Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à des radios et à la presse, à La Chaine Info et France 3 le 27 juin 1996, Europe 1 et RMC le 28, sur les relations entre la France et les Etats-Unis, la préparation d'une conférence sur le terrorisme, le commerce international, la mondialisation de l'économie et l'aide au développement.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Sommet des pays industrialisés (G7) à Lyon du 27 au 29 juin 1996

Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - France 3 - La Chaîne Info - RMC - Télévision

Texte intégral

Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec plusieurs radios (Lyon, 27 juin 1996)

Q. : Monsieur le ministre, tout d’abord, le bilan de cette conversation que vous venez d’avoir avec le secrétaire d’État américain ?

R. : Écoutez, je crois que c’était une rencontre très importante, nous avons passé plus de deux heures ensemble, nous avons décidé de lancer une concertation diplomatique approfondie sur un certain nombre de sujets, en particulier sur le Moyen-Orient, sur la Bosnie et sur ce qu’on appelle la sécurité européenne, c’est-à-dire la rénovation de l’Alliance atlantique, son élargissement, les relations de sécurité avec la Russie qui est un sujet majeur pour les années qui viennent. Il est entendu que nous ferons le bilan des discussions qui vont désormais avoir lieu avec les diplomates à Washington, au mois de septembre, où je me rendrai et où nous poursuivrons ce dialogue très important.

L’idée, c’est de donner à la relation franco-américaine, qui est très chaleureuse grâce à l’amitié personnelle qu’il y a entre le Président Clinton et le Président Chirac et une densité et un contenu très forts entre Warren Christopher et moi.

Q. : Et il a bien sûr été beaucoup question de terrorisme ?

R. : Nous avons bien sûr évoqué cette question. Elle va être au cœur de la rencontre entre le Président Clinton et le Président Chirac, qui va avoir lieu dans quelques minutes et nous en avons parlé parce que ce sujet, qui est à l’ordre du jour du G7 à Lyon, est un sujet majeur et prend une actualité, hélas, tragique avec l’attentat dont les Américains ont été victimes à Darhan.

Q. : Le terrorisme est déjà un des sujets phares de ce sommet, actualité oblige, est-ce que l’on parle d’une déclaration commune qui pourrait intervenir dès ce soir entre les différents partisans ?

R. : Oui, il y a déjà un projet de déclaration qui a été préparé de longue date, mais c’est vrai que cela deviendra un sujet que l’actualité met sous ses feux.

Q. : Vous avez eu un échange d’informations à propos de cet attentat ?

R. : Nous avons parlé de façon très approfondie du terrorisme et nous avons parlé de cet attentat.

Q. : C’est un sujet suffisamment important pour bouleverser tout le programme des conversations du dîner de ce soir ?

R. : Je crois qu’il faut rappeler ce qu’est le G7. C’est la rencontre des chefs d’État et de gouvernement des sept pays les plus riches du monde. Leur principale mission c’est de contribuer à faire en sorte que la croissance économique dans le monde puisse se maintenir et se développer, puisque l’on voit bien par exemple, en France et en Allemagne, qu’il y a eu récemment un certain affaiblissement. Donc, c’est cela d’abord que font les chefs d’État et de gouvernement depuis l’origine de cette institution qu’est le G7. Et, en même temps, c’est vrai qu’en marge il y a aussi des discussions politiques sur un certain nombre de sujets, et on va parler du terrorisme, mais on ne va pas changer l’ordre du jour, renoncer à traiter des questions économiques très importantes, que ce soit l’aide au développement, l’avenir de la croissance économique, la défense de la prospérité de nos concitoyens ; ce sont des sujets majeurs qui resteront les sujets majeurs de notre ordre du jour.

Q. : En fait, la France et les États-Unis notamment ont parfois des divergences de vue pour savoir comment combattre le terrorisme international, notamment à l’égard de certains pays, je pense à l’Iran. Est-ce que c’est quelque chose que vous abordez beaucoup dans vos discussions ? Est-ce que c’est délicat, du coup, de trouver une position commune ?

R. : Je ne crois pas, parce que s’il est vrai que, sur certains points – vous avez évoqué l’Iran –, on peut avoir des analyses un peu différentes, les objectifs que nous poursuivons sont les mêmes : le terrorisme doit être combattu avec la dernière énergie partout, sous toutes ses formes et par tous les moyens. Et, de ce point de vue-là, je me réjouis que nous ayons cette détermination commune, de la France et des États-Unis et… du monde entier et vous verrez que la France, sous l’impulsion du président de la République, prendra à ce sujet des initiatives.

Q. : Est-ce que vous pensez que cet attentat risque de remettre en question la notion de dialogue critique défendue par les Français et les Européens récemment avec certains pays, dont l’Iran ?

R. : Je ne crois pas que nous devrions bouleverser nos façons de faire. Nous devons marquer la volonté de l’ensemble des pays du monde et entraîner avec nous l’ensemble de la communauté internationale sur une détermination très forte. Vous le savez, lutter contre le terrorisme, qui est au fond le mal absolu dans la vie internationale, cela demande beaucoup de moyens : des moyens techniques, des moyens policiers, des moyens diplomatiques. Tous ceux-là doivent être mis ensemble.

 

Propos à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à l’issue de son entretien avec le secrétaire d’État américain, M. Warren Christopher (Lyon, 27 juin 1996)

Comme vous le savez, le Président Clinton et le Président Chirac ont une relation très proche et très étroite et, naturellement, cela donne de nouvelles opportunités pour le renforcement des liens d’amitié et de travail en commun entre nos deux pays.

Entre Warren Christopher et moi-même, il y a une longue habitude du travail en commun et j’ai été très heureux de passer ces deux heures de travail et d’amitié avec Warren Christopher qui est – c’est mon jugement personnel – un grand secrétaire d’État pour les États-Unis.

Nous avons décidé d’engager ensemble des consultations diplomatiques approfondies pendant les semaines qui viennent sur les grands sujets de l’actualité et il est convenu qu’au mois de septembre je me rendrai à Washington pour faire le bilan de ces concertations, de ces consultations, de façon à arrêter sur tous ces sujets un maximum d’actions concertées et de projets communs.

Donc, c’était une rencontre à la fois très importante pour l’amitié et très importante pour le travail.

Q. : Est-ce que vous avez le sentiment que cet attentat, c’est entre les États-Unis et l’Iran ou est-ce qu’il s’agirait plutôt d’une affaire saoudo-saoudienne... ?

R. : Nous n’avons pas fait de pronostic mais nous avons évidemment beaucoup parlé de ces questions, d’abord parce que j’ai exprimé au secrétaire d’État Warren Christopher à quel point non seulement le Président de la République, le gouvernement, moi-même, mais le peuple français, avaient été émus et se trouvent au côté du peuple américain et de ses dirigeants dans ce moment d’épreuve.

Cela met en effet l’accent de façon particulièrement forte sur la question du terrorisme qui, vous le savez, est inscrite à l’ordre du jour des travaux des chefs d’État et de gouvernement réunis à Lyon, mais qui forcément sera l’un des sujets prioritaires des uns et des autres. Le Président Clinton en a exprimé publiquement le souhait, le Président Chirac pense également que cette question doit être au premier plan de nos travaux, et d’ailleurs l’un et l’autre – ils vont se voir cet après-midi – vont en parler et examiner les dispositions à prendre.

Q. : Où en sont les travaux du comité de surveillance ? On a l’impression que c’est « tombé à l’eau ».

R. : Ce sera la dernière question à laquelle nous répondrons. Je voudrais vous dire que, comme le disait tout à l’heure M. Christopher, nous avons longuement échangé sur la situation au Moyen-Orient, notamment à la lumière du déplacement que le secrétaire d’État américain vient d’effectuer en Israël. Et nous avons non seulement échangé nos informations – j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et d’importance les appréciations de M. Christopher – mais nous avons échangé nos analyses. Il va de soi que la mise en place de l’accord du 26 avril et du groupe de surveillance sont des éléments tout à fait importants, et je crois que nous sommes confiants, l’un et l’autre, sur le fait que sur ce sujet des décisions devraient pouvoir être prises désormais dans un délai rapproché. Et puisque c’est la dernière question à laquelle je réponds, je voudrais terminer en vous disant à nouveau quel plaisir j’ai eu à parler longuement avec Warren Christopher, nous ne nous étions pas vu depuis quelques semaines, cela me manquait. J’en suis tout à fait enchanté et je crois qu’il est très important que les diplomaties française et américaine travaillent la main dans la main, c’est ce que nous avons convenu de faire dans les prochaines semaines. Je crois que ce sera un élément très positif dans les semaines qui viennent.

 

Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « LCI » (Lyon, 27 juin 1996)

Q. : Que tirez-vous de votre entretien de deux heures avec Warren Christopher, le secrétaire d’État américain ? Qu’en est-il sorti de concret ?

R. : Ce qu’il en est sorti de concret, c’est que nous avons décidé de rendre encore plus étroite notre coordination diplomatique entre Français et Américains. Nous allons mettre nos diplomates au travail pendant l’été, en juillet et août, et j’irai ensuite au mois de septembre à Washington faire, avec Warren Christopher, un bilan du travail établi de façon que, sur un certain nombre de grands sujets, la France et les États-Unis travaillent main dans la main.

Q. : Est-ce que ça veut dire, par exemple – je prends deux exemples concrets : la Bosnie et le Proche-Orient –, que dans le domaine du Proche-Orient, vous allez pousser Netanyahou à poursuivre le processus de paix, et dans le domaine de la crise yougoslave vous allez pousser Mladic et Karadzic à se présenter devant les tribunaux ? Est-ce l’objectif pour vous deux ?

R. : Voilà d’excellents objectifs. Mais si vous voulez, il faut prendre les problèmes les uns après les autres. Au Moyen-Orient, il y a en effet à l’heure actuelle une situation d’inquiétude du côté arabe parce que le monde arabe était attaché au processus de paix et se demande ce que ce processus devient du point de vue israélien et du point de vue israélien il y a, je crois, une période de réflexion qu’il faut respecter pour en effet obtenir ce que je crois nécessaire, c’est-à-dire le redémarrage du processus de paix sur les bases où il a été laissé avant les élections israéliennes.

Q. : Est-ce que Bill Clinton vient à ce G7, de Lyon, pour assurer sa candidature à la présidence des États-Unis et surtout pour obtenir un certain nombre de choses dans le domaine du terrorisme après l’attentat de Dahran ?

R. : C’est vrai que l’attentat de Dahran, en Arabie saoudite, qui a fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, cet attentat extrêmement grave met la question du terrorisme au premier plan de nos travaux. Il était prévu déjà que l’on parle du terrorisme, et qu’on en parle sérieusement. Et il est vrai que cet attentat met les feux des projecteurs sur ce sujet et je peux vous dire que le Président Clinton et le Président Chirac en ont parlé, en tête à tête, cet après-midi au cours d’un échange de vues auquel j’ai participé et que, ce soir, l’occasion du dîner des chefs d’État et de gouvernement, ce sera évidemment le premier sujet qui sera abordé. Je crois que les chefs d’État et de gouvernement ont l’intention d’ailleurs de publier dès ce soir une déclaration avec quelques idées fortes sur ce sujet.

Q. : Est-ce qu’on peut avoir une idée de ce qu’il y aura dans cette déclaration puisque vous y étiez ?

R. : Patience ! Simplement ce que je peux vous dire c’est que le terrorisme c’est une vraie maladie du monde moderne et il faut le pourchasser avec la dernière énergie partout où il est sous toutes formes qu’il emprunte et avec l’énergie la plus totale. Je crois que c’est bien, c’est important que les chefs d’État et de gouvernement marquent leur détermination et prennent une ou deux initiatives pour accentuer l’effort de la communauté internationale sur ce sujet. Ce n’est pas seulement une affaire qui intéresse le Moyen-Orient ou telle ou telle partie du monde, c’est une affaire qui intéresse l’ensemble du monde. C’est pour ça que les Sept pays les plus industrialisés, qui se réunissent, en parlent.

Q. : Qu’il y a-t-il de concret dans ces conversations Chirac-Clinton pour obtenir que ces attentats n’aient plus lieu ?

R. : Vous savez bien que malheureusement, dans ce genre de situation, personne ne peut dire que le terrorisme c’est définitivement terminé. Hélas ! Mais ce qu’il faut c’est l’action conjointe, concertée, la détermination forte de l’ensemble des gouvernements pour pourchasser le terrorisme sous toutes ses formes. C’est ce qu’on va faire. Nous allons renforcer la coopération, je pense qu’il y aura des initiatives, mais laissez aux chefs d’État et de gouvernement le soin d’en parler, c’est leur responsabilité, et quand ils se réunissent, c’est généralement utile.

Q. : Est-ce que je peux vous demander quels sont, au fond, les points d’accord entre vos diplomaties – et donc la politique étrangère du Président français – avec l’administration américaine sur le plan économique…

R. : Oui, il y a beaucoup de points d’accord. Vous savez la France...

Q. : ... et j’ajouterais... pardonnez-moi, et des points de désaccord après, pour que ce soit plus clair.

R. : Naturellement, mais j’aurais du mal à en trouver parce qu’en réalité la France et les États-Unis ont de bonnes relations depuis toujours, nous sommes deux peuples amis et deux peuples profondément liés. Vous savez, par surcroît, que Bill Clinton et Jacques Chirac sont très liés personnellement, s’entendent extrêmement bien, ont des tempéraments somme toute assez proches, et donc ils se comprennent bien, et dans les relations internationales, ça compte énormément. Donc, sur beaucoup de sujets, nous sommes fondamentalement d’accord. Nous venons de lancer une opération de rénovation et de réforme de l’Alliance atlantique à l’occasion d’une réunion à Berlin il y a quelques semaines. Voilà un sujet sur lequel nous travaillons la main dans la main et de façon très étroite.

En Bosnie, nous avons à l’été 95, il y a exactement un an, agi ensemble et de concert et ce sont les initiatives françaises et américaines qui ont permis de résoudre, ou en tout cas de créer une nouvelle situation. Si aujourd’hui il y a un chemin vers la paix qui se trace en Bosnie, c’est parce que les Français et les Américains il y a un an ont pris des décisions extrêmement fortes de façon très concertée. Je peux citer beaucoup d’autres sujets comme ça. Je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il y a des sujets de désaccord entre les Français et les Américains. Naturellement, la France est un pays qui a une forte personnalité, les États-Unis aussi. Nous sommes des amis ayant de fortes personnalités, alors de temps en temps on se dit des choses. Mais bon, l’essentiel est finalement qu’au bout de la route on est ensemble parce que nous sommes deux pays profondément amis et unis.

Q. : Alors, est-ce que vous avez le sentiment par exempte que les Américains vont soutenir la volonté de Jacques Chirac d’améliorer ou plutôt de restructurer la dette d’une grande partie des pays les plus pauvres. On parle de l’engagement...

R. : Eh bien, j’espère parce que c’est vrai que c’est un sujet central et je ne veux pas vous abreuver de chiffres mais écoutez ceux-là, ils sont très simples : quels sont les pays qui aident le plus actuellement dans le monde les pays pauvres ? D’abord, le Japon, 14 milliards de dollars, ensuite la France, 8,5 milliards de dollars, ensuite l’Allemagne, 8 milliards de dollars, et seulement en quatrième position avec 7,5 milliards de dollars les États-Unis. Voilà donc le pays le plus nombreux, le plus riche, qui n’est que quatrième dans l’ordre de ceux qui donnent aux autres, et c’est une part qui tend plutôt à se rétrécir. Nous sommes inquiets, nous les Français, de constater que les pays les plus pauvres sont de plus en plus pauvres et que les pays les plus riches sont de plus en plus riches. Ce n’est pas une situation acceptable et d’ailleurs c’est une situation dangereuse parce que source de conflits et nous y sommes particulièrement attentifs parce que parmi les pays les plus pauvres du monde, hélas, il y a un certain nombre de pays africains que nous connaissons bien et sur le sort desquels nous sommes, vous le savez bien, attentifs par le cœur, la pensée et l’action.

Q. : Monsieur le ministre, il y a une question de politique générale, on sait, sans qu’il y ait forcément de rivalités, que la France essaie d’exister sur la scène internationale et que les États-Unis ont tendance, historiquement et ces derniers temps, a énormément exister. Est-ce que vous êtes certain que le Président Clinton ne vient pas à ce G7 à Lyon uniquement pour récupérer en matière de terrorisme des choses qui lui serviraient à titre de politique intérieure...

R. : Vous savez, dans les réunions internationales, chacun vient avec ses pensées et parfois ses arrière-pensées mais ce G7 avait été prévu, la venue du Président Clinton organisée, il y a des mois et des mois, et personne ne pensait à l’époque à cette malheureuse tragédie de Dahran. Donc non, je crois qu’on ne peut pas dire ça, mais il est vrai, mettez-vous à la place des Américains, ils viennent de connaître une tragédie épouvantable, un attentat terrible et je comprends que le peuple américain, pas simplement le Président, ait besoin d’être assuré de la solidarité des autres grandes nations du monde réunies à Lyon et les États-Unis peuvent être assurés de notre solidarité, croyez-le bien.

Q. : Alors, qu’est-ce qui marquera le succès de ce sommet ? Qu’est-ce que vous attendez de ce sommet ?

R. : Ce que nous attendons de ce sommet, au fond, c’est deux ou trois choses simples. D’abord, un sommet ça permet à des chefs d’État et de gouvernement de se connaître ou de mieux se connaître et de se parler ensemble. Vous savez, très souvent, il y a ce qu’on dit à l’extérieur, ce qu’on dit aux journalistes, et ce qu’on se dit en tête à tête et qui est aussi très important et qui ne sera pas rendu public.

Donc, ce qu’on attend d’un sommet c’est d’abord le fait que les chefs d’État et de gouvernement travaillent ensemble. Franchement, la part des relations personnelles, d’homme à homme, dans la vie internationale, est aussi importante que les conventions et les discours théoriques.

En second lieu, nous attendons que ce sommet ait pour but, et je l’espère ensuite pour résultat, que la croissance au cours de l’année qui vient soit soutenue par l’ensemble des actions et des initiatives à caractère économique de la part des grands pays de ce monde. Pour cela, il faut encourager la stabilité monétaire. Nous, les Français, nous avons été victimes il y a deux ans de la chute brutale de la lire italienne. Nous avons vu les uns et les autres ce que c’est que les conséquences dangereuses pour notre économie, nos emplois, des variations monétaires inconsidérées. Donc, premièrement, la tâche est d’obtenir une certaine stabilité monétaire. Ensuite, faire en sorte que les pays les plus pauvres bénéficient dans l’année qui vient d’un certain nombre de décisions permettant de reconstituer, de renforcer l’aide qu’on leur apporte. Nous y attachons, nous les Français, une très grande importance. Enfin, troisièmement, faire en sorte aussi que dans les relations économiques internationales on soit attentif aussi, ce que nous appelons les « normes sociales ». Le président de la République parle depuis quelques mois du « modèle social européen », nous sommes le quatrième exportateur du monde, donc nous sommes d’accord pour la mondialisation, pour l’augmentation des échanges internationaux, c’est bon pour tout le monde et c’est bon pour la France. Mais il faut quand même qu’il y ait un peu d’ordre et que notamment les normes sociales soient telles qu’on ne cherche pas à ébranler le modèle social européen auquel nous, Français, sommes très attachés, et ceux qui nous écoutent savent que le modèle social, ça veut dire le dialogue social, ça veut dire un certain niveau de protection sociale, et ça veut dire aussi une capacité de l’État à intervenir pour faire en sorte que la justice sociale règne chez nous autant que faire se peut.

Q. : Monsieur le ministre, est-ce qu’on peut savoir, dernière question tout à fait anecdotique, où vous dîner ce soir avec ce brillant aréopage ?

R. : Je dîne ce soir à la préfecture de Lyon, une très belle et très ancienne préfecture. J’y dîne avec les ministres des Affaires étrangères des sept pays en question et nous allons parler de la situation internationale tous ensemble.

 

Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « Soir 3 » (Lyon, 27 juin 1996)

Les événements, je dirais un devoir de solidarité qui est spontané, nous ont conduit à considérer qu’à la suite de l’attentat dont les Américains ont été victimes en Arabie saoudite, cette question du terrorisme deviendra en effet un des sujets très importants et je pense que vous le constaterez, la France prendra des initiatives qui vont au-devant de la démarche américaine dont nous sommes solidaires.

 

Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « Europe 1 » (Lyon, 28 juin 1996)

Q. : Le G7 devait-il avant toute chose focaliser son énergie sur la lutte contre le terrorisme comme le demandait Bill Clinton ?

R. : Oui, bien sûr, ne serait-ce que par solidarité à l’égard des Américains qui ont été éprouvés par un attentat d’une gravité considérable et si cela nous étaient arrivés à nous, Dieu merci ce n’est pas le cas, eh bien, c’est certainement ce que nous aurions demandé. C’est donc très bien que les chefs d’État et de gouvernement aient consacré leurs premiers instants hier soir à parler de cette question et à adresser un signal clair de la détermination qui est la leur de lutter par tous les moyens contre le terrorisme. Ils ont, comme vous le savez, décidé de réunir une conférence internationale que je présiderai à Paris dans trois semaines, et qui nous permettra de travailler concrètement, je l’espère, à renforcer l’action que nous menons déjà, bien entendu, mais à la renforcer car dans ce domaine, croyez-moi, on peut à chaque instant faire des progrès pratiques. Il ne s’agit pas de faire de la théorie. Il faut progresser, resserrer les liens, renforcer les moyens, mettre les experts ensemble, bref, travailler dur.

Q. : Et concrètement, quelle forme cela peut-il revêtir ?

R. : Vous savez, cela concerne les services d’espionnage, les services de police, les services qui surveillent la circulation des personnes, enfin tous les moyens concrets que l’on prend pour lutter contre le terrorisme, savoir quels sont les réseaux, les détruire, bien entendu, chaque fois qu’on le peut, pour éviter que ce genre de choses se reproduise.

Q. : Hier soir, vous avez assisté à l’entretien préliminaire entre Bill Clinton et Jacques Chirac. Le Président américain vous avait semblé particulièrement préoccupé ?

R. : J’ai vu que c’était pour lui, et je le comprends encore une fois très bien, un sujet tout à fait majeur dont il souhaitait parler avec ses collègues et dont il souhaitait avoir l’expression de la solidarité très forte de la communauté internationale et naturellement, d’abord, de la France.

Q. : M. de Charette, vous avez aussi rencontré votre homologue américain, Warren Christopher. Est-ce qu’il n’y a pas là quelques sujets sur lesquels on a l’impression que la diplomatie américaine est en train de cafouiller ? On pense au Proche-Orient notamment depuis les élections en Israël.

R. : J’ai en effet passé deux heures et demie avec Warren Christopher. Je ne l’avais pas vu depuis les événements du Moyen-Orient au moment de la crise entre Israël et le Liban. Nous avons trouvé beaucoup de plaisir à nous retrouver et surtout décidé de faire progresser encore un peu les choses entre la France et les États-Unis. Vous savez que, d’un côté, le Président Chirac et le Président Clinton se connaissent bien, s’apprécient, sont deux hommes politiques qui sont, sans doute bâtis sur des modèles assez proches. Enfin, beaucoup de choses les rapprochent et, en même temps, nos diplomaties doivent travailler ensemble. Nous avons donc convenu que pendant ces deux mois, juillet et août, nous allions mettre nos diplomates au travail sur quelques sujets très importants qui intéressent la France et les États-Unis, et puis que nous nous retrouvions. Je vais aller en septembre à Washington et nous ferons, Warren Christopher et moi, une longue séance de travail pour tirer le bilan de tout cela et sur un certain nombre de points, je l’espère, progresser.

Q. : Mais on a l’impression que la formule « la nécessité d’honorer les accords de paix au Proche-Orient » n’a plus le même sens tout à fait depuis les élections en Israël ?

R. : Il n’est pas douteux, vous savez, que les élections israéliennes et l’élection de M. Netanyahou et l’arrivée au pouvoir du Likoud, enfin d’une coalition dans laquelle le Likoud a une part importante, tout cela a créé une situation nouvelle. Il faut en prendre acte. C’est un fait. Les Israéliens ont choisi leurs dirigeants comme c’est le droit de toute démocratie mais en même temps, cela a provoqué, je crois, une réelle inquiétude dans le monde arabe. Au Caire, les dirigeants arabes qui ne s’étaient pas rencontrés depuis cinq ans, parce qu’ils ne sont pas toujours ensemble dans des relations faciles, se sont retrouvés et ont exprimé un message à la fois très fort et très simple, « nous voulons, disent-ils poursuivre le processus de paix ». Et on sent bien que cette question, du côté israélien fait l’objet de réflexions, de discussions, que, sans doute, les choses ne sont pas encore décidées à Tel Aviv ou à Jérusalem et donc, il faut laisser le temps au temps. Mais vraiment, il y a cette inquiétude qui est réelle et dont vous faites état.

Q. : Au passage, Hervé de Charette, vous disiez à l’Assemblée nationale que le thème de la mondialisation devrait être l’axe majeur des travaux du G7...

R. : Mais ça le sera.

Q. : Est-ce qu’il n’est pas une fois de plus rejeté au second plan ?

R. : Non, pas du tout. Ça va l’être. Ce soir, nous avons parlé de ce sujet d’actualité d’une extrême gravité mais, bien entendu, nous allons maintenant, toute la journée d’aujourd’hui, nous concentrer sur ce sujet fondamental. La mondialisation, c’est-à-dire l’ouverture à la compétition économique internationale, c’est déjà largement fait et la France qui est le quatrième exportateur du monde ne peut évidemment que tirer avantage de tout cela. Mais il y a quelques conditions à remplir.

Q. : Alors quelle est la réceptivité de votre homologue américain que vous avez rencontré longuement hier soir ?

R. : Les Américains sont tout à fait sur une ligne je crois assez proche de nous mais, quelquefois, il y a des différences. Première différence, les Américains, selon nous, ne font pas l’effort qu’il faut à l’égard des pays les moins développés, ceux qui sont, au fond, les laissés-pour-compte du progrès économique mondial. La France, au contraire, avec le Japon et quelques autres, se trouvent en tête dans ce domaine. Nous pressons le monde entier de prendre ses responsabilités parce qu’on ne peut pas imaginer que durablement les pays riches soient de plus en plus riches et les pays pauvres de plus en plus pauvres. C’est une situation injuste et dangereuse.

Q. : Que peuvent attendre ces pays d’un G7 comme celui de Lyon ? Un allégement de la dette ?

R. : Ils peuvent attendre plusieurs choses très importantes. Ils peuvent attendre davantage de crédits disponibles pour leur propre développement et ils peuvent espérer que le Fonds monétaire international dispose des moyens de les aider à traverser des passes difficiles. Ils peuvent espérer que la Banque mondiale pourrait financer davantage le projet. C’est un enjeu important.

Q. : Cela suppose que les Américains corrigent le tir puisqu’ils en sont à la phase de réduction de leur aide au développement.

R. : Cela suppose en effet que les Américains acceptent de prendre en considération ce que nous pensons, nous, le devoir de solidarité des pays les plus riches vis-à-vis des pays les plus pauvres. Et vous savez, il y a encore une question qui se pose. C’est qu’il faut aussi, parce que nous avons aussi nos problèmes, que dans les échanges mondiaux la question des normes sociales soit prise en considération. Le président de la République a exprimé à plusieurs reprises récemment ce que nous appelons le modèle social européen. Nous n’avons pas l’intention de le laisser détruire par la concurrence internationale et, par conséquent, nous voulons la aussi progresser. C’est des sujets difficiles parce qu’il y a des conflits d’intérêts, des conflits de jugement et d’opinion sur tout cela, mais la France est sur tous ces sujets combative.

Q. : Cela fait du pain sur la planche, M. de Charette ?

R. : Ah oui, bien sûr, oui.

 

RMC - vendredi 28 juin 1996

RMC : Nous sommes à Lyon où vous avez dîné hier avec vos six homologues des affaires étrangères et des finances. S’est-il dégagé, lors de ce dîner, quelques idées communes ?

H. de Charette : Oui, tout à fait, le sujet de nos travaux était un échange de vues, sans décision à prendre, mais un échange de vues sur la Russie qui est en train de vivre un très grand moment puisque c’est la première grande élection démocratique que la Russie ait jamais connue. Et nous sommes tous tombés d’accord sur quelques idées simples : la première, c’est que l’équilibre de la Russie, le fait qu’elle parvienne à être à l’aise dans le monde d’aujourd’hui est un objectif qui est bon pour les Russes mais qui est bon aussi pour nous. Nous, les Européens, nous avons besoin en particulier que la Russie soit à la fois démocratique et prospère. Nous avons tout à attendre de bon de cela alors qu’il faudrait s’inquiéter de l’aggravation de la situation en Russie. Et puis, nous sommes tous décidés aussi à faciliter l’entrée de la Russie dans la communauté internationale. Nous allons accueillir ce soir Evgueni Primakov, le ministre des Affaires étrangères russe, et le Premier ministre russe, et nous allons les accueillir en leur disant que nous sommes, au fond, les amis de la Russie.

RMC : Vingt millions de chômeurs européens, vingt-trois millions de chômeurs dans les sept pays réunis à Lyon attendent et espèrent. Est-ce que vous allez leur donner, ce soir, des raisons d’espérer ?

H. de Charette : J’aimerais leur en donner. Qu’est-ce que peuvent faire les sept chefs d’État et de gouvernement des pays les plus importants du monde ? Ils peuvent apporter leur contribution pour que la croissance économique du monde s’améliore, se renforce dans l’année qui vient. Pour cela, je vois quelques objectifs à atteindre. Premièrement, la stabilité des monnaies. Je vous fais observer que, par exemple, la France a durement subi la dévaluation sauvage de la lire il y a deux ans. Donc, la stabilité de la monnaie, ça veut dire aussi la stabilité des échanges et pour les entreprises, une situation plus solide et plus sûre. Deuxièmement, ça veut dire aussi que nous souhaitons que les échanges mondiaux – nous avons intérêt aux échanges mondiaux ; la France, quatrième exportateur du monde, y a vraiment intérêt, elle a des places à gagner, des emplois à défendre – se développent dans des conditions normales et loyales ; et en particulier qu’on prenne en considération ce que nous appelons les normes sociales, c’est-à-dire que nous ne comptons pas laisser abattre ce que nous appelons le modèle social européen par une concurrence sauvage. Et puis ça veut dire aussi qu’il faut penser aux autres, même si nous avons nos propres problèmes, et nous ne croyons pas qu’il soit sain ou qu’il soit juste que les pays les plus pauvres du monde continuent à s’appauvrir simplement parce que les pays les plus riches diminuent l’aide qu’ils leur apportent. L’une des actions que nous allons poursuivre pendant ce G7, c’est aussi d’obtenir l’engagement des pays les plus riches dans cette direction.

RMC : Les sept pays sont d’accord sur ce que vous venez de dire, l’unanimité est faite ?

N. : Non, l’unanimité n’est pas faite, il y a des désaccords. Par exemple, les Américains baissent leur aide aux pays les plus pauvres alors que nous la maintenons à un niveau élevé. Nous donnons plus, nous Français, que les Américains le font, avec 250 millions d’habitants. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais c’est l’objet de ces rencontres des chefs d’État et de gouvernement. Quand ils se voient comme ça une fois par an, je ne dis pas qu’ils résolvent tout, mais il est important qu’ils soient ensemble, qu’ils se connaissent, qu’ils dialoguent, qu’ils s’expliquent, et chaque fois on arrive à faire progresser les choses. Et donc, je crois que c’est utile. Le G7, ce n’est pas un miracle mais c’est quand même utile.

RMC : M. Boutros-Ghali a été élu avec l’aide de la France, il est candidat à sa réélection, les Américains ne sont pas d’accord. Est-ce que la France va soutenir sa candidature pour sa réélection ?

H. de Charette : Franchement, la France désapprouve la prise de position américaine qui nous paraît à la fois précipitée et injuste à l’égard de M. Boutros-Ghali qui a très remarquablement assumé son mandat. Comme vous le savez, M. Boutros-Ghali est un Égyptien qui parle un français remarquable, qui est un ami de la France et nous ne pouvons que souhaiter que M. Boutros-Ghali puisse poursuivre son action à la tête de l’ONU. Cette élection aura lieu au mois de décembre, le mieux serait de ne pas précipiter une campagne électorale qui affaiblirait l’ONU dans cette période.

RMC : Trois membres de la famille Oufkir sont en France, est-ce que l’exfiltration de ces trois Marocains ne va pas assombrir les relations franco-marocaines, qui étaient au beau fixe jusqu’à présent ?

H. de Charette : En aucune façon. En effet, Mme Oufkir, sa cousine et son fils sont arrivés en France, sans d’ailleurs que nous en ayons été prévenus. Nous leur délivrons un titre de séjour et je peux vous dire qu’il n’y aura aucune conséquence dans les relations franco-marocaines, elles sont au beau fixe, elles nous tiennent à cœur ; rien ne changera si ce n’est en s’améliorant encore.

RMC : Les députés de la majorité ont exprimé leur inquiétude au Premier ministre avant-hier, de manière un petit peu nerveuse, disant que la politique économique du gouvernement les inquiétait. Le Premier ministre a répondu qu’il fallait garder le cap. Est-ce que vous pensez qu’il faut garder le cap même si les électeurs de la majorité ne sont pas très contents ?

H. de Charette : Je sais bien qu’il y a une certaine morosité, d’ailleurs cette morosité n’est pas simplement au Parlement, elle est partout dans notre pays. Moi qui ai l’occasion de voyager beaucoup, je me dis que nous ne voyons pas qu’il y a des opportunités dans le monde d’aujourd’hui, qui sont formidables. Simplement, pour que la France les saisisse, il faut qu’elle mette de l’ordre chez elle. Elle ne peut pas continuer à vivre au-dessus de ses moyens, à avoir un État trop coûteux, à avoir une Sécurité sociale en déficit, ça n’est pas possible. C’est vrai d’ailleurs pour tout le monde, les Allemands sont dans la même situation et, naturellement, il y a de la grogne en Allemagne. Mais je crois que la mission des gouvernants, c’est en effet, comme le dit le Premier ministre, de tenir le cap, c’est-à-dire d’essayer de poursuivre avec détermination, et le plus rapidement possible, les tâches, les missions qui sont nécessaires pour réussir. Moi, je crois qu’on va gagner, qu’on va réussir, que la France à toutes les raisons d’être optimiste quand elle regarde l’avenir, et non pas se complaire dans cette morosité typiquement française.

RMC : Vous avez dit : on va gagner. Les élections de 1998 approchent. Il y a quelqu’un d’autre qui pense gagner, c’est M. Jospin qui a fait savoir assez bruyamment, il y a 48 heures, qu’il était prêt à cohabiter. Quel est votre sentiment ?

H. de Charette : Je crois que M. Jospin a sans doute l’appétit du pouvoir mais j’ai peur qu’il ait les yeux plus gros que le ventre. La vérité est différente. Franchement, nous ne sommes pas en campagne électorale. Je trouve assez déplacé ces bruits de bottes de campagne électorale que j’entends aujourd’hui. Et puis, je vais vous faire une confidence : je suis intimement convaincu que la majorité va gagner les prochaines élections législatives. Les Français l’ont choisie et je crois que si nous faisons preuve de détermination et de continuité dans notre politique et en même temps, bien entendu, d’esprit de dialogue, d’esprit d’ouverture car il faut s’expliquer, parler, comprendre et surtout écouter ; si nous faisons tout cela, les Français verront que cette voie est la bonne voie et donc ils la poursuivront.