Texte intégral
Europe 1 - mercredi 25 mars 1998
A l'Assemblée, hier, je ne vous ai pas vu souvent applaudir T. Blair. Qu'est-ce qui vous déplaisait dans son discours qui était pourtant drôle ?
- « Vous avez mal regardé, J.-P. Elkabbach. J'ai applaudi son humour, déjà, au départ, qui changeait des discours qu'on est habitué à entendre. Et puis, certains passages, je les ai applaudis. J'ai applaudi un certain nombre de réflexions qu'il a livrées sur l'Europe, par exemple, avec la volonté d'être dans la construction européenne à terme mais en faisant attention à préserver sa souveraineté. Je crois que c'était des choses qui m'allaient bien. Je l'ai applaudi aussi quand il a évoqué la nécessité d'un combat sans réserve contre l'exclusion, contre les difficultés, mais je ne l'ai pas applaudi… »
Ah, on y arrive ! Quand il a dit : il faut se libérer des préjugés, pas des règles ; il faut être adaptable ; ce qui compte, c'est ce qui marche. Quand il a dit : la gestion de l'économie n'est ni de droite, ni de gauche, elle est bonne ou mauvaise.
- « Tout à fait. Vous ne découvrez pas qu'il y a là une distance importante ? »
Qu'est-ce qui est choquant dans des propos comme ceux-là ?
- « Je pense que vouloir adapter le salarié aux besoins des marchés financiers et du libéralisme, cela ne va pas. Là, je suis en désaccord avec lui. C'est une politique qui s'inscrit dans une démarche libérale. »
Quand il dit qu'il faut être pragmatique, qu'il faut être contre les idéologies ?
- « Etre contre les idéologies, ce n'est pas non plus adapter à la production, les salariés… »
Ce n'est pas ce qu'il a dit !
- « Si, si. Je l'ai entendu, j'étais dans l'hémicycle. Il a dit beaucoup de choses comme cela. Là-dessus, je ne suis pas d'accord. Mais, vous avez noté que j'étais d'accord avec un certain nombre de choses. Je ne suis pas manichéen. »
En tout cas, T. Blair, c'est bon pour les Anglais ?
- « En tout cas, les Anglais l'ont porté, après Mme Thatcher, largement au pouvoir pour faire une autre politique. »
Le Président de la République et le Premier ministre paraissent d'accord pour faire aboutir des réformes, comme le mode de scrutin, le non-cumul des mandats, la parité homme-femme. Est-ce que vous êtes prêt à aller vite ? Faut-il passer par le Congrès à Versailles ou par un référendum ?
- « Il faut une démocratisation de la vie politique, c'est évident. Nous avons une crise de la représentation. Il faut en regarder les raisons et il faut un certain nombre de réformes importantes. A mon avis, d'ailleurs, tout ne passe pas par la réforme institutionnelle, non plus. Il y a des réformes importantes à imaginer. »
On va à Versailles ou on fait un référendum ?
- « Pour le moment, il s'agit de voir quelle nature de réforme. Il faut que les Français puissent participer au débat d'abord qui doit avoir lieu sur la nature des réformes à apporter. Ce n'est pas simplement, je le répète, en modifiant le mode de scrutin, même s'il faut peut-être le modifier, qu'en tout état de cause on apportera des réponses aux questions qui sont posées par la crise de la politique. J'ai entendu le Président de la République, et hier j'ai entendu L. Jospin. Mais si une partie des Français ont ce rejet de la politique aujourd'hui, si le fossé entre la politique et eux s'est creusé, c'est parce qu'aussi, au fil des années, des engagements pris par les hommes politiques n'ont pas été tenus. Le discours du Président de la République - j'ai trouvé ce discours digne et posant les grandes questions qu'il fallait poser par rapport à la crise à la politique - mais en même temps, il a oublié de parler, par exemple, de la fracture sociale. Or, il s'était engagé sur ces questions de résorber la fracture sociale. »
Si je comprends bien, ce matin, vous êtes venu dire que le responsable de la crise de la politique, c'est J. Chirac ?
- « Non. Je ne dis pas cela ! Je dis qu'il faut faire attention et il faut voir que dans la crise de la politique, il y a aussi une crise liée à la vie quotidienne des Français, au fait qu'on n'apporte pas des réponses aux grandes questions auxquelles ils sont confrontés. »
Est-ce que c'est une autocritique de R. Hue ? Le PCF, est-ce qu'il n'est pas aussi coupable d'avoir, d'une certaine façon, abandonné un certain nombré de ses électeurs dans certains quartiers à Le Pen ? Est-ce qu'il ne faudrait pas aller, et c'est urgent, les retrouver quartier par quartier, immeuble par immeuble, un par un?
- « Je crois qu'il faut combattre pied à pied le Front national. Il faut combattre le Front national sur ses valeurs. Des valeurs terribles puisque l'on voit son idéologie raciste et xénophobe. Il faut combattre. Mais en même temps, il faut être porteur dans les quartiers difficiles, là où il y a la souffrance, de ce qu'expriment les gens. Quand ils l'expriment et que l'on n'est pas là pour porter cette souffrance, que l'on n'est pas là pour apporter les réponses politiques nécessaires, eh bien, ils peuvent aller vers le Front national. Je pense donc que l'une des missions, que l'un des grands défis que relève le Parti communiste, et c'est sa fonction, une de ses fonctions importantes, c'est, dans ces quartiers difficiles, d'être porteur de solution, porteur de solidarité, d'une autre démarche qui écarte le Front national de ces quartiers. »
Au passage, l'attitude du Président de la République, que vous ne soupçonniez probablement pas à l'égard du Front national, est-ce qu'elle vous convient ? Deuxièmement, les dirigeants de la droite, vous leur dites chapeau pour ce qu'ils ont fait, surtout le RPR et quelques UDF ?
- « La situation issue des élections régionales est avant tout révélatrice pour la droite d'une crise politique majeure, d'une droite en panne totale d'alternative politique. Alors, je vois bien qu'il y a aujourd'hui ceux qui ont cherché à s'associer au Front national pour conserver leur position et puis ceux qui ont dit : pas question. Dans cette attitude, il y a beaucoup de hauteur de vue. Mais en même temps, la crise de la droite est surtout une crise qu'elle a déjà connue avec les élections de 1997 : c'est une crise des solutions ultra-libérales. Les solutions de la droite n'ont pas fonctionné, et c'est cela qui in aujourd'hui pose à cette droite un problème majeur. »
Pensez-vous que le parti communiste a le devoir de resserrer les rangs aujourd'hui derrière L. Jospin et de l'accompagner, sinon de le suivre, parce qu'il y a la menace dont vous parlez ?
- « Ces élections traduisent quand même face à une droite désintégrée, qui se déchire une gauche plurielle qui a manifesté sa cohérence, sa cohésion. Cela, c'est lié à l'action menée depuis neuf mois dans la majorité gouvernementale avec L. Jospin. Ce qui me va dans ce que j'ai entendu hier de L. Jospin - j'ai cru comprendre que c'était important pour lui - c'est qu'il dit qu'il faut poursuivre et amplifier la politique du Gouvernement. »
La politique de gauche du Gouvernement ?
- « Naturellement. Il faut amplifier cette politique de gauche. Ce n'est pas en tergiversant sur les réformes à mettre en oeuvre. »
Donc pas de cadeau à M. Seillière qui demande un sursis pour les 35 heures ?
- « Certainement pas ! C'est tellement contraire aux choix sur lesquels les Français ont élu la gauche plurielle. »
Vous êtes un des premiers à avoir proposé et à préparer pour samedi prochain, avec 45 organisations, une manifestation que vous appelez « citoyenne ». N'êtes-vous pas fatigué de ces défilés antifascistes aussi rituels qu'inefficaces ?
- « Je ne pense pas que ce soit inefficace quand des milliers de jeunes vont dire "On ne veut pas des thèses racistes et xénophobes de Le Pen". Dire que cela suffit, non. Tout à l'heure, j'ai dit des choses fortes sur la nécessité de se battre dans les quartiers, là où on peut faire reculer le Front national. »
Jamais ces manifestations n'ont stoppé Le Pen, que ce soit à Strasbourg, à Châteauvallon ou à Vitrolles. Il y a peut-être autre chose à faire.
- « Dans l'opinion, cela a beaucoup bougé. Je crois que des grands moments de mobilisation ont contribué à ce que l'opinion se mobilise par rapport à Le Pen et aujourd'hui rejette, comme on le voit dans les enquêtes d'opinion ce matin encore, les thèses de Le Pen. Cela y contribue, cela ne suffit pas. »
France Inter - lundi 30 mars 1998
Quelques dizaines de milliers de manifestants à Paris et en province samedi pour manifester contre le Front national, des défilés souvent marqués gauche plurielle, parfois extrême gauche, une droite républicaine aux abonnés absents : on a quand même l'impression que la mobilisation civique, citoyenne, n'a pas eu l'ampleur que certains annonçaient ?
- « Je crois que les manifestations étaient très importantes. Ce qui caractérisait ces manifestations, tout le monde l'a: remarqué - ceux qui ont vu les images, ceux qui ont participé - c'est cette présence très forte de la jeunesse. Beaucoup de jeunes. Moi-même, j'étais dans les manifestations à Paris, c'est vrai que le corps de la manifestation n'était peut-être pas le même que dans d'autres périodes, mais il avait cette caractéristique très positive, ce souffle fort et d'air frais, une jeunesse qui est là pour dire : nous ne voulons pas de Le Pen, nous ne voulons pas de ses idées racistes, xénophobes, nous avons une autre idée de la société à construire. Nous ne voulons pas qu'on ait cette légitimation par ces alliances folles qui se font dans certaines régions. Il y avait des cris très forts. J'ai senti dans ces manifestations un climat assez proche d'autres manifestations sur les grandes questions de société où les jeunes ont envie de dire : nous ne voulons pas cette société-là, nous voulons un monde plus solidaire, plus humain. Il y a peut-être sur le nombre, des discussions à avoir - moi, j'ai vu beaucoup de monde - mais j'ai surtout vu cette qualité-là. »
Mais sur le fond on peut se demander à quoi servent de telles manifestations ? Il y a un an, à Strasbourg lors du Congrès du Front national, il y avait eu aussi 50 000 ou 100 000 personnes dans les rues. Le vote Front national n'a pas baissé pour autant, et la stratégie de la diabolisation du Front national et de ses électeurs n'a pas marché depuis quinze ans ?
- « C'est le débat qui vient beaucoup aujourd'hui : est-ce que les manifestations servent à quelque chose ? Est-ce qu'elles ne servent pas plutôt au Front national ? Je ne crois pas, je crois qu'il faut - je le disais à l'instant - qu'il puisse y avoir cette puissante condamnation morale de valeurs qui sont bafouées de la République et de la démocratie. Est-ce que cela suffit ? Puisque c'est la question que vous me posez. Cela ne suffit pas pour faire reculer le Front national, c'est bien évident. C'est nécessaire, mais cela ne suffit pas. Alors, qu'est-ce qu'il faut faire par ailleurs ? On peut parler des institutions, décider de bouger… »
Vous parliez de réponses sociales à apporter.
- « Oui. On peut dire ce que j'évoquais à l'instant : réforme institutionnelle. Mais je pense qu'il y a à prendre en compte mieux encore l'urgence sociale. Il me semble que c'est là qu'il y a le problème. Il faut regarder dans le résultat de ces élections. C'est vrai qu'à l'issue de ces élections beaucoup d'hommes et de femmes de ce pays, de jeunes, je le disais, regardent ces alliances nauséabondes entre une partie de la droite et le Front national et voient le danger qu'il y a en banalisant Le Pen, à le faire entrer dans les institutions. Mais je crois qu'il faut aussi regarder d'autres choses qui n'ont peut-être pas suffisamment été regardées : l'abstention massive dans ces élections régionales et cantonales est souvent une abstention qui veut donner un signe qu'il faut aller plus loin, qu'il faut prendre en compte les questions. sociales auxquelles les gens sont confrontés et je crois qu'il faut que nous soyons attentifs à cela. Il faut entendre ce qui s'exprime et je crois qu'il y a dans les réformes sociales la possibilité de s'attaquer au racisme, au terreau sur lequel le Front national construit ses voix et ses suffrages, sa démarche aujourd'hui. C'est-à-dire qu'il use de la souffrance sociale qui existe dans les quartiers difficiles et dans beaucoup d'endroits. »
On a eu le sentiment samedi dans les manifestations que les gens qui défilaient s'adressaient plutôt au gouvernement Jospin et lui demandaient de mettre la barre plus à gauche en quelque sorte ?
- « Les manifestations étaient, pour beaucoup, organisées à l'initiative de la gauche plurielle et du comité de vigilance qui regroupe des formations progressistes. C'est d'abord eux qui étaient à l'initiative des manifestations et c'est important et les jeunes ont pu s'exprimer, les gens ont pu donner leur sentiment parce qu'il y avait ces initiatives de prises. Il y avait des remarques qui étaient faites, mais elles étaient positives, constructives. La volonté était de dire : il faut effectivement aujourd'hui aller certainement plus loin. C'est incontestable. »
Vous dites cela depuis le mois de juin dernier.
- « Je le dis et je persisterai à le dire. Il est clair que je suis très engagé dans le soutien à la gauche plurielle, au Gouvernement. C'est bien net. Ma position est sans ambiguïté : je pense que depuis neuf mois des choses importantes et positives ont été faites, mais en même temps je vois bien qu'aujourd'hui, il est nécessaire d'aller plus loin. Et qu'on a des contradictions auxquelles on va être confronté : par exemple, est-ce que l'on peut avancer fortement dans des réformes sociales significatives si on est enfermé dans les critères de Maastricht ? Voilà des questions qui se posent, et moi je les pose avec honnêteté et force aujourd'hui à la gauche plurielle. »
Vous dites au gouvernement Jospin : c'est le moment d'entamer une nouvelle phase de l'action gouvernementale, plus sociale ?
- « Je pense que c'est le moment effectivement d'amplifier la politique gouvernementale dans le sens social, avec des mesures notamment visant à réorienter l'argent, des grandes réformes populaires. Oui, aujourd'hui, là, nous sommes dans une étape nouvelle, c'est évident. »
Vous savez très bien ce que le Gouvernement vous rétorque : il y a les grands équilibres à préserver, il y a l'euro à préparer et on n'a pas les moyens de redistribuer les fruits de la croissance, des fruits qui ne sont même pas mûrs qui sont encore verts ?
- « D'abord, la croissance on peut discuter de sa redistribution aujourd'hui. Je pense, par exemple, que si on redistribue un peu la croissance du côté de l'augmentation des salaires, des retraites, des minima sociaux, eh bien cela va relancer la machine économique et cela permettra davantage de croissance encore. Et puis, je pense que le principal déséquilibre c'est celui de l'équilibre politique de la France. On voit bien que si on n'apporte pas de réponse sociale forte, significative, alors qu'il y a ce que fait le Front national, son rapport de force dans le pays, eh bien on aura : des difficultés encore à faire avancer les choses. Moi, je pense que le parti communiste dans cette affaire du Front national, la façon de relever le défi du Front national, a une responsabilité et il entend la prendre. Nous sommes influents, chacun le sait bien, plus nettement dans les quartiers populaires, dans des endroits où la crise pèse fortement. Eh bien là, nous avons effectivement, nous, à retisser les liens, à apporter par notre militantisme, par le nouveau communisme qui est le nôtre des réponses dans les cités difficiles, dans les banlieues qui vont permettre de faire reculer le Front national. Nous entendons vraiment nous attacher à cela. »
L'autre réponse, c'est une réponse politique, et vous avez rendez-vous cet après-midi, à l'Elysée, avec J. Chirac, pour évoquer les réformes institutionnelles - les réformes de la vie politique - qu'il faudrait faire. Selon vous, s'il y avait... La « mère » de toutes les réformes, ce serait laquelle ?
- « D'abord, il faut prendre les questions dans un ensemble. Je ne pense pas qu'il y ait une réforme institutionnelle qui apporte les réponses à la modernisation de la vie politique, surtout, en fait, à la démocratisation de la vie politique. La question décisive c'est : est-ce que l'on va réussir à rapprocher le citoyen de celui qui le représente ? C'est cela la question. Les citoyens ont le sentiment, aujourd'hui, de ne pas être bien représentés ; ils ont le sentiment qu'il y a un fossé entre ce qu'ils vivent, eux, et la réalité du pouvoir. Il faut donc modifier cela. Il faut le modifier par, peut-être, le mode de. scrutin, mais par différentes choses. Je crois que, l'une des questions qui a le plus contribué à faire reculer la politique aux yeux des gens en France, c'est souvent que, pendant des années et des années, des promesses ont été faites, et n'ont pas été tenues. Il faut plus de transparence, il faut plus de moyens. Et je ferai des propositions naturellement… »
Vous aurez des propositions précises à faire au Président de la République ?
- « Bien sûr, j'aurai des propositions précises. Je lui réserve ces propositions. Mais j'ai déjà eu l'occasion, d'ailleurs, d'en parler avec L. Jospin. Il y a cette consultation du Président de la République, je trouve que c'est tout à fait intéressant qu'il l'ait proposée. Il reste que le gouvernement de la gauche plurielle - L. Jospin - avait pris déjà un certain nombre de dispositions visant à mettre en oeuvre ces réformes de la vie publique et de la vie politique françaises. Eh bien, on va s'engager plus avant. Naturellement. »
RMC- mercredi 8 avril 1998
Dans l'affaire des sans-papiers, que le Gouvernement traite par l'intermédiaire de J.-P. Chevènement, est-ce que vous soutenez, au Parti communiste, les manifestations quotidiennes de ceux qui affirment que la méthode, et certaines déclarations de J.-P. Chevènement, sont inadmissibles ?
- « Il y a dans la façon de faire des choses qui sont bonnes, et des choses qui ne sont pas bonnes. Dans la façon de faire d'abord, dans l'examen des dossiers des sans-papiers, j'y reviendrai en un mot, dans la façon de faire du ministre, je pense que J.-P. Chevènement se livre parfois à des déclarations vraiment excessives qui ne facilitent pas la compréhension des choix de la majorité plurielle, en tous les cas du gouvernement pluriel en l'occurrence. Je disais l'examen des dossiers. Moi je suis député-maire, et j'ai donc présenté un certain nombre de dossiers de sans-papiers dans les préfectures, comme tous les élus le font, répondant aux critères. Parce qu'il y a des critères qui ont été pris en compte, cela c'est important. J'avoue que, dans un certain nombre de cas effectivement, le dossier a été conduit à son terme, mais dans d'autres, je ne comprends pas ; il y a une approche du dossier qui ne correspond pas parfois à la situation, à la prise en compte des critères et cela crée une situation très difficile. Donc, je crois qu'il faut bien voir que nous sommes dans une situation où, au bout de quelques mois d'examen des dossiers, le 30 avril il y a une date butoir, je crois savoir que cette date butoir pourrait être poussée… »
Un peu prolongée. On aurait pu faire mieux ?
- « Je pense qu'en tout état de cause, il y avait d'emblée avec cette circulaire à la fois des aspects positifs et une impasse. Une impasse, c'est qu'est-ce que l'on fait des 70 ou 75 000 personnes qui ne seront pas régularisées ? On a dit, on a insisté là-dessus dès le départ, il faut absolument que toutes les conditions humaines soient prévues dans les conditions de reconduite, de retour au pays. Et le retour au pays, ce n'est pas d'emmener les gens menottés dans des avions d'Air France, justement ce label Air France qui a une grande signification, et qui là se confond avec la mise en cause de la dignité humaine. Je crois que, là, nous sommes confrontés à une situation qu'il faut arriver à surmonter. Le Parti communiste reste complètement fidèle à ses engagements. Nous avons dit, dès le départ, que ce projet de loi était mal engagé, il… »
Vous ne le voterez pas donc ?
- « Ah non, nous allons nous abstenir. C'est clair, nous allons confirmer le vote que nous avons fait en première lecture. »
L'euro, c'est un autre grand problème. Si j'ai bien compris, votre parti demande un report, aujourd'hui, de l'entrée de la France dans l'euro, est-ce que c'est raisonnable ? Vous savez bien que ce sont des affaires complexes, que l'on a mis des années et des années à ce que la France entre dans l'euro, le gouvernement de M. Jospin assure que c'est une bonne chose pour la France.
- « Je crois que sur l'euro, là aussi, nous sommes constants et ce n'est pas une surprise, nous avons… »
Vous l'aviez dit dès le départ.
- « Oui, d'ailleurs les conditions de notre participation au Gouvernement prenaient en compte le fait que, sur l'euro, nous n'étions pas d'accord, nous avions des différences avec le Parti socialiste. Aujourd'hui, nous voyons bien le calendrier naturellement, son évolution. Il reste que nous restons extrêmement plus que réservés, nous restons hostiles à l'euro. Pourquoi ? Parce que l'euro va entraîner des conséquences graves de mise en cause et de notre souveraineté, de contraintes par rapport à nos objectifs sociaux. Je dis, la souveraineté, par exemple on sait bien… »
Mais ce sont des domaines tellement importants, est-ce que l'on peut rester dans le même gouvernement que M. Jospin qui dit exactement le contraire de vous ?
- « Je pense. Cela ne met pas en cause notre participation au Gouvernement, mais il reste qu'il faut approfondir et faire avancer des choix que nous avons décidés ensemble, socialistes et communistes, avant d'être au Gouvernement, ceux d'une réorientation de la politique européenne, ceux prenant en compte le fait que nous ne voulions pas d'une Europe des marchés financiers, d'une Europe de l'argent, nous l'avons dit ensemble. Or la Banque centrale européenne, à la fois va nous priver d'une partie de notre souveraineté, mais par ailleurs, il n'y a aucun contrepoids économique, le Conseil de l'euro ne suffit pas. Il n'y a aucune contrepoids économique à la Banque centrale, donc ce sont des pertes de souveraineté. J'ajoute, je voudrais le dire ce matin ici à RMC, nous voyons bien que les critères, leur application peut avoir des conséquences sur la politique française. Là, il y a l'élaboration des lettres de cadrage, on se prépare… »
Budgétaire, oui.
- « … budgétaire, on se prépare à la loi de finances à venir. Or j'entends parler que la baisse des déficits publics maintenant qu'il faut accentuer, on doit aller à moins de 3 %. J'ai entendu cela… »
2,5 % !
- « Oui, mais, si cela se traduit par des contraintes telles qu'elles vont gêner les dépenses sociales nécessaires à la mise en oeuvre des grands choix sociaux que nous attendons et que nous devons mettre en oeuvre, et que les élections viennent de nous rappeler là-encore, avec une abstention massive dans les milieux populaires, je dis attention. Il faut absolument que nous ne soyons pas enfermés dans des contraintes qui nous empêchent de prendre des mesures structurelles nécessaires à tenir des engagements sociaux et notamment l'emploi, engagements que nous avons pris devant le peuple. »
Deux mots pour finir, lorsque l'on dit que la crise politique est forte en France et que la gauche, c'est une crise qui concerne essentiellement la droite et que la gauche y échappe, votre sentiment ?
- « Ce n'est pas mon sentiment. Je vois bien que la crise pulvérise la droite actuellement. Mais cette crise ne concerne pas seulement la droite, c'est une crise politique, qui concerne l'ensemble des forces politiques du pays. Quand la gauche au pouvoir, en gros, représente 20 % des inscrits aux dernières élections, on ne peut pas dire qu'elle ne peut pas s'interroger sur la crise de la politique, sur le fossé qu'il y a entre les citoyens et la représentation politique. Nous sommes vraiment confrontés à une crise importante. La gauche a gagné les élections régionales, elle est dans une situation de stabilité plus forte, c'est évident, mais elle est tout à fait concernée par cette crise. »