Interviews de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans "Le Parisien" et à TF1 le 2 septembre 1996, à RTL le 3 et à RMC le 11 septembre, sur la rentrée scolaire, les programmes scolaires, la lutte contre la violence à l'école, la situation des maîtres-auxiliaires et les débats dans la majorité.

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Le Parisien - 2 septembre 1996

Caroline Tanguy : La rentrée scolaire a lieu le 3 septembre pour les primaires, le 11 pour les lycées. Vous rendez-vous compte du casse-tête pour les mères de famille ?

François Bayrou : C’était la condition pour retrouver un vrai troisième trimestre. Jusqu’à cette année, le baccalauréat commençait fin mai ou début juin. Avec les conseils de classe un mois plus tôt, la fin de l’année était pour ainsi dire supprimée. J’ai donc pris la décision de reporter le baccalauréat à la fin du mois de juin, ce qui permet de travailler vraiment en mai et juin. Cette année, par exemple, la première épreuve du baccalauréat n’a eu lieu que le 18 juin. Mais avec les délais de correction, cela oblige à tenir les épreuves orales de rattrapage auxquelles participent tous les professeurs de lycée jusqu’à la mi-juillet. Il aurait été injuste que les professeurs de lycée aient deux ou trois semaines de vacances de moins que leurs collègues du collège. C’est la raison de ce décalage. Grâce à cette nouvelle organisation de la fin de l’année, on a gagné peut-être 10 % de temps scolaire supplémentaire. On pourra enfin terminer les programmes.

Caroline Tanguy : J’ai repris les chiffres de l’année dernière : 10 jours de vacances à la Toussaint, 13 jours à Noël, 15 jours en hiver, 14 jours au printemps et 3 mois de vacances d’été pour les élèves des collèges et des lycées parisiens qui sont centres d’examen. Plus les ponts. Comment, concrètement, des mères de famille, des parents peuvent-ils gérer toutes ces vacances ? Que faire des enfants pendant tout ce temps ?

François Bayrou : On est paradoxalement le pays du monde qui a le plus de vacances et le plus d’heures de cours en même temps. Ce qui est une absurdité complète.

Caroline Tanguy : Tout le monde le reconnaît.

François Bayrou : Vous allez avoir l’occasion de vous exprimer sur ce sujet-là, notamment avec des enseignants. Les parents doivent faire entendre leur voix. Le ministre de l’Education nationale n’a pas pour mission d’imposer aux usagers de l’école des choses qu’ils ne souhaitent pas. Si vous voulez que les rythmes de l’école changent, il va falloir le dire. Car pour le moment, je suis saisi de demandes contradictoires. Vacances pour les uns, pas de vacances pour les autres, je remarque d’ailleurs, Madame Tanguy, et je vous le dis avec amitié, que votre argumentation n’est pas celle de l’enfant, mais celle du parent. Que vais-je faire de mes enfants ? Avez-vous dit. Alors qu’il faudrait se demander ce qui est scolairement de l’intérêt de l’enfant ?… J’ai été, agressé cette année par les responsables des stations touristiques sous prétexte que les vacances d’été commençaient trop tard. Et qu’en particulier le fait que le bac se termine en juillet a empêché un certain nombre de stations d’être fréquentées pendant la première quinzaine du mois. Voilà un des casse-tête du ministre de l’Education nationale ! Alors nous allons avoir cette année un grand débat avec les familles sur les rythmes scolaires. Vous allez pouvoir vous exprimer sur les vacances, et moi je suis tout à fait prêt à changer ce qui doit l’être.

Sarah : Pourquoi n’a-t-on pas en France, comme dans certains autres pays, les matières intellectuelles le matin, les activités sportives et artistiques l’après-midi ?

François Bayrou : C’est ce qu’on est en train de mettre en place depuis un an et demi. Cette année, cette nouvelle organisation concerne deux cents communes, l’année prochaine l’expérience sera étendue à deux départements entiers que je choisirai courant octobre.

Caroline Tanguy : Mais, qui suit ces nouveaux rythmes, le ministère de la Jeunesse et des sports ou celui de l’Education ?

François Bayrou : Les deux ministères. Et ce n’est pas de trop. Mais, c’est évidemment le ministère de l’Education nationale qui coordonne l’organisation du temps scolaire... Tout cela implique une organisation nouvelle et différenciée. Car les enfants des grandes villes n’ont pas les mêmes attentes que ceux des campagnes.

Caroline Tanguy : Actuellement, le niveau scolaire baisse…

François Bayrou : Madame Tanguy, d’où tenez-vous que le niveau scolaire baisse ?

Caroline Tanguy : On a fait repasser à des enfants le certificat d’études de nos grands-pères. Résultat : 3,9 fautes d’orthographes à l’époque, 14,8 actuellement. Conjugaison, grammaires, le niveau est également en baisse. Pour moi, c’est un nivellement par le bas. Pourquoi ?

François Bayrou : Il y a une seule discipline, en effet, dans laquelle je considère que le niveau a baissé, c’est le français écrit : la dictée, l’orthographe. C’est indiscutable. Pourquoi ? L’explication est très simple. Vous n’avez qu’à regarder votre propre vie : il y a quarante ans, le livre, l’écrit, jouait dans la société française un rôle majeur. Toute l’évasion, tout le rêve passaient par l’écrit, et tout le pouvoir aussi. Aujourd’hui tout passe par la télévision. Vous n’avez qu’à voir l’envie de télévision qu’expriment vos propres enfants. On a bien sûr le droit de dire non. En tout cas, moi j’essaie de dire non aux miens. Et puis, il y a eu aussi les ruptures culturelles de notre société, la présence de non-francophones qui ont une moindre habitude du maniement du français. Toutes ces raisons font que le niveau en orthographe a baissé durant le siècle. Mais je pense qu’il peut remonter. En revanche, on ne peut pas dire que le niveau ait baissé dans les autres disciplines. Ce n’est pas vrai en sciences, ce n’est pas vrai en langues vivantes. Le niveau en connaissance du monde s’est beaucoup amélioré lui aussi.

En tout cas, je souhaite qu’on rende à l’écrit et à l’orthographe une place majeure dans l’éducation. C’est même la raison pour laquelle, dès cette rentrée, l’enseignement du latin est offert à tous les élèves de cinquième qui le souhaitent, et partout en France. Pourquoi ? Pas seulement pour l’amour du latin, mais parce que c’est un des moyens, me semble-t-il, de découvrir les racines de la langue, c’est-à-dire l’orthographe. De la même matière, je vais essayer de concentrer à l’école primaire l’ensemble des enseignements autour de l’écrit. Y compris de l’écriture, de la lisibilité de l’écriture. Parce que je considère que la lisibilité de l’écriture est une discipline extrêmement formatrice pour l’esprit. Autrement dit, nous avons ce double mouvement à conduire : adapter l’école au monde dans lequel les enfants vont vivre et la recentrer autour de ce qui a toujours été sa mission. Voilà pourquoi on a raison de s’occuper d’orthographe, y compris dans le second cycle. L’orthographe jour, par exemple, un rôle majeur dans l’embauche, dans la capacité à trouver un travail.

Sarah : Comment se fait-il que les devoirs doivent toujours être faits à la maison et pas à l’école ?

François Bayrou : Depuis l’année dernière, il y a des études dirigées obligatoires tous les jours ou de l’aide aux devoirs à l’école primaire et en sixième. C’est même de mon point de vue une des réformes les plus importantes. Mais les enseignants considèrent parfois qu’ils n’ont pas le temps. Et je leur rappelle à ce propos qu’ils doivent respecter les dispositions qu’on a prises… Mais c’est aussi un problème d’aménagement des rythmes scolaires. Si on avait plus de temps à l’école, on serait moins pressé et moins obligé de concentrer beaucoup de choses dans un court laps de temps.

Marie-France Galland : Beaucoup de travaux de recherche ont été réalisés sur les rythmes, sur les besoins des enfants. Je suis étonnée que ces recherches ne soient pas vulgarisées tant auprès du public qu’auprès des enseignants.

François Bayrou : Voilà pourquoi le débat, cette année, va être important et, il faut bien dire, compliqué. Parce que, comme beaucoup de gens, Sarah m’interrogeait sur des matinées consacrées aux matières intellectuelles et des après-midi à l’expression artistique et sportive. Mais, lorsque j’ai voulu mettre en place cette organisation de manière généralisée, on m’a tout de suite dit que ce n’était pas juste et pas normal parce qu’on allait faire croire aux enfants que les matières du matin étaient plus importantes que celles de l’après-midi. Ce qui est faux, bien sûr. Quant aux études, elles sont en contradiction. Certaines prétendent même que l’attention fléchissant en fin de matinée et en début d’après-midi, il faudrait que l’éducation physique ait lieu à ce moment-là, les matières intellectuelles le matin et le soir. C’est un vrai casse-tête. Alors, je souhaite qu’on donne à chacun le maximum d’éléments de réflexion et que l’année qui vient nous permette d’avancer tous ensemble vers une solution généralisée.

Martine Bironneau : Puisqu’on parle d’aménagement du temps, j’aimerais savoir ce que vous comptez faire du rapport Fauroux. Ce travail renferme des mesures intéressantes, notamment à propos de l’allégement des programmes. Car, à l’école primaire, on nous en demande toujours plus. On nous demande de faire beaucoup d’orthographe et c’est normal, de faire des mathématiques, de faire des langues étrangères, de faire du sport, de la musique. C’est trop !

François Bayrou : Nous avons réécrit les programmes cette année – en les envoyant chaque fois aux instituteurs qui ont ainsi eu l’occasion de réagir – et vous allez voir qu’ils sont sérieusement allégés. Mais ce qui ne l’est pas, ce sont les livres de classe, parce qu’ils datent de dix ou quinze ans et que les enseignants suivent non seulement les programmes mais les livres. Et comme ils ne sont pas renouvelés, ils ont l’impression que les programmes ne changent pas ! Mais je vais aller encore plus loin que l’allégement des programmes. Et c’est une des dispositions du rapport Fauroux que je souhaite retenir. Je vais essayer de définir ce que doit être le niveau, ce que doivent être les compétences d’un enfant lorsqu’il sort de l’école primaire. Cela ne se fera pas sous forme de programme. Il ne s’agira pas non plus d’une somme de connaissances, mais d’une évaluation du savoir-faire. Savoir bien écrire et savoir bien compter. Autrefois il fallait savoir faire les quatre opérations et les règles de trois à la sortie du primaire. C’était une compétence. J’aimerais que l’on revienne à des choses aussi simples que celles-ci.

Ingrid : Le système scolaire a beaucoup évolué depuis une trentaine d’années. Aimeriez-vous entrer en seconde aujourd’hui ?

François Bayrou : D’abord, il faudrait que j’aie quinze ans… La question est plutôt : aimeriez-vous avoir quinze ans aujourd’hui ? Je trouve qu’en tout cas le second cycle est aujourd’hui un second cycle intéressant. Moi j’ai connu un temps où il fallait absolument être scientifique pour réussir. On considérait que si on n’était pas scientifique, on n’était bon à pas grand-chose. Or, cet état d’esprit a beaucoup changé en deux ou trois ans. Les nouveaux bacs, l’équilibre entre les disciplines ont fait qu’aujourd’hui on considère qu’on peut être un bon élève, bien entendu si on est un bon scientifique, mais aussi si on est un bon littéraire ou si on a envie de s’intéresser à la vie juridique, économique et sociale, ou encore si on est bon en technologie, etc. C’est un très grand progrès. Naturellement, je sais aussi que les lycéens sont confrontés aujourd’hui à des difficultés importantes qui tiennent à la société dans laquelle ils vivent et qui est largement déséquilibrée. En tout cas, j’ai un fils qui entrera en seconde l’an prochain. Il n’aura pas à regretter d’entrer dans ce nouveau lycée que je trouve plus équilibré que précédemment.

Ingrid : Comment pensez-vous réduire concrètement la violence à l’école ?

François Bayrou : Je ne vais pas faire la liste des décisions que l’on a prises. Mais je vais en rappeler quelques-unes. D’abord, une que tu vas pouvoir vérifier par toi-même, Ingrid. C’est année, le jour de la rentrée, dans tous les lycées de France, on commencera par étudier et par commenter tous ensemble le règlement intérieur. Pourquoi ? Parce que la remarque m’a été faite qu’un certain nombre d’élèves ignoraient ou se sentaient complètement étrangers aux règles de vie en commun, qui sont adoptées dans un établissement scolaire comme dans toute communauté humaines. Autrement dit, c’est un effort d’éducation civique qui va être fait. Deuxièmement, on pourra interrompre les cours lorsqu’il y aura un problème de violence ou de tension pour mettre les choses à plat et discuter entre professeurs et élèves. Troisièmement, et c’est une mesure qui me tient à cœur, je veux défendre l’autorité des enseignants. S’il n’y a pas d’autorité dans une communauté humaine quelle qu’elle soit, on n’avance pas. Et les élèves les plus fragiles se trouvent en danger car, d’une certaine manière, l’autorité protège les faibles. Quatrièmement, on va améliorer l’encadrement : par exemple, on portera à 5 000 le nombre des appelés volontaires pour encadrer les élèves dans les collèges et les lycées. Cinquièmement, on va donner aux nouveaux enseignants une formation particulière pour leur apprendre les réponses les plus justes lorsqu’ils se retrouvent dans une situation de tension ou de violence. Voilà les principales orientations que nous avons prises.

Marie-France Galland : Rien n’est prévu dans la formation des enseignants pour leur apprendre à gérer un groupe. Rien non plus ne prévoit comment travailler collectivement.

François Bayrou : Il existe heureusement un grand nombre d’instituts de formation des maîtres dans lesquels ces enseignements sont prévus. En tout cas tous devraient les avoir. Si ce n’est pas le cas, cela le sera dès cette année. Il est effectivement prévu de préparer les nouveaux enseignants à affronter ces situations de tension. S’il faut que je fasse des règlements pour que ces directives soient appliquées, je les ferai. Lorsque vous me dites que vous n’avez pas suffisamment de temps pour travailler en groupe, ce n’est pas vrai. J’ai donné une journée par trimestre à la disposition des chefs d’établissement.

Michèle Marion : Une journée par trimestre ne permet pas de gérer un projet, elle permet seulement de la mettre en place.

François Bayrou : Je ne peux pas considérer que tous les progrès de l’institution se font en supprimant des cours. Il est important que les élèves reçoivent le volume d’heures de cours prévu et que les enseignants assurent leur contrat.

Marie-France Galland : Excusez-moi, Monsieur le ministre, mais cette mesure date de quand ?

François Bayrou : De l’année dernière.

Marie-France Galland : Toujours le même problème de communication !

Claire Gallon : Lorsqu’on est mère de famille, cela donne une vision plutôt dispersée du corps enseignant. L’application des textes me semble un peu chaotique.

François Bayrou : Non, je ne crois pas qu’il faille dire cela. L’Education nationale est une entreprise qui compte plus d’un million de personnes. C’est une grande entreprise dans laquelle les problèmes de communication sont des problèmes majeurs et dans laquelle l’initiative de la base joue un rôle tellement important, et à juste titre, que parfois, les décisions nationales passent un peu inaperçues.

Jean-Marie Navarro : Face au nombre important d’élèves en difficulté, n’estimez-vous pas indispensable la création de vraies structures allant du CP à la classe de cinquième avec des équipes pédagogiques motivées, spécialement formées, même avec un statut particulier, pour aider les élèves en difficulté ?

François Bayrou : C’est indispensable, mais il faut éviter que ce soient des structures de relégation, d’exclusion. Qu’on prenne tous les élèves en difficulté pour les enfermer dans des lieux à part, ce n’est pas la solution. Je suis cependant, persuadé qu’il y a une réflexion à mener sur ce type de structure pour l’enseignement de la lecture et pour l’écriture. Pas pour toutes les disciplines, mais pour la lecture 86 % des élèves réussissent très bien à maîtriser l’écriture et la lecture et 10 à 15 % n’y arrivent pas. Or, on laisse ces derniers progresser dans le système comme s’ils maîtrisaient parfaitement ces deux matières. Et c’est pour eux un handicap quasi définitif. On doit trouver des solutions en amont pour ces élèves-là, à condition que ce ne soient pas des structures où ils resteront enfermés toute leur vie. Je considère qu’il y a là des remises à niveau très importantes à conduire. Pour l’instant ça n’existe pas assez ou pas du tout dans l’école française.

Martine Bironneau : Si on veut mettre en place ce genre de structure, il faut plus de personnel enseignant. Est-ce que l’on va vraiment dans cette direction avec les suppressions de postes ?

François Bayrou : Ces suppressions de poste interviennent au moment où on compte, depuis cinq ans, 50 000 élèves de moins par an. Il faut bien qu’à un certain moment les gestionnaires de l’État se posent la question du nombre des élèves. Et ils n’ont pas complètement tort. Même si j’ai beaucoup défendu le point de vue inverse, comme vous savez. Il y a des marges de manœuvre dans le système. C’est ainsi que je prends un engagement simple : malgré l’adaptation du monde de postes au nombre des élèves, il y aura l’année prochaine autant et j’espère même plus d’enseignants devant les classes qu’il y en a cette année. Je n’aurais pas accepté des mesures qui impliquent une baisse de l’encadrement.

Claire Gallon : Je m’étonne que dans mon département il n’y ait pas de service de santé scolaire qui pratique des dépistages en maternelle.

François Bayrou : Vous n’allez pas dire qu’il n’y a pas de dépistage ! Lorsqu’un enseignant est confronté à un problème de santé ou d’ordre psychologique, il appelle les services spécialisés. N’est-ce pas Madame Bironneau ? Vous ne laissez pas un enfant qui présente un problème sans appeler la psychologue ou l’assistante sociale ?

Martine Bironneau : Cela fait partie de notre rôle mais c’est vrai que l’on a beaucoup de mal à joindre un médecin scolaire au moment où l’on en a besoin parce que ce sont des gens très occupés.

Michèle Marion : Pour aller dans ce sens, que comptez-vous faire pour que l’école ne remplace pas à elle seule la famille, la justice, la police… mais qu’elle remplisse pleinement sa mission d’éducation intellectuelle et culturelle ?

François Bayrou : L’école à elle seule ne peut résumer l’ensemble des réponses de la société aux besoins des enfants. Quand on a des problèmes de santé, il y a des médecins. Les choses sont souvent présentées comme si tout devait venir de l’institution. Ce n’est pas mon avis. Chacun doit se regarder comme un acteur de l’institution et pas comme un consommateur. Et après tout, quand on est en charge de l’éducation civique de l’enfant, on peut aussi avoir cette attitude-là. Être un citoyen, qu’est-ce que c’est ? C’est être responsable du monde dans lequel on vit. Et non pas être devant ce monde comme un consommateur devant un distributeur automatique, prêt à fournir immédiatement ce qu’on lui demande. C’est une aspiration légitime que de vouloir le meilleur service public possible et c’est une aspiration légitime que de ne pas vouloir étouffer un pays sous les impôts. Il faut trouver l’équilibre entre les deux. Si j’avais à définir les deux missions majeures de l’école, je dirais maîtrise lecture-calcul – ça c’est une mission essentielle – et éducation civique. Qu’on ait, dans l’école des enfants formés à la citoyenneté. Ça vous paraît idéaliste, moi ça me paraît essentiel. Il n’y a pas un cours qui ne soit un cours d’éducation civique. La seule présence de l’enseignant dans sa classe est en soi un cours d’éducation civique.

Sylvie Barataud : J’enseigne dans un quartier difficile. Quand je reçois des parents, une bonne partie ne parlent pas français. Comment puis-je dialoguer avec eux ?

François Bayrou : Il y a des personnes dont c’est le métier de connaître les familles non-francophones et d’aller les rencontrer. J’ai souhaité qu’il y ait le plus souvent possible des médiateurs entre l’école et la famille. On a en tout cas essayé de le faire dans les écoles les plus difficiles.

Claire Gallon : Comment faire pour intégrer un enfant handicapé dans une classe ? Alors que les textes le permettent, j’ai un exemple précis où il a fallu des manifs pour qu’on réduise le nombre d’enfant à quinze dans la classe afin que soit accueilli une enfant trisomique.

François Bayrou : J’ai décidé que dans le décompte des élèves d’une classe, on pourrait prendre en compte le handicap d’un enfant pour alléger l’effectif de la classe. C’est un pas important pour permettre cette intégration.

Claire Gallon : C’est très bien. Les textes sont toujours très bien. Le problème, c’est leur application. Et puis si vous supprimez des postes, comment allez-vous faire ?

François Bayrou : Je vous ai dit que je ne supprimerai pas de postes devant les élèves.

Martine· Bironneau : Depuis un certain nombre d’années, nous étions arrivés à des effectifs nous permettant de faire un bon travail. Tous les ans on a une classe menacée de fermer ou qui ferme. Donc on revient à des classes à double niveau et à des conditions de travail plus difficiles…

François Bayrou : Je vous le répète : depuis que je suis à ce poste, il y a eu tous les ans plus de classes ouvertes que l’année précédente. Et cela continuera. N’oublions pas, pour être juste, de faire aussi la liste, de tout ce qui réussit dans l’éducation ! En tout cas, une chose est certaine : dès qu’on passe les frontières, l’Education nationale française est présentée comme un modèle universel. Je reçois toutes les semaines des ministres de très grands pays industrialisés venus voir comment est organisée l’Education nationale française qu’ils considèrent comme une réussite exceptionnelle. Il est naturel que des insatisfactions s’expriment. Mais il faut aussi défendre l’école et ceux qui la font. Il est particulièrement crucial de le faire auprès des enfants. S’ils sentent que l’école est respectée, elle sera plus importante à leurs yeux.

 

TF1 - Lundi 2 septembre 1996

TF1 : Cours préparatoire : pour vous, le maître-mot, c’est la lecture, la lecture pour tous ?

F. Bayrou : C’est, me semble-t-il l’un des enjeux les plus importants de l’école. Vous avez sans doute aperçu que le président Clinton, dans son discours d’investiture, a fait de l’éducation le sujet central avec la lutte contre l’illettrisme. Il n’y a pas de sujet plus important, en réalité, pour éviter l’exclusion et pour être un pays performant, que de réussir à donner à chacun le bagage nécessaire. Et c’est particulièrement cruel quand c’est la lecture qui manque, parce qu’on ne peut plus rien faire après sans cela. Et donc, cette année, on va essayer de focaliser tous les efforts, de concentrer tous les efforts sur le cours préparatoire – ce qu’on appelle le cycle 2 au sein de l’Education, c’est-à-dire, les années où l’on apprend la lecture – pour essayer, lorsqu’on aura un échec, de pouvoir répondre tout de suite et de trouver la meilleure réponse possible dans l’urgence, sans perdre du temps et laisser passer les années.

TF1 : Dans le second degré, et là, assez vite : latin. Vous voulez que le latin fasse son retour ?

F. Bayrou : Vous savez bien ce qu’il en est : on essaye de donner à chacun d’abord la culture générale, et puis la langue française, parce que si on ne peut pas exprimer construire une idée, on n’y arrivera pas. Et un des outils les plus efficace qu’on ait trouvé pour la langue française, c’est de donner à chacun la possibilité d’en découvrir l’histoire, l’histoire des mots qui composent notre langue. Et le latin, ça n’est pas autre chose que cette remontée dans l’histoire des mots. Et, pour la première fois depuis 35 ans, je crois, on va de nouveau enseigner le latin aux enfants de 5e.

RTL : J’ai plutôt le souvenir d’E. Faure qui en 68 avait dit que c’était fini, que c’était à mettre aux oubliettes.

F. Bayrou : On m’a raconté à ce propos que le président Pompidou, quand E. Faure avait fait ça, l’avait reçu et lui avait dit : toute votre réforme est très bien, une seule chose, remettez le latin en 5e. Il aura fallu 35 ans pour qu’on puisse le faire. Ça n’est pas le latin pour le latin, ce n’est pas un signe vers le passé, c’est un signe vers l’avenir. Les enfants que nous construisons, à qui nous donnons les chances de la vie, sont des enfants qui connaîtront mieux leur langue. Il y en a plus du tiers qui ont choisi de découvrir le latin.

TF1 : Vous dites souvent que vous ne voulez pas mettre votre nom derrière une énième réforme de l’Education nationale. Un sondage de CSA pour le magazine Sélection dit que 3 Français sur 4 seraient pour des vraies réformes en profondeur dans l’Education nationale, et 59 % disent qu’ils ne sont pas du tout opposés à ce qu’on supprime le baccalauréat pour le remplacer par un contrôle continu des connaissances. Quand va disparaître ce baccalauréat dont on s’aperçoit qu’il est un peu donné à tout le monde ?

F. Bayrou : Là, je suis en désaccord avec eux. Je considère que le baccalauréat, l’épreuve, l’initiation que constitue l’épreuve, avoir à sauter un obstacle, avoir à faire un effort, y compris, s’il le faut, avoir peur, prendre sur soi-même, c’est excellent pour la vie. Croire que les choses iront mieux s’il n’y a pas d’épreuve, c’est me semble-t-il, se tromper et se tromper en tout cas de siècle. Donc, je suis un défenseur de l’épreuve. Je suis un défenseur du baccalauréat. Je trouve que c’est une belle institution française et qu’elle donne aux élèves des clés pour leur avenir. Elle leur montre, si vous voulez, en modèle réduit, ce que seront toutes les épreuves de leur vie ultérieure. Dans la vie, il y a des rendez-vous. Il y a des moments où on fait le bilan, où on se rend compte, où on est obligé de regarder en face pour savoir si ce qu’on a fait est bien, si cela suffit ou pas. Et donc, moi, je suis de ceux qui défendront le Bac, même si 59 % des Français étaient contre. J’appartiens aux autres 41 %.

TF1 : 20 000 personnes vont se retrouver au chômage, les maîtres-auxiliaires. Pourquoi n’arrivez-vous pas à faire de transvasement ?

F. Bayrou : Les syndicats sont dans leur rôle, ce n’est pas moi qui vais leur reprocher de jouer ce rôle. Il y a une politique commencée depuis longtemps, avant moi, qui est une politique, je crois, juste. On s’est plaint si longtemps qu’il y ait des auxiliaires dans l’Education nationale, en disant « il faut les remplacer par des titulaires », c’est-à-dire des enseignants qui réussissent au concours et qui s’engagent de manière définitive comme titulaires au sein de l’Education nationale. Alors, lorsqu’on met des titulaires, évidemment, cela supprime des postes d’auxiliaires.

TF1 : Et les heures supplémentaires ?

F. Bayrou : Ce n’est pas ça l’important C’est vrai qu’il y a des heures supplémentaires, un certain nombre d’entre elles, on en a évidemment besoin, pour des options en particulier, c’est vrai qu’on peut transformer des postes, je l’ai fait. Mais, vous le savez bien, le problème central aujourd’hui de la société française, comme toutes les autres sociétés développées, c’est que la dépense publique est trop importante et que, partout dans le monde, on essaie de faire en sorte qu’on allège un peu les impôts. Donc, il faut qu’on fasse un peu moins de dépenses publiques. Il faut.

TF1 : … on crée du chômage supplémentaire !

F. Bayrou : Ce n’est pas du chômage supplémentaire parce que les auxiliaires sont remplacés par des titulaires, ce sont des jeunes reçus au concours qui enseigneront et, d’ailleurs, un certain nombre de ces auxiliaires – ils sont plus de 5 000 cette année – ont été, eux-mêmes, reçus au concours que j’ai ouvert spécialement pour eux. Parce que, dans le même temps, on se préoccupe de leur avenir, et on a donné des droits nouveaux à ceux qui avaient enseigné pendant plusieurs années. C’est donc normal qu’on essaie de faire en sorte que chacun d’entre eux puisse à l’avenir prendre sa chance.

 

RTL - Mardi 3 septembre 1996

RTL : Dix millions d’écoliers et de collégiens entrent à l’école dans quelques instants, avez-vous le trac ?

F. Bayrou : Non, je trouve que c’est un jour heureux. J’ai le sentiment que, pour la plupart d’entre eux, retrouver l’école, c’est au fond agréable et stimulant, et pour le ministre aussi.

RTL : Quelle est, aujourd’hui, votre orientation prioritaire ?

F. Bayrou : La lutte contre l’illettrisme, c’est prioritaire. C’est le problème de notre temps, pas de la France mais de tous les pays développés : l’écrit occupe de moins en moins de place dans les préoccupations des jeunes parce que la télévision, bien entendu, a remplacé l’écrit, parce qu’elle offre le rêve et le prestige. Donc, il faut absolument que nous arrivions à trouver le moyen, et nous les Français, les premiers, plus que les autres et avant les autres, que nous trouvions le moyen d’offrir à tous les jeunes la maîtrise la meilleure possible de la lecture et de l’écriture. Je ne sais si vous avez observé que le discours d’investiture du président Clinton a été presque entièrement consacré à ce sujet. Il est vrai que l’Amérique a des problèmes plus importants que les nôtres et que notre système éducatif se compare sans aucun problème, avantageusement à celui de tous les autres grands pays du monde. Mais je suis persuadé qu’on nous attend là. D’une certaine manière, nous avons un rendez-vous avec les jeunes sur ce problème de l’illettrisme.

RTL : Le plan de prévention de la violence à l’école devrait entrer en application…

F. Bayrou : Entre en application aujourd’hui, oui.

RTL : Pensez-vous que le rappel des élèves à leurs devoirs sera vraiment entendu ?

F. Bayrou : Moi, je pense que c’est en tout cas très important parce que tout le monde observe qu’un des problèmes qui crée la violence, la violence qui vient de l’extérieur et qui entre dans l’école, elle vient de la société française et elle entre dans l’école. L’un des problèmes qui crée cette violence, c’est l’absence de repères.

RTL : En un jour, peut-on imposer des repères ?

F. Bayrou : Je n’ai pas dit en un jour, mais c’est déjà mieux que de ne pas le faire. Il faut le faire au travers du temps en expliquant aux jeunes que c’est la loi, d’une certaine manière, qui les protège et les libère. C’est le contrat, les règles de vie en commun qui font que, naturellement, ils trouveront mieux leur place dans la vie, qu’ils ont des droits, des devoirs et que dans une société humaine, les droits et les devoirs vont ensemble.

RTL : On a l’impression que vous privilégiez l’expérimentation, d’où l’impression d’une école à la carte. Cela ne nuit pas à la conception d’une éducation une et indivisible ?

F. Bayrou : Au contraire. L’expérimentation, cela précède la généralisation. Je prends un exemple : l’an dernier, nous avons expérimenté l’initiation aux langues vivantes pour les élèves de sept ans à partir du cours élémentaire. On est le premier pays du monde à faire cela, tous les jours, un quart d’heure de langue vivante. C’était expérimenté l’an dernier sur 20 % des classes. Ce sera généralisé, j’espère, à toutes les classes, en tout cas à un très grand nombre. Il y a 500 000 élèves qui, cette année, vont vivre une initiation de tous les jours, quotidienne, aux langues vivantes. Un pays qui est capable – le premier dans le monde – d’offrir à ses élèves les plus jeunes la découverte d’une autre langue vivante, c’est un pays qui sait à la fois manier l’expérimentation et la justice, l’expérimentation et l’égalité.

RTL : Cela donne l’impression que vous conduisez une politique à petits pas. Ne faudrait-il pas repenser plus globalement l’Education nationale ? Une majorité de Français demande une réforme plus profonde.

F. Bayrou : Je suis opposé à la brutalité.

RTL : Ça ne veut pas forcément dire brutalité.

F. Bayrou : Je ne crois pas que l’on puisse changer les choses autrement qu’avec les acteurs, ceux qui, sur le terrain, familles, enseignants, sont chargés de conduire et de porter la mission d’éducation nationale. Cette rentrée, c’est la rentrée des réformes qui se font ; pas des réformes dont on parle, des réformes qui se font. C’est vrai à la fois dans l’enseignement primaire, je viens d’évoquer les langues vivantes, j’aurais pu parler des études de tous les jours. J’aurais pu parler du collège nouveau, de la nouvelle sixième qui est entrée en vigueur l’année dernière et cette année, c’est la nouvelle cinquième avec une option latin offerte à un très grand nombre d’élèves, tous ceux qui l’ont voulue en France. Du nouveau lycée avec le nouveau Bac que l’on a eu et la politique d’orientation que nous allons conduire cette année et surtout, de la grande réforme universitaire que nous allons mettre en place. Tous les secteurs de l’éducation ont été concernés par cette réforme. Le mouvement est une réalité et ce mouvement, permettez-moi de le dire, il est accepté par ceux qui portent la responsabilité de l’Education nationale. Lorsqu’on réussit en peu d’années à mettre en place une réforme qui touche tous les secteurs de l’éducation et qui est vérifiable par chacun, d’une certaine manière on peut dire qu’on a rempli la mission de réforme.

RTL : La rentrée 1996 est marquée par une forte grogne des enseignants à qui vous demandez par ailleurs qu’on fasse confiance. Est-ce compatible ? Vous font-ils confiance à vous ?

F. Bayrou : Oui. Je défends la confiance faite aux enseignants. D’une certaine manière, il est légitime que je sois leur avocat et que je dise qu’une école qui réussit, c’est une école dans laquelle les Français, les familles, les parents, les élèves, ont confiance. Par ailleurs, il y a des discussions sociales. C’est un secteur propice à ce genre de discussion.

RTL : Sur les suppressions de postes, par exemple, que dites-vous aux enseignants ?

F. Bayrou : Je dis une chose toute simple : nous n’avons cessé de créer des postes ces dernières années alors que le nombre des élèves baissait. Mon engagement est clair : il n’y aura pas moins de moyens humains pour l’éducation l’année prochaine que cette année. Les enseignants qui sont devant les élèves seront aussi nombreux et j’espère plus à la rentrée prochaine que cette année. D’une certaine manière, c’est par une organisation différente que nous allons réussir à absorber cette adaptation du nombre des enseignants. Je veux vous rappeler qu’en cinq ans, c’est 250 000 élèves de moins que nous avons eus. Il n’est pas illégitime non plus que l’on cherche à, comment dirais-je, tenir compte de cette diminution du nombre des élèves pour avoir une adaptation de la charge publique, c’est-à-dire de la dépense publique pour les enseignants. Mais de ce point de vue-là, je le répète, les moyens de l’éducation ne seront pas affectés.

 

RMC - Mercredi 11 septembre 1996

RMC : À entendre tant de responsables politiques de la majorité critiquer sévèrement le Gouvernement auquel vous appartenez, avez-vous le sentiment, quand vous vous levez le matin, que l’on peut encore parler de majorité qui vous soutienne ?

F. Bayrou : Pouvons-nous reprendre ensemble le cadre de ce que nous vivons en cette rentrée ? Il y a, me semble-t-il, un contrat entre les Français et le Gouvernement, les Français et la majorité. Ce contrat porte, je crois, sur trois points.

1. Il faut faire les réformes qui pour l’instant bloquaient le développement de la France et notamment l’emploi. On est en train de les faire : Education, Sécurité sociale, fiscalité, défense, et d’autres dossiers.

RMC : Et le chômage continue à monter.

F. Bayrou : 20 000 de moins dans le mois qui s’est écoulé. On essaie donc de faire les réformes dans cette direction, l’emploi.

2. Pour l’emploi, on fait des réformes en essayant de stabiliser la dépense publique. On le fait, car on s’est aperçu que dans tous les pays au monde – tous ceux qui sont gouvernés par la gauche comme ceux qui le sont par la droite – trop d’impôts ça tue l’emploi et trop de dettes aussi.

3. On donne à la France un grand horizon : se développer avec l’arme et l’atout de l’Europe dans le XXIe siècle. Trois buts, donc : réformes, stabilisation de la dépense publique et Europe, les trois fondamentaux. Et le Gouvernement suit ces fondamentaux. Ceux-ci sont ceux du contrat entre la majorité et le peuple. C’est pourquoi, il me semble qu’il faudrait, aujourd’hui, une cohérence et une cohésion de la majorité pour soutenir ces fondamentaux. J’étais hier avec les parlementaires de ma famille politique qui, eux, viennent du terrain, sur la même ligne, qui savent que ce n’est pas le moment de commencer ou de recommencer les éternelles disputes de la majorité !

RMC : Mais on n’a jamais vu autant de disputes depuis des années !

F. Bayrou : Il me semble qu’un mouvement de conscience et de responsabilité devrait intervenir aujourd’hui chez ceux qui portent la responsabilité de la majorité. Un mouvement de solidarité aussi. Si nous croyons que nous allons pouvoir mener à bien les réformes en nous laissant aller aux vieux démons de la division, nous nous trompons.

RMC : C’est un appel que vous lancez aux dirigeants de la majorité ?

F. Bayrou : C’est de l’intérêt de la majorité. C’est un appel que tout le monde doit entendre dans la majorité. Tous ceux qui ont, par leur crédit, leur influence, une responsabilité dans la conduite des affaires de la France, doivent, me semble-t-il, se réunir au lieu de succomber aux tentations d’autrefois. Ou alors, qu’ils se mettent d’accord pour proposer une autre politique et d’autres axes fondamentaux. Je note que, pour l’instant, personne ne le fait. Ce sont des critiques contradictoires dirigées contre l’action qui répond au contrat passé entre le Gouvernement et les Français. Un contrat qui porte sur les réformes, sur la manière de les conduire et sur l’horizon vers lequel nous allons.

RMC : Quand on entend des gens comme Léotard, Pasqua, Madelin, Séguin et d’autres, critiquer l’actuel Gouvernement et que 66 % des Français, 2 sur 3, se déclarent déçus de l’action du Gouvernement, vous pensez quand même que vous avez raison et qu’il faut continuer ?

F. Bayrou : Je pense qu’il y a, aujourd’hui, à tenir bon pour conduire la politique à son terme. Tous les Français savent que, dans leur vie personnelle, quand ils font un effort, cet effort ne paie pas naturellement le premier jour. Cet effort demande des mois et quand il s’agit d’un pays, des années.

RMC : Ils l’entendent depuis mille ans, ça !

F. Bayrou : Oui. Ce gouvernement est là depuis 18 mois, la majorité est là depuis 3 ans. Je dis que les axes principaux de la politique, depuis 1993, répondent à un contrat passé avec les Français. Alors, ou bien on change le contrat, ou bien on revient à la solidarité. Et c’est à cette dernière que j’appelle.

RMC : J.-M. Le Pen a réaffirmé que « les races n’étaient pas égales entre elles » et H. Emmanuelli a demandé « l’interdiction de ce mouvement, en application des lois de la République ». Pensez-vous qu’il y a des raisons à cette demande et y souscrivez-vous ?

F. Bayrou : Je pense que cette idée est odieuse.

RMC : Laquelle ?

F. Bayrou : Que « les races sont inégales ». Je pense que cette unité qui porte atteinte à ce que nous croyons de plus profond et qui est l’égalité des hommes, des enfants, des femmes, quelle que soit la couleur de la peau, cette idée est épouvantable. Je pense aussi que si Le Pen la lance, c’est par provocation. Et ce serait succomber à cette provocation pour le mettre en valeur que de se lancer dans la mauvaise réponse, à mon avis, qui est l’interdiction de cette formation politique.

RMC : 1 750 000 lycéens rentrent ce matin. Comprenez-vous les professeurs qui ont décidé, ensemble, de faire grève le 30 septembre pour manque de moyens, car vous allez supprimer des postes dans le secondaire et le primaire ?

F. Bayrou : Nous n’allons pas supprimer.

RMC : Vous l’avez annoncé.

F. Bayrou : Nous n’avons pas supprimé de postes et je n’en supprimerai pas. Les postes sont devant les élèves et vous voyez bien qu’ils sont à la dimension de ce dont on a besoin. La rentrée se passe bien, contrairement à tout ce qui a été annoncé. Chacun peut le vérifier. Le nombre d’élèves par classe est allégé et il continuera à l’être, malgré la stabilisation des effectifs. Ce que nous allons gagner comme économie dans la gestion, nous le ferons dans l’organisation de l’Education nationale. Mais les postes devant les élèves ne seront pas touchés. Je crois que c’est le plus important à dire. Cette rentrée qu’on annonçait difficile est en réalité une rentrée qui s’est bien passée parce que les moyens du service public de l’Education nationale sont là pour faire face aux besoins et ils continueront à être là. L’engagement que j’ai pris, c’est que les moyens d’enseignement ne seront pas affectés par les mesures d’économies qui sont nécessaires à l’Education nationale comme ailleurs. Mais je signale que, parmi tous les budgets français, l’année prochaine, le budget qui augmentera le plus, on aura l’occasion de le vérifier, c’est celui de l’Education nationale.

RMC : Les syndicalistes ne comprennent pas qu’il y ait 800 000 heures supplémentaires payées à l’Education nationale et que l’on n’affecte pas des professeurs auxiliaires qui ne trouvent pas d’affectation.

F. Bayrou : Les maîtres, les professeurs, auxiliaires, ce sont des remplaçants. Ce sont des remplaçants de professeurs absents. Il est normal que le jour de la rentrée, il y ait moins de professeurs absents qu’au creux de février ou mars quand les grippes interviennent. Un très grand nombre de professeurs auxiliaires, des remplaçants auxiliaires, trouveront un travail dans les mois à venir et en effet, les groupements d’heures seront là pour ça. Mais je veux rappeler que c’est une politique qui a été voulue par les gouvernements successifs de gauche et de droite, de faire que, devant les élèves, il y ait des professeurs qui ont été reçus au concours, qui ont montré qu’ils avaient le niveau de compétence. Ce qui ne veut pas dire que les auxiliaires soient, de ce point de vue, à écarter. Nous avons organisé pour eux des concours particuliers pour qu’ils puissent devenir titulaires de la fonction publique.

RMC : Vous allez décerner, aujourd’hui, le prix L. Germain, à la suite d’un concours où les jeunes élèves écrivaient à leur maître pour leur dire merci.

F. Bayrou : Il y a beaucoup de dimensions dans l’Education nationale, mais il y a, en particulier, une dimension humaine et chaleureuse, un lien extraordinaire qui nous a tous marqués, qui s’est créé entre tel enseignant et tel enfant Nous avons pensé qu’on pouvait donner l’occasion aux enfants de dire merci à leur instituteur ou à leur professeur, de dire combien ils avaient changé leur vie. Et au travers des générations, de leur tendre la main, pour leur dire qu’on pensait à eux. Je crois que c’est une belle entreprise et c’est un beau prix et un beau succès.