Texte intégral
ENTRETIEN AVEC LA PRESSE AMERICAINE (Washington, 16 avril 1998)
Il y a six mois, lors de mon premier voyage en tant que ministre de la Coopération à Washington, j'avais dit que, parmi les chantiers ouverts par le nouveau Premier ministre français, Lionel Jospin, il y avait celui de la réforme de la Coopération. Je voudrais dire en quelques minutes où nous en sommes et d'abord rappeler les raisons de cette réforme.
Le ministère de la Coopération fut créé voici 40 ans au moment où la France se résignait à décoloniser sa part d'Afrique subsaharienne. Depuis, la Coopération a incarné une relation très spécifique entre la France et les Etats africains, surtout avec les chefs d'Etat africains, - certains d'entre eux notamment -, lorsque la France avait contribué à les installer ou à les maintenir, parfois même avec la force de ses armées. Cette Coopération peut présenter un bilan remarquable, bien qu'insuffisant, dans des domaines aussi divers que l'éducation ou la santé, ou l'assistance dans des domaines institutionnels comme la justice ou la fiscalité.
Il est vrai aussi que des zones d'ombre ont permis parfois au clientélisme, parfois à des amitiés particulières, de sembler cautionner certaines formes de corruption ou couvrir des agissements répréhensibles. Un tel système, surtout, enlevait beaucoup de visibilité à la politique extérieure de la France, puisqu'aussi bien, à côté de la politique extérieure menée par le Quai d'Orsay, il y avait cette politique singulière conduite par le ministère de la Coopération.
Cette organisation entretenait l'opacité et contribuait sans nul doute à noircir l'image de l'Afrique dans l'opinion française. Au moment même où il nous semblait, et il nous semble encore, que l'opinion française doit être mobilisée pour continuer à apporter à l'Afrique un flux d'aide publique au développement qui nous parait plus nécessaire encore aujourd'hui qu'hier.
Les bouleversements économiques, comme diplomatiques, entraînés par la mondialisation, le désir des Africains de s'ouvrir au reste du monde, notre propre volonté d'exprimer autrement notre solidarité à l'intention des pays en voie de développement, tout cela rendait l'organisation précédente caduque.
Le besoin de réforme était d'ailleurs affiché depuis plusieurs années par plusieurs gouvernements successifs ; encore fallait-il que la volonté politique soit suffisamment forte pour entreprendre la réforme et la mener à bien ; encore fallait-il, s'agissant d'un domaine partagé entre la présidence de la République et le gouvernement, que la concertation entre l'Elysée et Matignon permette d'aboutir à un consensus. Je suis heureux de pouvoir vous annoncer que c'est fait.
Les grandes lignes de la réforme ont été présentées par Hubert Védrine et moi-même lors du Conseil des ministres du 4 février. La réforme se met en place, les organigrammes se redessinent et je saisis évidemment toutes les occasions qui me sont offertes pour informer les responsables politiques, mais aussi les organes de presse et de radio des raisons de cette réforme.
Je vous disais que le principal reproche que nous pouvions faire au système précédent, c'était le manque de lisibilité de la politique extérieure de la France en Afrique. Nous avons fait le choix de rapprocher le ministère des Affaires étrangère et le ministère de la Coopération qui ne forment plus désormais qu'un seul pôle diplomatique, sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine. L'ancien secrétaire d'Etat à la Coopération devenant ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie et travaillant en étroite relation avec le ministre des Affaires étrangères.
Cette réforme réaffirme la volonté de la France de considérer la Coopération au développement comme une de ses priorités de sa politique extérieure. Cette réforme préserve le lien privilégié entre la France et les pays africains, sans pour autant se limiter aux seuls pays de l'Afrique francophone. Notre volonté est de coopérer avec l'ensemble des pays en développement et en particulier l'ensemble des pays africains.
Nous créons une zone de solidarité prioritaire vers laquelle continuera d'aller la plus grosse part de l'aide publique au développement. Cette zone de solidarité prioritaire étant définie par rapport à des critères objectifs de sous-développement ou de pauvreté relative, mais aussi en tenant compte de la manière dont ces pays se gouvernent, de façon à aider d'avantage ceux qui conduisent des politiques plus exigeantes. Nous pouvons enfin avoir nous-mêmes des raisons stratégiques, voire économiques, d'avantager de tel ou tel pays.
C'est un comité interministériel présidé par le Premier ministre qui détermine les priorités géographiques et sectorielles. S'agissant des priorités sectorielles, c'est évidemment l'Etat de droit qui me paraît devoir encore être encouragé - ce qui renvoie tout aussi bien au processus démocratique qu'à la défense des Droits de l'Homme. C'est la lutte contre la pauvreté - tous les dossiers des services sociaux - qui me préoccupe : l'accès à la santé, l'accès à la Coopération.
C'est enfin le développement économique par une mobilisation plus déterminée de l'investissement privé. C'est aussi en aidant les pays africains à s'intégrer dans l'économie mondiale et à se doter d'une législation qui favorise cette intégration, en particulier sur une base régionale.
Pour mieux mobiliser la société civile, qu'il s'agisse des entreprises, qu'il s'agisse des collectivités locales, nous créons un Haut Conseil de la Coopération chargé en particulier de communiquer en direction de l'opinion française les politiques de coopération que nous conduisons. Enfin nous consolidons dans son rôle d'opérateur privilégié, la Caisse française de développement qui devient Agence française de développement.
Les missions de coopération qui existent aujourd'hui dans les pays africains sont intégrées dans nos ambassades. C'est désormais l'ambassadeur qui a à sa disposition l'ensemble des moyens propre à la Coopération.
Faut-il rappeler que la France est parmi les premiers pays donateurs en matière d'aide publique au développement, que le pourcentage du PIB par rapport au nombre d'habitants consacré à l'aide publique au développement est en France de 0,48 % à comparer au 0,12 % des Etats-Unis. Pour s'en tenir à la seule Afrique subsaharienne, la France y consacre trois milliards de dollars, les Etats-Unis consacrant pour le même territoire environ 800 millions de dollars.
C'est dire aussi si nous avons vécu positivement l'annonce du voyage du président Clinton en Afrique. Vous savez qu'avant ce voyage, le président Clinton avait tenu à informer le président Chirac, et qu'avant de se poser à Dakar, au cours d'une communication téléphonique, les deux présidents ont pu échanger sur les collaborations qui pourraient se mettre en place. Un télégramme très récent : on apprend que le président Chirac vient de s'adresser au président Clinton pour proposer que, lors du Sommet de Birmingham, ces questions soient évoquées. Lorsque M. Jospin viendra nous rejoindre à Washington, il est évident que l'Afrique sera aussi au cœur des conversations qu'il y aura avec la plupart des dirigeants.
Je voudrais simplement conclure que l'Afrique change, - en ce moment profondément - et souffre d'un déficit d'image. Je crois qu'il est de notre responsabilité à nous, pays occidentaux qui avons des liens anciens avec ce continent, de donner à cette image des couleurs plus positives.
Le mieux, Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs, est probablement que j'en reste là et que je réponde aux questions que vous avez à poser. J'imagine bien que l'actualité nous donne beaucoup d'opportunités, du renouvellement des Accords de Lomé qui sont en discussion, à la situation plus particulière de telle ou telle région d'Afrique sur lesquelles il y a toujours des sujets de discussion.
Q. - (Sur le Congo)
R. - Vous m'interrogez sur la République démocratique du Congo. J'en avais longuement parlé avec Mme Rice quand j'étais venu au mois de novembre. Je m'étais d'ailleurs efforcé de la convaincre d'avoir vis-à-vis du Congo, des deux Congo, à la fois la même compréhension et les mêmes exigences, ayant alors le sentiment que Mme Rice avait probablement plus de tendresse pour M. Kabila que pour M. Sassou N'Guesso.
Nous avons évidemment, lors des rencontres que nous avons eu avec M. Sassou N'Guesso, exercé des pressions pour qu'un processus démocratique se mette en marche. Un forum a eu lieu qui a produit un certain nombre de résultats. Il reste que le Congo (Brazzaville) a encore besoin d'une réconciliation nationale qui tarde à se manifester.
S'agissant de la République démocratique du Congo, je ne vous apprendrais rien en vous disant que nous n'avons pas de relations très étroites avec le gouvernement de M. Kabila, même si nous avons des contacts avec certains de ces ministres que nous rencontrons à l'occasion des différentes manifestations internationales. Chaque fois que l'occasion nous est donnée de nous adresser à l'un des ministres de M. Kabila, nous nous efforçons nous aussi de les convaincre de donner des signes positifs à l'opinion internationale en ce qui concerne le processus démocratique par la reconnaissance de la pluralité démocratique, qui aujourd'hui est refusée là-bas, mais aussi en acceptant que l'enquête décidée par les Nations unies sur les massacres qui se sont produits dans l'Est de ce pays puissent se dérouler normalement.
J'ai comme vous appris que les derniers incidents graves ont amené M. Kofi Annan a décidé de retirer la commission d'enquête. Interrompre la commission d'enquête, ceci n'est évidemment pas de nature à rassurer l'opinion internationale mais surtout à mobiliser les bailleurs de fond internationaux dont pourtant M. Kabila a le plus grand besoin pour reconstruire son pays.
Q. - (Sur l'avenir du Congo)
R. - Je me garderai bien de faire des pronostics sur l'issue d'une situation qui est difficile. J'ai appris que certains dirigeants de l'opposition précédemment incarcérés s'étaient évadés, M. Goma en particulier. Il fait partie avec quelques autres des nouveaux acteurs politiques congolais de ceux qui n'ont pas été compromis avec Mobutu et qui de ce fait représentent peut-être des perspectives d'avenir politique.
Q. - (Sur le conflit au Congo, entre MM. Lissouba et Sassou N'Guesso)
R. - J'ai connu M. Lissouba lorsqu'il était étudiant à Paris. Il se trouve que c'est le jour même de mon installation au ministère de la Coopération que M. Lissouba faisait le choix d'encercler la villa de M. Sassou N'Guesso. Pendant toute cette période je me suis efforcé de garder le contact avec le gouvernement de M. Lissouba qui était en effet le gouvernement légitime. J'ai pu mesurer aussi les erreurs qui ont été commises de part et d'autre d'ailleurs, la difficulté, voire l'impossibilité dans laquelle M. Lissouba s'est trouvée pour pouvoir rassembler autour de lui alors même que M. Sassou N'Guesso - c'est la marque des divisions ethniques de ce pays - faisait la preuve que ses qualités militaires étaient de toute évidence supérieures à celles du professeur Lissouba.
Nous avons regretté que la situation aboutisse à cette victoire par la force d'autant qu'elle a été accompagnée d'une invasion au moins partielle du territoire congolais par des troupes angolaises mais personne n'imaginait que nous puissions modifier par la force le cours des choses. J'ajoute que lorsque la France a demandé au Conseil de sécurité qu'on mette en place une force internationale d'interposition, parmi les pays qui ont sinon empêché du moins freiner, nous avons regretté qu'il n'y ait les Etats-Unis. Je pense qu'une solution comme celle-là aurait sans doute pu empêcher le coup de force que vous dénonciez à l'instant. Mais encore eut-il fallu que la communauté internationale soit prête à se mobiliser sur une telle solution, que les pays africains étaient pour plusieurs d'entre eux prêts à accepter.
Je me souviens qu'à l'époque c'était le président Bongo, le président du Gabon, qui était chargé d'une médiation entre les deux camps congolais. Je pense en tout cas qu'il faut que la communauté internationale tire la leçon de ce qui s'est passé au Congo. Je pense que les orientations qui sont prises aujourd'hui en matière de sécurité sur le continent africain, - c'est-à-dire une meilleure implication des Africains eux-mêmes dans leur propre sécurité et sur une base régionale -, vont dans le bon sens. Si cette orientation-là avait été prise avant, nous aurions aujourd'hui une situation différente au Congo.
Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, le Congo a un urgent besoin de se reconstruire. Il y a un pouvoir de fait, c'est celui de M. Sassou N'Guesso. Nous ne pouvons en ce moment qu'encourager à la fois la reconstruction et d'autre part la mise en œuvre d'un processus démocratique permettant d'aboutir le plus rapidement possible, mais dans des délais nécessairement raisonnables, à de nouvelles élections. Nous poussons dans ces deux directions. Je crois que nous avons des chances d'aboutir. Je suis prêt à convenir que le problème du Congo-Brazzaville n'est pas de même ampleur que celui du Congo-Kinshasa.
L'ex-Zaïre est un pays continent où les problèmes, en particulier celui des réfugiés, se posent avec une acuité extrême. Ce qui n'est pas le cas du Congo-Brazzaville.
Q. - (Sur les implications du passage à l'euro sur le franc CFA)
R. - Je ne veux pas faire le procès des médias, mais j'ai l'impression que, chaque semaine, quelles que soient les assurances que peut donner le gouvernement, les commentaires rajoutent à l'inquiétude. Et c'est un peu dommage parce que, dans ces questions monétaires, les mouvements d'opinion peuvent avoir un rôle considérable.
A Libreville, en tous cas, nous avons dit que le passage à l'euro ne remettrait pas en cause la relation entre le franc et le franc CFA. Juridiquement le Traité de Maastricht permet de préserver cette relation, car il s'agit d'un accord budgétaire et non d'un accord monétaire. Mais surtout parce que les données de l'économie de la Zone franc permettent de conclure que la parité entre le franc et le franc CFA était la bonne parité. Qu'il s'agisse de la maîtrise de l'inflation, qu'il s'agisse d'un meilleur équilibre des finances publiques, il n'y a aucune raison objective pour vouloir aujourd'hui modifier la parité entre le franc et le franc CFA. C'est ce que nous avons rappelé à Libreville. C'est ce qui figurait dans le communiqué final adopté par l'ensemble des ministres de la Zone franc.
Mais j'ai bien conscience qu'il en faudra plus encore pour convaincre que le passage à l'euro se fera sans secousse. Je pense que, au-delà du premier mai, lorsque l'annonce officielle des pays partenaires de l'euro aura été faite, lorsqu'on verra au fil des semaines que les choses se passent bien, lorsqu'on verra que rien ne se passe entre le franc et le franc CFA, les inquiétudes se dissiperont. Je le souhaite, car il serait regrettable que ce passage à l'euro, qui peut être une chance pour les pays de la Zone franc soit vécu comme un risque. Lors de la prochaine réunion des ministres de la Zone franc, qui se tiendra à Paris à l'automne, nous avons prévu de communiquer de manière plus systématique encore de façon à rassurer l'opinion et en particulier les investisseurs privés de façon à les encourager à s'intéresser davantage au continent africain.
Q. - (Sur les disparités entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale et orientale)
R. - C'est surtout parce que l'Afrique centrale a connu au cours de la période récente que des problèmes plus difficiles. A Libreville, nous n'avons pas cédé à la tentation du distinguo et nous avons considéré que c'était bien l'ensemble des pays de la zone franc qui offraient suffisamment de chances de développement pour préserver une telle parité. J'ajoute que, s'agissant de la République centrafricaine, l'installation du MINURCA est de nature à rassurer. Quant au Cameroun, où j'étais la semaine dernière, j'ai pu constater que ce pays où il y a 230 tribus, est dans une situation de stabilité politique, - relative sans doute mais somme toute satisfaisante au lendemain des dernières élections -, que sur le plan de l'économie, les choses évoluent aussi positivement. J'ajoute qu'au Gabon, où des élections sont prévues à l'automne, les choses se déroulent assez bien.
Q. - (Sur Elf et les enjeux pétroliers au Tchad)
R. - Il est exact que le gouvernement français s'efforce de protéger les intérêts des entreprises françaises. Et nous pensons être tout à fait dans notre rôle en faisant cela. L'exemple des Américains est là pour nous le rappeler.
S'agissant de la participation d'Elf dans l'exploitation pétrolière au Tchad, il est exact qu'Elf s'est associé à Exxon et BP. Les proportions, vous les connaissez : 40 % Exxon, 40 % BP et 20 % Elf. Ce n'est pas anormal qu'Elf, qui est très présent dans cette région soit partenaire d'Exxon et de BP. Je pense même que c'est une bonne chose pour ces partenaires qu'Elf soit à leurs côtés.
Nous ne faisons pas la politique d'Elf, qui est une compagnie qui se gère elle-même. Mais lorsque Elf demande notre concours, comme à toute entreprise française susceptible de le demander, nous le lui donnons, dans le respect des règles et du droit international. On comprendrait mal que les choses aillent autrement. La réforme de la Coopération a aussi pour ambition d'assurer plus de transparence, et de mettre en évidence la règle de droit. J'insiste beaucoup là-dessus.
Pour certains pays, le pétrole représente un opérateur économique considérable, une part des ressources importantes. C'est le cas du Congo-Brazzaville et du Gabon. Pour ce qui est du Congo-Brazzaville, tous les gouvernements qui s'y sont succédé se sont efforcés d'entretenir de bonnes relations avec Elf. En ce qui concerne M. Lissouba, il semble même qu'il ait été contraint d'emprunter à Elf pour faire face aux dépenses, en particulier d'armement, auxquelles il a dû se résoudre. M. Sassou-N'Guesso prétend aujourd'hui avoir quelques difficultés avec Elf, parce qu'Elf a le sentiment aujourd'hui d'avoir payé par avance pour quelques années d'exploitation. Pour avoir rencontré M. Jaffré, qui est le président d'Elf, il y a quelques semaines, je puis vous dire qu'il est très conscient du besoin pour sa propre entreprise d'apparaître comme respectant la règle de droit. J'ai l'espoir que ces aspects un peu opaques dans les relations entre cette compagnie - comme d'autres compagnie, en particulier dans le pétrole - sont à considérer comme faisant partie du passé. En tous cas, nous encourageons la compagnie Elf à avoir une relation transparente avec les pays dans lesquels elle opère.
Q. - (Après la visite de M. Clinton, est ce que vous ne pensez pas que les Etats-Unis vont interférer avec la France en Afrique ?)
R. - J'aimerais bien que la relation entre les Etats-Unis et l'Afrique ne soit pas un flirt et que ce soit une relation durable. Nous l'espérons vraiment. Les besoins sont tels que la France à elle seule n'y suffira pas. Elle attend évidemment le relais de l'Europe qui est déjà présente, mais l'appui des Etats-Unis ne sera pas de trop pour aider le continent africain à surmonter ses difficultés. Alors j'espère que l'intérêt témoigné pour l'Afrique à l'occasion du voyage du président Clinton se prolongera par des actions concrètes. Birmingham en sera, je l'espère, l'occasion. Nous sommes prêts en ce qui nous concerne, à nous concerter avec les Etats-Unis pour définir ensemble un certain nombre d'actions communes, notamment dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et pas seulement dans le domaine de la sécurité.
On peut se féliciter que désormais, entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France une concertation existe, qui a permis d'ailleurs de réussir il y a quelques semaines des manœuvres importantes impliquant nos trois pays et les armées africaines. Il y a six mois quand je suis passé, je rappelais la manière dont les choses sont quelquefois racontées : au mois d'août, soixante soldats américains sont venus faire de la préparation au maintien de la paix en direction de l'armée sénégalaise pendant trois semaines. Au même moment, la France rappelait qu'elle maintenait à Dakar 1 200 hommes en permanence et certains médias ont affiché "La France s'en va, l'Amérique arrive", je crois qu'il faut que nous évitions de nous prêter à ce jeu, une sorte de guerre que les Etats-Unis et la France se livreraient en Afrique.
Je crois que nous avons besoin, les Africains ont besoin de notre collaboration, même s'il faudrait sans doute plus de temps pour introduire des nuances quand à l'approche de la liberté du commerce par exemple, non pas que nous considérons que cet objectif n'est pas bon, mais parce que nous pensons que la situation actuelle de l'économie africaine ne permettra pas forcément le passage instantané à l'économie libérale dans toute son acception. Je donnais à Mme Rice un exemple hier : les droits de douane constituent souvent l'essentiel des ressources publiques des pays africains : imaginez que l'on va supprimer les droits de douane sans que l'on ait encore mis en place d'autres systèmes fiscaux, c'est évidemment impossible. L'objectif d'intégration de l'économie africaine dans l'économie libérale, dans l'économie mondiale, est aussi notre objectif. Nous pensons simplement qu'il faut le gérer dans le temps et que l'intégration régionale est une étape nécessaire.
Q. - On lit dans le Washington Post pour la deuxième fois en quelques semaines que la Grande-Bretagne est le pays de l'opportunité en Europe pour les Français. Qu'en pensez-vous ?
R. - Ma fille aînée est professeur à Londres ; ce n'est pas ce qu'elle a lu dans le Washington Post. Il est vrai que M. Blair offre une image assez séduisante, et c'est heureux d'ailleurs je crois pour la Grande-Bretagne. Mais, dans le même temps, j'observe que c'est la France qui attire actuellement le plus grand nombre de capitaux, d'investissements industriels. D'aucun peut même considérer que si la France attire actuellement beaucoup d'investissements industriels, c'est parce que les services publics à la française permettent d'avoir aussi bien un système éducation qu'un système de transport performant. Il y a un certain nombre en effet d'investisseurs importants qui ont fait le choix de la France plutôt que celui de la Grande Bretagne. Il est vrai que nous sommes plus continentaux, plus au cœur de l'Europe peut-être que la Grande-Bretagne.
Q. - Quelle a été la réaction de l'Elysée face aux réformes proposées pour le ministère ?
R. - Le président de la République était très attentif à cette réforme, car il entretient - et c'est normal - des relations étroites avec un certain nombre de chefs d'Etats africains qui pouvaient redouter une sorte de banalisation de l'Afrique dans la politique extérieure de la France. Le président a été attentif aux arguments qu'ils ont fait valoir. C'est là-dessus que nous avons approuvé sa décision, à savoir qu'il y aurait un ministre identifié en charge de la Coopération, - même si le ministre délégué que je suis, aura en charge la Coopération-développement et la coopération internationale y compris avec les pays développés, sur le plan culturel aussi puisque c'est l'ensemble de la coopération que je vais avoir à gérer.
Un ministre identifié, des services identifiés : nous sommes en train de réfléchir à un organigramme qui identifie bien notamment les services chargés du développement et de la Coopération - et puis un budget identifié. A l'intérieur du budget du ministère des Affaires étrangères, nous avons mis en place une nomenclature particulière de façon à identifier les crédits-Coopération.
J'ajoute, et ce n'est pas inintéressant, que le Premier ministre a annoncé que si des économies d'échelle étaient rendues possibles par la réforme, elles seraient recyclées dans l'aide publique au développement. La France entend maintenir un flux important d'aide publique au développement. Nous espérons bien que les autres pays occidentaux feront le même effort et nous espérons, je le redis à nouveau, c'est un peu lancinant mais ça me parait important, que les Etats-Unis, convaincus du besoin de l'aide publique au développement, augmentent leur part et reviennent à la situation que l'on a connue.
ENTRETIEN AVEC "FRANCE INTER" (Washington, 17 avril 1998)
Q. - Après la visite du président Clinton en Afrique, on n'a pas entendu de critiques françaises. Y a-t-il un ton nouveau ?
R. - Ce n'est pas le voyage du président Clinton qui amène les Français à modifier le ton comme vous dites. Cette modification est plus ancienne. Le changement de gouvernement en France s'est accompagné d'une volonté de réforme, non seulement du dispositif français de coopération mais surtout du dialogue qui reconnaît qu'il n'y a pas de d'exclusivité ou de territoire réservés à la France en Afrique, mais il n'y a pas non plus de territoire qui lui soit interdit. C'est avec une conception ouverte de notre relation avec l'Afrique que nous abordons nos nouvelles responsabilités.
Le voyage de M. Clinton est considéré par nous en France, comme positif. D'abord parce qu'il voulait donner de l'Afrique une image positive, et cela est bon pour l'Afrique. Cela peut aussi signifier un nouvel intérêt des Etats-Unis pour l'Afrique sub-saharienne.
Q. - Il y a une poursuite du dialogue entre Français et Américains au sujet des investissements, du droit des affaires, la lutte contre la corruption.
R. - Je souhaite que ce dialogue se poursuive. Je suis convaincu que sur plusieurs dossiers nous avons des analyses et des actions à mener conjointement sur des domaines précis comme l'éducation ou la santé. Cela peut être aussi dans un domaine qui intéresse beaucoup des Américains : l'harmonisation du droit des affaires. A quoi bon parler d'investissement en Afrique tant qu'il n'y a pas des règles de droit capables de sécuriser les investisseurs. Dans ce domaine nous pouvons avoir des choses à faire même si nous pouvons avoir des approches et des conclusions différentes selon les pays. Le thème par exemple de l'évaluation de la démocratie en Afrique, comme au Nigeria ou au Congo-Kinshasa pourrait très bien faire l'objet d'une évaluation en commun. C'est en tout cas le message que j'ai essayé de faire passer lors des contacts avec mes interlocuteurs américains.
Q. - Vous dites qu'il y a de la place pour investir et de la place pour deux...
R. - Vous savez la France a eu souvent le sentiment d'être un peu seule pour aider notamment les Etats africains à se construire et à mieux exercer leurs fonctions régaliennes. On pourrait considérer que ce serait un peu injuste après que la France ait payé, au travers de son aide publique, que ce soient les entreprises américaines qui récupèrent. Mais je pense aussi que s'il y a un enrichissement de l'Afrique grâce à un plus grand investissement américain, globalement les entreprises françaises qui sont présentes en Afrique peuvent aussi en tirer avantage. Les besoins en développement ou en lutte contre la pauvreté sont tellement immenses que nous ne serons pas trop. Nous voyons arriver avec sérénité et avec espoir ces investissements annoncés mais pas encore vérifiés.
Q. - Le Secrétaire général de l'ONU est obligé de retirer la commission d'enquête au Congo. C'est encore le problème Kabila ?
R. - Nous avons, depuis de longs mois, souhaité que le processus démocratique s'enclenche aussi à Kinshasa. Nous avons fait les mêmes efforts de conviction en direction du Congo-Brazzaville. J'observe que là, un forum s'est tenu qui a commencé à enclencher le processus. A Kinshasa nous n'en sommes pas là. Lors de la réunion des amis du Congo à Bruxelles, nous avons énoncé nos réserves en ce qui concerne la réalité démocratique au Congo-Kinshasa. Nous sommes toutefois convaincus du besoin que la communauté internationale se mobilise pour aider ce pays à se développer. Je regrette que malheureusement nous ayons eu raison avant les autres en ce qui concerne l'apparente incapacité qu'ont les dirigeants du Congo-Kinshasa à enclencher la démocratie.
Q. - En marge du sommet des Amériques en ce moment au Chili, il y a la question de la réintégration ou non de Cuba sur la scène internationale.
R. - J'ai l'intention d'aller dans les Caraïbes dans trois semaines. Après Cuba j'irai à Haïti, Saint Domingue et la Barbade où est organisée une rencontre entre l'Europe et les Caraïbes. Je vais me rendre à Cuba au moment où ce pays vient de demander officiellement à faire partie des pays de l'ACP, dans le cadre des accords de Lomé. Nous allons devoir examiner cette demande. Les pays Caraïbes sont pour la plupart d'entre eux, membres des accords ACP et, géographiquement au moins, il ne serait pas aberrant que Cuba rejoigne les pays ACP. Il reste que les accords de Lomé vont faire une part assez grande au dialogue politique. Il y sera question de conditionnalité et de démocratie. La logique voudrait que, si Cuba rentre dans ces accords, il se conforme aussi à ce dialogue politique.