Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "An-Nahar" du 29 mai 1998, sur la proposition franco-égyptienne d'une conférence de paix au Proche-Orient.

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Q. – Lors du Conseil Affaires générales, vous avez expliqué les raisons qui ont poussé la France à lancer l'idée d'une conférence de paix au Proche-Orient. Vos partenaires européens ont-ils appuyé fermement cette idée ? Y a-t-il eu unanimité ? Quelle était la position de la présidence ?

R. – Les présidents Chirac et Moubarak ont lancé cette idée parce que la France et l'Egypte ne baissent pas les bras. Maintenant nous sommes dans une phase de consultations avec nos partenaires pour faire mûrir l'idée.

Q. – Confirmez-vous le fait que la proposition franco-égyptienne coïncide avec la fin d'un cycle ? Autrement dit, est-ce que la France et l'Egypte ont constaté le « trébuchement » de la politique de l'hyperpuissance américaine avant de lancer leur appel commun ?

R. – Aujourd'hui, après 8 mois d'efforts américains pour faire repartir le Processus d'Oslo, mené par Madeleine Albright, on ne voit pas de résultat. Les raisons du blocage sont maintenant évidentes pour tous. Les idées américaines n'ont pas perdu de leur pertinence. Au contraire. Je n'ai qu'un souhait : que les négociations aboutissent et permettent la mise ne oeuvre des accords conclus. Les idées américaines représentent un compromis réaliste à ce stade entre ces accords et les exigences israéliennes. Nous continuons à les soutenir. Notre projet ne contrarie pas leurs efforts. Il s'inscrit dans la même perspective. Il faut que la communauté internationale réagisse.

Q. – Les Etats-Unis ont-ils donné leur feu vert à cette conférence ?

R. – Nous avons aussitôt informé les Etats-Unis. Ils étudient notre proposition. Ils n'ont rien dit contre. Mais pour le moment, ils se concentrent sur leurs propres efforts.

Q. – Quelle date avez-vous retenue ? À quel niveau aura-t-elle lieu ? Au niveau ministériel ou présidentiel ?

R. – Rien n'est encore fixé pour la date. Dès que cela sera possible et opportun. Quant au niveau, il s'agirait d'un sommet, qu'il faut bien sûr préparer. Nous en sommes encore à un stade préliminaire.

Q. – D'après mes sources, l'Egypte n'a pas « préféré » être l'hôte. La France pourrait-elle l'être ?

R. – Bien sûr, au même titre que tout autre pays déterminé à sauver la paix. Cela dit, les Egyptiens seraient tout disposés aussi à accueillir ce sommet, au Caire par exemple.

Q. – Le ministère israélien a rejeté votre appel. Quel est votre sentiment ? Avez-vous l'intention d'envoyer un émissaire français spécial pour expliquer le fondement de votre initiative aux autorités israéliennes et de sa région ?

R. – Le ministère israélien des Affaires étrangères s'est opposé « à une conférence internationale à laquelle les parties impliquées ne seraient pas invitées ». Il ne s'agit pas de cela. Notre objectif est bien sûr de réunir les protagonistes et de travailler avec eux. Mais pas dans un premier temps car il faut d'abord préparer le terrain. C'est pourquoi nous préconisons une conférence en deux temps. Nous pensons qu'une fois que les pays déterminés au sauvetage de la paix auront réaffirmé les fondements du règlement de paix, cela créera une nouvelle incitation à aboutir pour les protagonistes, parmi lesquels les Palestiniens, les Israéliens, et bien sûr les Libanais et les Syriens.

Q. – Il y a quelques mois déjà, vous aviez qualifié la politique de Netanyahou de « catastrophique ». Croyez-vous à un infléchissement de sa politique vis-à-vis du processus de paix ?

R. – J'espère qu'un infléchissement de sa politique demeure passible. J'observe que c'est le chef du premier gouvernement de droite d'Israël, M. Menahem Begin qui a reçu le président Sadate à Jérusalem et a signé la paix avec lui à Camp David. De même, c'est Itzhak Rabin, brillant militaire, qui a signé les Accords d'Oslo et la paix avec la Jordanie. Alors, M. Netanyahou en viendra peut-être à appliquer la seule politique qui puisse assurer réellement et à long terme la sécurité de son pays, qui puisse l'intégrer dans son environnement régional du Proche-Orient, comme dans le bassin méditerranéen, mais aussi le réconcilier avec la communauté des pays respectueux du droit international : celle de la paix, qui ne se gagnera que par des accords mutuellement acceptables avec les Palestiniens, garants de leurs droits politiques et économiques légitimes. C'est ce que nous répétons à tous nos interlocuteurs israéliens. Serons-nous entendus ? Nous verrons. Je l'espère parce que l'autre hypothèse est lourde de dangers pour les années qui viennent.

Q. – Partagez-vous l'analyse selon laquelle l'application « conditionnée » de la résolution 425 du Conseil de Sécurité pourrait entraîner une déstabilisation du Liban et de la région ?

R. – Dans ce dossier complexe et qui implique plusieurs parties, la France a évidemment le souci de ne pas mettre en danger l'unité du Liban et l'entreprise de reconstruction qu'il mène avec courage.

Nous n'avons cessé d'appeler à l'application de la résolution 425. J'ai donc jugé l'initiative israélienne comme un pas positif, tout en rappelant que son application ne supposait aucune condition préalable. Nous avons des contacts avec les différentes parties impliquées dans ce dossier et nous nous efforçons, à chaque fois de faire passer un message de prudence. Nous avons régulièrement informé les Syriens, les Libanais et les Israéliens de ces contacts et transmis des messages des uns aux autres.

Au-delà, si les négociations israélo-syriennes et israélo-libanaises reprenaient et si l'on parvenait à un accord, la France serait disponible, à la demande des parties, à apporter sa garantie sur le terrain.

Q. – Le Liban peut-il compter sur un soutien sans faille de la part du gouvernement français lors des discussions prochaines au Conseil de sécurité au sujet de l'application de la résolution 425 et le renouvellement de la FINUL ?

R. – Je crois que la crainte que votre question traduit ne se justifie pas. Contrairement à ce que l'on peut lire parfois dans la presse, il n'y a aucun projet aux Nations unies pour modifier la résolution 425. Si cela devait être le cas, la France aurait bien évidemment son mot à dire.

Q. – Y a-t-il un moyen d'assurer le retrait israélien du Sud-Liban en attendant la relance des négociations sur les deux volets palestinien et syrien ?

R. – Le retrait israélien du Sud-Liban est demandé par la résolution 425 qui, je le rappelle, a été adoptée en 1978. Il y a donc qu'à appliquer cette résolution. Je pense cependant que seul un accord de paix global, incluant le volet syrien, permettra d'assurer une paix durable dans la région et la sécurité des populations.

Q. – Dans une réponse à une question écrite de l'Assemblée nationale la semaine dernière, vous avez assuré que, dans vos contacts avec les dirigeants libanais, « vous ne manquez jamais de marquer le souci qu'à la France de voir préserver la liberté d'expression et le pluralisme ». Allez-vous évoquer le retour des leaders de l'opposition tels MM. Amine Gemayel et Michel Aoun ?

R. –Le retour au Liban du président Gemayel et du général Aoun ne concerne pas la France. Il s'agit là d'une affaire intérieure libanaise. Je n'ai donc pas à évoquer ce sujet avec les autorités libanaises. Il ne revient qu'à eux décider de rentrer au Liban. S'ils le désirent, la France continuera bien entendu à les accueillir sur son territoire.

Aujourd'hui, après une longue guerre civile qui a baissé beaucoup de plaies, l'essentiel reste, comme l'a dit le président de la République, M. Jacques Chirac, dans son discours devant le Parlement libanais, que les Libanais retrouvent le chemin de l'unité et de la paix, dans un esprit de concorde et de réconciliation nationale.