Interview de M. Raymond Barre, député maire de Lyon, apparenté au groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "La Croix" le 13 septembre 1996, sur les relations entre les religions et l'État à propos des commémorations du baptême de Clovis et du centenaire de la basilique de Fourvière à Lyon.

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Circonstance : Célébration du centenaire de la basilique de Fourvière à Lyon

Média : La Croix

Texte intégral

La Croix : Comment analysez-vous les polémiques actuelles autour du baptême de Clovis ?

Raymond Barre : Elles sont à mon avis, excessives. Sauf quelques milieux traditionalistes limités, personne aujourd’hui se dit plus que le baptême de Clovis a été le baptême de la France. En revanche, la tradition la plus ancienne a toujours considéré que l’adoption par Clovis de la foi chrétienne a été un facteur important pour la constitution de la nation française. Là encore, quelles que soient les croyances et les convictions des uns et des autres, cet événement demeure un élément de référence pour tous les Français attachés à leurs traditions historiques.

La Croix : Comment concevez-vous les relations entre l’Église et la cité ?

Raymond Barre : Je suis personnellement très attaché à la laïcité. Au moment où tentent de reparaître, dans certains milieux, des contestations que je n’arrive pas à comprendre, je souhaite que les relations établies entre l’État et les Églises se maintiennent dans le respect de la laïcité. Celle-ci suppose tout autant le respect des croyances et des convictions que la séparation de l’Église et de l’État. Rendons à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Cela ne signifie pas que, dans la société complexe qui est la  nôtre, il ne puisse y avoir une coopération entre l’État et les Églises. Il peut en résulter une synergie particulièrement utile à la collectivité.

La Croix : Attendez-vous de la part des Églises des paroles fortes sur les questions de société ?

Raymond Barre : Attention : le respect des opinions des uns et des autres ne condamne pas au silence. Les Églises ont un rôle considérable à jouer : affirmer les valeurs et les principes qui inspirent leur action. Elles doivent se faire entendre toutes les fois que la dignité de l’homme, ses droits fondamentaux, sont menacés. Le respect de laïcité n’a jamais signifié que sur ces points essentiels, on doive se taire.

La Croix : Avez-vous le sentiment que l’Église catholique s’exprime aujourd’hui à la hauteur de ce qu’elle devrait dire ?

Raymond Barre : Il y a dans l’Église ceux qui accomplissent leur mission avec mesure, ce qui ne signifie pas de façon timorée. Et il y a aussi quelques comportements médiatiques que je trouve assez contestables, de la part de certains hommes d’Église. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire que l’Église craint de manifester ses opinions. Je le dis également pour les Églises protestantes, qui ont, en France, une influence intellectuelle et morale considérable.

La Croix : Comment analysez-vous la place de l’islam dans la société française ?

Raymond Barre : C’est une place dont l’étendue est croissante. Nous avons à Lyon une communauté musulmane importante. Elle a le droit de pratiquer sa religion. Elle mérite de disposer des lieux de culte nécessaires. Je n’ai pas été de ceux qui ont combattu la construction d’une mosquée à Lyon. Mais je pense que la communauté musulmane qui vit en France doit respecter les règles qui s’appliquent à tous les Français, quelles que soient leurs croyances. Toute manifestation qui serait une expression d’un intégrisme impérialiste, ou qui violerait le principe de la laïcité de l’État me paraît devoir être combattue, car elle peut être à l’origine de graves tensions sur le plan social. J’ajoute qu’à Lyon, j’ai toujours trouvé des interlocuteurs représentatifs et responsables.

La Croix : Comment conciliez-vous vos convictions spirituelles et politiques ?

Raymond Barre : Tout homme engagé dans une activité, quelle qu’elle soit, s’il a des principes et des convictions, doit s’efforcer de ne rien faire qui les contredise. Lorsqu’il exerce une responsabilité à l’égard d’une collectivité caractérisée par la diversité des croyances et des opinions, son devoir est de garder une certaine réserve toutes les fois que son attitude pourrait être interprétée comme un prosélytisme plus ou moins discret, ou comme une immixtion dans les convictions d’autrui. Lorsqu’on est au gouvernement, ou à la tête d’une cité, quelles que soient nos convictions, on ne leur accorde ni la primauté ni la préférence, mais on les respecte dans son propre comportement, sans exhibitionnisme.

La Croix : Comment, en tant que maire de Lyon, percevez-vous le catholicisme lyonnais ?

Raymond Barre : J’ai toujours admiré, non seulement sa solidité, mais également sa capacité d’innovation. Le catholicisme ç Lyon n’est pas stagnant. Sans cesse, des démarches originales apparaissent. Cela entraîne parfois quelques remous, quelques difficultés. Le cardinal Renard, que j’ai connu à mon arrivée à Lyon, en 1978, et plus tard le cardinal Decourtray, me confiaient que la communauté catholique lyonnaise n’était pas facile,  et que le clergé était parfois remuant. Mais il faut voir là l’expression d’une sève puissante, qui se manifeste notamment par l’esprit social et le catholicisme lyonnais a toujours montré. N’oublions pas que c’est à Lyon que sont nées les Semaines sociales de France, qui ont été un rayonnement considérable.

La Croix : Alors que Fourvière fête son centenaire, que représente ce sanctuaire pour les Lyonnais ?

Raymond Barre : Fourvière à une signification profonde pour Lyon. D’abord par son origine : le vœu d’une population menacée d’abord par la peste, puis par l’invasion prussienne en 1870, qui a tenu à respecter son engagement. Et puis, Fourvière est la colline qui prie. Les Lyonnais, quelles que soient leurs croyances et leurs opinions, sont très respectueux de toutes les convictions. Fourvière, à mon avis, n’est pas un instrument possible de discorde entre eux. Enfin, Fourvière, [mot illisible] en que construite au XIXe siècle, s’inscrit dans la grande tradition chrétienne de Lyon. Il ne faut pas oublier qu’avant même le baptême de Clovis, les chrétiens de Lyon avaient montré, au IIe siècle, jusqu’au sacrifice de leur vie, quelles était leur foi.