Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, à RTL le 24 septembre 1996, sur l'Union économique et monétaire notamment le pacte de stabilité budgétaire et sur la parité monétaire entre le franc et le mark.

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RTL : Le Premier ministre a annoncé qu’il engagerait la responsabilité de son Gouvernement, la semaine prochaine, à l’Assemblée ?

J.-P. Chevènement : Très bien ! Je considère que c’est une bonne chose. Chacun prendra ses responsabilités. Il va de soi qu’il y a dans le pays une masse considérable de gens qui rejettent fermement cette politique telle que l’exprime le projet de budget qui vient d’être rendu public. Plus grave encore, et c’est ce que les Français ne semblent pas soupçonner, c’est qu’il y a, à l’arrière-plan – on vient de le voir avec le conseil des ministres des finances qui s’est tenu, ce dimanche, à Dublin – il y a, à l’arrière-plan, ce que j’appellerais des vœux d’austérité perpétuelle. La France a accepté de l’Allemagne ce fameux Pacte de stabilité qui plafonne à moins de 3 % du PIB le déficit budgétaire pour le reste des temps à venir. Ça veut dire qu’on refuse désormais d’utiliser le budget comme arme anticyclique, diraient les économistes, comme moyen de lutter contre la récession. Cela veut dire qu’on institutionnalise la déflation. Cela veut dire, naturellement, qu’on encourage les délocalisations industrielles. On veut absolument maintenir une monnaie aussi forte que le mark. On va vers l’explosion du chômage, des inégalités. C’est vraiment le triomphe de l’Europe des banques, car dans cette Europe-là, c’est la Banque centrale européenne, indépendante. On sait que la Banque de France l’est déjà, que c’est Monsieur Trichet, le gouverneur de la Banque de France, qui fait la politique monétaire. Mais demain, c’est une Banque centrale européenne indépendante, à Francfort, qui fera la politique monétaire. Et en même temps, on se prive de l’arme budgétaire. On n’a plus d’arme ! C’est-à-dire qu’il y a une démission des hommes politiques qui, moi personnellement, me choque profondément. Ensuite, on vient se plaindre de ce qui ne va pas : de la montée du chômage, de Le Pen, etc. Mais cette politique-là, a-t-on bien réfléchi aux conséquences qu’elle porte en elle ? On n’a pas résolu le problème de la parité avec le dollar.

RTL : Est-ce que ça ne sera pas plus facile, une fois qu’il y aura une monnaie européenne commune ?

J.-P. Chevènement : Mais pas du tout ! Parce que les Allemands ne sont pas du tout prêts à s’affronter avec les États-Unis d’Amérique. Les Allemands ont un énorme excédent commercial, ils ont des industries qu’on appelle monopolistiques, parce que les machines-outils allemandes on n’en fait pas d’autres ailleurs. Donc, même si le prix est renchéri, on les achète quand même. Pour la France, ce n’est pas pareil. Pour vendre nos Airbus, il y a la concurrence des Boeing ; pour vendre nos bagnoles, il y a la concurrence de Volkswagen et de Fiat qui mènent la course en Europe. Par conséquent, on est en train d’asphyxier l’économie française et, à terme, avec ce conseil de stabilité que Monsieur Arthuis propose, cela veut dire la mise en tutelle de toutes nos politiques, parce qu’à partir du moment où le budget n’a plus aucune espèce de marge – on le voit dès cette année – où on supprime crédits et emplois publics, naturellement, c’est l’État qui est mis à la portion congrue. C’est ce qu’on appelle l’État modeste, c’est le démantèlement des services publics et de la protection sociale.

RTL : J. Arthuis répond que, de toute façon, ce n’est pas pour l’Europe, mais pour lutter contre les déficits. Même s’il n’y avait pas eu l’Europe, on aurait été obligé de lutter contre ces déficits et d’en venir à bout. On ne pouvait plus continuer sur cette pente ?

J.-P. Chevènement : C’est une mauvaise présentation. L’Europe, on la met à toutes les sauces, on finira par dégoûter les Français de l’Europe. Personne n’est obligé à mettre le franc dans un rapport de parité fixe avec le mark qui est la monnaie la plus surévaluée du monde, de 25 à 30 % par rapport au dollar. Quand on s’accroche au mark, on est beaucoup moins compétitif que les Américains, mais aussi que les Italiens, les Espagnols, les Britanniques, qui ont des marges de dévaluation compétitive. Ça, on dit que c’est l’Europe. Mais qui a dit que c’était l’Europe ? Non ! C’est une manière de disqualifier l’Europe et je pense que, aujourd’hui, on peut réduire les déficits en augmentant le niveau de l’activité économique.

Il est évident que si on vendait plus facilement, s’il y avait une activité économique plus soutenue, les rentrées fiscales augmenteraient aussi. Il y aurait un processus vertueux de croissance. Mais on y a renoncé. Moi qui suis ancien ministre de l’Industrie, je peux vous dire que la production industrielle, depuis 1980 – je dis bien en France ! – n’a pratiquement pas bougé. Depuis 1990, si on prend 1990 comme année de base, indice 100, nous sommes, aujourd’hui à indice 95. C’est-à-dire que nous produisons moins de produits industriels, aujourd’hui, qu’il y a six ans. Voilà la réalité qui est dissimulée. Il faut le dire aussi : c’est seulement par une riposte citoyenne qu’on pourra faire reculer cette mise en tutelle de toutes nos politiques ; cet avenir extrêmement sombre où la France, peu à peu s’efface ; car ce qui est programmé, c’est la fin de la France. Il faut que nos concitoyens le comprennent : ce qui est programmé, c’est le scénario de la disparition de la République française.

RTL : Vous en êtes vraiment convaincu ?

J.-P. Chevènement : Je suis profondément convaincu. Toutes les décisions vont se prendre à Francfort, déjà se prennent à Francfort, à Bruxelles, à Luxembourg, à la Cour de justice des communautés européennes, à Bonn. Finalement, M. Waigel a imposé sa loi à Monsieur Arthuis. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Monsieur Izraelewicz dans Le Monde, aujourd’hui. Il explique que tsar des finances allemandes, Monsieur Waigel a fait plier Monsieur Arthuis, sans aucune espèce de contrepartie. Il ajoute que ça a toujours été comme cela, sous tous les gouvernements, on a accepté la libération des capitaux sans contreparties fiscales. Auparavant, on avait accepté une banque centrale européenne, indépendante, dans le traité de Maastricht, sans contrepartie, sans un gouvernement économique, et ainsi de suite. Alors, on va de capitulation en capitulation.

RTL : L’attitude à adopter face au FN : le front républicain ?

J.-P. Chevènement : Je suis tout à fait contre cette idée de front républicain. Il y a place pour un véritable débat politique dans la République française, il ne suffit pas de mettre – comme je regrette qu’on le fasse ! – J.-M. Le Pen au centre du débat pour offrir une perspective à notre pays, au contraire. Je pense qu’à la fin, on servira J.-M. Le Pen. C’est ce qui se passe : on lui sert la soupe ! Sans arrêt ! Tous les jours ! Il faut combattre J.-M. Le Pen en combattant le chômage, l’immense désarroi social qui s’est développé dans notre pays privé de perspectives : c’est comme ça qu’on asséchera le terrain sur lequel croît cette plante vénéneuse, et nous ferons ainsi reculer ces thèses racistes, cette vision politique qui est aux antipodes des valeurs républicaines. C’est en s’attaquant résolument au chômage. Voilà des années que je le répète : la manière de combattre J.-M. Le Pen par des exhortations purement morales est tout à fait insuffisante. Elle est peut-être nécessaire mais c’est tout à fait insuffisant.

RTL : Le projet de loi sur le racisme qui en fait un délit ?

J.-P. Chevènement : Je ne suis vraiment pas emballé. Je lis ce projet : « le fait de diffuser un message portant atteinte à la dignité, etc., d’un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance – ça ce n’est pas vraiment clair ! – vrai ou supposé – c’est encore moins clair ! – à une ethnie, une nation – ce n’est pas la même chose ! Et, il y a les conceptions différentes de la nation – une race ou une religion, qu’elle soit ou non déterminée, est punie d’un an d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende ». Moi, je suis pour que la liberté d’expression ne soit pas trop contrainte, et je crois que la loi Gayssot permettait de poursuivre J.-M. Le Pen s’il y en avait eu la volonté politique. Mais cette volonté politique n’existe pas, et on préfère instituer une dose de proportionnelle, c’est-à-dire qu’en réalité, il y a un double langage de la part du Gouvernement. A. Juppé l’accuse d’être un raciste, un antisémite, un xénophobe, mais en même temps, il lui offre de réintégrer l’Assemblée nationale, et chacun sait que J.-M. Le Pen ne rêve que de cela.