Texte intégral
Le Figaro : Qu’est-ce que la France veut affirmer, à travers ce musée ?
Philippe Douste-Blazy : La décision de créer cette institution nouvelle est celle du président de la République en personne : dès septembre 1995, il m’a écrit pour me faire part de sa décision de voir, je le cite : « Les arts primitifs honorés dans la capitale comme ils le méritent. » Il s’agit vraiment d’un geste politique. Son sens est double : d’une part, nous reconnaissons que l’art occidental pour admirable et essentiel qu’il soit n’est pas le centre de gravitation unique, absolu, définitif de l’histoire de l’humanité et que les arts « autres », en particulier ceux issus de civilisations sans écriture, doivent être connus et aimés de manière autonome et non exclusivement en fonction de l’influence qu’ils ont eu, à travers les cubistes ou les surréalistes, sur les artistes occidentaux de ce siècle. Pour reprendre l’expression de Jacques Kerchache, affirmons que les chefs-d’œuvre naissent libres et égaux !
D’autre part, il se trouve que l’histoire de la France a lié intimement notre pays avec beaucoup de ceux où sont nés les œuvres et les chefs-d’œuvre en question. Il est donc juste, en particulier vis-à-vis de l’Afrique, que la place éminente de ces arts soit célébrée à Paris.
Le Figaro : Ce musée sera-t-il un musée de plus à Paris, ou davantage ?
Philippe Douste-Blazy : Les musées français ont considérablement changé de visage ces dernières années. La plupart d’entre eux sont aujourd’hui des lieux pluridisciplinaires qui font une place à la musique, au cinéma, accentuent leurs activités pédagogiques, s’ouvrent sur de nouveaux publics. On est loin d’une simple mission de conservation et d’exposition.
Pour répondre à cette exigence, l’association de préfiguration qui va être mise en place dans quelques jours aura en particulier la tâche de proposer au gouvernement un statut juridique original. Après tout, le Centre Pompidou montre que des fonctions complémentaires mais autonomes peuvent cohabiter efficacement au sein d’une même maison !
Le Figaro : Les réactions des opposants à ce projet vous ont-elles surpris, par leur virulence ?
Philippe Douste-Blazy : Je ne les ai pas trouvées virulentes mais passionnées, ce qui me paraît plutôt bon signe ! Rien n’est pire que l’indifférence ! Cela dit, il y a, dans les faits, grâce à Jacques Friedmann, un très large consensus autour du projet défini par la commission qu’il a présidée.
Le Figaro : Lorsque le musée sera inauguré, faudra-t-il maintenir des chefs-d’œuvre d’art premier au Louvre ? Ou plutôt tout concentrer dans le nouveau musée ?
Philippe Douste-Blazy : Qu’on le veuille ou non, et même s’il est souhaitable que se poursuive le lent processus qui tend à faire du Louvre non un musée universel sur le modèle du Metropolitan Museum de New York, mais un musée d’art occidental, le Louvre n’est pas un musée parmi d’autres. C’est un symbole, un lieu où se rendent des visiteurs qui ne franchissent pas la porte d’autres musées. La présence d’une sélection de chefs-d’œuvre des arts premiers au Louvre est donc une partie importante du geste politique dont je parlais tout à l’heure. Une chose en tout cas doit être claire : la salle du Louvre ne « décapitera » pas le musée de Chaillot. Il n’est bien sûr pas question de séparer le meilleur qui irait ici du moins bon qui irait là ! D’abord la collection sera unique, les œuvres circuleront et celles présentées au Louvre pourront être changées de temps à autre. En outre, elles seront relativement peu nombreuses, choisies en fonction d’un public dont le parcours et les motivations seront sans doute différentes de celui de Chaillot.
Le Figaro : Comprenez-vous l’émotion des amis du musée de la Marine ? Ne les a-t-on pas un peu oubliés dans l’affaire ?
Philippe Douste-Blazy : Non seulement la France a un grand passé maritime, mais la mer suscite chez nos concitoyens une passion croissante. La France mérite un grand musée maritime et le déménagement désormais décidé du Trocadéro est l’occasion de donner de nouveaux espaces et de nouveaux moyens au musée de la Marine. Je fais totalement confiance à Jean-François Deniau pour faire prochainement des propositions en ce sens.
Le Figaro : Après ce musée de l’Homme entièrement repensé, qu’allez-vous faire au Grand Palais, qui est lui aussi l’un des endroits extraordinaires de Paris ?
Philippe Douste-Blazy : Le Grand Palais va devenir un espace moderne d’expositions temporaires dans le domaine culturel mais aussi scientifique et technologique. Je souhaite bien sûr que les travaux soient achevés à temps pour accueillir certaines des manifestations de célébration de l’an 2000 auxquelles je travaille avec Jean-Jacques Aillagon. Pour l’instant, je règle avec le maire de Paris quelques préalables juridiques : le bâtiment du Grand Palais appartient à l’État mais le terrain sur lequel il est construit est propriété de la Ville de Paris !