Texte intégral
Europe 1 - mercredi 11 septembre 1996
S. Attal : Le traité d’interdiction des essais nucléaires a été ratifié à l’Assemblée générale l’ONU, à une écrasante majorité : 138 pays ont voté pour, 3 contre et 5 abstentions. Quelle a été la part de la France ?
H. de Charette : Importante. Lorsque la France a repris ses essais nucléaires il y a 1 an, J. Chirac avait immédiatement annoncé que nous terminerions des essais et qu’immédiatement après nous engagerions la négociation concernant la fin des essais nucléaires dans le monde. Nous avons pris de ce point de vue beaucoup d’initiatives dont une très importante : dans ce traité, on a adopté « l’option zéro », ça veut dire interdire tous les essais, même petits. Car il y avait débat, notamment aux États-Unis, pour garder une certaine marge de manœuvre. C’est la France qui a proposé que cette « option zéro » soit généralisée.
S. Attal : Quelle sera la valeur de ce traité tant que des pays comme l’Inde refuseront de le ratifier ?
H. de Charette : Le traité prévoit que pour être impératif, il faut qu’il soit signé par les 5 puissances nucléaires et par les 3 pays du seuil : l’Inde, le Pakistan et Israël. Il faudra donc encore des efforts mais je pense que nous allons ouvrir la porte à l’arrêt des essais nucléaires chez les Russes et chez les Chinois.
Vous savez que nous, les Américains, les Russes, avons pris la décision de suspendre et d’interrompre les essais. Je rappelle que la France a fermé sa base de Mururoa.
S. Attal : Comment expliquer à un grand pays comme l’Inde qu’il doit se priver finalement d’une arme, d’un développement technologique, dont son dotées les grandes puissances ?
H. de Charette : On ne peut le faire qu’en lui apportant des garanties de sécurité dans la région où il se trouve. La démarche à venir sera désormais d’aller discuter avec les Indiens pour comprendre leurs problèmes de sécurité et leur apporter les garanties nécessaires.
S. Attal : Autre pays dont on parle beaucoup pour le nucléaire : Israël. Vous receviez hier votre homologue israélien D. Lévy. Avez-vous abordé la question avec lui ?
H. de Charette : Israël était le co-parrain de ce texte. Autrement dit, de la part d’Israël, il y a de ce point de vue un engagement clair.
S. Attal : Est-ce que le tour qu’a pris le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, et qui est quasiment gelé, vous inquiète-t-il ?
H. de Charette : Oui. Ce que j’ai dit à D. Lévy hier, c’est que j’espère maintenant que la poignée de mains allait rapidement être suivie par des actes. Se serrer la main, c’est bien, mais décider et agir, c’est mieux. J’ai fait le reproche aux Israéliens qu’ils aient contribué à arrêter le processus de paix sur le front palestinien mais aussi sur le front syrien et libanais.
S. Attal : Il n’y a pas de date pour le retrait de Hébron, reprise de la colonisation, et les Palestiniens peuvent se sentir légitimement floués.
H. de Charette : Ils ont raison d’être inquiets, préoccupés, comme la communauté internationale. Il faut que les actes pratiques suivent, ceux qui intéressent le bouclage de Gaza et qui posent de très gros problèmes à la population palestinienne, ceux qui intéressent l’ensemble du processus palestinien, et qui n’avance pas. Je souhaite vivement, vivement, que cette reprise de la discussion avec les Palestiniens débouche rapidement sur des actes concrets et corresponde aux engagements pris par les Palestiniens et les Israéliens, mutuellement.
S. Attal : La France veut jouer un rôle dans ce processus de paix, on l’a vu récemment avec le Liban. Est-ce que cela veut dire se tenir à égale distance de l’un et de l’autre, ne fâcher personne au risque d’irriter tout le monde ?
H. de Charette : Non. Cela veut dire d’abord être présent, très présent, ce que nous sommes. Cela veut dire parler avec les uns et avec les autres, parler à cœur ouvert de façon approfondie. Cela veut dire aussi essayer de comprendre les préoccupations des uns et des autres. Pour Israël, c’est la sécurité, la préoccupation, c’est une préoccupation légitime. Pour les autres, c’est la paix, la paix le plus vite possible, pour Israël aussi. Et donc nous travaillons aujourd’hui à essayer de renouer les fils dénoués, de rapprocher les points de vue entre Syriens, Libanais, Israéliens, Palestiniens.
S. Attal : Mais vous dites quand même qu’Israël porte une certaine responsabilité dans la dégradation du climat qu’on observe depuis les élections israéliennes ?
H. de Charette : Oui. Il n’y a pas de doute qu’il y avait un processus de paix avant les élections législatives qui avait été engagé, un certain nombre d’engagements avaient été pris d’ailleurs par les uns et par les autres et ce processus a été brusquement ébranlé. Il convient maintenant de le reprendre dans les meilleurs délais car je ne crois pas qu’il y ait d’autres solutions.
Europe 1 : La position française dans la crise du Kurdistan a dû être mal comprise par ses alliés.
H. de Charette : En tout cas, elle a été comprise dans l’opinion publique. Cette position est tout à fait raisonnable. Nous ne pensons pas que n’importe qui peut bombarder n’importe quel pays sans texte qui l’y autorise.
Europe 1 : Mais on a vu que ça n’a pas empêché les Irakiens de s’emparer du Kurdistan avec leurs alliés. Pouvait-on rester sans rien faire ? La France a-t-elle des obligations vis-à-vis du peuple kurde ?
H. de Charette : Le peuple kurde, nous avions pris des décisions. Il faut que j’explique pourquoi cette zone de non-survol par les Irakiens existe. Les Britanniques, les Américains, les Français, ont décidé – d’ailleurs de leur propre chef – au lendemain de la guerre du Golfe, de mettre les populations kurdes à l’abri des bombardements irakiens en interdisant un survol par les avions irakiens. Or, ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est un affrontement entre deux mouvements kurdes, ce n’est pas un bombardement, ce n’était pas une attaque venant des troupes irakiennes. À cela, la communauté internationale ne donne pas les moyens de répondre. Je le regrette.
Europe 1 : En Bosnie, il y a des élections prévues samedi et pratiquement tout le monde craint des incidents. Il n’y a pas de liberté de circulation. C’est raisonnable de maintenir ces élections ?
H. de Charette : C’est non seulement raisonnable, mais absolument nécessaire. Ces élections sont une étape décisive du processus de paix. Il faut qu’elles aient lieu dans de bonnes conditions. J’appelle la population à aller voter et je souhaite évidemment que tout soit fait pour qu’il n’y ait pas d’incidents.
Europe 1 : Vous croyez que les musulmans bosniaques pourront aller dans leur village ?
H. de Charette : Je le répète, c’est absolument indispensable. Nous sommes d’avis que ce processus électoral doit être repris deux ans plus tard de l’ensemble du processus en ex-Yougoslavie et que, ainsi, on arrivera par étapes à des élections qui répondent pleinement aux critères de la démocratie. Mais cette étape-là est une étape décisive pour que la population, qui n’a pas voté depuis des années, qui a vécu la guerre sans avoir exprimé son point de vue, puisse enfin être là et dire ce qu’elle veut.