Texte intégral
France Info le mardi 17 mars 1998
Patrick Boyer : Un mot sur la forte abstention lors de ces élections ?
Robert Hue : "Il y a différentes abstentions. Il y a ceux qui, traditionnellement, s'abstiennent. Il y a ceux qui ont bien compris ce mode de scrutin. Mais il y a aussi une abstention de droite avec la perte de repères. Et une abstention à gauche : c'est cette abstention populaire qui me préoccupe parce qu'elle a voulu signifier quelque chose. Elle a voulu dire : d'accord pour l'expérience qui est en cours, mais on veut aller plus loin. Ça ne va pas assez vite, il y a des choses à améliorer, notamment dans le domaine social. Il faut entendre cela."
Patrick Boyer : Il y a aussi un vote à gauche de la gauche : 4,3 % pour les listes trotskystes. Comme il y a une épine dans votre pied gauche, vous boitez, ce soir ?
Robert Hue : "Pas vraiment, parce que c'est pas nouveau. A. Laguiller le disait ce matin, dans une interview à la presse : il y a déjà eu plus de 5 % aux élections présidentielles. C'est nouveau dans des régionales, mais ce n'est pas étonnant dans la configuration actuelle. Ces voix sont l'expression d'un certain mécontentement, mais tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il y a dans ces voix, des voix qui viennent de l'électorat communiste, mais aussi de l'électorat socialiste, de l'électorat vert. Il faut tout regarder, il n'y a rien à négliger, mais vous avez eu raison de me poser, en premier, la question de l'abstention. Moi, j'ai ajouté l'abstention populaire, parce que là, cela me semble quelque chose de plus significatif."
Patrick Boyer : Ces listes trotskystes font de bons scores dans vos bastions ouvriers : le Nord-Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis et même la Picardie. Cela vous interpelle directement ! Ce sont les déçus du Parti communiste !
Robert Hue : "C'est bien plus complexe que ça. Il y avait aussi dans ces régions une présence communiste dès le premier tour, qui n'était pas gauche plurielle. Et pourtant, c'est là qu'A. Laguiller obtient des élus. Cela veut donc dire que ce n'est pas cela la question. Je crois qu'il y a à prendre en compte, aujourd'hui, un mécontentement. Il y a à prendre en compte une attente sociale. Et c'est tout à fait l'objectif du Parti communiste."
Patrick Boyer : Arlette Laguiller dit : le seul vote communiste c'est voter Lutte ouvrière. En fait, votre stratégie d'union laisse un boulevard à l'extrême gauche.
Robert Hue : "Vous allez me dire tout ce que dit A. Laguiller depuis des années !"
Patrick Boyer : Vous ne les prenez pas au sérieux ?
Robert Hue : "Je n'ai pas dit cela. Je respecte toujours les militants. Mais, incontestablement, c'est pas là qu'il y a une signification nouvelle. C'est plus ceux qui n'ont pas voté, ceux qui précisément n'ont pas voté A. Laguiller, qui ont exprimé un mécontentement et qui sont en nombre très important."
Patrick Boyer : Le Parti socialiste débat de la répartition des exécutifs régionaux à gauche. Sur une dizaine de régions à gauche, le Parti communiste est fondé à en présider combien ?
Robert Hue : "Le Parti communiste, en tout état de cause, est fondé à en présider en fonction de sa représentation dans la gauche plurielle. Ce n'est pas mécanique, cette affaire. Il est évident que d’abord, il n'y a pas l'assurance de majorité absolue dans ces régions. Il y en a une où il y a une majorité absolue. Les autres sont en majorité relative. Je crois, en tout état de cause, le Parti communiste souhaite présider au moins une région. C'est clair, il a souhaité que la Picardie soit cette région, et nous verrons l'évolution des choses en la matière. Mais il est clair que la gauche plurielle qui a gagné, au pluriel ! Ces élections, doit être présente dans les exécutifs. Et je pense notamment à la présence des communistes, mais aussi à la présence des Verts, du MDC, des Radicaux, de tous ceux qui composent la gauche plurielle."
Patrick Boyer : Les Verts viennent de renoncer à présider le Nord-Pas-de-Calais. M.-C. Blandin, c'est officiel, renonce. Elle aurait obtenu de la gauche socialiste un certain nombre de vice-présidences en Ile-de-France en en région PACA.
Robert Hue : "C'est ce que je viens de dire : en tout état de cause la gauche plurielle, dans ses différentes composantes, doit être présente dans les exécutifs."
Patrick Boyer : Mais, elle, elle renonce à une présidence, et pas vous !
Robert Hue : "Comprenez bien que le parti communiste demande cette présidence, et souhaite qu'en Picardie nous puissions avoir cette présidence."
Patrick Boyer : On dit que ça pourrait être Monsieur Lalot ?
Robert Hue : "Il y a plusieurs noms qui sont avancés, mais Monsieur Lalot ferait un très bon président; C. Leblanc ferait une très bonne présidente."
Patrick Boyer : C'est pas tranché chez vous ?
Robert Hue : "Chez nous, il y a des propositions qui sont faites, mais il y a aussi l'avis de nos partenaires. C'est une présidence qui sera commune. On en est actuellement à une discussion au niveau d'un certain nombre de forces politiques, notamment du PS, sur les présidences qui seront effectivement présentes."
Patrick Boyer : Puisque rien n'est acquis si Monsieur Frêche peinait en Languedoc-Roussillon, P. Blottin est prêt ?
Robert Hue : "En tout état de cause, nous serons partout, dans l'union, dans le débat nécessaire, au moment des élections de ces présidences."
Patrick Boyer : Les états-majors de la droite se démènent pour dissuader les tentations d'accords. Vous leur faites crédit de leurs bonnes intentions ?
Robert Hue : "Il y a les prises de positions nationales qui mettraient en cause l'opinion de tel ou tel leader national lorsqu'il dit : je ne ferai pas d'accord avec le Front national. Cela dit, en même temps qu'il y a ces affirmations, il n'y a pas d'actes concrets qui montrent qu'il y a des contraintes d'exercées. Et nous assistons aux magouilles et tractations les plus viles entre la droite et le Front national."
Patrick Boyer : Vous avez des preuves ?
Robert Hue : "S'ils ne bougeaient pas devant cela, les dirigeants nationaux de la droite seraient complices d'un terrible déni de démocratie aux conséquences gravissimes pour la droite elle-même, et surtout pour la République. Des preuves ? Je viens de voir un communiqué qui indique que la droite, notamment RPR-UDF, s'apprête à être en situation dans 11 régions dont Bourgogne, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes. Trois régions où, précisément, il y a pratiquement égalité entre gauche et droite. Cela veut donc dire que quelque chose, là, s'est passée. La Bourgogne : je viens d'apprendre, dans un communiqué, qu'un candidat RPR-UDF en tête de toute la droite, et qui devait donc être le candidat au deuxième tour, se retire après les pressions des états-majors au profit du candidat Front national. Et il dit dans son communiqué : me voilà devenu monnaie d'échange avec le Front national pour permettre à Monsieur Soisson de devenir président de la région Bourgogne avec les voix du Front national. Voilà des exemples concrets ! En voilà un précis ! Et qu'on me démente à ce moment-là !"
RTL le jeudi 19 mars 1998
Jean-Pierre Defrain : Êtes-vous tentés, comme L. Jospin, de faire la leçon à la droite, pour reprendre les termes de P. Séguin, vis-à-vis du FN, à la veille des élections des présidents de Conseils régionaux ?
Robert Hue : "Je crois que le Premier ministre ne fait pas la leçon à la droite. Le Premier ministre est dans son rôle, dans sa responsabilité d'autorité de la République, lorsqu'il intervient, parce qu'il y a précisément un danger qui pèse sur des valeurs fondamentales de la République. Sur quelles valeurs ? Le suffrage universel, fondement de notre République. Il risque d'être, là, à deux reprises, complètement mis en cause. La première mise en cause, c'est que des gens qui ont voté dimanche et donné une région à la majorité relative à la gauche, vont être privés d'un président de gauche, parce qu'il y a des magouilles, parce que c'est un véritable détournement du suffrage universel. La deuxième mise en cause, c'est même par rapport à la droite. Moi, ce n'est pas mon bord, chacun le sait bien, mais il reste que des gens de droite ont voté dimanche. Ils n'ont pas voté pour des alliances - pour beaucoup d'entre eux - avec le Front national. Or, là, il y a des alliances qui se font avec le Front national. C'est grave !"
Jean-Pierre Defrain : Mais précisément, est-ce que P. Séguin et F. Léotard n'ont pas été suffisamment clairs sur l'attitude à adopter vis-à-vis du Front national ? Il y a eu déjà des exclusions. Alors est-ce qu'il faut faire un procès à la droite ?
Robert Hue : "Je ne fais pas de procès en tous les cas aux dirigeants de la droite. Ils ont pris des positions qui sont à mon avis très nettes - je ne parle pas des énervements d'aujourd'hui ; et d'ailleurs je voudrais dire ce soir que lorsque je vois que l'on dit : au sommet, les leaders sont contre - à droite -, les accords avec le Front national et c'est la base qui pousse. C'est faux ! Effectivement, les leaders au niveau national affirment des positions, et c'est tout à fait à remarquer, mais en même temps, cela n'est pas vrai que la base est pour l'alliance avec le Front national. Tous les sondages, toutes les enquêtes d'opinion montrent effectivement qu'il y a une majorité de Français, naturellement, mais y compris de l'électorat de la droite républicaine, qui est contre ces alliances. Et ce sont en fait un certain nombre de petites magouilles, de petits seigneurs d'arrière-fiefs qui préservent leur pouvoir, qui s'opèrent actuellement. C'est grave pour la démocratie."
Jean-Pierre Defrain : Mais P. Séguin ne voit pas tout à fait les choses comme vous et dénoncerait plutôt l'hypocrisie de ceux qui ont pris la responsabilité - je reprends ses propos - "de mettre en péril effectivement la démocratie en facilitant la progression du Front national."
Robert Hue : "P. Séguin, à mon avis, autant je rends hommage aux prises de position qu'il prend, nettes, par rapport à ce qui se passe dans les régions avec une partie de la droite, autant, là, je pense qu'il s'énerve ; il s'est emporté, y compris quand on voit les images. Je comprends... Vous voyez, je ne vais pas jeter la pierre. Il y a là un certain désarroi devant une situation qui lui échappe et dont il sent - parce que je respecte l'homme - la gravité. Il y a une situation très grave. Il y a aujourd'hui quelque chose qui est en train de se passer dans la vie politique française ; il y a une sorte de déstabilisation en perspective, qui est structurante. Nous ne sommes pas dans une analyse de conjoncture. Il y a là quelque chose de profond, et c'est grave. Je ne veux pas dramatiser. Je pense même qu'il est encore temps, par un sursaut républicain, d'empêcher que le piège de Le Pen se referme. Car non seulement la droite en serait la première victime..."
Jean-Pierre Defrain : Mais de quelle manière ?
Robert Hue : "Je pense qu'il y a demain, et lundi - certains disent qu'ils veulent reporter à lundi, mais moi, je pense que dès demain, peuvent s'affirmer des comportements - dans les régions - de la droite républicaine, qui montrent qu'elle est en situation d'empêcher ces alliances. Il y a toute une série de dispositions concrètes - ils les connaissent, d'ailleurs ils sont en train d'en parler en ce moment-même à Paris ensemble. Donc on va voir effectivement si, dans cette affaire, chacun prend ses responsabilités. Je crois que c'est une situation extrêmement sérieuse et il faut bien peser ce qui est en train de se passer."
Jean-Pierre Defrain : Vous ne vous reconnaissez aucune responsabilité dans la progression du Front national, dans ce qui s'est passé ? Il n'y a pas eu des erreurs...
Robert Hue : "Non. Je crois qu'il y a incontestablement dans l'aggravation de la situation économique, sociale - dans la façon dont, depuis plusieurs années, depuis près de 20 ans, on n'a pas traité au bon niveau ces questions sociales , il y a naturellement un terrain qui a permis à Le Pen de développer ses positions, de grandir sur cette situation gravissime. Mais non. Le Parti Communiste a combattu avec la plus grande force le Front national et il continue de le faire. Je me sens très responsable, au sens où j'ai envie, dans les quartiers populaires, qu'avec le Parti communiste et dans la prochaine période peut-être encore plus, de reconquérir des positions qui vont faire reculer le Front national."
Jean-Pierre Defrain : A droite, certains disent : pourquoi est-ce que nous, on ne peut pas s'allier au Front national vu que les socialistes sont alliés aux communistes ?
Robert Hue : "C'est ignoble ! C'est ignoble de mettre sur le même plan le Parti communiste français et le rôle qu'il a joué dans la démocratie française et un parti fascisant, violent, antisémite ! Il faut bien voir les choses. Et je veux dire que cette assimilation a toujours servi de paravent à ceux qui veulent banaliser le Front national et son idéologie. Donc, c'est bien clair : on ne peut pas céder à ce genre de démarche. C'est ignoble, je le dis !"
Jean-Pierre Defrain : M. Hue, est-ce que les communistes sont satisfaits en région Picardie que F. Hollande, premier secrétaire du PS, ait désigné la candidate communiste C. Blanc ?
Robert Hue : "F. Hollande n'a pas désigné la candidate."
Jean-Pierre Defrain : Nous avons entendu sur place les militants communistes pas très contents. Ils souhaitaient choisir au nom de leur candidat ...
Robert Hue : "C'est tout à fait normal. Il ne faut pas, non, de ce point de vue - c'est pas ce que vous faites hein - travestir la réalité des choses. Un, le PS a donné son sentiment à l'issue nationale où il a dit : oui, ça correspond à nos accords ; il y aura une proposition de région - la Picardie - pour que le Parti communiste y présente un candidat, une candidate. Il a dit son sentiment sur la candidate. Le PS est en majorité relative dans la gauche et donc il a donné son sentiment. On peut imaginer qu'il puisse avoir ce point de vue. Le Parti communiste, aujourd'hui, en a discuté ; il fait une proposition de candidature, et c'est cette proposition qui a tenu. J'en ai parlé avec F. Hollande. Il est bien évident que c'est la proposition qui sera retenue, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Que le PS ait pensé que, dans cette région, après tout, une candidature femme doit être une candidature positive, je ne vais pas le lui reprocher. En même temps, c'est les communistes qui décident."