cela est vrai bien sûr de l’opposition, qui est aujourd’hui menacée de cette maladie qu’on appelle l’autisme, à savoir le repli sur soi accompagnée d’une perte de contact avec le monde extérieur.

Paris-Match : Qui va jouer le rôle du psychiatre ? La droite a beaucoup de chefs…

Alain Madelin : Le problème n’est pas tant celui du nom du médecin que celui du nom du remède. L’erreur de l’opposition depuis des années, c’est d’avoir refusé d’assumer franchement les choix libéraux nécessaires au pays.

Paris-Match : La droite a donc manqué de courage. Ni Balladur ni Juppé n’ont appliqué une véritable politique libérale…

Alain Madelin : La droite, il est vrai, n’a eu hier ni l’imagination ni le courage. Elle a trop longtemps préféré le ronron des politiques étatistes dirigistes et technocratiques aux vrais choix libéraux. Quelle leçon pour elle que de se voir donner aujourd’hui des leçons de libéralisme par le socialiste Tony Blair !

Paris-Match : N’êtes-vous donc pas déçu de constater que les Français ne mordent toujours pas à l’hameçon du libéralisme ?

Alain Madelin : La vérité, c’est que l’on a proposé aux Français des politiques de toutes les couleurs possibles sauf de la couleur libérale. On a pratiqué un libéralisme honteux, un libéralisme pâteux : une alouette de libéralisme avec un cheval d’étatisme. Et ça, ça ne marche pas.

Paris-Match : Parlons du Front national. Selon vous, Le Pen est-il infréquentable ? Le prendriez-vous en auto-stop ?

Alain Madelin : J’ai pour habitude de prendre des auto-stoppeurs quels qu’ils soient ! Cela étant, étant moi-même souvent présenté dans la presse du Front national comme « le membre assermenté d’un complot juif et maçonnique international », je mesure, derrière une telle description, tous les relents malsains qui font de ce parti un parti infréquentable.

Paris-Match : Et Bruno Mégret, déjeuneriez-vous avec lui ?

Alain Madelin : Il ne m’appartient pas de noter les dirigeants du Front national. Et je ne veux pas tant raisonner en termes de personnes qu’en termes d’idées et de propositions. Il est clair qu’entre les idées et les valeurs que je défends, et les idées exprimées par les dirigeants du Front national, il y a un abîme. Les valeurs qu’ils expriment sont la négation même de la philosophie des droits de l’Homme dont se réclament les libéraux. Leur doctrine et leur programme sont le reflet d’un antilibéralisme primaire.

Paris-Match : Pourquoi participez-vous, d’une certaine façon, à la diabolisation du Front national en refusant toute alliance dans les régions ?

Alain Madelin : Compte tenu de ce que je viens de dire, il ne peut y avoir d’alliance avec le Front national. D’ailleurs, l’objectif du Front national, ce n’est pas l’alliance avec l’opposition, mais sa destruction. Cela étant, je ne crois pas aux politiques de diabolisation engagées contre le Front national. Se mettre à la remorque de la gauche et de l’extrême gauche, dont les leçons de morale coïncident avec les intérêts électoraux, apporte plus souvent de l’eau au moulin du Front national. Il serait bon que les « intellectuels » dessinent le cercle de l’inacceptable, de ce que l’on refuse vraiment dans les idées du Front national. À charge ensuite pour le Front national et se sélecteurs de rester dans ce cercle et de s’exclure de la vie politique républicaine ou de se diviser. J’ajoute que la meilleure arme du combat démocratique, c’est le débat, c’est-à-dire la discussion, la réfutation des idées, des propositions exprimées par le Front national. C’est ainsi, me semble-t-il, que l’on peut retrouver la confiance d’un certain nombre d’électeurs qui votent pour le Front national davantage dans un mouvement de colère que dans un choix d’avenir.

Paris-Match : En son temps, François Mitterrand s’était allié avec le Parti communiste pour mieux l’affaiblir. S’agit-il d’une méthode que vous pourriez appliquer afin de contrer le Front national ?

Alain Madelin : Non. Le meilleur antidote à l’extrémisme, c’est le libéralisme. Et ce n’est pas parce que François Mitterrand s’était allié hier au Parti communiste – qui était alors, ne l’oublions pas, encore stalinien – que nous devons faire de même aujourd’hui avec le Front national. À l’époque, je condamnais cette alliance. Et je crois plus que jamais que la fin ne justifie pas les moyens.

Paris-Match : Chirac et Jospin veulent s’attaquer à la rénovation de la vie politique. Est-ce une bonne idée ?

Alain Madelin : Nous vivons une vraie crise de la politique, liée à une société trop étatisée, trop centralisée, trop jacobine. Cette maladie politique nécessite des remèdes plus forts que les mesures sur le cumul des mandats ou la place des femmes dans la vie politique.

Paris-Match : Faut-il instaurer une VIe République ?

Alain Madelin : Nous avons besoin d’une réforme profonde adoptée par référendum portant sur trois points essentiels : le choix d’un régime présidentiel avec une vraie séparation des pouvoirs, la réorganisation de la démocratie à partir des collectivités locales, la désétatisation de la société française et la réforme de l’État.

Paris-Match : Cela suppose donc un référendum, puis une nouvelle Constitution ?

Alain Madelin : Cela suppose effectivement des modifications constitutionnelles importantes adoptées par référendum.

Paris-Match : L’avez-vous dit au président Chirac ?

Alain Madelin : Je lui ai déjà fait part de ces réflexions.

Paris-Match : Est-ce qu’il vous entend ?

Alain Madelin : Il m’a écouté en tout cas. Je suis persuadé que nous n’échapperons pas, un peu comme en 1958, à un rendez-vous autour d’un certain nombre de choix institutionnels forts dont la France a besoin.