Texte intégral
France 2 le 19 janvier 1998
France 2 : On va tout de suite parler de la grève des instituteurs de demain : est-ce que vous savez d’ores-et-déjà à peu près combien de classes pourront être assurées ? Comment ce mouvement sera suivi ? Comment les enfants seront accueillis ?
Ségolène Royal : Le nombre de classes concerné, c’est toujours difficile à prévoir. De toutes les façons, les enfants doivent être accueillis à l’école, donc cela ne doit pas poser de problèmes pour les parents. Mais nous sommes bien sûr à l’écoute de ce qui se passe dans les écoles. Ce n’est pas pour nous une surprise parce que d’une certaine façon, je partage le point de vue des instituteurs qui ont été énormément revalorisés lorsque Lionel Jospin était ministre de l’éducation – plus de 30 % de revalorisation –, c’est-à-dire qu’il a été créé le corps de professeurs des écoles.
France 2 : Mais ils ne le sont pas tous encore.
Ségolène Royal : Voilà pour le nouveau recrutement. Et puis un plan d’intégration pour ceux qui étaient en place est prévu et qui s’étend, en effet, sur plusieurs années. Ce qui fait que, dans les écoles, pour le même travail, certains sont payés davantage que d’autres donc effectivement, cela pose quelques problèmes. Les contraintes budgétaires étant ce qu’elles sont, nous sommes très attentifs à accélérer ce plan d’intégration, mais c’est vrai qu’on ne peut pas tout faire tout de suite.
France 2 : Au-delà de ces revendications catégorielles, est-ce qu’il n’y a pas aussi un peu de politique ? Est-ce qu’il n’y a pas un peu de critiques de ce qu’on a appelé la méthode Allègre, de cette façon de faire parfois un peu abrupte qui a pu heurter ?
Ségolène Royal : Je ne crois pas, parce que les enseignants savent que l’éducation est revenue au premier rang des priorités gouvernementales, que dans un contexte budgétaire difficile, le budget de l’éducation a malgré tout augmenté. Ils ont d’ailleurs répondu très favorablement aux nouvelles actions que nous avons lancées, par exemple, le recrutement des emplois-jeunes dans les écoles, qui ont formidablement bien été accueillis par les enseignants. Je crois donc que nous sommes tous attelés à la même tâche : la lutte contre l’échec scolaire, contre l’ignorance, contre la violence et, de ce point de vue, il n’y a aucune ambiguïté sur ce qui nous réunit avec le corps enseignant.
France 2 : Justement la semaine dernière vous avez lancé la relance des ZEP – les zones d’éducation prioritaire –. Ce soir, vous allez étudier ce fameux rapport, dont on a déjà eu quelques bribes, sur les structures d’accueil des jeunes délinquants. Il y a un lien évident entre délinquance et échec scolaire. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Ségolène Royal : Je pense vraiment qu’il y a un lien évident : l’échec scolaire, l’ignorance sont source de violence et de rejet de l’école. Donc la responsabilité de l’école aujourd’hui est de maintenir coûte que coûte ce lien social, d’intégrer coûte que coûte les adolescents qui sont en situation de grande difficulté. Là, il faut d’abord revaloriser le rôle des enseignants qui travaillent dans ces quartiers extrêmement difficiles. Ce n’est pas tout à fait le même métier : c’est un métier qui devient plus difficile face à des adolescents qui ont beaucoup changé. C’est diminuer la taille des établissements, – nous avons divisé par deux les gros collèges car je me suis rendue compte que dans les structures à taille humaine les enfants étaient mieux encadrés ; c’est renforcer la présence des adultes, les infirmières, les assistantes sociales, les emplois-jeunes – j’en ai parlé tout à l’heure – et puis surtout, c’est de mettre en place un nouveau partenariat avec les familles. On a besoin des parents pour que les enfants réussissent, et même des parents qui, eux-mêmes, sont en grande difficulté, peuvent faire quelque chose pour la réussite de leurs enfants et pour l’éducation de leurs enfants.
France 2 : Parlons si vous le voulez bien un peu de politique : on vient d’évoquer la méthode Allègre. Aujourd’hui, c’est plutôt la méthode Jospin qui est mise un peu en difficulté. C’est dû à quoi ? Ce sont, comme dirait l’opposition, les difficultés d’une majorité plurielle ?
Ségolène Royal : Je crois que de toutes les façons, l’épreuve du chômage, le drame du chômage est aussi une épreuve pour un gouvernement parce que nous sommes là pour résoudre cette difficulté majeure. Moi, je le vois aussi dans l’école. Le chômage est déstructurant, le chômage ronge y compris la réussite scolaire, par exemple, lorsque les parents, par exemple, ne se lèvent plus pour préparer le petit déjeuner à leurs enfants, lorsque les grands frères ou les grandes sœurs qui ont fait l’effort d’avoir le baccalauréat, sont au chômage, les enfants perdent le sens de la réussite scolaire. Vous voyez que même à travers l’école, on voit que le chômage ronge la société tout entière. Et c’est une épreuve pour un gouvernement. Mais nous sommes là pour cela. Et depuis que le Gouvernement est en place, je n’ai pas vu une seule réunion de ministres animée par Lionel Jospin qui n’ait pas parlé du problème du chômage et de la réduction des inégalités.
France 2 : Est-ce que, comme Dominique Voynet, vous diriez : il faut comprendre les chômeurs ? Est-ce que vous les comprenez ? Est-ce que, comme Marie-George Buffet, vous approuvez certains de leurs mouvements ou pas ?
Ségolène Royal : Vous savez, il n’y a pas ceux qui comprennent et les autres. Je crois que nous sommes tous rassemblés autour de cette détresse profonde parce qu’on sait que si la société française veut rester debout, veut continuer à progresser, il faut que le chômage recule. C’est vrai aussi dans l’ensemble des pays européens. Donc tout ce que nous avons fait aujourd’hui est tendu vers cela. Les emplois-jeunes, la diminution des charges sociales et aujourd’hui le partage du temps de travail, ce sont des chantiers essentiels autour desquels l’ensemble de la Nation doit se rassembler. L’opposition aussi doit nous aider de ce point de vue, le patronat aussi doit nous aider de ce point de vue, parce que les entreprises sont concernées. Si le chômage continue à augmenter, les entreprises aussi seront mises en cause.
France 2 : Comment l’opposition peut vous aider : en étant moins critique ?
Ségolène Royal : En étant moins critique. Je crois que, quand on n’a rien d’autre à proposer, à ce moment-là, il faut aider le Gouvernement en place qui essaye de mettre en place des solutions. C’est vrai que nous sommes dans une société qui sait produire et qui ne sait pas partager, d’où la révolte.
France 2 : C’est un appel comme cela que va lancer mercredi Lionel Jospin ? Une espèce de sursaut de rassemblement ?
Ségolène Royal : Je ne sais pas parce que je crois qu’il prépare en effet des décisions, des annonces, mais en même temps cet appel-là, il l’a déjà lancé. Il va de soi. C’est une question de bons sens. Quand nous étions dans l’opposition, que la droite essayait de lutter contre le chômage, nous la soutenions à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, le partage du temps de travail n’a pas été essayé, il est source de création d’emplois si tout le monde s’y met. Tout le monde est sur le pont aujourd’hui. Donc construisons une société qui sait davantage partager le travail, les revenus, le temps de travail, les responsabilités. Je crois que c’est comme cela que nous avancerons.
Le Parisien le 20 janvier 1998
Le Parisien : Lors de la dernière rentrée scolaire, vous proposiez de faire entrer à l’école les médecins de quartier. Où en est cette proposition ?
Ségolène Royal : Ces mesures ont été confirmées au budget 1998. Les 20 millions de francs prévus vont permettre d’organiser de nombreuses vacations pour des médecins de quartier qui connaissent les enfants et peuvent responsabiliser les parents.
Le Parisien : Cela représente combien de postes ?
Ségolène Royal : C’est l’équivalent de 150 emplois qui vont venir renforcer les moyens de la médecine scolaire. Et un concours de médecin scolaire va permettre de pourvoir 60 postes.
Le Parisien : Les infirmières scolaires manifestent pour demander des renforts. Elles veulent 7 500 postes supplémentaires…
Ségolène Royal : Le principal effort du budget 1998 porte sur le recrutement, avec la création de 600 postes d’infirmières et d’assistantes sociales, soit davantage en une fois que pendant les quatre années précédentes. C’est un effort sans précédent et une première étape qu’il faudra poursuivre.
Le Parisien : C’est très en dessous de leurs revendications, ne craignez-vous pas de les décevoir ?
Ségolène Royal : J’aurai l’occasion très prochainement de m’adresser solennellement aux infirmières. Interlocutrices de proximité, elles répondent à un besoin profond de dialogue, elles dépistent les problèmes de santé, elles constituent le pôle de prévention de la maltraitance. J’attache beaucoup d’importance à leur rôle. Je viens d’ailleurs de rétablir leur droit à utiliser des médicaments, de type pharmacie familiale, que des instructions antérieures leur avaient retiré.