Interviews de M. Nicolas Sarkozy,secrétaire général du RPR, à TF1 le 22 mars 1998 et Europe 1 le 24, sur la situation de la droite au lendemain des élections régionales et cantonales ("crise d'identité et de crédibilité") et le cas des élus soutenus par le Front national.

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Circonstance : Elections régionales le 15 mars 1998-élections cantonales les 15 et 22 mars 1998

Média : Europe 1 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

TF1 le Dimanche 22 mars 1998

TF1 : Une première réaction ?

Nicolas Sarkozy : On a entendu Jean-Pierre Chevènement. On ne sait pas à quel titre il parlait ?

TF1 : Ministre de l’intérieur.

Nicolas Sarkozy : J’ai entendu un long prêchi-prêcha, parfaitement partisan au nom du Parti socialiste. Jean-Pierre Chevènement, ce soir, prenait la place de François Hollande. Il faut être prudent dans l’interprétation des résultats. Dimanche dernier, tout le monde disait que c’était un désastre pour l’opposition, une grande victoire pour la gauche. On a vu, au fur et à mesure des résultats, qu’il n’en était pas ainsi. Il semble qu’une dizaine de départements passent à gauche. Le rapport de forces dans les départements, c’est grosso modo deux tiers des départements à droite, un tiers à gauche. Je ne dis pas que c’est une bonne soirée pour l’opposition, mais je souhaite qu’on ne traduise pas cela comme une grande victoire pour la gauche. Il faut être prudent, même s’il y a une très grande perplexité de l’électorat qui se traduit par une nouvelle baisse de la participation, et qui montre que la confusion qui a régné toute cette semaine n’a, en aucun cas, facilité le choix des électeurs.
Je voudrais dire à ceux qui ont cru pouvoir faire des alliances avec le Front national qu’ils pouvaient le faire avec un petit ton patelin, qu’on leur demandait rien. Il s’est passé vingt-quatre heures avant qu’on leur présente l’addition. Résultat de cette opération : en agissant ainsi, ils ont déboussolé une partie large de notre électorat qui n’est pas mobilisé. Pire, ils ont mobilisé une partie de l’électorat de nos adversaires de gauche. En plus, ils ont déconsidéré un peu plus la parole politique. J’ai une conception de la politique qui est assez simple : quant on dit quelque chose, on le fait. Il y a quelque chose qui doit nous intéresser tous : c’est la crédibilité que l’on peut avoir dans la parole d’un homme politique. À partir du moment où les cinq avaient indiqué qu’ils ne feraient pas d’alliance avec le Front national, c’est un mauvais service à rendre à la politique, et à la droite en particulier, que de le faire.
Je veux reconnaître aussi une de nos erreurs : trop souvent, dans le passé, les hommes de droite n’ont pas eu le courage avec assez de force de défendre leurs idées et leur politique. C’est de cela qu’il va s’agir maintenant : dire aux électeurs du Front national, comme à tous les Français, que la droite républicaine est de retour. Qu’on a parfaitement compris le message, et qu’il faudra dorénavant défendre avec acharnement les idées qui sont les nôtres et qui ne sont d’aucune manière les idées de la gauche.
C’est une crise que nous connaissons depuis le mois de juin dernier puisque nous avons perdu les élections. De cette crise, il faut tirer les leçons : que la droite retrouve son identité ; qu’elle se réunisse pour établir un programme alternatif à la gauche. La pensée unique qui a existé jusqu’à présent, c’est une pensée socialiste ou sociale-démocrate. Il est temps que la droite se réveille. Il faut que nous profitions de ce qui se passe pour adresser à tous ceux qui ne voulaient pas faire de la politique jusqu’à présent – les jeunes, … – qu’ils voient que le comportement droit et assez digne des représentants de la droite républicaine leur permet, aujourd’hui, de nous rejoindre en très grand nombre pour nous aider à bâtir une grande formation politique de droite dont le pays a besoin. C’est parce que nous aurons retrouvé la crédibilité, parce que nous aurons retrouvé l’identité, que nous retrouverons la confiance de ceux qui nous ont quittés, pas en passant des alliances qui ne serviront à rien, si ce n’est à nous déconsidérer.

Europe 1 le mardi 24 mars 1998

Europe 1 : Le président de la République a donc parlé. Sans attendre, d’après la presse, il a parlé, bien, haut, fort et clair. Pour « La République », Jacques Chirac signe la première vraie riposte. Est-ce que cela suffit ?

Nicolas Sarkozy : C’était nécessaire. Je veux dire que l’intervention du chef de l’État était courageuse. Il fallait le faire. Elle était utile. Dans la période de confusion, que le chef de l’État marque clairement ce que sont ses convictions, c’est bien. Elle était authentique, parce que ses convictions, elles sont anciennes, et on le sentait profondément convaincu de ce qu’il disait. Et puis surtout, les propos du chef de l’État éclairent d’une certaine façon l’avenir, en montrant ce que nous devons faire aujourd’hui pour répondre à ce formidable défi.

Europe 1 : Le moment est venu, a-t-il dit, de réagir. Ah, s’il était intervenu plus tôt ! Certes, on le lui aurait reproché. Mais est-ce que beaucoup de dégâts n’auraient pas été évités ?

Nicolas Sarkozy : Non, je ne crois pas. Finalement, je pense qu’il y a eu moins de dégâts qu’on ne pouvait le redouter ou l’imaginer. Quelques élus, les plus faibles d’entre eux, ont cédé. Je croix qu’ils ont cédé essentiellement parce qu’ils ont eu peur. Mais finalement, la contagion n’a pas embrasé, comme on pouvait le craindre, l’ensemble des élus locaux, dont la plupart sont restés parfaitement dignes.

Europe 1 : À votre poste de combat, vous avez pu mesurer la gravité de l’épreuve !

Nicolas Sarkozy : Gravité, je ne sais pas. J’ai pu mesurer surtout que, lorsqu’on fait de la politique, mieux vaut avoir des convictions solidement trempées.

Europe 1 : Le pire est-il derrière vous ? Est-il passé ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Je l’espère. Il reste devant nous un immense travail de reconquête pour retrouver la confiance de nos électeurs.

Europe 1 : Jacques Chirac, hier, était le chef de la droite, ou l’inspirateur de toute la République ?

Nicolas Sarkozy : Non. Il était le président de tous les Français. J’ai particulièrement apprécié, notamment, qu’il parle aussi directement aux électeurs du Front national, en leur disant qu’on pouvait comprendre une exaspération pour telle ou telle raison, mais que le vote pour le Front national était une impasse.

Europe 1 : La droite a donc perdu. Mais elle est sauvée ?

Nicolas Sarkozy : Disons que la droite a perdu moins qu’on ne l’a dit, les régionales. Plus qu’on pouvait ne le penser, les cantonales. Et ces cantonales ont été plus mauvaises qu’on ne pouvait l’imaginer, justement parce qu’il y a eu ce mouvement de panique des cinq qui se sont fait élire avec les voix du Front national, ce qui a troublé nos électeurs, les a démobilisés, et à l’inverse, a mobilisé les électeurs de nos adversaires.

Europe 1 : Parlons de ces cinq élus avec le Front national, désapprouvés par Jacques Chirac pour avoir, comme il dit, « préféré les jeux politiques à la voix de leur conscience ». Est-ce qu’ils doivent démissionner ?

Nicolas Sarkozy : Vous savez, moi, je n’ai pas beaucoup de contacts avec eux. Donc, ils doivent faire ce que leur conscience leur demande de faire. L’essentiel, c’est qu’elle parle. Mais après tout ce qui s’est passé, je crois que chacun a bien compris que ces régions seront ingouvernables. Et le meilleur service qu’ils auront à rendre, c’est en tirer toutes les conséquences.

Europe 1 : Dans une demi-heure, Charles Millon va être reçu par Raymond Barre à Lyon. Est-ce que les RPR participeront à l’exécutif régional de Charles Millon ?

Nicolas Sarkozy : Non. C’est parfaitement clair. Il n’y aura aucun membre du Rassemblement pour la République dans l’exécutif d’une quelconque de ces cinq régions. Je voudrais peut-être m’en expliquer en trente secondes. Nous nous sommes battus de toutes nos forces avec Philippe Séguin, avec l’ensemble des candidats pour que la droite républicaine l’emporte dans toutes les régions de France. Ce n’a pas été le cas dans un certain nombre de régions. Nous qui nous sommes battus dès la première minute, qui avons cru jusqu’au bout, qui avons inlassablement été labourer le terrain, si dans certaines régions, nous avons perdu, nous n’avons pas le droit de tricher. Donc, par conséquent, il n’y aura pas, en tant que tels, de responsables RPR dans l’exécutif de ces régions.

Europe 1 : Donc les cinq sont cuits ?

Nicolas Sarkozy : Moi, je ne me détermine pas par rapport à ces cinq-là. Je crois que l’un des enjeux majeurs, c’est de redonner un minimum de crédibilité à la parole politique. Il faut dire à nos compatriotes que les choses ont changé, qu’il existe maintenant des hommes et des femmes politiques qui ont des convictions suffisamment ancrées pour tenir leur parole. Cela compte la parole d’homme !

Europe 1 : Des quatre élections des présidents, des présidents des conseils régionaux, deux – l’UDF Monsieur Censi, et le RPR Jean-Paul Gauzes –, sitôt élus, ont démissionné. Cela, c’est bien ?

Nicolas Sarkozy : Oui, je voudrais dire à Jean-Paul Gauzes et à Monsieur Censi toute la fierté que j’ai de me retrouver dans l’opposition aux côtés d’hommes de cette trempe.

Europe 1 : Les deux régions les plus symboliques sont passées à gauche : PACA à Monsieur Vauzelle, l’Île-de-France à Jean-Paul Huchon. Cela veut dire : plutôt la gauche que Le Pen ?

Nicolas Sarkozy : Non, cela ne veut pas dire cela. Cela veut dire que l’on se bat de toutes nos forces pour éviter que la gauche ne gagne. Et on ne va quand même pas faire ce procès à ceux dont chacun a noté, dans l’opposition, que nous avions été parmi les plus déterminés à conduire le combat. Mais ce n’est quand même pas à cause de nous, si la gauche a gagné. C’est parce que dans telle ou telle région, les Français l’ont voulu ainsi. Il nous faut donc en tirer les conséquences. Et je veux, de ce point de vue, rendre particulièrement hommage à l’attitude digne et respectable d’Édouard Balladur, qui avait conduit un sacré combat en Île-de-France.

Europe 1 : Et qui n’a pas changé d’avis apparemment, qui n’a pas voulu se présenter !

Nicolas Sarkozy : Oui. Vous savez, cela compte, me semble-t-il, pour nos compatriotes, d’avoir des hommes politiques qui ne changent pas d’avis au gré des vents de panique.

Europe 1 : Au sein des partis d’opposition, du vôtre en tout cas, on sent qu’une vague de changement va déferler. De la défaite à la rénovation, comment ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Je pense qu’une crise peut être une opportunité, à condition qu’on en tire un certain nombre de conséquences. Il me semble qu’il nous faut maintenant mener et gagner une triple bataille : la bataille de notre identité, que la droite redevienne enfin elle-même, qu’elle accepte sans complexe de se battre pour ses idées. C’est en grande partie la disparition idéologique d’une partie de la droite qui a expliqué la montée de l’exaspération d’un certain nombre de nos électeurs vers le Front national. Il faut continuer à gagner la bataille de la crédibilité. Il faut que l’on sache dans notre pays qu’un homme politique, sa parole a du poids, et qu’il la tient. Et puis enfin, il faut gagner la gigantesque bataille du renouvellement des hommes, des femmes, des candidats responsables. S’il y en a qui sont fatigués, eh bien, on en tirera les conséquences à regret, mais ils seront remplacés par de nouveaux. Et je voudrais, d’ailleurs, ce matin, lancer un appel à tous ceux que la politique a désespérés : ils peuvent aujourd’hui militer à nos côtés, et le faire dans des conditions d’honnêteté, de moralité et de transparence.

Europe 1 : Vous vous donnez combien d’années ?

Nicolas Sarkozy : Je crois qu’il faut que nous soyons prêts le plus rapidement possible. Disons que la fin de l’année serait un bon objectif pour avoir changé beaucoup de nos candidats, beaucoup de nos responsables, et être déjà en possession d’un programme de gouvernement qui représentera une véritable alternative par rapport au socialisme.

Europe 1 : Certains réclament une formation unique. Pour vous et Philippe Séguin, c’est deux, RPR et UDF, en un – deux en un – ou chacun le sien ?

Nicolas Sarkozy : Non. Je pense que le problème de la rénovation, ce n’est pas un problème de mécanique, c’est un problème de contenu. C’est plus difficile, c’est plus exigeant, mais croyez-moi, c’est plus porteur d’avenir.

Europe 1 : Un dernier mot. La gauche et des associations préparent pour samedi une grande manifestation pour défendre la démocratie et ses principes. Est-ce que des leaders de droite pourraient y participer ?

Nicolas Sarkozy : Certainement pas. En tout cas, moi, je n’y serai pas.

Europe 1 : Pourquoi ?

Nicolas Sarkozy : Je considère que la stratégie du front républicain ne sert qu’à une seule chose : à faire monter le Front national, à exaspérer une partie de notre électorat. Ce n’est pas en manifestant et en pétitionnant qu’on arrive à régler des problèmes. C’est en étant droit, sûr de ses convictions, en n’acceptant aucune compromission.