Texte intégral
1. Le président de la République - suivi, semble-t-il, par le Premier ministre envisage une réforme des modes de scrutin. Quel est, dans ce cadre et dans la perspective des élections européennes, l’avenir des Verts dans la majorité plurielle ?
Dominique Voynet : J’ai dit à Lionel Jospin qu’une question aussi importante doit se discuter collectivement. À mon sens, cette modification est inopportune pour quatre raisons.
D’abord, si les Français connaissent mal leurs députés européens, ce n’est pas de la faute du mode de scrutin, mais d’institutions très éloignées des citoyens, et parce que le Parlement Européen manque toujours de véritables pouvoirs. La priorité, c’est donc d’abord de lui donner du contenu. Ensuite, je reste convaincue que la proportionnelle est le meilleur mode de scrutin, même si elle fait l’objet d’une campagne de dénigrement. Ce n’est pas parce que certains responsables n’ont pas de conviction, et se laissent aller aux plus basses compromissions qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. Or, les réformes envisagées videraient la proportionnelle de son sens.
Troisième raison : cette révision découperait le territoire en régions sans logique « durable ». En quoi rapprocherait-elle l’élu de l’électeur, s’il ne peut même pas s’identifier au territoire ?
Enfin, je crains de deviner les arrière-pensées de certains stratèges qui verraient bien les « petites » formations (PCF, Verts, MDC, PRG) obligées de se ranger derrière le grand frère pour permettre à celui-ci de se sortir de façon plus confortable d’un débat difficile pour la majorité.
Les Verts ont un positionnement spécifique sur l’Europe : inconditionnels du dépassement des frontières, mais critiques de sa construction libérale. Ce positionnement s’exprimera par une liste autonome en juin prochain.
2. Aujourd’hui, onze mois après ton entrée en fonction au sein du Gouvernement, perçois-tu Les Verts de la même façon ? Selon toi, qu’est-ce qui, dans les grandes lignes de fonctionnement du mouvement, est à conforter ? Que doit-on améliorer ?
Dominique Voynet : Les Verts s’inscrivent pleinement dans la majorité plurielle. Je crois pouvoir dire que Les Verts apportent beaucoup à celle majorité - sur les propositions, les méthodes de travail, l’image -, mais aussi que la majorité apporte beaucoup aux Verts : des victoires - et c’est diablement important ! -, mais aussi une obligation de penser les transitions, de prendre la mesure du poids des lobbies et des contradictions de la société, y compris en chacun d’entre nous.
Sans utiliser de grands mots, nous vivons une période historique de notre mouvement, qui nous oblige à sortir de notre coquille. Nous avons chaque jour l’obligation de dialoguer, d’argumenter, de convaincre, de passer des compromis : avec des avancées, des reculs, des victoires, des erreurs parfois.
Le mouvement nous rappelle à l’ordre quand le Gouvernement se plante - ça a été le cas, par exemple, sur les OGM -, il continue de porter la parole et les positions des Verts sur le terrain, dans les luttes et les médias. Et en même temps, il évolue. De nombreux nouveaux adhérents nous ont rejoints. On est même parfois perdu dans les réunions avec toutes ces nouvelles têtes ! Et puis le mouvement apprend aussi que tout n’est pas possible tout de suite, que protester ne suffit pas, qu’il faut proposer aussi. Et pas seulement proposer pour dans dix ans, dans une société où l’écologie serait majoritaire, mais pour tour de suite, dans les rapports de force actuels, dans la société telle qu’elle est. J’envie la liberté d’esprit que j’avais lorsque je pouvais, d’une main légère, rédiger un communiqué définitif sur chaque question. Malheureusement, les problèmes ne se résolvent pas aussi facilement que dans les manuels d’écologie politique !
3. Douze ans après l’accident de Tchernobyl et après presque une « année Verte » au ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, la France est-elle en train de sortir du nucléaire ?
Dominique Voynet : Non, pas encore. Je le déplore, mais ni le PS, ni le PCF n’ont la volonté d’en sortir. Le sens de l’accord Verts/PS, c’est d’offrir des marges de manœuvre pour qu’en 2005, quand il faudra décider du remplacement des vieilles centrales, on puisse décider de s’en passer. Je viens de cosigner avec Strauss-Kahn et Pierret une lettre à la NERSA, confirmant l’arrêt de Superphénix. On a mis en œuvre le moratoire en supprimant le Carnet, on a obtenu 500 millions par an pour la maîtrise et la diversification des sources d’énergie à l’ADEME - présidée par Pierre Radanne - et une loi sur l’indépendance du contrôle du nucléaire est programmée. En même temps, on ne gagne pas sur tout, sur Phénix par exemple. Il nous reste encore beaucoup d’étapes à franchir.
4. Corinne Lepage vient de sortir un livre : « Non, Madame le ministre… » En substance, ton prédécesseur déclare qu’on ne peut rien faire au ministère de l’Environnement. Quelle est ton point de vue sur la question ?
Dominique Voynet : Dénoncer les lourdeurs administratives auxquelles nous nous heurtons aussi, d’accord. Mais ce n’est pas un prétexte pour ne rien faire ou réécrire l’histoire. Je crois que j’ai montré depuis dix mois qu’on peut faire bouger beaucoup de choses depuis ce ministère : pollution de l’air, transports, énergie, effet de serre, aménagement du territoire, agriculture, eau, éco-taxe, déchets, démocratie, etc. On a fait avancer beaucoup de chose, en quelques mois, sans doute plus que n’en avait jamais gagné le mouvement Vert. Certaines sont spectaculaires, comme la journée de circulation alternée, et d’autres moins, comme la déclaration commune que j’ai signé il y a dix jours avec Jean-Claude Gayssot, pour le premier Conseil européen Transport-Environnement, et qui marque une réorientation fondamentale.
Mais reconnaissons que, vis-à-vis de Corinne Lepage, j’ai deux avantages : ne pas être dans un gouvernement conservateur - et ça, c’est un choix politique - et appartenir à un parti structuré (capable de publier le n°500 de son hebdo)… et ça aussi, c’est un choix politique