Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, membre du bureau politique de l'UDF, dans "L'Expansion" du 12 septembre 1996, sur le respect du calendrier et des critères de convergence de l'Union économique et monétaire.

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Média : Forum de l'Expansion - L'Expansion

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L’Expansion : Depuis quelques semaines, les déclarations se multiplient en Europe, qui mettent en cause soit le calendrier de la monnaie unique, soit les critères de Maastricht. Ces interrogations vous semblent-elles fondées ?

Valéry Giscard d’Estaing : Je crois qu'elles réapparaissent pour deux raisons. D'abord parce que même pour les grands pays déterminés à faire l'union monétaire, l'Allemagne et la France, l'exercice paraît difficile. Et d'autre part parce que certains autres pays, comme l'Italie, ont déjà fait savoir qu'ils ne seraient pas en état de respecter formellement les critères. Certains reposent donc la question du calendrier, mais ils ont tort : la date du 1er janvier 1999 est une date obligatoire, solennellement fixée par le traité, pour laquelle un effort de préparation intense est en cours au sein des entreprises et sur les marchés financiers. Elle doit donc être impérativement respectée.

L’Expansion : Si l'on maintient le calendrier, ce sont alors les critères qu’il faut assouplir…

Valéry Giscard d’Estaing : Pour répondre à cette question, il faut revenir à l'origine du projet. Dès les années 70, on s'était fixé l'objectif de faire converger les économies européennes pour permettre d'unir leurs monnaies. Pour mesurer cette convergence, il suffisait de prendre des critères relatifs, qui interdisent de s'écarter trop de la meilleure performance constatée parmi les pays du groupe. C'est ce qu'on a fait pour l'inflation et les taux d'intérêt et, de ce point de vue, la convergence est atteinte entre la France et l'Allemagne. Mais dans les années 90, on a ajouté une autre notion : la situation des finances publiques des pays candidats devait être saine.

L’Expansion : Qui a demandé cette modification ?

Valéry Giscard d’Estaing : Les Allemands, lors de la négociation du traité de Maastricht, et pour répondre à la crainte de leur opinion publique de voir lier le sort du mark à celui de monnaies dont les économies semblaient gérées de façon trop laxiste. On a formulé ce critère de bonne gestion en posant deux limites, cette fois-ci en valeur absolue : l'endettement public devra être inférieur à 60 % du PIB, et le déficit à 3 %. Un chiffre qui ne devrait pas poser de problème à la France, où, sous la Ve République et jusqu'en 1981, le déficit n'a jamais dépassé 2 %.

L’Expansion : Ni la France ni l’Allemagne ne semblent pourtant en mesure d’atteindre ce seuil en 1997.

Valéry Giscard d’Estaing : Ce qu'on n'a pas prévu à l'époque, c'est qu'on entrait dans une récession assez forte, qui allait entraîner une chute des recettes fiscales. Ce « critère de bonne gestion » – qui n'est pas au sens strict un critère de convergence – doit aujourd'hui prendre en compte le « coût de la récession », et être atténué d'autant. Le jugement sur la conformité aux critères ne sera pas une simple appréciation comptable, car le traité prévoit que le Conseil européen devra prendre en compte la tendance d'évolution et la présence de circonstances exceptionnelles. Or, on peut considérer qu'un fort ralentissement de la croissance est bien une telle circonstance.

L’Expansion : Mais comment évaluer le coût de la récession, afin d’assouplir ce critère de bonne gestion ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il faut l'évaluer au sens le plus strict : c'est la perte de recettes fiscales qu'un gouvernement enregistrerait par rapport à ses prévisions pour 1997, établies sur la base d'une évaluation raisonnable et réaliste de la croissance. Rien de plus.

L’Expansion : Une baisse d'impôt destinée à soutenir la conjoncture peut-elle être considérée comme une perte de recettes due à la récession ?

Valéry Giscard d’Estaing : Non.

L’Expansion : Les dirigeants européens vous semblent-ils acquis à votre idée ?

Valéry Giscard d’Estaing : Leur langage n'est plus aussi rigide qu'au moment où j'ai fait cette suggestion, ce qui montre que l'idée a cheminé. Mais il est inutile qu'ils prennent position sur cette question avant de connaître la conjoncture de 1997. Si l'activité redémarrait, les critères purs et simples devraient s'appliquer. Et c'est naturellement ce que je souhaite.